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CHAPITRE 2 : COMPRENDRE LES DYNAMIQUES AGRICOLES DES REGIONS

B. Une méthode centrée sur la collecte de données de terrain

2. Une démarche par étape

Le protocole consiste à aborder les questions posées grâce à une succession d’étapes allant du général au particulier, pour replacer ensuite les résultats obtenus dans un contexte plus global.

a) L’analyse régionale : délimitation de zones agricoles homogènes et étude des territorialités

Cette première étape vise à délimiter des zones agro-écologiques relativement homogènes du point de vue des formes d’exploitation des ressources naturelles. En raison des difficultés à pénétrer la forêt et à parcourir les environs de la ville (cf. point C. 2), j’ai combiné les méthodes de lecture de paysage et de cartographie par télédétection pour délimiter et étudier la zone d’étude. Tout d’abord, dans un rayon d’environ 25 Km autour du centre urbain, je me suis rendue dans quelques unités de production agricoles en prenant des points GPS, afin de repérer mes trajets et de comparer mes observations de terrain avec les résultats de l’interprétation d’images de satellite Landsat et Ikonos46..

La proportion de terres couvertes de friches donnait déjà une indication sur l’artificialisation de l’agroécosystème dans certaines zones. Fondée sur les connaissances des informateurs amérindiens, la méthode de cartographie « participative » ou « ethno cartographie »47, a permis de compléter ces données grâce à la classification et la

localisation sur les images satellitaires des différentes formations végétales et des formes

46 Images fournies et traitées par le laboratoire de cartographie de l’ISA. Ils s’agit des images Orbite/Point- 002/060 du 18/08/99 et Orbite/Point-003/060 du 24/04/01, dont les caractéristiques sont les suivantes : Landsat-7- TM +, Bandes 5,4,3 e 8 (résolution 15 m). Image Ikonos : mosaïque d’images satellite Ikonos (mai- sept 2002). La projection des points pris par le GPS Garmin 12XL a été la suivante : UTM/ South American 1969 Sad 69- Brazil South, zone 19. L’image Landsat -7 de 2004 a été fournie par l’UMR Territoires et Mondialisation (IRD). Les cartes ont été réalisées avec le logiciel Arcview 3.0.

47 Séminaire de macrozonage des Terres Indigènes du Rio Negro organisé par la FOIRN/ISA en mars 2002 avec des informateurs amérindiens, grâce à l’interprétation d’images satellitaires afin de délimiter des polygones correspondant aux unités de paysage de la région. Pour plus d’information à propos de l’ethnocartographie, voir Chapin et Threlkeld (2001) et Robert et Lacques (2003), notamment.

d’exploitation des ressources naturelles (forêts denses, abattis, pâturages, recrus forestiers jeunes, et intermédiaires). Ce travail de télédétection a produit progressivement un fond cartographique (routes, rivières, quartiers) muni d’une base de données géoréférencée (lieux d’habitation, unités foncières, etc.), gérant différentes cartes thématiques.

La collecte de données visant l’analyse du système foncier48 aux alentours de la

ville a consisté à demander aux agriculteurs des informations sur le mode d’appropriation49 des ressources (type de droit exercé, dimensions de la zone utilisée,

type de titre foncier, le cas échéant) ainsi que de relever des points GPS aux limites des unités de gestion foncière en question. J’ai ensuite projeté ces données sur les images satellitaires pour produire des cartes.

De ces deux types d’analyses, j’ai tiré des critères utiles pour la délimitation de la

zone d’étude, compte tenu des objectifs de la recherche. J’ai essayé de couvrir une

zone assez large autour de la ville pour prendre en compte les différentes modes d’exploitation et les disparités de potentialités du milieu. J’ai ainsi délimité une zone qui comprend des territoires villageois et des exploitations individuelles diversifiées : unités de production riveraines à main d’œuvre familiale, propriétés individuelles riveraine avec employés, grandes exploitations d’élevage de bord de route, lots de la colonie agricole etc. Par ailleurs, compte tenu des limitations en terme de transport et de temps (cf. point C. 2.), j’ai établi les limites suivantes : de l’amont vers l’aval, la zone d’étude s’étend de

l’Ilha das flores jusqu’à l’embouchure de la rivière Curicuriari (1 550 km2 - 70 Km de

fleuve). Au nord, elle va jusqu’aux environs du vingtième kilomètre de la route de Cucuí afin d’inclure une grande partie des exploitations d’élevage détenues par les habitants de la ville. Elle englobe également les rives du fleuve Rio Negro, y compris certaines rivières dont les berges sont partiellement défrichées (rivière Akatunu notamment). Hormis le centre urbain, il s’agit d’espaces gérés par deux associations amérindiennes : l’Acipk (Association des Communautés Indigènes Putira Kamu), en amont, et l’Acibrn (Association des Communautés Indigènes do Bas Rio Negro) en aval. Enfin, seule la partie sud de la zone d’étude (rive droite) est incluse à la Terre Indigène du Moyen Rio Negro I (cf. chapitres 4 et 5).

b) Approche historique de la formation du territoire

La lecture de paysage et l’étude du système foncier permettent de poser des hypothèses sur les différences entre les zones agro-écologiques, qui sont confirmées, nuancées ou démenties grâce aux données historiques. L’approche historique vise à identifier les éléments qui ont le plus contribué aux transformations récentes du territoire et à la localisation actuelle des différents modes d’exploitation des ressources (Dufumier, 1996a). Mise en rapport avec l’histoire politique régionale, l’histoire de l’occupation de la

48 Par « système foncier » ou « régime foncier », j’entends l’ensemble de règles d’accès, d’exploitation et de contrôle s’exerçant sur les terres et les ressources renouvelables ainsi que la localisation et l’agencement des unités de gestion foncière (Lavigne-Delville, 2003). D’après Bonte et Izard (2002) le régime foncier ne ressort pas de l’institution juridique légale, mais de règles coutumières bien antérieures à la constitution de celles-ci. 49 Cf. lexique

région (le peuplement d’origine, l’arrivée successive des différents groupes sociaux, leur origine, leur mode d’installation) aide à « identifier les groupes ou familles qui détiennent (ou détenaient historiquement) un contrôle sur certaines portions de l’espace, et les rapports entre ces groupes » Lavigne-Delville (2003 : 207). Les enquêtes historiques visent également à comprendre comment les habitants ont modifié leurs pratiques en fonction des conditions de production à chaque époque (moyens et rapports sociaux de production et d’échange, marché du travail, des produits agricoles et de cueillette).

J’ai collecté ces données historiques grâce à des entretiens informels ainsi que des enquêtes ciblées (histoires de vie) auprès d’informateurs choisis pour leur connaissance et/ou leur rôle caractéristique dans l’histoire régionale (anciens habitants de la ville, doyens de villages). Complétant la bibliographie, ces enquêtes ont permis d’expliquer peu à peu la configuration actuelle du système agraire périurbain et les types de mobilité des populations locales.

c) Analyse des types actuels de mobilité et d’organisation spatio-temporelle des espaces de vie familiaux

Cette étape vise à identifier les modes d’occupation actuels de l’espace périurbain et à les mettre en relation avec les modes de subsistance des familles considérées. Pour caractériser les logiques des pratiques familiales, il a fallu identifier les unités d’observations pertinentes. En s’inspirant de la bibliographie, on pouvait retenir plusieurs hypothèses en ce qui concerne les critères de différentiation de ces groupes : solidarité et échanges mutuels (Granchamp Florentino, op. cit.), partage de la force de travail (Albaladejo, 2003), unité de consommation, unité de production agricole, unité de résidence, unité d’accumulation, (Gastellu, 1997) ou relations de dépendance personnelle (Araujo, op. cit.).

Encadré N°4 : Définitions adoptées pour différentier les unités d’observation

Unité/Groupe domestique : Ensemble des individus qui vivent et consomment

en commun. Ce terme est assimilable à celui de ménage (Quesnel et Vimard, op. cit.). D’après Gastellu et Dubois (1997), le groupe domestique se caractérise aussi par une stratégie collective qui surpasse les objectifs individuels.

Unité de consommation : Groupe de personnes dont la consommation

alimentaire est réalisée par un prélèvement dans le même stock de produits (Quesnel et Vimard, op. cit.).

Unité de production ou d’exploitation : Ensemble des individus qui

s’organisent pour produire en commun de manière permanente (Quesnel et Vimard, op.

cit.). En m’inspirant de Ferraton, Cochet et al. (op. cit. : 104), je désignerai comme unité

de production un ensemble de lieux et le groupe de personnes qui présentent :

-Une communauté de production : les membres gèrent les ressources naturelles et la main d’œuvre disponible selon une organisation collective, qui peut s’appliquer à plusieurs sites de production.

-Une communauté de résidence (ou maisonnée) et de consommation : le groupe partage une ou plusieurs habitations en commun, et la production est consommée ensemble.

-Une communauté d’accumulation : le groupe met en commun le surplus obtenu après consommation des produits alimentaires ainsi que les éventuels revenus monétaires.

Ainsi le groupe domestique se superpose à l’unité de consommation, et peut se confondre avec l’unité de production, soit totalement si tous les membres exercent leurs activités sur la même exploitation, soit partiellement si les membres du groupe pratiquent des activités à l’extérieur (Quesnel et Vimard, op. cit.).

Unité familiale=famille : Ensemble des membres liés par le sang, le mariage ou

l’adoption (Ibid.).

D’après Vimard et N'cho (1997), avec l’urbanisation en Côte d’Ivoire, la famille nucléaire est la base des activités de subsistance, mais elle s’articule avec des unités collectives plus larges, au sein desquelles se maintiennent ou se réactivent des solidarités, se développent des nouvelles structures de résidence et émergent de nouvelles formes parentales.

En raison du difficile accès aux zones forestières des environs de São Gabriel, j’ai tout d’abord pris contact avec des groupes familiaux en me rendant à leurs habitations (en ville, village ou hameau), et non pas sur l’exploitation agricole, si bien que l’unité minimale d’observation a été tout d’abord la famille nucléaire et son unité de résidence. J’ai ensuite établi différents regroupements, à partir de l’étude de la gestion des stocks alimentaires, de l’épargne et de la main d’œuvre familiale, afin de définir les unités fonctionnelles de base dans la région. Ainsi, j’ai cherché à déterminer, dans chaque cas, si la configuration multilocale des espaces de vie concernait un ou plusieurs groupes domestiques et si il y avait correspondance entre le groupe domestique et l’unité de production (cf. chapitre 5).

Pour chaque famille rencontrée au cours des voyages de terrain (cf. partie C. 2), une première série de questions visait à cerner l’origine des membres du groupe domestique, leurs relations avec la ville (résidence, emploi) et leurs différentes sources de revenus (cf. questionnaire n°1 en annexe 2). Grâce à la description des trajectoires familiales de migration (itinéraires et motifs de migration, succession d’activités, modes d’accès à la terre etc.), ce premier questionnaire a permis de déceler des pratiques de combinaison des espaces forestiers et urbains. La caractérisation des réseaux de circulation des ressources entre ville et espace forestier a servi à préciser quelles sont les dimensions sociales (individu, groupe domestique, villages, ethnies, …), les bases (alliance, parenté, intérêts économiques…) et la nature des échanges qui sont pratiqués à d’autres échelles que le groupe domestique.

Pour étudier spatialement les formes d’occupation et de mobilité dans la zone d’étude, j’ai constitué peu à peu une base de données géoréférencée portant sur les lieux

habités. J’ai choisi de compiler les données du recensement réalisé par la Foirn en 1996, les données du recensement DISEI/FOIRN pour 2003-2004 ainsi que mes relevés de terrain (2003-2004), pour retracer l’évolution de la population de la région, grâce à différents critères : nom du lieu, temps d’occupation, nombre d’habitants, ethnie(s) principale(s), type de résidence en ville (existence, propriétaire, rythme et durée de fréquentation).

Pour éviter les biais, relativiser et comparer les résultats avec les autres sources de données démographiques, j’ai adopté certaines normes :

• Lieu habité : lieu où se trouve une construction (résidence) dans laquelle les membres du groupe domestique ont l’habitude de passer plusieurs jours d’affilée. J’exclus donc dans cette étude le cas des abris destinés à la fabrication de farine (casa de

forno)50 dans lesquels les producteurs passent juste une ou deux nuits consécutives.

• Nombre d’habitants au sein du lieu habité : population « permanente », c'est-à- dire le nombre d’individus qui passe la majeure partie de son temps sur ce lieu, même si le groupe domestique possède ou jouit d’une maison en ville.

• Durée d’occupation : nombre d’années écoulées depuis que la majeure partie des occupants actuels du lieu est installée et/ou fait des abattis à cet endroit. La durée est comptée jusqu’à 2003.

• Origine des familles : région où la majorité des groupes domestiques du site a immédiatement résidé avant d’occuper le site actuel.

Les lieux habités se répartissent en deux catégories. Les villages (comunidades) et les hameaux (sítios). Je définis le village comme un lieu regroupant plusieurs unités domestiques et disposant d’une école, d’un agent de santé et d’un lieu de culte (catholique ou protestant). Dans un premier temps, je définis les sítios comme des habitations isolées du centre du village, regroupant une à deux familles nucléaires, qui utilisent éventuellement l’école et les services sanitaires et religieux de la communauté voisine. On dit dans ce cas qu’un sítio « appartient » à un village. Le terme sítio recouvre aussi une dimension spatiale, puisque la notion intègre les parcelles cultivées des habitants et les jardins vergers attenants aux maisons.

d) Catégories de familles d’agriculteur et caractérisation agro économique des systèmes de production

L’approche géo-historique, en relation avec l’étude de la configuration des espaces de vie et des trajectoires de migration familiales, a permis de retenir les critères les plus pertinents pour élaborer une pré-typologie des systèmes de production et des familles d’agriculteurs, en considérant également leurs activités non agricoles. Cette première classification a servi à sélectionner de manière raisonnée les familles dont le mode de subsistance allait être analysé dans le détail. Cet échantillonnage est raisonné pour être représentatif, c'est-à-dire pour englober la plus grande diversité de situations possibles, en fonction du temps disponible (Dufumier, op. cit.; Ferraton, Cochet et al., op. cit.). L’analyse numérique de la diversité a été impossible à réaliser, vu le manque de données

détaillées sur l’agriculture dans la région (pas de recensement agricole détaillé et fiable dans la région de São Gabriel).

Pour caractériser les systèmes de production, on procède à l’étude de l’histoire de l’unité de production ainsi qu’à l’inventaire de la force de travail et des moyens de production disponibles. Ensuite il faut décrire le fonctionnement de chaque sous-système de culture, d’élevage et première transformation, ainsi que leurs combinaisons dans le temps et dans l’espace (cf. questionnaire n°2 en annexe 2). Les données obtenues par les enquêtes et l’observation participative débouchent sur l’évaluation quantitative des produits obtenus, ce qui permet de comparer les résultats économiques des systèmes entre eux (cf. annexe 3).

A l’échelle des groupes domestiques, il était également important d’analyser quantitativement la complémentarité des produits et des ressources51 issues de l’espace

urbain et forestier, afin de comprendre pourquoi certains groupes familiaux ont intérêt à se spécialiser ou à miser sur la diversification.

Pour compléter ces données, j’ai mené des entretiens auprès des responsables agricoles locaux (agents de développement, responsables politiques, techniciens agricoles etc.) afin de caractériser les sphères locales et régionales de décision concernant le développement agricole. J’ai également réalisé des enquêtes auprès de quinze établissements de commerce répartis dans les différents quartiers de la ville52 (cf.

questionnaire n°3 en annexe 2). Ces enquêtes m’ont permis de discriminer certaines catégories de commerçants, selon le fonctionnement de leur établissement, des filières de commercialisation de certains produits et de leurs rapports avec les producteurs. e) Synthèse

A partir de cette étude de cas, j’ai cherché à récapituler les types d’innovations des agriculteurs amérindiens en fonction des contraintes et des opportunités propres au milieu (péri)urbain auxquels ils sont confrontés. Cette généralisation a été possible grâce à la recherche bibliographique et des enquêtes auprès de différents acteurs du développement local et régional. L’investissement personnel dans certains projets de l’ISA et de la Foirn m’a aidé à élaborer une réflexion sur les formes de développement proposées et envisageables dans la région.

51 Ensemble constitué par les revenus monétaires, ainsi que les ressources naturelles disponibles (forêt cultivable, eau, bois de cuisson etc.).

52Trois au centre, deux à la plage, trois au Graciliano Gonçalves, un à Boa Esperança, trois au Dabaru et trois au Areal.