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CHAPITRE 3.LE HAUT RIO NEGRO : TRANSFORMATIONS TERRITORIALES ET

B. Histoire des transformations des modes de production et des territorialités

2. Détournement de la force de travail et bouleversement de l'organisation sociale

L´histoire de la colonisation du Rio Negro a commencé au XVIIèmesiècle avec les premières expéditions envoyées par la couronne portugaise. Elles sont rapidement suivies par des périodes discontinues d’évangélisation, dispensées par les Jésuites, Franciscains puis Carmélites. Après une longue période de chasse aux esclaves, le processus de colonisation fut motivé par l´expansion et la consolidation des frontières, ainsi que l’exploitation de la main d’œuvre amérindienne pour l’extractivisme, au profit des missionnaires, commerçants et militaires. L’Église et l’État se sont par la suite engagés dans différents projets de contrôle de la région et de ses habitants. Depuis le début de cette histoire, les relations entre blancs et amérindiens furent marquées par la domination politique et l’exploitation économique des premiers, et ce n'est que récemment que les mouvements politiques amérindiens se consolident.

Dans ce texte, je m’intéresse particulièrement aux recompositions de

l’organisation spatiale de l’habitat et des formes d’exploitation des ressources

en fonction des différents contextes socio-économiques produits par ce processus de colonisation, en me focalisant sur la région de São Gabriel.

a) Esclavage et commerce de produits forestiers (1690-1750)

A la fin du XVIIème siècle, l´Empire portugais connaissait une grave crise économique liée à la diminution de l´approvisionnement en épices en Inde et à la chute des prix des produits exportés du Brésil (sucre, tabac). La colonisation de l’Amazonie avait commencé depuis le début du XVIIème par les fleuves, car le territoire portugais était menacé à l’embouchure de l’Amazone par les Anglais, les Hollandais et les Français. La recherche d’épices et de produits forestiers inconnus en Europe, les drogas do sertão, comme le cacao (Theobroma cacao), causa l´exploration de nouvelles régions et entraîna le développement du commerce dans les premières villes amazoniennes.

La ressource la plus rare étant toujours la main d’œuvre, la colonisation visait à obliger les Amérindiens, de gré ou de force, à abandonner leurs résidences communautaires pour constituer des missions et des villages en aval des rivières et des fleuves, dans des zones plus accessibles, ou ils étaient enrôlés de force au travail de collecte (c’est le processus des descimentos).

Durant la deuxième moitié du XVIIème siècle, les Jésuites administrèrent les missions, principalement dans le bas Amazone, mais les épidémies de variole décimaient les Amérindiens. Durant le dernier quart du XVIIème siècle, les plus grandes réserves de main d´oeuvre se situaient dans les bassins du Solimões, Japurá, Rio Negro et Rio Branco. C´est à cette époque que pénètrent les premières expéditions de conquête d’esclaves, ou tropas de resgate dans le bas Rio Negro (Prang, 2001; Buchillet, 1997a).

La région ne tarda pas à devenir la principale source d’esclaves amérindiens des colonies du Grão-Pará et Maranhão (Amazonie orientale) (Andrello, op. cit.). On estime qu’à la fin de la décennie de 1740, près de 40 000 indiens avaient étés capturés et emmenés depuis les malocas vers l'aval du Rio Negro (Ricardo et Cabalzar, op. cit.).

b) Le premier Directoire (1751-1799)

Suite à la signature d’un traité de limites territoriales avec l´Espagne en 1750, le Portugal avait besoin de renforcer la colonisation dans la zone de frontière du Nord-ouest amazonien. Le marquis de Pombal, qui gouverna le Portugal entre 1750 et 1777, établit en 1757 un Directoire qui visait à dépasser les conflits entre colons et missionnaires à propos du sort des Amérindien (Buchillet, op. cit.). Il avait pour principal objectif la « civilisation » des Amérindiens et l’avancée de la colonisation. Premièrement, l´autorité des missionnaires fut révoquée et transférée à des administrateurs, les « directeurs », et l´esclavage fut abolit (Ricardo et Cabalzar, op. cit.). On s’appliqua à créer des villages (aldeamentos) qui allaient être dirigés par ces directeurs. Le métissage des amérindiens avec les européens était considéré comme le mécanisme idéal pour garantir le succès de la politique des aldeamentos (Andrello, op. cit.). Afin d’accélérer l´intégration des Amérindiens, le portugais fût remplacé dans les écoles par la língua geral (ou

nheengatu), langue dérivée du tupi-guarani. Les établissements modèles de l´autorité

politique et judiciaire du Portugal, comme les bâtiments municipaux, les écoles, ainsi que la maison individuelle furent installés dans chaque village (Prang, op. cit.). Les familles y connaissaient une forme détournée d´esclavage car elles étaient obligées de travailler dans la construction, la collecte de produits forestiers et l´agriculture. Au début du Directoire, 3 000 indiens furent installés dans ces villages (Meira, 1997).

São Gabriel représentait dès cette époque un lieu stratégique. Les rapides et les chutes qui figurent dans le nom de la ville71 sont à l’origine de sa localisation puisque la

navigation, relativement aisée depuis Manaus, y est interrompue, ce qui permettait le contrôle du passage de marchandises et la surveillance d’une éventuelle incursion d’Espagnols par l’amont. Le lieu fût donc choisi afin d’y construire un fort militaire durant la décennie 176072, puis d’y établir une mission. Dès cette époque, et malgré des

oscillations de sa population, São Gabriel se constitua comme village composé

d’habitations individuelles qui fonctionna pendant des siècles comme un port

commercial et le centre de l’action missionnaire dans la région du haut Rio Negro.

A la fin du XVIIIème siècle, les villages du moyen et bas Rio Negro ont connu un développement des cultures de l´indigo, le coton, le café, et le tabac principalement. D´après le naturaliste Rodrigues Ferreira (1885-88 [1983]), les efforts portés sur l´agriculture échouèrent plus tard à cause des conditions environnementales (cycle de crues, ravageurs et faible fertilité des sols). Cependant, il semble que leur échec fût d’avantage causé par les méthodes irréalistes employés durant le Directoire. En effet, en plus des épidémies, les expéditions militaires à la frontière détournaient la main

71 Cachoeira signifie « chute d’eau » ou « cascade » et a ici le sens de "rapides"

72 La nouvelle Capitainerie de São José do Rio Negro, fondée en 1754, se trouvait à la mission de Mariuá (actuel Barcelos).

d´oeuvre locale pour la construction des villages, au détriment des activités agricoles. L’économie de collecte73 continua à dominer le Rio Negro, car elle demandait moins de

main d´oeuvre et que les directeurs touchaient des commissions sur les produits collectés (Prang, op. cit.).

Prang explique comment, en plus du traumatisme causé par l´éloignement de leurs terres d´origine, les familles amérindiennes furent dès cette époque détournées de leur mode de vie traditionnel. En délaissant les activités agricoles elles furent de plus en plus dépendantes du directeur ou du commerçant itinérant pour la plupart des biens de consommation, même du manioc (ibid. :104).

Encadré N°5 : Rodrigues Ferreira en voyage dans le haut Rio Negro

Rodrigues Ferreira (op. cit.) remonta le fleuve Rio Negro durant vers 1790, à la fin de la période du Directoire. Il décrit les villages situés en aval de São Gabriel :

“Aucun d’eux ne mérite un nom [de village], parce qu’aucun n’est autre chose qu’une véritable fabrique de farines. […] Ce village-ci compte huit maisons de palme et les fondations de la résidence du Directeur. Celui-ci, comme celui des autres villages, est un soldat de la garnison de São Gabriel. » […] « A midi j’ai débarqué dans le village de São Pedro, ancienne aldeia de Simapé. Elle est située sur un terrain haut, et compte douze maisons [...]. On y cultive du manioc et de l’indigo. Un blanc y réside, Diogo Galvão; lui non plus de plante pas autre chose que du manioc, alors qu’il pourrait cultiver du riz, du maïs, du coton, du café et de l’indigo, s’il avait des bras [de la main d’oeuvre]. Le soldat Alberto Serrão de Castro est le Directeur. La terre est envahie par les

saúbas74, et à cause de cela les habitants ont dû maintes fois transférer le village. Durant l’année

1782, le principal, Joseph Antonio, et le directeur, Joseph Ferreira, ont réalisé la déportation [descimento] de 81 âmes. En 1783, l’indien serviteur Joaquim Ferreira fit une autre déportation de 19 individus, qui s’échappèrent par la suite » 75 (trad. pers.).

Les mesures prises dans le cadre du Directoire ne réussirent pas à faire augmenter la population des villages en raison des nombreuses fugues et révoltes des indiens “fixés” (Andrello, op. cit.). Ces pertes, combinées aux épidémies, impliquait toujours de réapprovisionner ces villages en main d´oeuvre (Ricardo et Cabalzar, op.

cit.). Les récits de voyage de la fin du XVIIIème et de la première moitié du XIXème siècle

73 D’après Souza (1791 [1848] : 469), avant le « boom » du caoutchouc, les principaux produits de cueillette destinés au marché extra local (extractivisme) étaient: « la salsepareille, la piaçaba [Leopoldina Piassaba], le

mixira, la copaíba, le breu, l´estopa de terra, le cacao, le puxiri [Licaria Pucheri], la noix du Brésil [Bertholetia

Excelsa], l´huile de tortue et le pirarucu » (trad. pers.) 74 Fourmis défoliatrices du groupe Attini (genre Atta).

75 « Nenhuma d´ellas merece tal nome, porque nenhuma d’ellas é outra cousa mais do que verdadeiramente

uma feitoria de farinhas. [...] Constava 8 palhoças, e ainda então se fincavão os esteios para a residência do diretor. Elle e os das mais povoações são soldados da guarnição de São Gabriel » (idem : 143). « Ao meio dia aportei na povoação de São Pedro, antigamente aldêa de Simapé. Está fundada sobre uma barreira bastantemente alta, constava 12 cazas, quando subi, mas tinha deminuido uma, quando desci en Dezembro. Cultivava a maniba e o anil; habitava n´ella o morador branco Diogo Galvão; também não plantava mais do que a maniba, podendo cultivar o arriz, o milho, o algodão, o café, o anil, a ter braços: era diector o soldado Alberto Serrão de Castro. A terra é perseguidissima de saúba, e os moradores por estas causa têm, por muitas vezes, requerido a mudança da povoação. No ano de 1782 fez o principal Joseph Antonio com o director Joseph Ferreira o descimento de 81 almas. No de 1783 fez o índio ajudante Joaquim Ferreira outro descimento de 19 almas, as quaes se ausentaram depois » (ibid : 149).

révèlent ainsi le relatif échec de ce Directoire à concentrer la population amérindienne au sein de villages.

Encadré N°6 : Fernandes de Souza en voyage dans le haut Rio Negro

Souza (1791 [1848]), en voyage dans la région à la fin du XVIIIème siècle, témoigne : « Au même endroit que la forteresse [de São Gabriel] se trouve le village, qui, ajouté aux autres lieux d’habitation indépendants, constitue la paroisse [freguesia] de São Gabriel, le tout représentant 1200 âmes ». […] « Juste en amont de São Gabriel se trouvait le village de São Miguel, qui comptait 200 âmes, et encore un peu plus loin [...] celui de Santa Barbara, qui comptait 800 habitants. Aujourd’hui ce ne sont que des friches, les gens étant tous partis pour Barra [Manaus]. Le reste de le population s’est retiré dans les forêts »76 (trad. pers.).

Le texte de Souza indique que des villages du Directoire furent abandonnés à la fin du XVIIIème et au début du XIXème, car une partie des habitants migra vers Manaus et une autre repartit vers leurs lieux d’habitation d’origine. Par ailleurs, face aux incursions persistantes et violentes des Portugais, les groupes amérindiens non déportés tendirent à installer leurs malocas dans des zones encore plus reculées, au bord de petites rivières situées en amont des cours d’eau (Andrello, com. pers.).

c) L’époque de l’extractivisme dans le Rio Negro (1800-1960) • Dispersion de la population et nouveau directoire

En raison de l´abolition du Directoire mis en place par Pombal, mais aussi des révoltes qui agitèrent l´Amazonie après l'indépendance du Brésil en 1822 (cabanagem), la première partie du XIXème siècle se caractérise par un certain vide administratif (Andrello, op. cit.). Durant cette période, la région était contrôlée par des missionnaires et militaires qui continuaient à exploiter la force de travail amérindienne pour la collecte de divers produits forestiers. A partir de 1850, les commerçants brésiliens commencèrent à assumer ce rôle, et à opérer à São Gabriel et Marabitanas, avec les Vénézuéliens (Ricardo et Cabalzar, op. cit.).

Le gouvernement de la nouvelle province d’Amazonas considérait le déclin de la population dans la région comme une menace pour les frontières du Brésil, en raison des invasions fréquentes des colombiens et vénézuéliens. De nouveau, les autorités s’engagèrent à « civiliser » les amérindiens et à occuper effectivement les « espaces vides », grâce à l’action conjointe des missionnaires et militaires (Buchillet, op. cit. ; Oliveira, 1992). La reprise du commandement militaire fût marqué par la reconstruction du fort de São Gabriel (Ricardo et Cabalzar, op. cit.). En 1845, le Regimento das Missões fût implanté, rétablissant les missions dans le haut Rio Negro. Au sein de ce système, l´Empereur nommait un Directeur Général des Indiens, ainsi que, pour chaque village-

76 « No mesmo sítio da Fortaleza esta a povoação annexa, que com as outras mencionadas dos lugarejos fazem

a freguesia de São Gabriel, constante sua população, com todas das povoaçõezinhas, em 1200 almas. [...] Logo acima de São Gabriel houve a povoação de São Miguel, e mais acima quatro leguas outra com o nome de Santa Barbara, aquella com 200 almas, e esta com 800, que as mudas e levas semestres de gente de um e outro sexo para Barra extingiram ficando seus lugares em Campina. O resto da população incentrou-se nos matos. » (ibid. : 463-464).

clef des provinces, un responsable des Indiens (Encarregados do Indio) et un missionnaire. Ces directeurs travaillaient en collaboration avec le personnel militaire des forts du Rio Negro et avaient autorité sur le clergé (Prang, op. cit.:115). Il ne s´agissait plus de déporter les Indiens depuis les affluents du haut Rio Negro vers les villages du fleuve principal, mais de leur imposer le travail forcé au sein de villages crées ou reconstruits sur les rives des affluents plus proches, grâce à l´action des missionnaires capucins (Andrello, op. cit.). Les militaires des garnisons de São Gabriel et de Marabitanas s´engageaient généralement dans des activités commerciales, occupant souvent un poste de Directeur des Indiens. En fin de compte, les intérêts des militaires, commerçants et Directeurs convergeaient pour maintenir l´exploitation de la main d’œuvre amérindienne en vue d’assurer la construction des villages coloniaux et la collecte des produits forestiers (Ibid.). A São Gabriel, le Directeur s’appelait Jesuíno Cordeiro, et régnait en maître sur le Uaupés (Wallace, 1853 [1979]). Les amérindiens furent soumis au travail obligatoire, perdant tous les droits acquis durant la période pombaline. Exploités par les commerçants et décimés par les épidémies de variole, nombreux s´échappèrent des missions et cherchèrent refuge dans les régions de difficile accès, loin des villages de bord de fleuve.

Dans la région de São Gabriel, au début du XIXème siècle, des malocas étaient vraisemblablement localisées dans région de l’Ilha das Flores, sur les rivières Ducubixi, Jurupari, et Tiburiai. Elles étaient habitées par des familles des ethnies Arapaço et Desana77. Peu à peu, sous l’influence des commerçants, leurs habitants commencèrent à

descendre de ces rivières pour vivre sur les bords des fleuves. L’histoire raconte que les habitants du Ducubixi fondèrent le hameau de Saíma Ponta (en amont de l’actuel village de Sarapó), et les habitants des autres rivières vinrent habiter sur les rives du Uaupés et à son embouchure (hameau de Bauari sur l’ilha Grande)78. Au milieu du XIXème siècle, il

semble que la localisation de ces hameaux correspondaient à la zone d’influence d’un commerçant (Ibid.). Les récits de voyage de l’époque sont unanimes à propos de décadence et la ruine des villages construits durant les Directoires.

Encadré N°7 : Gonçalves Dias en voyage dans le haut Rio Negro

En 1860, Dias (1860 [2002]) décrit São Gabriel : « il y a un cimetière, une église de paille, quelques maisons en palme, peu d’habitants car tous habitent les hameaux. […] Quand nous arrivâmes, tout le monde était parti pour Guia, pour assister, paraît-il, au mariage de Mr. Manuel Joaquim de Oliveira avec une indienne du Uaupés »79 (trad. pers.)

On peut affirmer que les processus successifs d’agrégation et de dispersion de la population amérindienne, liés à l’exploitation, par des acteurs venu d’autres régions (missionnaires, militaires, puis commerçants), de la force de travail locale pour la collecte

77 Source : d’après enquêtes historiques à l’Ilha das Flores. 78 Source : d’après enquêtes historiques à Sarapó.

79 « Hà um cemitério, uma igreja de palha, poucos habitantes porque tudo mora pelos sítios. [...] Quando aqui

chegamos tinha todo o mundo partindo para a Guia – segundo parece, porque ali tinha corrido um Sr. Manuel Joaquim de Oliveira, casado com uma índia do Uaupés » (ibid.: 159)

de produits forestiers, sont à l’origine d’un habitat majoritairement dispersé sur les rives du Rio Negro, dont la région de São Gabriel.

Le problème de fixer la main d´œuvre amérindienne persistait, alors que la demande en caoutchouc augmentait. C’est à cette époque que les commerçants s’organisèrent pour amplifier les activités de cueillette des produits forestiers en s’attachant un groupe de travailleurs grâce à au système de l’aviamento (Emperaire, 1996; Emperaire et Pinton, 1996a ; Meira, 1996a; 1996b; 1997).

• Croissance et ralentissement de l’économie de collecte du caoutchouc

A la fin du XIXème siècle, l’industrie naissante des pneumatiques et de l’automobile européenne réclamait toujours plus de caoutchouc. Avec les progrès de la navigation à vapeur et l’internationalisation des eaux de l’Amazone (fin du monopole portugais), la production agricole commerciale, qui avait commencé dans le bassin du Rio Negro durant le Directoire, ne put concurrencer les importations de tabac et le café, plus compétitives. En revanche, la demande en produits forestiers augmenta lorsque leur exportation par voie marine devint moins chère. Dans le bassin du Rio Negro, Thomar, Barcelos et São Gabriel devinrent les principaux points de commerce du latex des hévéas, ou encore de la piaçaba (Leopoldina Piassaba) (Prang, op. cit. ; Meira, 1997).

Les prix du caoutchouc restèrent en hausse continue jusqu’aux années 1910 (Santos, 1980). Les trois principaux grands négociants du Rio Negro jusqu’aux années 1960 étaient les firmes J. G. Araújo, J. S. Amorim et Higson Co. Ltd. (Prang, op. cit.). Durant le « boom » du caoutchouc, ces entreprises monopolisaient pratiquement l’exploitation et la commercialisation des produits pour l’exportation, maintenant sous leur contrôle un réseau de petits et moyens commerçants (les « patrons ») qui se répartissaient les aires riches en hévéa (seringal) et en piaçaba (piaçabal). Par exemple, Manduca Albuquerque et les frères Garrido dominaient respectivement le Uaupés, et les rivières Içana et Xié (Meira, 1996b). La famille Gonçalves, originaire du Maranhão, détenait le principal établissement de commerce de la région de São Gabriel. Jusqu’aux années 1950, ses bateaux parcouraient les fleuves de la région (Rio Negro, Tiquié, Uaupés, Içana) afin d’échanger des produits de cueillette contre des marchandises. Les Gonçalves vivaient au sítio Parauari (situé juste en amont de la ville) et y élevaient du bétail. En 1949, d’après Carvalho (1952 [1983]), Graciliano Gonçalves était le principal éleveur de la région, avec une cinquantaine de tête de bovins. Il employait des Maku pour l’entretien du pâturage. D’autres familles, comme celle des frères Coimbra80, et d’un

certain Eráquido, étaient des commerçants itinérants qui avaient leur clientèle en amont de la ville.

Mais le Rio Negro n’était pas l’une des principales zones exportatrices de caoutchouc, contrairement aux rivières Juruá et Madeira, très riches en Hevea

80 Les Coimbra étaient d’origine vénézuélienne et travaillaient dans la région de Cucuí et Marabitanas. En aval de l’Ilha das Flores il y avait la baraque de commerce d’un certain Lopes, “portugais”, et à Tatu Ponta, celle du commerçant João Vilagelim. A chaque saison, ils employaient des habitants pour collecter la balata- Sapotacées -et le latex d’hévéa en aval. De même, le commerçant Salote Barbosa habitait à l’emplacement de l’actuel village de Mercês (en aval de São Gabriel). Ces commerçants intermédiaires avaient pour patrons les négociants qui disposaient d’embarcations à vapeur, comme Graciliano Gonçalves et J. G Araujo.

brasiliensis. Sur la rive droite de l’Amazone et du Solimões, la collecte du caoutchouc

sollicita des contingents importants d’émigrants venus du nord-est brésilien. Dans le Rio Negro, c’est avant tout la main d’œuvre amérindienne qui fût mobilisée et transportée sur les zones de collecte. Les zones forestières particulièrement riches en hévéas exploitables se concentraient entre Barcelos et Santa Isabel, et sur les affluents débouchant dans cette partie du fleuve, ainsi que les rives du Uaupés, et du Rio Negro, en amont de l’embouchure de l’Içana. Mais toute la région de São Gabriel en était presque dépourvue. A l’époque, Santa Isabel était le point terminal de la navigation à vapeur sur le Rio Negro (au-delà, il ne pouvait s’agir que de petites embarcations, à cause des rapides), et constituait donc un port d’arrivée des marchandises et de départ