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CHAPITRE 2 : COMPRENDRE LES DYNAMIQUES AGRICOLES DES REGIONS

C. Le déroulement de la recherche

1. La question des autorisations

Au Brésil, la réalisation de travaux de recherche scientifique en Terre Indigène est soumise à une autorisation écrite de la Funai, pour laquelle le consentement préalable des communautés amérindiennes concernées est indispensable. Dès les premiers jours à São Gabriel, grâce à l’intermédiaire des anthropologues de l’ISA, j’ai été immédiatement mise en contact avec la Foirn, qui a accueilli de manière positive ma proposition de recherche. Bien que São Gabriel soit situé en dehors de la Terre Indigène, je devais me rendre dans des localités situées sur la rive droite du fleuve pour faire le diagnostic. En 2002, le processus administratif pour obtenir l’autorisation de la Funai de Brasilia était compliqué et pouvait demander des délais supérieurs à un an. Compte tenu de la proximité de ces localités avec la ville et de la brièveté des séjours envisagés dans la Terre Indigène, j’ai choisi de demander une autorisation à la Funai locale (São Gabriel) par l’intermédiaire de la Foirn.

Crée en 2001 par le gouvernement fédéral brésilien (Ministère de l’Environnement), le Conseil de Gestion du Patrimoine Génétique (Cgen) a pour mission de coordonner l’implantation de politiques visant la gestion du patrimoine génétique et de réglementer les conditions d’accès à ce patrimoine et aux connaissances traditionnelles associées53 (Santilli, 2002 ; Belas, 2004). Cependant, la réglementation

concernant les recherches scientifiques impliquant l’accès à ces connaissances traditionnelles engage une procédure qui n’est rodée que depuis 2003. Ayant commencé le travail de terrain en 2002 et n’ayant pas prévu d’accéder au patrimoine génétique54, je

n’ai pas demandé d’autorisation spécifique pour la recherche.

Cependant, la multiplication des problèmes et polémiques causés actuellement au Brésil par le manque de contrôle sur l’accès aux connaissances traditionnelles portant sur les ressources phytogénétiques, à des fins de recherche scientifique ou de bioprospection, imposait de prendre certaines précautions, d’autant plus qu’il s’agissait d’enquêter en partie en Terre Indigène. J’ai donc choisi de recueillir uniquement les informations strictement nécessaires à l’analyse agro-économique des systèmes de production, en évitant celles portant sur les propriétés et les utilisations des plantes qui pourraient faire l’objet d’une exploitation économique. Parfois, les agricultrices m’ont livré spontanément ce type d’informations mais j’ai choisi de ne rien publier à ce sujet. D’autre part, j’ai cherché, à chaque étape de la recherche, à obtenir le consentement des responsables locaux et des groupes amérindiens concernés par l’étude. A plusieurs

53 D’après la MP 2186-16, du 23 août 2001, la définition de connaissance traditionnelle associée est l’ « information ou pratique individuelle ou collective de communauté amérindienne ou locale, associée au patrimoine génétique, dont la valeur est réelle ou potentielle » (art.7º, II). Traduction de « O conhecimento tradicional associado é a informação ou prática individual ou coletiva de comunidade indígena ou de comunidade local, com valor real ou potencial, associada ao patrimônio genético».

54 L’accès au patrimoine génétique désigne “l’obtention d’un échantillon d’une partie du patrimoine génétique pour des activités de recherche scientifique, développement technologique ou bioprospection, ayant pour finalité une application industrielle ou d’autre nature” (art.7º, IV). Traduction de « obtenção de amostra de

componente do patrimônio genético para fins de pesquisa científica, desenvolvimento tecnológico ou bioprospecção, visando sua aplicação industrial ou de outra natureza ».

reprises, j’ai expliqué les objectifs de ce travail auprès des organisations concernées (Foirn, Acipk, Acibrn) qui m’ont toujours manifesté (oralement) leur approbation. Avant de commencer les enquêtes dans les villages, je me suis rendue dans les localités, souvent accompagné d’un leader de l’association amérindienne correspondante. Cette première visite servait à organiser une réunion dans le centre communautaire pour informer et discuter des modalités et des applications de la recherche. Il est arrivé que le représentant du village traduise mes explications dans la langue amérindienne du groupe, afin que les habitants discutent entre eux et que le capitão me réponde en portugais. En ce qui concerne les familles résidant en ville, non représentées par une organisation amérindienne, les visites répétées à leur domicile avant de se rendre sur leur unité de production étaient l’occasion de discuter des objectifs et des formes d’application et de divulgation des résultats de cette recherche (cf. point C. 3).

2. Les différentes périodes de terrain et les conditions de travail

Ma première mission à São Gabriel a duré de février à août 2002. Accueillie

comme stagiaire de l’ISA, j’avais cinq mois pour réaliser une analyse-diagnostic du système agraire de la région et rédiger mon rapport de D.E.A. Aux alentours de São Gabriel, les possibilités de circulation sont assez limitées (deux routes, navigation dangereuse). L’accès aux différentes parties de la zone périurbaine était d’autant plus difficile que je ne disposais pas de voiture, ni de bateau à moteur. Compte tenu de ces contraintes, je me suis focalisée dans un premier temps sur les agriculteurs que je pouvais rencontrer dans les différents quartiers de la ville et aux abords de la route qui relie São Gabriel au port de Camanaus. Ensuite, j’ai emprunté les mêmes moyens de transports que mes informateurs (pirogue, pied, vélo, bus). Un travail de lecture de paysage, d’étude géo-historique de la formation du territoire et de cartographie était préalable avant l’étude approfondie des systèmes de production pratiqués dans la région. J’ai pour cela contacté des anciens habitants de la ville pour collecter des récits historiques et leurs histoires de vie, souvent avec observation du paysage à l’appui.

Ensuite, j’ai contacté des familles en choisissant leur domicile selon un critère de répartition homogène dans l’espace urbain et périurbain proche (premier échantillonnage). Des enquêtes rapides auprès de familles, dont les domiciles étaient choisis au hasard, ont permis de distinguer différentes formes de subsistance et de former un petit groupe d’agriculteurs disposés à m’emmener avec eux sur leur unité de production. J’ai remarqué que chaque quartier (ou groupe de quartiers) représentait, peu ou prou, une époque d’installation en ville. Peu à peu, et après quelques visites dans les unités de production, j’ai déterminé les facteurs à retenir pour un deuxième échantillonnage raisonné (ancienneté en ville, ethnie, localisation de(s) unité(s) de production, production principale).

Afin d’analyser les systèmes de production pratiqués dans la région, j’ai accompagné les chefs de familles choisies sur l’exploitation agricole. Ces visites s’étendaient sur deux à trois jours si le site de production était lointain. Durant ces visites, la participation aux travaux agricole et à la préparation des aliments, ainsi que

des conversations informelles furent d’étayer les données recueillies pendant les enquêtes.

La prise de points GPS a permis de commencer le travail de cartographie par télédétection (dessin des rivières et des routes, des formations forestière, localisation des abattis et des sites d’habitation etc.).

Certains informateurs se sont révélés représentatifs d’une catégorie de producteur. L’étude technique et économique de leurs systèmes de culture et d’élevage a été possible à l’occasion d’une deuxième visite, en s’aidant du questionnaire n° 2 (cf. annexe 2) élaboré au fur et à mesure de la recherche.

A la fin de cette première période de terrain, j’ai présenté les résultats du travail aux agriculteurs, à l’occasion d’une réunion au siège de la Foirn et en présence du secrétaire municipal de développement agricole.

Le deuxième séjour à São Gabriel (mars-juillet 2003) m’a permis de compléter

les enquêtes et observations réalisées en 2002, notamment dans les villages situés aux alentours de la ville. J’ai choisi les villages et les hameaux en fonction de leur répartition dans l’espace, leur ethnie et de la réception des habitants. La prise de points GPS a permis de compléter la cartographie des modes d’exploitation des ressources, des formations végétales et des régimes de propriété dans la zone d’étude. J’ai pu alors définir ses limites (cf. point B. 3. a). Dans certaines zones, j’ai effectué des trajets de reconnaissance en pirogue avec un habitant ancien de la région afin de compléter les données sur les unités foncière, les toponymes et la localisation des sites de production, ainsi que l’histoire locale.

J’ai sélectionné à nouveau certains agriculteurs grâce à un deuxième échantillonnage raisonné, fondé également sur l’ancienneté en ville, l’ethnie, la localisation de(s) unité(s) de production et la production principale. J’ai alors étudié leur systèmes de production des familles choisies, au cours de la participation aux travaux de l’abattis (tableau 1).

L’étude des réseaux d’échange que les villageois entretiennent en ville a permis de repenser la typologie de producteurs établie en 2002. Plus particulièrement, l’étude de la destination des surplus agricoles et de pêche, les formes d’acquisition des marchandises et équipements, ainsi que les modalités de redistribution des revenus non agricoles (salaires, pension de retraites) ont mis en évidence la complémentarité entre les ressources du village et de la ville. Cette analyse a permis également de mettre en relation les différents rapports sociaux de production et les modes tenure foncière existants. Par ailleurs, en repérant les liens de solidarité entre différents groupes domestiques, et en enquêtant auprès des parents des chefs de familles déjà enquêtés, j’ai appréhendé de manière plus globale les espaces productifs et résidentiels, à l’échelle des familles élargies.

Mission Période de terrain Nombre d’agriculteurs contactés (1er échantillonnage raisonné) Nombre d’agriculteurs accompagnés sur l'unité

de production (2eme échantillonnage raisonné) Nombre d’enquêtes complètes (quantification de la production et des revenus totaux) 2002 Février-août 2002 72 42 26 2003 Mars-juillet 2003 100 50 25 2003-2004 Novembre 2003-mai 2004 38 33 24 Total 210 125 75

Tableau 1 : Les étapes du travail de terrain

Enfin, durant la troisième mission (Novembre 2003-mai 2004), j’ai enquêté des agriculteurs habitant dans des parties encore inconnues de la zone d’étude et/ou faisant partie des familles élargies de groupes domestiques déjà connus. Toujours en fonction des mêmes critères de sélection et de la réception des familles, j’ai accompagné sur le site de production une partie de ces agriculteurs. D’autres agriculteurs furent accompagnées pour la deuxième ou troisième fois dans les abattis pour voir l’évolution de leur site de production et compléter certaines informations manquantes.

En dehors des périodes de terrain, mon travail s’est porté principalement sur

la rédaction, la recherche bibliographique et la cartographie, en France (laboratoire du Credal et autres bibliothèques) et au Brésil (Instituto Socioambiental, Inpa et autres bibliothèques). J’ai cherché à présenter le plus souvent possible mes résultats à mon comité de thèse, ainsi qu’à d’autres chercheurs français et brésiliens (agronomes, géographes, sociologues et anthropologues), au cours de conversation personnelles ou de séminaires.

3. Initiatives de recherche-action

Au cours de la recherche, j’ai essayé de cerner de quelle manière je pouvais me rendre utile aux agriculteurs de la région de São Gabriel. Ils (elles) ont souvent réclamé le manque d’appui à l’agriculture locale, et notamment des conditions défavorables de commercialisation de leurs produits et le manque de moyens de transport pour se rendre sur certains lieux de production. Ils désiraient acquérir des équipements agricoles, le plus souvent pour faciliter la transformation du manioc. Plus rarement, les demandes concernaient la mise aux point de solutions techniques visant à répondre à des problèmes de sécurité alimentaire et de manque de revenus : infrastructure et techniques de pisciculture et d’élevage avicole, production de ration animale etc. J’ai donc cherché à informer les agriculteurs des différents types de projets et des formes de financement qui pourraient les intéresser. J’ai participé ou organisé des occasions de rencontre et d’échange d’expériences entre les agriculteurs, ainsi qu’à des réunions entre producteurs et acteurs du développement local :

Juillet 2002 : Organisation d’une réunion sur l’agriculture périurbaine au siège de la Foirn avec une trentaine d’agriculteurs locaux et le secrétaire municipal du développement agricole. Restitution des résultats de la recherche (mission 2002) et débat sur l’agriculture locale.

Février 2003 : Organisation d’une réunion au Conseil Municipal réunissant les agriculteurs de la région (divulgation par radio) et les responsables de la mairie au sujet de l’implantation d’un marché libre de produits agricoles.

Avril, juin 2003 : Participation aux réunions du Conseil Municipal du Développement Rural portant sur le Pronaf.

Mars 2004 : Organisation d’une semaine de formation et d’échange sur les méthodes de gestion agro forestière avec des agriculteurs amérindiens de la région, des agronomes de l’état de l’Acre (projet Arboreto) et des élèves de l’Ecole Agrotechnique Fédérale.

Mars 2005 : Animation d’une discussion sur l’évolution des formes de production agricole et de gestion de l’agrobiodiversité, par une dynamique de groupes de travail par région, durant la V° Rencontre des femmes amérindiennes du Rio Negro, au siège de la Foirn.

CHAPITRE 3.LE HAUT RIO NEGRO : TRANSFORMATIONS