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CHAPITRE 5 : TERRITOIRES ET RESEAUX ENTRE VILLE ET FORÊT

A. Contraintes d’accès et de gestion des espaces-ressources

2. Exploitation et contrôle des ressources dans les différentes unités foncières

Associées à ces différentes unités foncières, il existe des formes distinctes d’appropriation et d’utilisation des ressources naturelles. Elles se traduisent dans l’espace par différentes localisations et agencements des parties constitutives des unités de production (jardins, vergers, abattis, prairies etc.).

a) Dans les terrains individuels

Les familles qui pratiquent l’abattis-brûlis dans un terrain circonscrit, qu’elles possèdent de manière individuelle et exclusive, ou bien qui leur est cédé temporairement147, doivent gérer l’espace forestier pour assurer un temps de friche

147 Si le terrain appartient au producteur, il contrôle l’ensemble des ressources situées sur le terrain. Il dispose alors des droits d’exploitation (droit de cultiver et de récolter les fruits de son travail), droit de gestion interne (droit de répartir et de réglementer l’usage de la terre au sein du groupe familial), droits d’inclusion/exclusion (droit d’autoriser ou d’interdire l’accès à d’autres). Le titre de propriété privée lui donne le droit d’aliénation des droits précédents. Si le terrain est cédé par un autre propriétaire, le producteur ne jouit souvent que du droit d’exploitation.

minimum après le cycle de manioc. Si la résidence principale du groupe domestique se trouve en ville, le site de production ne comporte que la casa de forno. Sinon, la casa de

forno prend sa place derrière la maison, entourée du jardin verger. Par contre, dans les

hameaux, lorsque les abattis sont distants de la maison principale, il est très courant que la casa de forno soit déplacée à proximité des espaces cultivés, au bord de la rivière qui mène aux abattis par exemple.

Lorsque l’unité de production est installée sur un terrain de surface inférieure à 5 ha environ et proche du centre urbain, elle comporte entre une et trois parcelles de moins de 0,5 ha, disposées en mosaïque avec des recrûs forestiers présentant plusieurs stades de développement. Parfois l’abattis est complété un petit verger et par un potager. Dans les terrains de plus de 5 ha, l’unité de production peut contenir aussi quelques espaces forestiers denses, cultivables ou non, jamais encore défrichés.

Figure 30 : Représentation schématique de la gestion d’un terrain de la colonie agricole

Dans la colonie agricole, les familles ne disposent que d’un droit d’usage exclusif temporaire, si bien qu’elles implantent souvent des vergers aux limites de leur terrain pour légitimer leur occupation et obtenir un droit de propriété privée. En effet, avec l’avancée des routes et des quartiers, certains de ces lots sont en effet amenés à être progressivement démembrés. Or, d’après les informateurs, il ne suffit pas d’enrichir les recrûs avec des arbres fruitiers pour légitimer son droit de possession exclusive. Vis-à-vis des services municipaux, il faut avoir un terrain « propre » (« limpo »), c'est-à-dire débarrassé du sous bois et présentant une structure relativement homogène. Comme dans d’autres régions de forêt tropicale, on remarque le rôle du défrichement et de l’arboriculture pérenne dans la prise de possession des terres (Grenand et Joiris, 2000) (figure 30).On observe également la délimitation de terrain par des vergers chez les producteurs qui possèdent une parcelle en dehors de la colonie agricole, et qui occupent des terres vacantes, sans titre foncier, et qui désirent garantir leur droit d’usage permanent et exclusif sur une surface de terrain. Par ailleurs, la proximité de ces lots avec la ville permet d’écouler une partie des fruits sur le marché urbain.

Un autre cas est celui des producteurs indépendants qui pratiquent l’élevage bovin, et qui implantent leurs pâturages aux abords de la maison et du jardin verger attenant. En raison du caractère temporaire des cultures sur abattis-brûlis, ces producteurs placent les plantations de manioc sur des terrains éloignées des pâturages, au-delà d’une rivière, en retrait d’un espace forestier dense, ou même sur l’autre rive du fleuve. Enfin, les grandes exploitations d’élevage à main d’œuvre salariée présentent des maisons, des casas de forno et des jardins-vergers attenants, ainsi que des parcelles de prairies temporaires disposées les une à côtés des autres, séparées par des enclos. Aux alentours, on trouve des recrûs forestiers et des espaces de forêt dense non encore défrichés, parsemés parfois de quelques abattis ouverts par les employés de la fazenda. b) Dans les villages

Outre les terrains forestiers périodiquement défrichés, les territoires villageois comprennent des jardins vergers attenants aux habitations. Certains comportent parfois des petites surfaces de pâturage proche du centre village, ainsi que des terrains boisés, cultivables ou non, jamais encore défrichés.

Il est très courant que des familles de la communauté résident dans un hameau, sur une île, un peu isolée du « centre » du village, ce dernier étant situé le plus souvent sur la berge. Les habitants de ces hameaux allèguent qu’il s’agit d’endroits plus sûrs (moins de jaguars et de serpents), et que cela permet d’élever certains animaux (poules, cochons) sans avoir besoin d’enclore ni de se préoccuper du voisinage. En général, même si l’île est grande, il est rare que les habitants y ouvrent des abattis, en raison de la prolifération des fourmis saúvas (figures 31 et 32).

Figure 31 : Schéma d’un sítio localisé sur une île

Figure 32 : Coupe selon l’axe A-B tracé sur la figure 31

La communauté villageoise dispose des droits de gestion (répartir et réglementer les droits d’accès et d’usage) ainsi que d’inclusion et d’exclusion sur le territoire (droit de transférer les droits de gestion au sein et à l’extérieur du groupe). Comme on l’observe également dans d’autres régions d’Amazonie (Andrade, 1999) et du Brésil (Diegues et Moreira, 2001) cet espace est d’usage commun et indivis (non fragmenté en parcelles particulières), ce qui permet normalement aux diverses unités familiales de choisir, chaque année où elle ira implanter ses abattis, après accord du capitão et de la communauté. En général, l’emplacement des abattis correspond à la zone où les ascendants du chef de famille avaient l’habitude de cultiver, si bien que les fils exploitent les recrûs de leur père, dans le cas où la résidence est patrilinéaire.

Dans ces territoires villageois, on rencontre des formes d’usage collectif de certains espaces-ressources. Il s’agit notamment des espaces de forêt dense, pour la réalisation des activités de cueillette, chasse, agriculture, ainsi que des espaces de pêche. Les communautés villageoises ont également des pratiques d’usage collectif de la force de travail : les groupes de travail communautaires, ou ajuri148, assurent l’entraide

148 Dans les années 1970, Oliveira (1975) observe l’organisation du travail communautaire au sein d’un village du moyen Rio Negro. A l’invitation d’un villageois, quatre familles se regroupent pendant une journée afin d’abattre une parcelle de forêt. En échange, le « propriétaire de l’abattis » offre de la nourriture et de l’alcool, et la journée se conclue par une fête. Le groupe d’entraide, ou l’ajuri « se compose en général de 5 à 6

durant les travaux d’abattis et de plantation d’une famille. Par ailleurs, les journées de travaux communautaires, souvent hebdomadaires, servent à l’entretient des espaces ou infrastructures communs du village (prairie, école, chapelle, terre plein central, principalement).

Les unités domestiques exercent un droit d’usage exclusif sur leurs jardins- vergers et leurs abattis. Par ailleurs, dans la zone d’étude, on observe l’usage préférentiel des recrûs forestiers par les membres de l’unité domestique (ou du lignage) ayant réalisé le défrichage de la parcelle, qui s’étend également aux espaces couverts de forêts dense à proximité extrait d’entretient n°7). Il s’agit d’une appropriation exclusive qui est plus courante pour les recrûs forestiers de 10 à 15 ans, idéaux à la réalisation d’un nouvel abattis et à la collecte de certains fruits. Elle est d’autant plus marquée dans les territoires villageois caractérisés par des espaces cultivables limités.

Extrait d’entretien N°7 : Les recrûs forestiers, un espace approprié

Entretien avec Laura, 38 ans, Baré, qui habite le hameau de Matupi, village de São Sebastião, depuis sa naissance. Ce village est situé à moins d’un kilomètre en amont de la ville (03/2004) (trad. pers.).

« Ici, chacun a un bout de terre pour faire ses abattis. Mon frère faisait ses abatis sur les berges de la rivière Akatunu, mais l’année dernière il a commencé à défricher dans mes recrûs forestiers. Je lui ai dit que non, que chacun devait ouvrir des abattis dans la forêt dense qui reste, pour pouvoir faire des recrûs forestiers. […] Nous avons demandé à ma tante si nous pouvions faire des abattis sur son terrain. Elle a accepté. Maintenant, si elle vend son terrain, elle doit payer mon travail, mes recrûs forestiers ».

Il semble également que dans certains territoires villageois, les lieux propices à la l’installation de nasses soient appropriés de manière exclusive par des familles, mais cette observation mériterait d’être approfondie et nuancée149.

Les territoires villageois sont donc des espaces où s’articulent les domaines privés (jardins de case et abattis productifs sous contrôle exclusif des groupes domestiques), d’appropriation familiale (recrûs forestiers) et d’usufruit commun des ressources naturelles. Comme au temps de la maloca, malgré des pratiques d’échange mutuel et de partage des repas, les groupes domestiques contrôlent les résultats du travail, en consommant indépendamment leur propre production. Ceci explique sans aucun doute l’échec presque systématique des projets d’ « abattis communautaire » ou de « troupeau communautaire » prônés par les missionnaires, comme dans d’autres régions d’Amazonie amérindienne (Andrade, op. cit.) (cf. chapitre 3).

Parfois, une famille installée dans un hameau cultive ses abattis sur un espace approprié de manière exclusive et ne participe pas (ou plus) aux journées de travail communautaire. Le territoire du village de São Miguel (figure 33 et étude de cas n°1),

hommes apparentés et faisant partie du même village, ou d’autres villages voisins. Il explique que l’abattage et le recoupage des troncs dans les abattis sont des travaux essentiellement communautaires, alors que le brûlage, la plantation et récolte sont effectués par les couples, souvent aidés par les enfants. Les relations d’entraide, à travers les liens de compadrio sont importantes dans ce village. Il note également la présence de petits élevages familiaux de porcs, consommés en cas de fête ou de pénurie : « peut-être le mot d’élevage n’est pas approprié pour ces animaux, puisqu’ils sont laissés totalement en liberté, recherchant eux-mêmes leur nourriture» p.23.

situé en Terre Indigène et à moins d’une dizaine de kilomètre en amont de la ville, présente deux types de sítio.

Étude de cas N°1 : L’histoire du village de São Miguel

Le père de José, Tukano, vivait avec sa famille sur l’île de Trovão et faisait ses abattis sur la rive droite du Rio Negro. Les enfants allaient à l’internat de São Gabriel. Dans les années 1960, les salésiens les incitèrent à fonder un village, en finançant la construction d’une école primaire, tout d’abord sur l’Ile du Trovão, puis sur l’île du Macaco. Les habitants voulaient élever du bétail. Le maire de l’époque les incita à fonder le village sur la rive droite du fleuve pour avoir plus d’espace. Ils plantèrent les premières années deux hectares de pâturage et reçurent quelques têtes de bovins de la FUNAI dans les années 1970. En 1982, José, alors chef du village, obtint un titre de l’INCRA pour un terrain de 75 ha correspondant à l’emplacement du village. Ce terrain est d’usufruit collectif. En amont et en aval du centre du village, quelques familles habitent dans des hameaux, au bord du fleuve (« sítios »). Il s’agit des ménages issus des mariages des fils et filles de José. Ils ont leurs abattis en retrait de leur maison, où ils se rendent à pied ou par une rivière. Un des neveux de José habite sur l’île de Trovão (« sítio Trovão »). Il cultive sur un terrain approprié séparément, en amont du terrain villageois, et ne participe que rarement aux travaux communautaires.

Finalement, avec ou sans titre foncier, le hameau constitue une portion d’un territoire villageois où un groupe domestique dispose des droits d’exploitation, de gestion et d’inclusion/exclusion, qui se transmettent par héritage. Ces droits concernent l’espace constitué par les habitations et vergers attenants, les abattis, recrûs forestiers et forêts denses à proximité, ainsi que les lieux propices à l’installation de nasses. Toutefois, on peut faire une distinction entre le hameau villageois et le hameau indépendant. Dans l’appellation hameau indépendant, la famille est autonome du point de vue des règles communautaires l’utilisation de la main d’œuvre et des ressources, même si elle peut toujours participer à la vie sociale du village (fêtes, cultes, échanges, entraide), et utiliser certains services de la localité (école, agent de santé). En général, le hameau est le lieu de la résidence principale de famille, qui peut éventuellement posséder ou jouir d’une résidence en ville. Mais il peut s’agir également d’une résidence secondaire, alors que la résidence principale se trouve au centre du village ou en ville, et est habitée durant la période scolaire. Finalement, il semble que la dénomination « village » (comunidade) regroupe en fait des réalités très diverses, tant dans la composition ethnique, qu’en ce qui concerne leur structure physique, les tenures foncières et les règles concernant l’utilisation de la main d’œuvre. Je propose donc une classification simple de ces villages pour mieux comprendre les choix et les possibilités des familles amérindiennes de la région.

Ig Jacaré Ig Guariba Ig Massabo Ig Xirura Ig Macaco Ig Piraiauara # Y # Y#Y # Y # Y # Y # Y #Y # Y # Y # Y #Y # Y # Y # Y #Y # Y #Y # Y # Y # Y # Y % a % a % a % a % a # Y

Mode d'appropriation des terres Aire de possession exclusive communautaire Aire de possession exclusive individuelle

Localisation des nasses (pêche)

%

a

x

{ Localisation des abattis

Trajet entre maison et abattis Rivière Casa de forno Maison de l'unité domestique Rio Negro Prairies temporaires

Abattis et recrûs forestiers de proximité

Igapó (forêts inondées périodiquement)

Forêt dense de terre ferme avec enclaves de caatinga, recrûs forestiers et abattis Forêt dense de terre ferme avec enclaves de caatinga Unités de paysage Habitations et jardins-vergers attenants 0 1 Kilometers N #

Centre du village de São Miguel Ile du Trovão

Territoire du village de Cabari

$

Figure 33 : Unités de paysage et unités foncières dans le territoire du village de São Miguel Source : données de terrain (2003)