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La chapelle Notre-Dame dans la cathédrale de Bourges

c) Le palais de Riom après Jean de Berry

B. Honorer et fonder une dynastie

3. La chapelle Notre-Dame dans la cathédrale de Bourges

Aucune implication du maître d’ouvrage dans les grands programmes architecturaux menés par les chapitres cathédraux de Bourges, Poitiers ou de Clermont, n’a été prouvée factuellement. Bien que s’étant toujours montré prodigue envers les établissements religieux, il paraît éloigné de ces questions. Par exemple, le 17 octobre 1379, le prince n’est pas présent à la dédicace de la cathédrale de Poitiers, cérémonie solennelle au cours de laquelle l’évêque Bertrand de Maumont procéda à la consécration de plusieurs églises de la ville comme l’église Saint-Jean-Baptiste (baptistère Saint-Jean) dont le clocher venait d’être refait683. De récents travaux ont montré que le Grand Housteau de la cathédrale de Bourges - attribué sans preuve au

Jacques Du Breul, Paris, C. de la Tour, 1612, p. 834-835). Le témoignage du père Du Breul est entaché d’un certain nombre d’erreurs qui laissent planer le doute quant à cette possible initiative du prince.

680

Guiffrey Jules, Inventaires de Jean duc de Berry…, t. II, p. 191-197.

681

La chronique d’Enguerran de Monstrelet…, t. III, p. 146.

682

Arch. dép., Cher, 8 G 1455, comptes des sommes versées pour les funérailles du duc de Berry (d’après Lehoux Françoise, « Mort et funérailles du duc de Berri (juin 1416) », Bibliothèque de

l’Ecole des Chartes, t. 114, 1956, p. 80). Cette église est détruite au XIXe siècle. L’auteur relève

(Ibid., p. 76, note 2) l’erreur du chroniqueur Enguerrand de Monstrelet (Ibid., t. III, p. 145) qui place le tombeau des entrailles dans l’église Saint-Pierre-des-Degrés.

683

duc – remontait probablement au début du XIVe siècle684. En réalité Jean de Berry ne semble avoir été l’instigateur que d’un seul chantier dans une cathédrale : la chapelle qu’il qu’il fit aménager à titre personnel dans le chœur de Saint-Etienne de Bourges. Il marquait par ce geste une première sécularisation de l’espace religieux au sein de la cathédrale et son exemple fut rapidement suivi par le haut clergé dont nombre de ses membres occupait d’importantes fonctions dans son Hôtel685.

Dès son retour de captivité (1364), le jeune duc de Berry entreprit la pacification de ses domaines et chercha toujours à gagner les faveurs de la puissante église métropolitaine de la ville. En 1367, il augmenta le temporel du chapitre par une rente de 100 £ assise sur les revenus de la prévôté d’Issoudun afin « de perpétuer les liens qui unissent la métropole avec les souverains depuis la plus haute Antiquité »686. A l’autonome 1367, Jean de Berry fonda en la cathédrale de Bourges une messe quotidienne et perpétuelle à dire à l’aurore et que les chanoines annonceront en sonnant la grosse cloche687. En 1369-1370, c’est donc dans la métropole de son nouveau domaine que Jean de Berry fonda une messe et fit bâtir une chapelle dédiée vraisemblablement à la Vierge.

684

Ponsot Patrick, et par Sandron Dany dans les actes du colloque Autour de Saint-Etienne de

Bourges, 28-30 octobre 2009, à paraître. L’attribution de la rose occidentale de Bourges à Guy de

Dampmartin appartient à une tradition remontant au XVIIe siècle (Champeaux Alfred (de) et Gauchery Paul, Les travaux d’art…, p. 62-63 d’après Catherinot Nicolas, « Les églises de Bourges…. Cette attribution fut reprise par Girardot Auguste (de), op. cit., p. 138 et Amédée Boinet, La

cathédrale de Bourges, Paris, Laurens, s.d., p. 14, et plus récemment Ribault Jean-Yves, Un chef d’œuvre gothique, la cathédrale de Bourges, Arcueil, Anthèse, 1995, p. 128). En réalité seule

l’installation entre 1371 et 1373 d’une horloge et d’une cloche au frontispice de l’église aux frais du duc est avérée. Il ne s’agit d’ailleurs pas à proprement parler d’un acte pieux mais d’un geste destiné aux habitants de la ville (voir p. 268et sq.).

685

Chapelle de Pierre Aimery (archevêque de 1391-1409), aujourd’hui chapelle des fonts baptismaux. Elle fut détruite par la chute de la tour nord en 1506. Chapelle de Guillaume de Boisratier (chancelier du duc et archevêque de 1410 à 1421), aujourd’hui chapelle Sainte-Solange très restaurée. La chapelle de l’archidiacre Pierre Trousseau (évêque de Poitiers en 1409 puis archevêque de Reims en 1413) et celle de Simon Aligret (chanoine et physicien du duc) (Ribault Jean-Yves, Un chef d’œuvre

gothique…, p. 129).

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(…) Idcirco vestigia nostrorum regum Francie et imperatorum romanorum (…) » (Arch. dép., Cher, 8 G 1314, titre scellé 129, d’après Ribault Jean-Yves, « André Beauneveu…, p. 240, note 6).

687

Arch. nat. J 185B, n°30, octobre 1367 (d’après Lehoux Françoise, Jean de France, duc de Berri…, t. I, p. 201 et note 7). Une rente de 120 £ fut d’abord assise sur les terres de Mehun-sur-Yèvre. Au mois d’octobre de même année, le duc donna au chapitre la terre et justice de Groise et supprima la rente sur Mehun-sur-Yèvre. Cette donation fut confirmée par la suite par des lettres de Charles V datées du mois de mai 1370 (Romelot J. L., op. cit., p. 254 et Girardot Auguste (de), op. cit., p. 100). Dans le dossier qu’il établit avant la restauration de la chapelle en 1844, l’architecte Jules Dumoutet indique que la messe fondée par le duc en 1367 était dédiée à saint Jean-Baptiste (Arch. nat., F 19 7656). D’autres fondations suivirent celle de 1367. En 1412, le prince fonda un obit dans la cathédrale pour lequel il avait donné la terre de Lury (Romelot J. L., op. cit., p. 250). Cet obit solennel se célébrait le 24 janvier (Girardot Auguste (de), op. cit.).

Comme le souligne Clémence Raynaud, tenter de localiser cette chapelle dans la cathédrale de Bourges n’est pas une entreprise aisée688, principalement en raison de l’existence d’une tradition persistante qui considérait689 que l’ancienne chapelle des Etampes690 (aujourd’hui chapelle du Sacré-Cœur, cinquième travée sud) avait été d’abord celle du duc. Cette attribution s’est fondée sur deux indices. Premièrement, en 1454, les frères d’Etampes demandèrent au chapitre l’autorisation de bâtir leur chapelle en utilisant les pierres d’une chapelle inachevée691. Deuxièmement, on note aujourd’hui encore la présence des armes du duc de Berry dans les vitraux de cette chapelle et Gaspard Thaumas de la Thaumassière, qui les décrit à la fin du XVIIe siècle, rapporte qu’ils figuraient alors le duc en donateur et qu’un tableau offert par le duc et la duchesse était posé sur l’autel692. Il est vrai que l’élégante chapelle d’Etampes avec son chevet à trois pans offre tous les aspects d’une architecture d’avant-garde de la fin du XIVe siècle. Cependant, un procès verbal du 14 août 1595, issu des collections de la Bibliothèque nationale et publié dans les années 1930, dément totalement cette attribution693. Du reste, pour quelle raison le jeune duc de Berry n’aurait pas mené son projet à terme alors que la dotation de la chapelle était réunie et que les travaux de gros œuvre et de décoration avaient abouti ? Une fois cette première hypothèse écartée, il faut reprendre les documents se rapportant à la fondation de la messe du duc de Berry en septembre 1367. Il est précisé qu’elle prit place « à l’autel de la bienheureuse Marie, derrière l’autel de Saint-Guillaume, pour le salut de l’âme de ses ancêtres, de la sienne, de celle de sa femme et la postérité de descendants » 694. Ces indications plaident en faveur d’une fondation dans la chapelle axiale du chevet695 car Jean-Yves Ribault a pu démontrer que la châsse contenant les

688

Raynaud Clémence, La Sainte-Chapelle du palais de Bourges : une fondation de Jean de France

duc de Berry, Mémoire de troisième cycle, Ecole du Louvre, Alain Erlande-Brandenburg (dir.), 1996,

vol. 1, p. 60-62.

689

Champeaux Alfred (de) et Gauchery Paul, op. cit., p. 20 et Lehoux Françoise, op. cit., t. I, p. 245.

690

Il s’agit de Jean d’Etampes le Jeune, évêque de Nevers et son frère Jean maître d’hôtel du comte d’Angoulême.

691

Gauchery Robert, « Les vitraux de la chapelle d’Etampes à la cathédrale de Bourges », Mémoires

de la Société des Antiquaires du Centre, t. 45, 1931-1933, p. 177.

692

Thaumassière Gaspard Thaumas (de la), op. cit., t. I, p. 227.

693

Ce procès verbal (BnF, cabinet d’Hozier, 130, dossier n° 3362, p. 47-49) décrit des vitraux étrangers à ceux mentionnés par la Thaumassière prouvant qu’ils étaient issus d’une autre chapelle (Gauchery Robert, « Les vitraux de la chapelle d’Etampes…p. 157-160).

694

Girardot Auguste (de), op. cit.

695

J.L. Romelot écrit que la fondation avait été faite dans un premier temps dans la crypte puis avait été déplacée dans la chapelle axiale pour des raisons pratiques (op. cit., p. 253-254). L’auteur fait ensuite une longue description en partie erronée des restes provenant de l’ancienne Sainte-Chapelle et

restes de saint Guillaume (canonisé en 1218) avait été déposée derrière le maître autel dans le déambulatoire696. En outre cet emplacement explique l’intention affichée par le duc de reposer dans le chœur de la cathédrale697. Cette convergence d’indices justifia en 1844 le projet Jules Dumoutet d’installer les restes de la Sainte- Chapelle (le groupe sculpté Notre-Dame-la-Blanche) dans la chapelle axiale698.

La chapelle ducale fut le premier ouvrage confié à Guy de Dampmartin que le prince venait de nommer général maître de ses œuvres699. Celui-ci était présent à Bourges en 1369 et reçut 120 francs destinés à solder les dépenses de l’ouvrage700 pour lequel le duc avait déjà commandé des ornements de chapelle à Paris au peintre Jean d’Orléans701. L’importance de l’entreprise aux yeux du prince est tangible dans l’organisation du chantier : aucune administration n’agissait en intermédiaire car Jean de Berry ou son trésorier ordonnaient directement les paiements.

Guy de Dampmartin confia les travaux de maçonnerie à son propre frère Drouet de Dampmartin qui rendit deux quittances, l’une le 8 septembre 1369 et l’autre le 6 avril 1370702. Une mention marginale mal comprise par Françoise Lehoux, laissait entendre que Drouet de Dampmartin avait eu en charge le voûtement de la chapelle. Cette hypothèse ne s’articule d’ailleurs pas avec l’état actuel des chapelles du rond- point qui ont gardé leur voûtement primitif. En réalité les comptes indiquent que le de son architecture. Jean-Yves Ribault a pu démontrer que les restes de saint Guillaume ont reposé un temps dans l’église basse (voir note 696)/

696

Ribault Jean-Yves, Un chef d’œuvre gothique…, p. 66.

697

Voir note 668. Du reste le duc y fit peut-être inhumer Catherine de France que son fils, le comte de Montpensier, avait épousé (Raynal Louis, op. cit., 1972, t. II, p. 438).

698

Arch. nat., F 19 7656.

699

Il est nommé entre 1367 et 1369 (Champeaux Alfred (de) et Gauchery Paul, op. cit., p. 74).

700

« A Guiot de Dampmartin maistre des euvres dudit seigneur, pour argent baillé a luy pour emploier es euvres de la chapelle que ledit seigneur a fait faire nouvellement a Bourges, par mandement dudit tresorier comme dessus et quictance dudit Guiot donnee le mercredy apres la feste Dieu CCCLXIX (31 mai), rendu a court, 120 francs» (BnF, ms fr. 23902, fol. 3v°, voir Texte 2).

701

Le 16 août 1369, Jean de Berry, présent à Bourges, honora sur ses fonds propres une commande importante qu’il avait conclue à Paris avec le peintre Jean d’Orléans pour orner sa chapelle. Dans le chapitre « deniers baillés (…) A mondit seigneur les quels il a faiz bailler a Jehan d’Orl[eans] paintre demourant a Pary en deducion de plus grant somme en quoy le dit seigneur lui estoit tenuz, en deducion de plus grant somme, pour certains tableaux a ymaiges qu’il avoit achetez pour mettre en la chapelle par lettre de mondit seigneur donné [le] XVIe jour d’aoust CCCLXIX, rendu a court, 100 francs » ( BnF, ms fr. 23902, fol. 2v°). La commande s’est donc conclue à une date précédente : Le duc séjournait régulièrement à Paris de 1365 à 1369.

702

« A Droet de Dampmartin maistre de l’euvre de la chapelle dudit seigneur en l'eglise de Bourges pour argent baillé a luy pour mettre et convertir en laditte heuvre, par mandement dudit seigneur et 2 quittances dudit Drouet donnees le jeudy apres la Nativite de Nostre Dame (8 septembre) et [le] VIe jour d’avrilhe CCC LXIX, tout rendu a court, 100 francs» (BnF, ms. fr. 23902, fol. 3). « (…) A Droet de Dampmartin , maçon, pour plus[ieurs] barres de fer qu'il a fait faire pour asseoir les verieres de la chapelle que mon seigneur a fait faire en l'aiglise de Borges » (Arch. nat., KK 251, fol. 35, mention marginale).

maçon posa des barres de fer pour asseoir « les verieres » et non les « voustes » comme publié précédemment703. Les actuels vitraux de la chapelle axiale remontent aux transformations commandées par la famille de La Châtre au XVIe siècle ce qui autorise une possible intervention aux baies à la fin du XIVe siècle. Cette nouvelle lecture des comptes confirme également la commande de verrières que rapporte la Thaumassière704. Précisons encore qu’au même moment, Jean de Berry faisait poser des verrières au palais de l’archevêque (voir p 216) ce qui laisse supposer qu’il avait passé une importante commande de verrerie705.

En septembre 1370, Jean de Berry, de passage en Berry, fit acheter quatre grandes pierres de la carrière de Charly (38 km au sud est de Bourges) pour faire réaliser des statues706 dont l’une figurait Notre-Dame. La taille de l’ouvrage nécessitait que l’on fît réaliser un « chaffaud » c'est-à-dire un échafaudage707. On peut penser que le sculpteur Jacques de Chartres participa à l’ouvrage. Le duc l’avait emmené avec lui à Clermont (mars 1370) pour « voeir certaines choses que pour payer ses despens et son retour le 26e jour du dit mois (…) »708 puis il visita son atelier à Bourges où l’artiste réalisait des « travaux d’albâtre »709. Il semble donc que le duc voulait que Jacques de Chartres prenne modèle sur une œuvre auvergnate dont ni le lieu ni la nature ne sont précisés dans les textes, mais dont on peut supposer qu’il s’agissait de la décoration de la cathédrale de Clermont710.

Les comptes de l’Hôtel du prince allant de juin à décembre 1373 ne portent aucune mention au chapitre « dépenses pour ouvrages et réparations », ce qui indique que l’ouvrage de la chapelle était alors terminé. Après les transformations par la

703

Lehoux Françoise, op. cit., t. I, p. 245, note 1.

704

Voir note 692.

705

Arch. nat. KK 251, fol. 35.

706 « A Jehan [Ber]taut maçon pour 4 grans pierres de charlli [Charly ] que mondit seigneur a fait achatees de luy pour fere ymages pour la chapelle que mon dit seigneur a fondé ou la grans eglise de bourges par mandement du dit seigneur donné le 13 septembre [1370] randu a court 20 £ t. » (Arch. nat., KK 251, fol. 34v°). En septembre 1370, Jean de Berry est alors en Berry (Mehun-sur-Yèvre et Bourges).

707

« A [Ber]taut le macon pour la façon d’un chaffaut qu’il a fait pour asseoir une ymage de notre dame en la chapelle que mondit seigneur a fondé en la grans lise de bourges 20 s » (Arch. nat., KK 251, fol. 35). C’est sur cette indication et la dédicace actuelle de la chapelle que nous supposons que la chapelle du duc était dédiée à la Vierge.

708

Arch. nat., KK 251, fol. 28v°.

709

Arch. nat., KK 251, fol. 28v° (d’après Champeaux Alfred (de) et Gauchery Paul, Les travaux

d’art…, p. 20).

710

Durant la seconde moitié du XIVe siècle, on travaillait au décor ainsi qu’à l’ajout de chapelles (Courtillé Anne, La cathédrale de Clermont, Nonette, Créer, 1994, p. 59).

famille de la Châtre711, la chapelle connut encore quelques avatars. Au XVIIIe siècle, elle fut badigeonnée et reçut des boiseries Louis XV et subit une restauration malheureuse en 1823. En 1844, l’architecte Jules Dumoutet y fit transporter le groupe sculpté Notre-Dame-la-Blanche et les deux priants provenant de la Sainte- Chapelle. Enfin la chapelle sera remise « dans son état en conservant les additions du XVIe d'après les autres chapelles du rond point et des exemples contemporains »712. Tel est aujourd’hui l’état de l’ancienne chapelle ducale de la cathédrale de Bourges.

711

Chancel-Bardelot Béatrice (de), Dictionnaire de la cathédrale de Bourges, Dijon, éditions Faton, 2008, p. 56-58.

712