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CHAPITRE 3.LE HAUT RIO NEGRO : TRANSFORMATIONS TERRITORIALES ET

B. Mobilités, multilocalité et pluriactivité : un continuum rural-urbain, des

3. Installation et différentiation des familles qui pratiquent l’agriculture aux abords

Cette partie vise à mettre en relation les principaux courants migratoires et les modes d’occupation de l’espace périurbain. Cette reconstitution nous permet d’établir une typologie de catégories de familles et des systèmes de production qu’elles pratiquent (cf. figure 24, tableaux 7 et 8). Le terme « famille » concerne ici un groupe domestique. Ces catégories, reconstituées à partir d’histoire de vies, sont relativement amples et simplifient inévitablement la réalité. En annexe 5, on trouvera des exemples d’histoires de vies qui correspondent à chaque catégorie. Je chercherai à affiner et à relativiser ces catégories dans les parties suivantes, en prenant en compte les formes de migrations, les réseaux de parenté et les territorialités des groupes domestiques considérés.

A partir des années 1970, en raison des changements du contexte socio- économique et du système éducatif, de nombreuses familles, qui habitaient dans des villages ou des hameaux riverains de la région du haut Rio Negro, vinrent habiter définitivement en ville et abandonnèrent progressivement l’activité agricole. Mais à cette époque, de nombreux Baré et des membres de l’ensemble Tukano Oriental (Tukano, Desana etc.), construisirent une maison en ville pour permettre à leurs enfants de continuer leurs études et de profiter des offres d’emplois rémunérés, tout en maintenant un site de production agricole sur les rives du Rio Negro. Actuellement, quelques membres de ces groupes domestiques logent en ville durant une partie de l’année pour étudier ou travailler comme employé, alors qu’une autre partie de la famille se dédie d’avantage à l’agriculture. Disposant de revenus monétaires réguliers, il s’agit de

familles pluriactives, qui pratiquent un système de polyculture en abattis gérée de

manière extensive, associée à diverses activités de prélèvement, sur un ou deux sites de

production. S’ils n’ont accès qu’à un terrain proche du centre ville, déjà mis en culture plusieurs fois (comme dans le terrain du diocèse), ils pratiquent un système de

polyculture en abattis principalement en recrû forestier jeune (de moins de 10 ans). Les faibles surplus agricoles, ainsi que les allers-retours entre le site de production et la ville rendent difficile la pratique de l’élevage.

Certains Tukano installées en ville avant les années 1970, et des Baré d’origine locale, ont hérité ou acquis des terrains étendus et individuels de bord de fleuve. Ces

propriétaires terriens à revenus issus de la ville disposent d’un commerce, ou

exercent des emplois à São Gabriel. Ils installent des familles plus moins apparentées sur leur propriété. En échange de la concession d’un droit d’usage, et éventuellement de marchandises, le « gardien » et sa famille aident les propriétaires aux travaux des abattis et/ou leur donnent une partie de leur production agricole. Le travail des « gardiens » consiste souvent à l’entretient de prairies temporaires (Polyculture en abattis associée à

l’élevage bovin et à diverses activités de prélèvement).

D’autres familles amérindiennes originaires des environs de São Gabriel ou installées depuis les années 1970-80 ont choisi de maintenir leur résidence principale au sein du village ou d’un site de production indépendant de bord de fleuve. Elles disposent

de terres suffisamment étendues pour pouvoir vivre de la consommation et de la vente des surplus (familles tournées vers l’autosuffisance). Elles investissent une grande partie de la main d’œuvre familiale dans la production agricole et pratiquent souvent un système de polyculture en abattis associée à de petits élevages et à diverses activités de

prélèvement. On rencontre quelques agriculteurs de ce type qui associent un petit

élevage bovin à ces activités, souvent après un accord d’élevage à part de fruit avec un

commerçant-éleveur. Mais lorsque les producteurs sont âgés et touchent une pension de retraite, et qu’une partie des membres de la famille résident le plus souvent en ville, ils pratiquent alors un système de polyculture en abattis gérée de manière extensive et

associée à diverses activités de prélèvement. Ce système est aussi pratiqué par des

familles tournées vers l’autosuffisance qui ne disposent que de très peu de main

d’œuvre familiale et de revenus complémentaires, et qui habitent au sein d’un site de production indépendant, où elles ne bénéficient presque pas d’un système d’entraide villageois.

Au cours des années 1970-1980, la Mairie et l’Incra délimitèrent des terrains le long des nouvelles routes, qui furent achetés majoritairement par des familles venues d’autres régions (cf. chapitre 3). Commerçants et/ou hommes politiques influents, la plupart de ces propriétaires fonciers à revenus issus de la ville n’exploitent pas leurs lots, qui constituent d’avantage un placement foncier. Les « commerçant-éleveurs » emploient une main d’œuvre salariée amérindienne pour pratiquer un système d’élevage

bovin et piscicole dans les fazendas.

De nombreuses familles originaires des Terres Indigènes s’installèrent définitivement en ville dans les années 1980-1990 et exploitèrent la zone de la colonie agricole assez tôt pour jouir actuellement d’un lot de terrain relativement étendu (10 ha) et proche du centre urbain. Disposant souvent de peu de revenus complémentaires, il s’agit de familles insérées au marché de produits agricoles qui pratiquent un système de polyculture en abattis associée à de petits élevages et à diverses activités de

prélèvement. Parmi les familles arrivées depuis cette époque, nombreuses sont celles qui

disposent d’un lot de la colonie agricole lointain, ou d’un site de production de bord de fleuve avec des conditions de tenures foncières assez précaires (« gardiens » ou prêteurs de terrain, cf. chapitre 5). En raison de ces contraintes, malgré des droits d’usage sur des espaces-ressources diversifiés (forêt dense, recrûs forestiers jeunes, caatinga, fleuve et igapós pour la pêche) on observe que ces agriculteurs diversifient leurs activités, recherchent des emplois en ville et pratiquent un système du type polyculture en abattis

gérée de manière extensive associée à diverses activités de prélèvement (familles

pluriactives).

Depuis une dizaine d’années, on observe aussi que des familles originaires de villages très lointains138 viennent habiter définitivement ou temporairement dans la zone

périurbaine. Ne disposant pas (ou peu) de revenus non agricoles, et installées dans des villages ou hameaux riverains relativement éloignés de la ville, elle pratiquent la

138 Ethnies Baniwa et Kuripako (Içana et affluents) ou de la famille linguistique Tukano Orientale (Uaupés, Tiquié et affluents).

polyculture en abattis associée à de petits élevages et à diverses activités de prélèvement (familles tournées vers l’autosuffisance).

Mais certaines de ces familles récemment installées négocient un droit d’usage avec un propriétaire sur un terrain proche de la ville. Ayant un espace limité pour cultiver, ainsi que pour pratiquer la cueillette et la chasse, elles pratiquent la polyculture

en abattis principalement en recrû forestier jeune, et se spécialisent dans la vente de

galettes de manioc sur le marché urbain, complétée par quelques revenus non agricoles (artisanat, emplois temporaires) (familles insérées au marché de produits

agricoles). D’autres migrants récents ont fondé un village en bord de route et ont

obtenu des services municipaux un droit d’usage commun sur des terres étendues mais lointaines, sans aucune sécurité foncière, avec peu d’accès au fleuve. Ils disposent donc de forêt dense pour ouvrir des abattis, mais ont besoin de revenus monétaires pour acheter des produits riches en protéines (aliments ou rations pour élevage), afin de compenser les moindre prises de pêche et de chasse139. Ces familles insérées au

marché de produits agricoles pratiquent le plus souvent un système de polyculture en

abattis associée à des petits élevages et à diverses activités de prélèvement, spécialisé

dans la production de bananes, de farine et de galettes de manioc, vendus en ville. Pour répondre à la demande du marché urbain, quelques citadins développent un système de maraîchage, pratiqué dans la zone périurbaine proche, avec des niveaux d’équipement et de production variables en fonction du capital et de la main d’œuvre disponible. Il est complété par des revenus non agricoles (familles insérées au marché

de produits agricoles).

139 Les membres de ces villages restent cependant très mobiles. Ils parcourent plusieurs fois par an la région pour visiter des proches, pêcher et collecter certains produits forestiers, se servant temporairement dans les abattis de leurs hôtes.

POL DIV = Polyculture en abattis associée à de petits élevages et à diverses activités de prélèvement. POLEXT = Polyculture en abattis gérée de manière extensive associée à diverses activités de prélèvement. POL/BOV = Polyculture en abattis associée à l’élevage bovin et à diverses activités de prélèvement. POL RFJ = Polyculture en abattis principalement en recrû forestier jeune. BOV/Fazenda = Elevage bovin et piscicole dans les

fazendas.

Tableau 7 : Caractéristiques des différentes catégories de familles identifiées Types de producteurs Principaux facteurs limitants de la production Caractéristiques de l’unité de production Sources de revenus complémentaires au sein du groupe domestique Autres

caractéristiques Système de production

Polyculture en abattis associée à de petits élevages et à diverses

activités de prélèvement

Emplois temporaires

Accord d’élevage à part de fruit avec un commerçant

Polyculture en abattis associée à l’élevage bovin et à diverses

activités de prélèvement

Pension de retraite,

Aide financière des enfants Actifs agricoles âgés

Familles tournées vers

l’autosuffisance Main d’oeuvre

Droit d’usage sur un terrain avec forêt dense (>20 ha)

Vente de surplus occasionnelle, mais échanges

fréquents de produits avec des parents en ville (farine,

fruits)

« Gardiens » sur un terrain appartenant à un tiers

Main d’œuvre Droit d’usage sur un terrain avec forêt dense (>20 ha) production éventuellement Résidence et/ou unité de multilocale.

Polyculture en abattis gérée de manière extensive associée à diverses activités de prélèvement

Familles pluriactives

Un seul site de production sur un terrain réduit (<5 ha)

Emploi fixe ou temporaire et/ou

Pension de retraite Accès aux forêts

dense Un seul site de production sur un terrain réduit (<5 ha)

proche du centre

Spécialisation dans la vente de produits frais

(galette de cassave) Polyculture essentiellement en abattis de recrû Main d’œuvre et accès au fleuve (pêche)

Unité de production située proche du centre : en bord

de route ou dans des territoires villageois très restreints de bord de fleuve

Emplois temporaires (rarement)

Artisanat vente de farine de manioc, Spécialisation dans la bananes et autres fruits

Polyculture en abattis associée à de petits élevages et à diverses

activités de prélèvement

Familles insérées au marché des produits agricoles

Main d’œuvre Main d’oeuvre salariée Eventuellement emploi fixe Maraîchage

Propriété privée. Main d’œuvre salariée ayant droit de culture

Elevage bovin et piscicole dans les

fazendas

Polyculture en abattis gérée de manière extensive associée à diverses activités de prélèvement

Propriétaires terriens avec revenus issus de

la ville

Main d’oeuvre

Unité de production située en bord de route ou de fleuve sur un terrain forestier

étendu (>50 ha)

Commerce et/ou emploi fixe en ville

Placement d’un « gardien » ayant droit de

culture sur l’unité de production en échange de travail sur les parcelles du propriétaire et/ou d’une

part de la production agricole.

Polyculture en abattis associée à l’élevage bovin et à diverses

Systèmes de culture Systèmes d’élevage Système de Production Polyc. sur A/B suivie partiellem ent d’une plantation pérenne Polyc. sur A/B sans entretien des recrûs Manioc en alternance avec un recrû forestier jeune Maraî-

chage Prairies temp.

Elevage avicole en liberté Elevage porcin en liberté Elevage piscicole à faible apport d’intrants Elevage avicole semi confiné Elevage piscicole de grande échelle Elevage bovin Autres activités Polyculture en abattis associée à de petits élevages et à diverses activités de prélèvement

X X X X X X

Pêche, chasse, cueillette Exploitation du bois Polyculture en abattis gérée de manière extensive associée à diverses activités de prélèvement

X X X

chasse, Pêche, cueillette Polyculture essentiellement en abattis de recrû

X X

Polyculture en abattis associée à l’élevage bovin et à diverses activités de prélèvement

X X X X

chasse, Pêche, cueillette Maraîchage

X X

Elevage bovin et piscicole dans les

fazendas

X

X X X

Exploitation du bois

Note : « A/B »= abattis-brûlis, « Polyc »= polyculture