• Aucun résultat trouvé

Région immense, mal desservie et de grande importance géopolitique, zone de terres « vierges » aptes à êtres distribuées aux millions de paysans sans-terres, l’Amazonie brésilienne a fait l’objet, depuis les années 1970, de politiques publiques visant son intégration à l’espace « national ». Il s’agit principalement de grand projets d’infrastructures mis en œuvre initialement par le gouvernement militaire (barrages, pôles d’extraction minière, lignes ferroviaires, routes) et couplés à la multiplication de projets de colonisation agraire, le long des nouveaux axes routiers (figure 4). La concession de grandes propriétés destinées à l’élevage bovin ainsi que l’arrivée de migrants à la recherche de terres ont causé la progression d’une nouvelle frontière agricole, principale responsable de la déforestation. Depuis le début de cette forme contemporaine de colonisation de l’Amazonie brésilienne, l’agglomération urbaine a servi de base logistique pour les opérations visant l’occupation du territoire21. Dans la région

amazonienne, le système urbain apparaît alors comme la condition et le produit de ce processus d’occupation (Machado, 2000)22.

Cependant, les projets de colonisation offrent des bilans mitigés, car les migrants venus pour obtenir une terre souffrent de conditions de vie très précaires et n’arrivent que rarement à accumuler, en raison de la fragilité des écosystèmes, de la faible fertilité des sols, mais aussi de l’accès inégal aux moyens de production et de commercialisation. Ces bilans s’alourdissent avec la prise en compte toujours plus importante, de la part de l’opinion publique nationale et internationale, de l’urgence de la lutte contre la déforestation afin de préserver l’un des derniers massifs forestiers tropicaux continus du monde, véritable « réservoir » de biodiversité.

A partir des années 1990, les groupes écologistes nationaux et internationaux s’allièrent à des mouvements sociaux, menés principalement par les populations traditionnelles d’Amazonie23 qui, parallèlement à la perte de puissance des commerçants

de produits forestiers, due l’effondrement du marché des produits extractivistes, se portaient garantes de l’utilisation durable des ressources naturelles, à condition d’obtenir des garanties foncières solides et une reconnaissance sociale. Il s’agit notamment des mouvements de revendication des collecteurs de caoutchouc confrontés à l’avancement du front agricole et d’élevage, mais aussi des populations amérindiennes soumises à de nombreuses invasions territoriales. Peu à peu, et surtout après le sommet de Rio de Janeiro de 1992, se forme une nouvelle conception du développement pour l’Amazonie,

21 En plus du rôle classique de circulation de marchandises, du capital et des informations, la ville entretient la mobilité du travail et offre un mode d’intégration économique, idéologique et culturelle de la population (Becker, 1990).

22 Dans bien des cas, l’urbanisation a même précédé le front pionnier, notamment pour les villes planifiées de la transamazonienne. Citons aussi les programmes zona franca (Manaus) et Polamazônia des années 1979-1980. 23 L’expression « populations traditionnelles de la forêt amazonienne » regroupent les petits producteurs familiaux « caboclos » ou « riberinhos », collecteurs de caoutchouc (seringueiros) et de noix du Brésil (castanheiros) ainsi que les populations amérindiennes et quilombolas. La notion désigne les groupes humains « vivant en étroite relation avec le milieu naturel et dont la reproduction socioculturelle repose sur une exploitation durable des ressources naturelles, grâce à des activités à faible impact sur l’environnement » (Santilli, 2002: 90) ; traduction personnelle de « vivem em estreita relação com o ambiente natural,

dependendo de seus recursos naturais para sua reprodução socio-cultural, por meio de atividades de baixo impacto ambiental » (loc. cit.). D’après Cunha et Almeida (2001), c’est une catégorie qui est utilisée par des groupes qui habitent dans une zones riche en ressources naturelles, et qui, représentés par association, se portent garants de l’utilisation durable de ces ressources.

et pour le reste du Brésil. Le modèle socio-environnemental cherche ainsi à associer étroitement le développement durable avec la valorisation de la diversité socioculturelle amazonienne24. Les principaux acteurs de ce mouvement sont des ONGs nationales et

internationales qui aident les population traditionnelles à revendiquer puis à obtenir la création de nouvelles unités territoriales d’usufruit collectif et exclusif : les Terres Indigènes25, les réserves extractivistes et les réserves de développement durable,

principalement. Ces ONGs sont financées principalement par des organismes nationaux ou internationaux de développement et de conservation de l’environnement (Léna, 1998).

Parallèlement, le gouvernement brésilien prolonge le programme amazonien d’infrastructures nommé Brasil em ação avec le nouveau projet Avança Brasil, qui devrait se poursuivre jusqu’à 2007. Celui-ci repose sur la construction de grandes infrastructures, destinées à des « axes nationaux d’intégration de développement » : Arc Nord (Amapá), axe Cuiabá-Santarém, Rondônia, Est du Pará et axe Manaus-Vénézuela par l’état du Roraima. La constitution de ces axes vise à attirer des capitaux et des investissements publics et privés en synergie, afin de constituer des réseaux de circulation, de communication et d’énergie dans le bassin amazonien. Ce plan de développement pour l’Amazonie, réalisé par l’état fédéral à travers le ministère de la planification, est orienté principalement vers des objectifs économiques et géopolitiques, visant les exportations (Becker, 2000). Par ailleurs, l’incapacité de l’État à mettre en place la réforme agraire dans le reste du Brésil est encore compensée par le lotissement de zones forestières et l’avancée du front pionnier en Amazonie. Les projets de colonisation encadrées par l’INCRA ou par des réseaux privés, couplés aux mouvements d’occupation spontanés, continuent de marquer profondément le mode de développement amazonien, fondé sur l’occupation pionnière à partir du maillage routier (cultures annuelles puis pâturages pour l’élevage bovin, ou soja). Le modèle tend à s’étendre aux nouveaux couloirs de peuplement vers le centre du massif forestier, dans l’état d’Amazonas principalement, à partir de Manaus et Santarém (ibid.). Finalement, le postulat dominant reste le même que dans les années 1970, à savoir que le développement passe inévitablement par l’ « occupation de l’Amazonie », c’est à dire par l’augmentation de la densité démographique, au moyen de migrations interrégionales (Moura et Moreira, op. cit.). Au sein du même gouvernement, il existe une autre ligne de développement pour l’Amazonie. Visant la préservation des écosystèmes forestiers, elle

24 D’après Léna (2004 : 149), le modèle socio-environnemental brésilien, construit par diverses ONG et basé sur la mobilisation de la société civile, « est voué aux revendications des exclus (ou menacés d’exclusion) du modèle développementiste. Les deux mouvements se confrontent sur les scènes locales, régionales et nationales, grâce au jeu des luttes et négociations politiques. Une partie de ces exclus habite des régions encore peu atteintes par le modèle développementiste […] et leurs formes d’exploitation des ressources naturelles est de faible impact, en raison de la faible densité démographique et du manque d’intégration au marché. ». Traduit de « o modelo socioambiental volta-se para reinvidicações dos excluídos (ou ameaçados de

exclusão) do modelo denvolvimentista , ambos se enfrentendo nas esferas local, regional e nacional, por meio de lutas políticas e negociações. Parte desses excluídos habita áreas ainda pouco atingidas pelo modelo denvolvimentista (populações indígenas, riberinhos, extrativistas) e explora recursos naturais com impactos reduzidos devido à baixa densidade demográfica e à falta de integração ao mercado. » (loc. cit.).

25 La Terre Indigène, appelée également réserve indigène dans ce texte, désigne un espace où l’Union fédérale brésilienne concède un droit d’usufruit permanent aux populations amérindiennes qui y habitent, tout en y gardant le droit de propriété. Pour plus de détail, voir annexe 6.

est menée par le ministère de l’environnement (MMA) et financée, entre autre, par le PPG7 (Mello, 2002).

Ainsi, les différents organes du gouvernement brésilien impliqués dans la gestion du territoire amazonien, financés et guidés par des organismes et des entreprises internationales, présentent des perceptions différentes du développement qui aboutissent à des zonages contradictoires, où se juxtaposent des routes, des aires protégées, des grands projets d’infrastructure, des cultures de soja en expansion, des projets de colonisation, des villes en croissance etc. (Mello et Théry, 2003). Cette confrontation entre les acteurs préoccupés par la conservation de la biodiversité forestière et ceux intéressés par l’expansion de la frontière économique ne se fait pas de façon homogène dans l’espace : elle dépend des conditions écologiques, socioéconomiques, politiques et d’accessibilité régionale, et génère des espaces-temps qui déterminent une nouvelle sous-régionalisation (Becker, 2001), ou une fragmentation du massif forestier amazonien (Droulers, op.cit.). Dans les zones à l’écart des front pionniers, des parcelles de territoire gérés collectivement par des populations locales sont destinées au « développement durable », grâce à la valorisation des activités productives basées sur des formes « traditionnelles » d’exploitation des ressources naturelles, ainsi que des savoirs locaux accumulés26. Ces espaces se trouvent parfois juxtaposés (ou superposées !) aux aires de

conservation « classiques » qui renvoient au mode de protection intégrale (excluant les populations locales) ; ou aux zones de front pionnier (Leitão, 2004).

La figure 4 montre que les parties nord et occidentale de l’Amazonie restent à l’écart des réseaux routiers, des projets de colonisation et d’infrastructures. Les voies fluviales demeurant le réseau de transport prédominant, on regroupe souvent ces régions par l’appellation d’ « Amazonie des fleuves », peuplée principalement de populations caboclas et amérindiennes (Théry, 2000). La densité de population est globalement faible et le réseau urbain est peu dense. Ces régions font plus l’objet de projets de conservation ou de développement durable, et sont qualifiés par Pinton et Aubertin (2005) d’« espaces de repli », en marge des axes de transport et répondant à des logiques de gestion extra-régionale (Droulers, op.cit.). La mise en place de modes de développement alternatifs dans ces espaces dépend de la capacité des gestionnaires locaux à s’assurer des appuis politiques et financiers à l’échelle nationale et internationale (Ricardo, 2002).

26 La conquête des droits territoriaux et du respect des différences culturelles des populations traditionnelles s’appuie sur un cadre juridique international et national. Il s’agit, en premier lieu, de l’article 8j de la Convention de la Diversité Biologique, dont le Brésil est signataire. L’article fait référence au respect, à la préservation et au maintien des connaissances, innovations et pratiques des communautés indigènes et locales incarnant les modes de vie traditionnels adaptés à la conservation et au développement durable de la biodiversité. Cet article encourage le partage équitable des avantages tirés de l’utilisation de connaissances et pratiques locales (voir www.biodiv.org).

3. L’extrême Nord-ouest amazonien : aires conservation, Terres Indigènes, et