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CHAPITRE 2 : COMPRENDRE LES DYNAMIQUES AGRICOLES DES REGIONS

B. Une méthode centrée sur la collecte de données de terrain

1. Des outils méthodologiques multiples

D’après les apports théoriques concernant les innovations et les mobilités entre espace urbain et ruraux (chapitre 1), je propose d’aborder la problématique avec l’hypothèse de travail suivante.

Les fondements du maintien et de l’adaptation des modes de culture sur abattis- brûlis aux abords de la ville tiennent à un ensemble de pratiques qui visent la complémentarité spatio-temporelle entre les activités d’exploitation des ressources naturelles et les autres sources de revenu (travaux rémunérés, pensions diverses etc). Cette hypothèse implique de s’intéresser non seulement aux activités productives observables dans l’espace, mais aussi aux facteurs historiques, écologiques, socio- économiques qui déterminent le rôle qu’occupe l’agriculture dans des modes de subsistance complexes.

Le cadre méthodologique se fonde sur les principes de l’analyse systémique de l’agriculture pratiquée dans la zone périurbaine. En privilégiant l’observation de facteurs dynamiques, le diagnostic proposé vise moins une prévision à longue échéance, qu’à une analyse rigoureuse de processus complexes et des changements en cours dans cette région.

43 D’après Gallois (2004: 37), « la territorialité [...] est une approche qui permet non seulement de récupérer et valoriser l’histoire de l’occupation d’une terre par un groupe indigène, mais aussi une meilleure compréhension des éléments culturels en jeu dans les expériences d’occupation et de gestion territoriales indigènes ».

44 J’adopterai la distinction entre les termes « Terre Indigène » et « territoire amérindiens » d’après Gallois (op.

cit.) : « la différence entre “terre” et “territoire” fait référence aux acteurs et perspectives distinctes qui sont

impliqués dans le processus de reconnaissance et de démarcation d’une Terre Indigène. La notion de “Terre Indigène” se rapporte à un processus politique et juridique mené sous l’égide de l’État, alors que celle de “territoire” fait référence à la construction et à l’expérience, culturellement variable, de la relation entre une société et sa base territorial » Traduit de : « A diferença entre “terra ” e « território” remete a distintas

perspectivas e atores envolvidos no processo de reconhecimento e demarcação de uma Terra Indígena. A noção de “Terra indígena” diz respeito ao processo político-jurídico conduzido sob a égide do Estado, enquanto a de “território” remete à construção e vivência, culturalmente variável, da relação entre uma sociedade específica e sua base territorial» (ibid. : 39).

Figure 6 : L’hypothèse de travail

Encadré N°3 : l’analyse diagnostic des systèmes agraires

Un système agraire est une modélisation qui doit permettre de comprendre « l’état, à un moment donné de son histoire, le fonctionnement et les conditions de reproduction du secteur agricole d’une société. » Ferraton, Cochet et al. (2003 : 47). Il est généralement décomposé en deux sous systèmes principaux l’écosystème cultivé et le système social productif. Le concept englobe également les rapports sociaux de production et d’échange, les conditions économiques et sociales d’ensemble, un système technique adapté aux conditions bioclimatiques d’un espace donné et répondant aux conditions et aux besoins sociaux du moment (Mazoyer et Roudart, 1998).

Le but de la méthode d’analyse-diagnostic d’un système agraire est d’identifier la diversité des conditions agro écologiques et socio-économiques dans lesquelles les agriculteurs opèrent, sans partir de principes théoriques ou de l’opinion de certains acteurs, mais en cherchant à identifier les intérêts et objectifs des populations concernées. Il s’agit donc de caractériser les pratiques techniques, économiques et sociales des agriculteurs et de comprendre ce qui préside à leur évolution, en relation avec celle des autres catégories socioprofessionnelles (Dufumier, 1996a).

La méthode suppose de délimiter une zone d’étude en fonction des problématiques locales de développement, afin d’y appréhender la diversité et les fondements des pratiques agricoles existantes. Elle utilise les outils de lecture de

historique des transformations du système agraire, ainsi qu’à des typologies d’agriculteurs, de système de production, de systèmes de cultures et d’élevage.

Le système de culture désigne la représentation théorique d’une façon de cultiver un certain type de champ. Il s’analyse à l’échelle d’une parcelle ou d’un ensemble de parcelles qui sont exploitées de la même manière. Il se caractérise par une homogénéité dans la conduite d’une culture sur un ensemble de parcelles aux conditions pédoclimatiques semblables : même associations de culture et rotation (y compris friches et jachères), même outils et intrants, même itinéraire technique et même conditions d’utilisation de la main d’œuvre.

Le système de production est étudié à l’échelle d’une exploitation. Il peut être conçu comme une combinaison plus ou moins cohérente de divers sous systèmes productifs. Ici, il s’agit de toutes les activités d’exploitation des ressources naturelles (agriculture, élevage, chasse, pêche, collecte) et les systèmes de transformation des produits issus de ces activités. Le sous-système agricole (composé des systèmes de culture et d’élevage) n’est alors qu’une composante d’un système plus englobant (Dounias, 2000).

Enfin, le mode de subsistance, ou système d’activités, désigne ici l’ensemble des activités productives (agricoles et de prélèvement –cueillette, pêche, chasse) ou rémunérées exercées par un individu ou un groupe d’individus, afin de pourvoir à ses besoins alimentaires et matériels, mais aussi à assurer sa reproduction sociale (Bahuchet, 2000). Il comprend les activités destinées à l’autoconsommation et à l’autofourniture (activités de subsistance) mais également celles qui sont génératrices de revenus (production agricole commerciale, extractivisme, emploi rémunéré).

Ce type d’analyse implique de considérer les agriculteurs comme les détenteurs de savoirs et de savoir-faire indispensables à connaître avant de proposer des alternatives de développement agricole45. L’analyse des pratiques locales passe

nécessairement par une compréhension des savoirs empiriques et des perceptions culturelles concernant les formes d’exploitation des ressources de la forêt. Pour compléter l’étude agroéconomique des activités agricoles, on utilisera donc une approche ethnoécologique en se concentrant particulièrement sur les pratiques et les représentations associées aux activités agricoles. Par ailleurs, l’étude des « agricultures de forêt » suppose de considérer les pratiques agricoles à plusieurs échelles de temps et d’espace. On abordera donc les activités productives dans l’ensemble de l’agroécosystème, en tant que système cultivé dynamique, complexe et varié, et non pas seulement dans les parcelles cultivées en un temps donné (Dounias, 1995)

Mais l’hypothèse de travail implique également de caractériser les territorialités et leurs rapports avec modes de subsistance en zone forestière périurbaine. On propose

45 En effet, d’après Dufumier (1996a : 77), « il serait erroné de prétendre pouvoir concevoir et formuler des interventions appropriées aux conditions et intérêts des agriculteurs sans avoir une bonne compréhension de la complexité et des performances de leurs exploitations. ».

45 Le mode d’occupation d’un groupe humain est la combinaison de l’habitat et du mode d’exploitation des ressources naturelles (Bonte et Izard, 2002).

donc une approche géo-historique pour étudier les dynamiques migratoires qui alimentent la croissance démographique et qui expliquent les dynamiques et modes d’occupation de la zone d’étude. Les mobilités sont donc envisagées à travers trois niveaux spatio-temporels (migration intergénérationnelle, mobilité résidentielle, déplacements quotidiens), afin de repérer les territorialités propres à chaque groupe.

Ce travail fait donc appel aux méthodologies spécifiques de chacune des disciplines que le sujet concerne, c'est-à-dire à l’agroéconomie, l’ethnoécologie et la

géographie. Elles donnent une place fondamentale à la collecte de données de terrain.

a) Lecture de paysage associée à la cartographie sur image satellitaire

Il s’agit de recueillir des informations sur l’espace (lecture de paysage, télédétection et cartographie participative sur images satellitaires), afin de produire des cartes thématiques qui illustrent les dynamiques territoriales dans la région concernée. b) Enquêtes

• Enquêtes et observation participative avec un échantillon représentatif de la diversité des agriculteurs

La première partie des enquêtes est destinée à recueillir des informations empiriques sur les pratiques et le quotidien de familles dont les localisations de l’habitat et des sites de production sont distinctes les unes des autres. Cette étape permet d’identifier la diversité présente, afin de construire un échantillon qui servira à des enquêtes plus approfondies par la suite. Cette phase sert également à délimiter la zone d’étude de façon à prendre en compte la plus grande diversité de situations possible, compte tenu de certaines contraintes inhérentes aux conditions de réalisation de la recherche. Les données obtenues grâce aux enquêtes et à l’observation participante sont reportées dans un questionnaire, construit progressivement.

• Entretiens avec de personnes-clé

- Des personnes âgées qui ont des histoires de vies éclairantes pour l’étude géo- historique des transformations du système agraire.

- Des intervenants sociaux qui ont leur propre perception des transformations agraires en cours.

- Des membres de catégories socioprofessionnelles particulières, dont le discours et les pratiques éclairent sur l’organisation du secteur agricole local.

c) Typologies et comparaisons

Les typologies permettent de stratifier la réalité afin de rendre intelligible des situations agraires complexes et de mettre en évidence les marges de manœuvre des agriculteurs. Elles permettent ensuite de modéliser certaines évolutions. Afin de compléter la caractérisation des types de producteurs et des systèmes de production (approche agro-économique), on cherche à relier ces catégories aux trajectoires de migration et à l’organisation spatio-temporelle des espaces de vie familiaux, en considérants plusieurs échelles d’observation. C'est par une démarche comparative que,

au delà de la multiplicité des réponses individuelles observées, on peu dégager des logiques d’adaptation à certaines contraintes spécifiques.

Par cette méthode interdisciplinaire, on combine donc trois référentiels : l’un est diachronique, l’autre est spatial, et le dernier est social (diversité ethnique et socio- économique de l’échantillon d’enquête). La variation d’échelle permet d’identifier des innovations de plusieurs types, ainsi que d’aborder le rôle des spécificités culturelles et des stratégies familiales dans la prise de décision et les aspirations des individus.

Les sources de données (observation participative, enquêtes et télédétection) ont été complétées par une recherche bibliographique dans les domaines de l’agronomie, l’ethnoécologie, l’histoire (Amazonie et Rio Negro), l’anthropologie et la géographie sociale, dans de plusieurs bibliothèques, aussi bien en France qu’au Brésil. Finalement, cet ensemble de données et d’outils d’interprétation a servi à identifier les spécificités du système étudié et à dégager les éléments de comparaison avec d’autres cas d’études.