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Le palais de Jean de Berry – l’actuel palais de Justice de Riom – se trouve à l’emplacement d’une ancienne forteresse du XIIe siècle bâtie dans l’angle nord-ouest de l’unique enceinte urbaine478 (voir Carte 10). Malgré trois décennies de travaux (1376-1403), il conserva en partie les installations héritées d’Alphonse de Poitiers479. Le témoin le plus éminent de cet héritage était la tour Bonan, dont la silhouette massive, plus haute que la Sainte-Chapelle, s’imposa dans le paysage urbain jusqu’au début du XIXe siècle. Dressée dans la cour du palais, la tour était isolée des bâtiments par un large fossé que l’on franchissait par un pont de bois480. Les bâtiments du palais s’organisaient en trois grands corps de logis dont les dispositions formaient trois cours (voir Plan 4). L’entrée s’effectuait par une grande porte ouvrant sur une basse cour plus tard occupée par la maison d’arrêt du palais de justice. La tour Bonan marquait le passage dans une petite cour délimitée à l’est par l’enceinte de la ville, dont on apercevait encore à la fin du XVIIIe siècle les restes de parapet crénelé ainsi qu’une bretèche481. A l’ouest, cette cour était délimitée par la Sainte- Chapelle (orientée au sud) qui se prolongeait par la grande salle. Au nord du palais, une troisième cour était délimitée par l’angle du rempart de la ville.

On connaît bien la façade occidentale de la grande salle représentée dans l’armorial de Guillaume Revel (voir Figure 26). On remarque que l’élancement de la Sainte-Chapelle dominait largement la grande salle dont les traces laissées par la toiture sont encore visibles aujourd’hui contre le pignon (voir Figure 30). La hauteur de sa couverture était en revanche équivalente à celle des salles à parer482. La

478

Teyssot Josiane, « Les forteresses urbaines… », p. 233-234.

479

Concernant les travaux du palais de Riom, on pourra consulter les documents suivants : Whiteley Mary, « Riom, le palais de Jean, duc de Berry », Congrès Archéologique de France, Basse-Auvergne, Grande Limagne, 2000, Paris, SFA, 2003, p. 333-337, Riom, le palais de justice et la Sainte-Chapelle, Madeline Hautefeuille et Jean-François Luneau (dir.), Clermont-Ferrand, Etude du patrimoine auvergnat, (Images du patrimoine),1999, Sanchez Pierre, Trois chantiers de construction de Jean de

France, duc de Berry et d’Auvergne, en son apanage d’Auvergne : le palais de Riom, les châteaux de Nonette et d’Usson. Etude de l’organisation des chantiers et des vestiges du décor sculpté des chapelles de Riom et de Nonette, Mémoire de maîtrise d’Histoire de l’Art, Université de Paris I,

Christiane Prigent (dir.),1993, Teyssot Josiane, « Un grand chantier de construction…, p. 151-166.

480

Journées de charpentiers commençant le 19 novembre 1418 (BnF, ms fr. 26042, pièce n° 5301).

481

Attiret Claude-François, « Façade orientale des prisons et du palais de Riom », dessin aquarellé, 22 octobre 1799 (Arch. mun., Riom, MI prisons).

482

En 1379, Guy de Dampmartin fit rehausser le pignon de la salle à parer. La hauteur définitive indiquée est de 16,79 m (Arch. nat., KK 255, fol. 46v°).

disposition de la Sainte-Chapelle et des salles de parement faisait que les pignons de la grande salle étaient aveugles483 et que son éclairement ne provenait que des murs gouttereaux. Cet éclairage était en effet fourni par un registre de larges croisées percées dans la première et la troisième travée et complété par deux lucarnes. Loin de rivaliser avec les dimensions des grandes salles de Poitiers ou de Bourges, la salle de Riom (30 mètres sur 14 mètres) accueillit néanmoins les fastueuses cérémonies du second mariage du prince en juin 1389 ainsi que certaines des réunions des Etats Provinciaux484. La grande salle était formée d’une nef unique divisée en trois travées scandées à l’extérieur par quatre contreforts485. A l’instar des autres palais de Jean de Berry, la grande salle de Riom était probablement couverte d’une charpente lambrissée. Avant les travaux du duc, ce grand volume était chauffé par une unique cheminée installée contre le mur ouest. Dans sa restitution, Paul Gauchery place sans fondement une cheminée disposée symétriquement sur le mur oriental. Il est en revanche avéré que le prince fit bâtir une « grande cheminée » supplémentaire contre le pignon nord, cheminée dont on peut apercevoir la souche derrière la toiture des salles d’apparat sur l’enluminure de Guillaume Revel. Les exemples des palais de Poitiers et de Riom montrent l’importance que recouvrait, dans les grandes salles, le pignon jouxtant les salles à parer. Pour autant, l’exiguïté de la pièce n’a pas permis l’installation d’un triple foyer mais uniquement une simple cheminée. Il est probable qu’à Riom, cette grande cheminée était aussi précédée d’une estrade noble. L’usage du moment voulait également que cet espace symbolique articulât la distribution vers les salles d’apparat. Une porte donnait effectivement accès aux salles de parement486 et Mary Whiteley a récemment montré qu’une vis était bâtie à l’angle formé par la grande salle et le corps de logis est-ouest487. Selon une tradition ancienne mais invérifiable, la porte d’entrée monumentale de cet escalier aurait été remontée une première fois à l’extérieur du chevet de la Sainte-Chapelle puis installée dans les

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La disposition du pignon nord de la grande salle contre le mur gouttereau sud de la salle à parer n’était pas sans poser de problème quant à la disposition des toitures entre lesquelles il fallut installer un chéneau évacuant les eaux vers l’extérieur : « Item la retraite du pan du pignon de la grant sale convient a lever le haut du pan du mur de la ditte chambre devers lez jardins et mettre lez chenaux et courbeaux au lont pour aler l’eau tout au long en la riviere » (Ibid.).

484

Teyssot Josiane, Riom, capitale…, p. 346.

485

Un PV de 1774 mentionne bien « quatre éperons » (Arch. dép., Puy-de-Dôme, B RI 602, chemise B).

486

« Item un autre husserie a entrer de la sale a la chambre basse apparer a quatre pies de large [1,3 m] manteaux et claveaux bouees [moulurés] (…) », dans un marché attribué le 20 juillet 1379 à Pierre Guobia (Arch. nat., KK 255, fol. 46v°).

487

jardins du château de Jozerand (Puy-de-Dôme). Le décor de cette porte est très proche de celui de l’entrée orientale de la Sainte-Chapelle de Riom. On remarque au tympan l’un des emblèmes du duc : le cygne déroulant un phylactère488 (voir Figure 28).

Le corps de logis est-ouest contenait les salles de parement et fermait la cour du palais. Suivant un schéma que l’on retrouve à Bourges, il était divisé en deux étages desservis par la grande vis et chacun des niveaux comprenait deux salles. On peut penser que le premier niveau, la « chambre basse à parer »489 directement liée à la grande salle, était réservé au prince et que les galetas c'est-à-dire les chambres hautes sous combles étaient ceux de la duchesse490. Les deux niveaux de ce long bâtiment étaient séparés par un plancher porté par de puissants corbeaux dont la description rappelle ceux employés à Bourges491. A l’étage supérieur, ce plancher portait un sol pavé sans que l’on puisse dire pour autant s’il s’agissait d’un carrelage492. Au rez-de- chaussée, un devis du XVIIIe siècle décrit un plafond lambrissé « en compartiments » faits de planches de sapin sur des poutres en chêne493.

La salle à parer occupait une grande partie de la longueur du corps de logis. Le pan de mur donnant sur les jardins au nord était épais de plus d’un mètre et haut de neuf mètres ; il était couronné d’une corniche en pierre de Volvic494. On entrait dans la salle à parer par le pignon de la grande salle. La salle à parer était longue de 26 m.

488

Riom, le palais de justice…, p. 7. Avant d’être achetée par le comte de Chabrol, cette porte avait

été représentée dans deux anciennes gravures : « Détails du palais de justice et de la Sainte-Chapelle à Riom (Auvergne )», lithographie par Engelmann d’après un dessin de Théophile paru dans Voyages

pittoresques et romantiques dans l’ancienne France par Ch. Nodier, J. Taylor et Alph. De Cailleux,

Paris, 1829.

489

Voir note 486.

490

Semaine du 19 juin 1384, marché fait à Jean Bonjour, le « serreuroir » de Riom, « pour la garnison de la pourte d’une dez chambres de madame (…) » quittance rendue avant le 22 juin (Arch. nat., KK 255, fol. 40).

491

« item a l’autre pignon de la ditte chambre devers la chambre de retrait convient deux huysseries chanfraintes une pour le premier estage et l’autre pour le segont (…) » et « Item pour douze corbeaux mettre fors et puissans a soustenir le planchie et charpenterie » (Ibid.). Dans un procès verbal de l’état des bâtiments réalisé pour le comte d’Artois, nouveau prince apanagé, le 28 juillet 1774, on emploie le terme « d’arcades » (Arch. dép., Puy-de-Dôme, RI 602, chemise B).

492

Dépenses de Guillaume Verdier receveur général d’Auvergne pour le roi : semaines des 3, 11 et 19 mai 1417 pour journées des maçons qui ont pavé les chambres du palais de Riom (BnF, ms fr. 26042, pièce n° 5175). On peut supposer qu’il s’agit de réparations.

493

Arch. dép., Puy-de-Dôme, 1 C 1788. Il peut s’agir d’une reprise postérieure.

494

« Item au dit mur devers lez dis jardins convient ung entablement de pierra de Voulvic a ung chanfraing par de hors tout de tailhe et assis de demi pie d’espoesse » (Arch. nat., KK 255, fol. 46v°.).

Six larges croisées éclairaient la salle depuis les jardins495. On ignore le nombre de fenêtres ouvertes dans le mur sud donnant sur la cour. Dans cette salle, Jean de Berry fit entreprendre des cheminées à haut manteau. Une de ces cheminées fut bâtie contre le pignon occidental496 et au XVIIIe siècle, on rapporte la présence d’une cheminée de « grandeur extraordinaire » au mur de refend séparant la salle à parer de la salle de retrait497.

La salle de retrait était de dimensions plus restreintes : 12 m de longueur pour 10 m de largeur. Du fait de la présence de l’enceinte de la ville contre le pignon, il est probable que cette pièce ne disposait pas de plus de trois fenêtres (deux sur la cour et une sur les jardins). A l’étage supérieur, la salle de retrait était surmontée d’une petite chapelle dont on remarque l’emplacement par la présence, au centre du pignon oriental, d’une haute fenêtre en tiers point498.

Enfin un dernier corps de logis, orienté au nord, abritait les appartements privés du prince. Etant bâti contre le mur crénelé de l’enceinte, il était presque aveugle du côté du levant (on note néanmoins la présence d’une lucarne médiévale sur l’élévation de François-Claude Attiret, voir Figure 27)499; en revanche il était largement ouvert sur les jardins à l’occident (Figure 29). Il s’agissait d’un corps de logis flanqué de deux tours massives. Une tour de plan carré assurait la jonction entre la salle de retrait et les appartements privés, et contenait un escalier donnant sur les jardins (Figure 29). La tour dite « Goyon » fermait l’angle nord-ouest de l’enceinte et protégeait le chemin de ronde à cet endroit (voir Plan 4). Elle fut néanmoins intégrée au complexe palatial comme le montre l’arasement de son plan circulaire du côté des jardins (voir Figure 29).

495

« (…)convient [de faire] quatre fenestres cousees, deux dessoubz et deux par dessus, l’une assise en droit d’autre a double chanffraing et a double crouzee (…) » (Arch. nat., KK 255, fol. 46v°).

496

« item au dit pignon aura une chaminee en bassee et en chapitellee, manteaux et claveaux bouees [moulurés] et les arestes du dit manteau toutes de tailhe (…)» (Ibid.). Le plan restitué dans l’ouvrage d’Alfred de Champeaux et de Paul Gauchery figure la cheminée sur le mur adossé au pignon de la grande salle.

497

Whiteley Mary, « Riom, le palais…, p. 336. L’auteur utilise le plan de Claude-François Attiret (1799) qui figure deux conduits dans le mur de séparation de la salle à parer et de la salle de retrait, pour proposer de placer à cet endroit un double foyer. Dans sa restitution Paul Gauchery place un foyer de part et d’autre du mur.

498

Elévation de François-Claude Attiret, 1799 (Arch. mun., Riom, MI prison). Une chapelle réservée aux prisonniers est mentionnée à cet emplacement en 1765 (Whiteley Mary, « Riom, le palais… », op.

cit., p. 336).

499

On aperçoit sur l’armorial de Guillaume Revel que cette partie du palais était en outre protégée par un avant corps.

b) Historique du chantier (1376 – 1403)