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La Grosse Tour bâtie par Philippe Auguste face au plateau sud-est était un donjon haut de 33 mètres pour 20 mètres de diamètre. Ses murs épais de 6 mètres protégeaient quatre salles voûtées. Sur les anciennes gravures de la ville, on remarque son impressionnante silhouette qui dominait le plateau sud-est mais aussi l’ancienne cité (Figure 4). D’ailleurs sa destruction ordonnée par Louis XIV se fit à la requête des habitants qui craignaient son pouvoir de nuisance.

Du côté de la ville le donjon était protégé par un puissant mur bâti à l’emplacement du cimetière de Notre-Dame-de-Sales90. Il délimitait une surface accueillant tous les bâtiments annexes : le logement du capitaine, le logement des

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Arch. dép., Cher, 8 G 1844, chemise 15 (acte du 31 mars 1413).

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Arch. dép., Cher, 8G 1166.

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Chaumeau Jean, op. cit., p. 224 et 236.

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Chazelle Annie et Goldman Philippe, « Bourges, une ville capitale sous Jean de Berry », in Le

palais et son décor au temps de Jean de Berry…, p. 41-42.

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Felicelli Christine, op. cit., p. 235, note 44.

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Chaumeau Jean, op. cit., p. 224.

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Les chanoines en furent indemnisés (Catherinot Nicolas, « Les églises de Bourges » (1683), in Les

opuscules de Nicolas Catherinot, n°7, Bourges, imprimerie A. Jollet, 1874, p. 10, Nicolay (de)

Nicolas, Description du Berry et diocèse de Bourges au XVIe siècle, Victor Advielle (ed.), Paris, Aubry-Dumouli, 1865, p. 28-29 et Raynal Louis, op. cit., t. II, p. 86).

gardes, des communs, une cuisine et une chapelle joignant la tour91. A la fin du Moyen Age, cette première défense de la tour fut considérablement renforcée. Du côté de la ville, la Grosse Tour comptait deux lignes défensives formées par le rempart flanqué de tours en poivrière, une fausse braye, et un fossé cuvelé de dix mètres de large pour une profondeur de six mètres. Du côté du plateau, le donjon était protégé par une fausse porte et une porte fortifiée92 (voir

Figure 5). Jean de Berry a participé à ces aménagements. En 1375, pour étendre les lignes de défense, il fit de nouveau réquisitionner des terrains dépendant du chapitre Notre-Dame-de-Sales : une tour nommée « Parceval » située à l’ouest du donjon, une maison, cinq hôtels et des vergers. Une partie de ces terrains fut alors rasée afin de creuser les fossés. Le reste a été laissé vide « pour l’aisement de la dite tour »93. En revanche, l’affaire se fit au préjudice du chapitre qui ne fut jamais indemnisé du vivant du duc pour les 25 £ de rente qu’il tenait de ces terrains 94.

Jean de Berry reprit à son compte les avantages de cette tour à la forte connotation symbolique. On lui prêtait foi et hommage pour les fiefs relevant de la Grosse Tour de Bourges. La sécurité assurée par la Grosse Tour permit au prince de mettre à l’abri une partie de sa fortune mobilière. Robinet d’Etampes, le garde des joyaux du prince, fut également capitaine de la Grosse Tour95. En 1402, il fallut quatre jours pour dresser un inventaire des 283 joyaux et objets précieux que l’on y avait déposés96. Il s’agissait principalement de reliquaires, de vêtements liturgiques, de vaisselle précieuse, de crosses et de quatre coffres marquetés d’os et d’ivoire contenant un grand nombre de précieuses reliques que le prince destinait en grande partie à la Sainte-Chapelle (fondée en 1405)97. Lors d’un nouvel inventaire, dressé en

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Bail du 9 mars 1645 (Arch. dép., Cher, C 787).

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Troadec Jacques, « La ville médiévale d’après les sources archéologiques », Archéologia, HS n°7, 1996, p. 29 et bail de réparations du 9 mars 1645 (Arhc. dép., Cher, C 788).

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Raynal Louis, op. cit., t. II, p. 408 et pièce justificative n° LXIX. L’auteur date les travaux d’après une supplique du chapitre réclamant une indemnité quatorze ans après les faits et auquel le duc de Berry répond favorablement. L’acte étant signé à Bourges en mars 1388, Louis Raynal en déduit que les travaux se déroulèrent en 1374. Cependant l’itinéraire du prince ne fait pas mention de déplacement en Berry au mois de mars 1388. L’acte est en fait signé du mois de mars 1389(ns). Jean de Berry était alors présent dans le duché jusqu’au 18 de ce mois.

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Le fonds de Notre-Dame-de-Sales conserve une liasse de pièces se rapportant à cette affaire (Arch. dép., Cher, 7 G 309). En 1428, Arnoul Belin, trésorier de la Sainte-Chapelle et membre de la Chambre des comptes de Bourges, fit procéder à l’évaluation du préjudice subi par le chapitre.

95

Guiffrey Jules, op. cit., t. I, p. 9.

96

Ibid., t. II, n° 650-933. On dénombre également 129 draps de soie, linge et ornements de chapelle

déposés dans l’hôtel de la Chancellerie de la cathédrale.

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1413, la Grosse Tour contenait encore quelques pièces d’argent que l’inventaire ne détaille pas98.

Néanmoins le prince conféra à la Grosse Tour et ses annexes une fonction résidentielle qui subsista jusqu’au XVIIe siècle. Une mention, prise dans un compte d’un receveur pour l’année 1385, nous indique qu’il fit entreprendre des travaux à la cheminée du premier étage de la tour se trouvant entre l’église Notre-Dame-de-Sales et la Grosse Tour c’est-à-dire la tour sud-ouest de la chemise99. La même source nous apprend que cette tour portait le nom de Jacques Trousseau, un des maîtres de l’hôtel du duc issu d’une grande famille berruyère100. En outre la fouille du dépotoir de la Grosse Tour, dont les couches se succèdent de la fin XIIe au milieu du XVIIe siècle, a montré elle aussi une utilisation plus domestique que militaire. Les restes de certains oiseaux de proie prouvent même la présence de chasseurs à l’oiseau c’est-à- dire d’aristocrates101. Enfin en 1500, Louis XII ordonne de faire préparer les appartements de la tour pour accueillir le cardinal Ascagne frère du duc de Milan102. Précisons que la performance militaire de la Grosse Tour et l’intérêt d’y maintenir une garnison n’ont jamais été démontrés par l’histoire de la ville103. C’est du reste ce que dénoncent les Etat Généraux convoqués à Tours en 1484 : ils s’émeuvent aussi de la rémunération excessive accordée au capitaine (1200 £ soit autant que celui de la Bastille à Paris)104.

Une des dernières attributions de la Grosse Tour de Bourges fut également l’incarcération de prisonniers de haut rang. Le 23 mai 1380, un pardon est prononcé au profit du chambellan Pierre d’Arquenay qui avait tenu des propos mensongers contre son maître et qui avait été emprisonné dans la Grosse Tour105. A la fin du XVe

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Ibid., t. I, n° 223.

99

BnF, PO 2580, dossier Leroy n°57437, pièce n°135 (voir Texte 11).

100

Jacques Trousseau apparaît pour la première fois en 1370 parmi les échansons du duc (Lacour René, Le gouvernement de l’apanage de Jean duc de Berry, 1360-1416, Paris, Les Presses Modernes, 1932, Annexes, p. X). Il est mentionné comme maître de l’hôtel de duc entre 1383 et 1399 (BnF, PO 2889, dossier Trousseau n° 64211, pièces n° 16-25). Les Trousseau sont issus d’une ancienne famille de Bourges (Raynal Louis, op. cit., t. III, p. 26) qui fonda la deuxième chapelle nord du rond-point de la cathédrale de Bourges (Perrot Françoise, « Les vitraux », Archéologia, Hors-Série n°7 (Bourges), 1996, p. 71). Un certain Jean Trousseau est maître d’hôtel du duc en 1413 (Lacour René, op. cit., p. XII).

101

Monnet Catherine, « Un dépotoir de la Grosse Tour », Archéologia, , HS n°7, 1996, p. 28-29.

102

Raynal Louis, op. cit., t. III, p. 212.

103

Felicelli Christine, op. cit., p. 230.

104

Raynal Louis, op. cit., t. III, p. 140-141.

105

Lehoux Françoise, Jean de France, duc de Berri…, t. I, p. 445, note 2. En 1386, un certain Guillaume Le Moynne et un complice accusés d’avoir cherché à empoisonner le duc sont emprisonnés dans la Grosse Tour (Toulgoet-Treanna, op. cit., p. 316).

siècle, le duc d’Orléans, fait prisonnier à la bataille de Saint-Aubin, fut enfermé dans la Grosse Tours de Bourges. Sa captivité s’avéra être une charge importante pour la ville106.

La Grosse Tour de Bourges n’a jamais suscité la sympathie des habitants dont l’inquiétude s’exposait ouvertement dès la fin du XVe siècle. Les autorités locales tentèrent même de se protéger en bâtissant un mur dans la cour du couvent de l’Annonciale afin de pouvoir passer à l’abri des regards du palais jusqu’à la Grosse Tour107. Après les épisodes que connut Bourges lors de la Fronde108, la méfiance du roi Louis XIV à l’égard de la Grosse Tour s’ajouta à celle des habitants. Lors d’une visite en octobre 1651, il exigea sa démolition sur le champ109.