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c) Le palais de Riom après Jean de Berry

B. Honorer et fonder une dynastie

2. Hésitations pour une sépulture

Avec l’avènement des règnes des princes aux fleurs de lys, on assiste à une rupture consommée dans les pratiques funéraires. Jusqu’alors, les anciens princes apanagistes étaient inhumés dans un établissement religieux de la capitale657 ou auprès des tombes royales de la basilique de Saint-Denis. Avec les frères de Charles V, l’émergence des capitales princières contribua à l’instauration de nouvelles nécropoles dynastiques faites à l’imitation des anciens sanctuaires fondés par les grandes familles seigneuriales. Dorénavant les tombeaux des ducs apanagés prirent place dans la chartreuse de Champmol658, dans la cathédrale d’Angers659, dans la prieurale de Souvigny660 et bien entendu dans la Sainte-Chapelle de Bourges. Seul Louis d’Orléans se soustraira à cette nouvelle pratique en affichant sa préférence pour l’église des Célestins de Paris comme son ultime demeure661.

Jean de Berry se plia-t-il de bonne grâce à cette nouvelle politique funéraire de la maison France ? Les sources sont peu nombreuses mais elles laissent néanmoins planer quelques doutes sur ses intentions réelles. Contraint ou mûrement réfléchi, le choix d’ériger un tombeau dans le chœur de la Sainte-Chapelle de Bourges s’est dessiné après une longue hésitation. Il n’existe pas de nécropole de la famille ducale ; nous ignorons les lieux qui reçurent les corps des deux épouses du prince tout comme les lieux d’inhumation de ses enfants662. Les documents sont en la matière totalement muets ou extrêmement lacunaires. Seul est connu le lieu d’inhumation de la première épouse de Jean de Montpensier, Catherine de France (décédée en 1388),

657

Baron Françoise, «Les tombeaux des princes aux fleurs de lys », Les Dossiers d’Archéologie, n° 311, mars 2006, p. 56-63.

658

La nécropole de l’ancienne dynastie capétienne des ducs de Bourgogne était à Cîteaux (Jugie Sophie, « Les cimetières des princes aux fleurs de lys », Les Dossiers d’Archéologie, n°311, mars 2006, p.72-79).

659

Baron Françoise, «Les tombeaux des princes aux fleurs de lys … », op. cit.

660

Gautier Marc-Edouard, « Les cimetières des Bourbons. Princes aux fleurs de lys », Les Dossiers

d’Archéologie, n° 311, mars 2006, p. 67.

661

Alexandre Arnaud, « « Que le roi puisse toujours avoir près de lui », Présence de Louis d’Orléans à Paris : résidences et chapelles privées », in Paris, capitale des ducs de Bourgogne, Werner Paravicini et Bertrand Schnerb (dir.), Ostfildern, Jan Thorbecke Verlag, 2007, p. 373-388.

662

Jeanne d’Armagnac mourut le 30 janvier 1388 à Poitiers (Autrand Françoise, Jean de Berry..., p. 257). Jeanne de Boulogne meurt à la fin de l’année 1422 (Ibid., p. 274). Jean de Berry n’eut d’enfants que de sa première femme. Charles Monseigneur mourut l’année 1383 et Jean de Montpensier l’année 1397 (Ibid. p. 281-285). Lors de la translation du corps du prince en 1757, le procès verbal mentionne la présence du corps de son épouse (Goldman Philippe « La Sainte-Chapelle à l’épreuve de l’histoire…, p. 57) mais il s’agit en fait du corps de la comtesse de Montpensier disparue en 1506 (voir note 780).

qui repose dans la cathédrale de Bourges663. Un passage énigmatique des comptes d’œuvre de Poitiers fait mention d’une sépulture commandée par Jean de Berry. Elle fut réalisée à Poitiers en l’hôtel « de feu Pierre Quentin » et livrée en l’hôtel de Vivonne le 9 janvier 1385664. Certains y ont vu l’expression d’un souhait d’être inhumé dans la cathédrale de Poitiers ; il semblerait plutôt que cette commande concerne un de ses proches, peut être son premier fils Charles qui venait de mourir (1383).

Le premier lieu choisi par le prince fut le chœur de la cathédrale de Bourges665. Il ne manquait jamais d’honnorer l’église métropolitaine de son apanage en hommage à laquelle il prit pour devise « Ursine le temps viendra »666. L’érection d’une sépulture dans un lieu aussi prestigieux n’était pas sans poser problème. Louis de Bourbon qui avait conçu le même projet dans la prieurale de Souvigny, dut se résoudre, devant l’opposition déterminée des moines, à reposer dans sa chapelle667. A Bourges, ce projet donna lieu à des discussions qui commencèrent sous l’épiscopat de Bertrand de Chanac (1374-1386) et qui n’étaient pas encore traitées en mars 1391668. D’après le chanoine Romelot, le refus que les chanoines de Saint-Etienne

663

Raynal Louis, Histoire du Berry, Paris, Guénégaud (rééd.), 1972, t. II, p. 438.

664

Arch. nat., KK 256, fol. 43v° : « Autres tailleurs de pierre es journees de mon dit seigneur pour charger grans pierres ovrees en ouvrage de une sepulture qui avoit este faicte pour mon seigneur en l’ostel de feu maistre Pierre Quentin et pour descendre les dictes pierre en l’ostel de Vivonne »

665

Romelot J. L., Description historique et monumentale de l’église patriarcale, primatiale et

métropolitaine de Bourges, Bourges, Macéron, 1824, p. 246-257. Cet auteur n’indique pas ses

sources : « On prétend que le motif qui détermina ce prince à faire édifier sa Sainte-Chapelle, a été le refus que fit le chapitre de la cathédrale de lui accorder les honneurs de la sépulture dans le chœur de l’église et d’y faire ériger son mausolée de son vivant et qu’il avait composé l’épitaphe suivante pour être gravée sur son tombeau :

J’ay été grand de race et d’apparence Fils, frère et oncle de roys de France Aux prince cher des peuples honoré De mon Berry, peu s’en faut adoré

Mais je vois bien qu’au sang n’en la grandeur N’aux biens mondains, ne gist le grand heur Le sang royal, ni les provinces larges

N’exemptent point les princes de grandes charges La vertu seule allège un fardeau fort

Et la foy peut exempter de la mort ».

666

Saint Ursin est le patron du Berry. Ce premier évangélisateur légendaire aurait recueilli des gouttes de sang de saint Etienne. Une des cloches de la cathédrale porte le nom d’Ursine (Philippe Bon, Les

premiers « bleus » de France..., p. 55-56).

667

Gautier Marc-Edouard, op. cit., p. 67.

668

La volonté du duc de reposer dans le chœur de la cathédrale est attestée par la teneur de la bulle que le duc obtint du pape Clément VII lors d’un voyage à Avignon (27 mars 1391) et publiée dans Labbe Philippe, Nova bibliotheca, Paris, 1657, t. II, p. 128, (cité par Ribault Jean-Yves, « André Beauneveu…, 1992, p. 241).

opposèrent au prince eut finalement raison de sa patience et l’aurait conduit à concevoir le projet de la Sainte-Chapelle669.

Entre temps Jean de Berry, fort d’un crédit retrouvé auprès du roi670, avait conçu un autre projet : celui d’une inhumation dans la chartreuse Notre-Dame-de-Vauvert- lès-Paris située au sud de la capitale. Au début de l’année 1391, il fit valoir son intention « pour le salut et sauvement de nostre ame, avons délibéré et ordonné de estre enterré et gésir après nostre trespassement en l’église de la maison de Nostre Dame de Vauvert lès Paris de l’ordre de la Chartreuse et y estre apporté de quelconque lieu où nous serons le jour de nostre dit trespassement et illeuc avons esleu nostre sépulture »671. Cette décision accompagnait un certain nombre de dispositions que le prince fit porter sur un codicille à son testament : l’établissement de vingt frères, la construction de cellules, l’érection d’une chapelle à l’entrée de la Chartreuse et le don d’un prestigieux reliquaire contenant le chef de saint Jean- Baptiste (patron de l’église). Pour cela le duc donna 20000 francs payables en quatre annuités ainsi que la terre d’Ouzy près de Bourges672. Le choix d’un établissement de chartreux rappelle bien évidemment la fondation de Philippe le Hardi à Dijon673. Cette ferveur soudaine pour la chartreuse de Paris ne dura que très brièvement car dès le mois de mars, Jean de Berry demandait au pape d’intercéder en sa faveur pour son tombeau dans le chœur de la cathédrale674. Cet épisode illustre bien à quel point les princes renoncèrent difficilement aux pratiques de leurs ancêtres. Au début du XIVe siècle, Louis Ier de Bourbon fonda la Sainte-Chapelle de Bourbon- l’Archambault et décida d’y être inhumé. Cependant, quelques années après, il s’était

669

Aucune source ne permet d’étayer le refus des chanoines de Saint-Etienne (Ribault Jean-Yves, op.

cit., p. 244).

670

Le 14 janvier 1391, le roi l’envoie vers le pape Clément VII pour une mission diplomatique des plus délicates : le retour du pape à Rome (Lehoux Françoise, Jean de France, duc de Berri…, t. II, p. 272).

671

Arch. dép., Cher, 8 G 1985, vidimus d’un acte donné à Bourges le 5 février 1391 (d’après Ribault Jean-Yves, op. cit., p. 241).

672

Une première version de ce codicille (5 février 1391) se trouve à Bourges car le duc y fit étape et prit plusieurs dispositions avant de rejoindre de rejoindre le Comtat Venaissin (Arch. dép. Cher, 8 G 1985 d’après Ribault Jean-Yves, « « Pour nostre dévocion et plaisance ». L’amour de l’art selon le duc de Berry », in Mécènes et collectionneurs, Ribault Jean-Yves (dir.), Paris, CTHS, 1999, p. 29). L’auteur met en lumière les modifications ultérieures que portera le duc dans deux autres documents : Arch. nat. J 187B, n°49², 10 février 1391 et Ibid. n°41, 12 mars 1391 (voir Lehoux Françoise, op. cit., t. II, p. 273, note 4).

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D’autres documents montrent les liens qui unissaient les chartreux et Jean de Berry : en 1377 et 1378, il intervint en faveur de la Chartreuse de Port-Sainte-Marie dans les environs de Riom.

674

ravisé pour reposer chez les Jacobins (corps) et les Cordeliers (cœur) de Paris675. Dans certains cas, l’aspiration du prince était contrariée comme pour le frère de Jean de Berry, Louis Ier duc d’Anjou, qui dut se résoudre à reposer dans la cathédrale d’Angers au lieu de la Sainte-Chapelle de Paris676.

Si la troisième et dernière solution – la Sainte-Chapelle de Bourges - fut choisie par le prince par dépit, elle n’en figure pas moins parmi les plus ambitieuses. Jean de Berry prit le parti d’entreprendre, comme son frère Philippe le Hardi, un gigantesque projet : l’érection d’un établissement religieux comprenant la construction d’un bâtiment ex nihilo et la réunion du temporel sur ses fonds propres. Malgré le riche fonds de la Sainte-Chapelle conservé aux Archives départementales du Cher, un doute plane encore sur le projet réel du prince : la Sainte-Chapelle a-t-elle été conçue dès le départ comme une nécropole ou était-elle une chapelle palatine dont la fonction funéraire s’est imposée sur le tard ? Il faut effectivement attendre le mois de juillet 1403 pour trouver dans une lettre d’amortissement de Philippe le Hardi (alors dans sa résidence de Conflans) l’intention de Jean de Berry d’être inhumé dans la Sainte -Chapelle de Bourges677. De son côté, Jean de Berry ne déclara personnellement son dessein qu’en 1404 en préambule à la donation du trésor de l’établissement : « Comme ja pieca nous aions commancié à faire et ediffier un palais ou hostel en nostre ville et cité de Bourges, et en icellui palais aions fait faire acomplir une chapelle nommee chapelle du Saint Sauveur de Bourges en l’onneur, louange et service de nostre seigneur Jhesus-Christ, de sa benoite et glorieuse Mere et de tous les sains et sainctes de paradis, en laquelle chapelle nous aions ordonné et esleu nostre sepulture et derniere maison (…)678 ». C’est donc entre mars 1391 et juillet 1403 que Jean de Berry prit la décision de reposer dans sa chapelle palatine679.

675

Gautier Marc-Edouard, « Les cimetières des Bourbons…, p. 65.

676

Baron Françoise, «Les tombeaux des princes aux fleurs de lys…, p. 56.

677

Arch. dép. Cher 8 G 1471(…) Cum itaque, sicut accepimus, illustris princeps, carrissimus et amantissimus frater noster, dominus Johannes, dux bituricensis, in plotio suo Bituris nuper edifficauerat solempnem quamdam et devotam cappelam, in quaquidem, prestante Domino, sepulturam corporis sui faciendam elegit (…) (édité par Girardot Auguste de, « La Sainte-Chapelle de Bourges, sa fondation, sa destruction », Mémoires et dissertations sur les antiquités nationales et étrangères, t. XX, 1850, p. 187-219).

678

Arch. dép. Cher 8 G 1452.

679

Selon un auteur du XVIIe siècle, Jacques du Breul, Jean de Berry aurait une nouvelle fois changé d’avis alors que la Sainte-Chapelle de Bourges avait été consacrée. En 1408, il aurait fait orner le portail de l’église des Saints-Innocents de Paris de la légende des trois vifs et des trois morts parallèlement à l’érection de sa sépulture dans l’établissement (Le théâtre des antiquitez de Paris , où

est traicté de la fondation des églises et chapelles de la cité, université, ville et diocèse de Paris, comme aussi de l'institution du Parlement, fondation de l'Université et collèges... par le R. P. F.

Cette interrogation est d’autant plus importante que durant cette période de douze années intervint un événement qui devait bouleverser ses projets : la mort en 1397 du comte de Montpensier, son dernier héritier. L’inachèvement du tombeau du prince en 1416, probablement dû aux tracas financiers qui affectèrent le commanditaire à la fin de sa vie, plaide lui aussi en faveur d’une décision tardive.

Nous en resterons aux hypothèses en raison de la sécheresse de la documentation en la matière. Jean de Berry n’a laissé sur le sujet que de très minces indices. A titre d’exemple, le testament, qu’il rédige quinze jours avant de mourir (le 15 juin 1416) 680

, ne mentionne pas les deux établissements qui recueillirent ses autres restes mortels : son cœur fut enterré à Saint-Denis auprès de ses ancêtres681 et ses entrailles dans l’église paroissiale de l’hôtel de Nesle : Saint-André-des-Arts682.

3. La chapelle Notre-Dame dans la cathédrale de