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L’opinion fausse dans le Théétète

LA SENSATION PRIVEE DE LA FAUSSETE ET L’OPINION FAUSSE DANS LE THEETETE

B. L’opinion fausse dans le Théétète

Après avoir réfuté la sensation dite « infaillible » comme définition de la science, Théétète repose une deuxième thèse sous la conduite de Socrate et propose de définir la science par l’opinion vraie (Théét. 187b). A la différence de la discussion sur la sensation considérée comme infaillible, l’opinion est admise avoir deux formes, l’opinion vraie et l’opinion fausse, depuis le début. Si on admet que l’opinion peut être vraie ou fausse, alors, afin de définir la science comme l’opinion vraie, il faut pouvoir distinguer l’opinion vraie de l’opinion fausse, et pouvoir donc démontrer l’existence et la condition de l’opinion fausse. L’argumentation

83 Théétète, 159e7-160a3, traduction Narcy : « Οὔκουν ἐγώ τε οὐδὲν ἄλλο ποτὲ γενήσομαι

οὕτως αἰσθανόμενος· τοῦ γὰρ ἄλλου ἄλλη αἴσθησις, καὶ ἀλλοῖον καὶ ἄλλον ποιεῖ τὸν αἰσθανόμενον· οὔτ’ ἐκεῖνο τὸ ποιοῦν ἐμὲ μήποτ’ ἄλλῳ συνελθὸν ταὐτὸν γεννῆσαν τοιοῦτον γένηται· ἀπὸ γὰρ ἄλλου ἄλλο γεννῆσαν ἀλλοῖον γενήσεται. »

concernant la deuxième thèse de Théétète consiste à démontrer la possibilité de l’opinion fausse, car cette deuxième thèse se fonde sur la condition sous laquelle l’opinion fausse existe et seule l’opinion vraie est la science ; si le fondement de la validité de la thèse n’existe pas, c’est-à-dire s’il est impossible de démontrer l’existence de l’opinion fausse, alors la thèse ne peut pas être valide. Socrate propose cinq arguments essayant de démontrer l’opinion fausse, mais tous les cinq mènent soit à une impasse, soit à une contradiction, et l’opinion fausse est donc impossible selon ces arguments.

a. L’argument du savoir et du non savoir

Le premier argument sur l’opinion fausse part de ce qu’on appelle ci- dessous le principe du savoir et du non-savoir lorsque Socrate affirme :

En toutes choses et dans chaque cas particulier : ou bien savoir, ou bien ne pas savoir84. (Théét. 188a1-2)

Socrate ici élimine tout intermédiaire entre le savoir et le non-savoir, même s’il mentionne l’apprentissage et l’oubli comme un état intermédiaire entre le savoir et le non-savoir. Si le fait d’avoir une opinion implique qu’on saisit ce pour quoi on a l’opinion, et si l’on ne peut que saisir totalement ou nullement un objet, alors une opinion fausse dans ce cas-là consiste à saisir un objet et à croire que cet objet est un autre. Or, étant donné que la connaissance est soit totale soit nulle sans aucun intermédiaire, alors il est impossible d’avoir une opinion fausse. Car avoir une opinion fausse, c’est savoir et ne pas savoir la même chose en même temps, comme Socrate le dit :

84 Théétète, 188a1-2, traduction Narcy : « περὶ πάντα καὶ καθ' ἕκαστον, ἤτοι εἰδέναι ἢ μὴ

Donc, celui qui a les opinions fausses, est-ce qu’il croit que telles choses, qu’il sait, ne sont pas ces choses-là justement mais telles autres, qui font partie de ce qu’il sait, et, tout en sachant les unes et les autres, les ignore-t-il au contraire les unes et les autres85 ?

(Théét. 188b3-5)

Cet argument présuppose que le fait de savoir deux choses individuellement implique la capacité de différencier les deux choses. Autrement dit, il est impossible d’avoir une opinion fausse, car le fait d’avoir une opinion sur X implique le fait d’avoir le savoir total sur X, y compris le savoir qui nous permet de différencier X de toute autre chose. Par conséquent, avoir une fausse opinion sur X implique de savoir totalement X et ce qui différencie X de tout le reste, mais de confondre X pour Y. Une opinion fausse nécessite donc de savoir (différencier) et de confondre (ne pas savoir différencier) en même temps. Comme le savoir et le non-savoir d’une seule et même chose sont ici concomitants, l’argument tombe dans la contradiction, et l’opinion fausse reste non démontrée.

La division entre le savoir et le non-savoir paraît logique selon le principe du tiers exclu. Partant de ce principe, ce dont on a l’opinion, soit on le sait, soit on ne le sait pas. Dans le cas où l’on sait vraiment, on ne croit pas qu’on ne le sait pas, il est donc impossible d’avoir une opinion fausse. En revanche, si on ne sait pas une chose, il n’est pas même possible d’y penser, et on ne peut donc rien croire que l’on ne sache pas. Avec des prémisses fondées et une inférence valide, le résultat donne pourtant une conclusion contradictoire : avoir une opinion fausse, c’est savoir et ne pas savoir la même chose en même temps. Il est donc impossible d’avoir une opinion fausse86. L’opposition entre le savoir et le non-savoir est par conséquent

85 Théétète, 188b3-5, traduction Narcy : « Ἆρ’ οὖν ὁ τὰ ψευδῆ δοξάζων, ἃ οἶδε, ταῦτα οἴεται

οὐ ταῦτα εἶναι ἀλλὰ ἕτερα ἄττα ὧν οἶδε, καὶ ἀμφότερα εἰδὼς ἀγνοεῖ αὖ ἀμφότερα ; »

86 Selon Crivelli, cette contradiction provient de l’absence de distinction entre “ négation ”

identifiée à l’opposition entre le savoir total et l’ignorance totale dans cet argument. Autrement dit, au sujet d’une chose, soit on sait tout sur elle, soit on ne sait rien du tout, donc on est incapable d’y penser, et il n’existe pas de savoir partiel.

Selon certain commentateur comme Crivelli, l’intermédiaire entre le savoir et son contraire est absent ici dans le Théétète parce que Platon ne fait de distinction entre une négation et une contradiction que dans le Sophiste. Cependant, nous pouvons remarquer, depuis la discussion dans le Cratyle, que la conséquence de l’absence de l’intermédiaire dans la question du faux est mise en œuvre à plusieurs reprises. Nous allons nous demander plus loin si Platon ignore délibérément les intermédiaires en montrant le problème insurmontable de certaines thèses, ou bien s’il s’agit d’une erreur de la part de Platon.

b. L’argument de l’être et du non-être

Le deuxième argument aborde la question de l’opinion fausse par le non- être, en guidant la fausseté d’une opinion du non-savoir du sujet connaissant vers la non-existence de l’objet de connaissance, comme le dit Socrate : « Est-ce donc que ce n’est pas par cette voie qu’il faut examiner ce que nous cherchons, en nous guidant sur savoir ou ne pas savoir, mais sur être ou non87 ? (Théét. 188c10-d1) ». Autrement dit, au lieu de prendre l’opinion fausse comme l’absence du savoir sur un objet existant, on la prend plutôt comme une opinion qui ne saisit pas ce qui est dans la réalité. Par conséquent, si on suppose qu’une opinion vraie dit ce qui est, alors l’opinion fausse, en opposition, dit ce qui n’est pas, donc le non-être. Or, il est

Account…op. cit., 2012, p. 193.

87 Théétète, 188c10-d1, traduction Narcy : Ἆρ’ οὖν οὐ ταύτῃ σκεπτέον ὃ ζητοῦμεν, κατὰ τὸ

impossible d’avoir une opinion sur ce qui n’est pas, car l’opinion est toujours une opinion sur quelque chose, comme le dit Socrate :

Il n’est pas possible d’avoir pour opinion ce qui n’est pas, ni au sujet des choses qui sont ni en soi et par soi88. (Théét. 189b1)

L’être et le non-être sont mis en contradiction comme le savoir et le non- savoir. Ce qui n’est pas est donc ce qui n’a aucun moyen d’être, donc le néant, si l’opinion fausse est une opinion qui vise au néant, donc à rien, alors le fait d’opiner sur rien est identique à ne pas opiner du tout. L’argument entre dans une impasse où il est impossible de démontrer la possibilité d’avoir une opinion sur rien, donc une opinion fausse.

L’échec de l’argument vient de la conception du non-être comme un non- être absolu qui désigne en effet le néant. Selon Narcy89 et plusieurs autres commentateurs tels que Crivelli90 et O’Brien91, l’idée d’un non-être relatif (à la place du non-être absolu) n’apparaît que dans le Sophiste où l’Etranger définit le non-être comme l’autre par rapport à ce qui est nié. Or, l’idée de l’altérité en tant que fonction de la négation se trouve déjà dans l’argument de l’allodoxia (troisième argument sur l’opinion fausse), qui explique l’opinion fausse par le fait d’avoir une opinion sur une chose à la place d’une autre. En quoi, par conséquent, l’argument du non-être comme autre dans le Sophiste est-il valide, alors que celui de l’allodoxia dans le Théétète ne l’est pas ?

88 Théétète, 189b1, traduction Narcy : « Οὐκ ἄρα οἷόν τε τὸ μὴ ὂν δοξάζειν, οὔτε περὶ τῶν

ὄντων οὔτε αὐτὸ καθ’ αὑτό. »

89Narcy, M., « Pourquoi l’erreur ? », in La mesure du savoir. Études sur le Théétète de Platon,

éd. Dimitri El Murr, Paris, Vrin, 2013, p. 105.

90Crivelli, P., Plato's Account… op. cit., p. 70.

91O’Brien, D., Le non-être deux études sur le « Sophiste » de Platon, International Plato

c. L’argument de l’allodoxia

Si la fausseté d’une opinion ne concerne ni le manque du savoir, ni la non- existence de son objet, alors elle pourrait se situer dans l’association entre le savoir et l’objet. Ainsi Socrate propose le troisième argument sur l’opinion fausse qui consiste en une opinion qui prend l’autre pour objet, donc une allodoxia :

Nous affirmons que l’opinion est fausse lorsque c’est une certaine “ allodoxia ” : quand on affirme que l’une des choses qui sont est une autre d’entre elles, parce qu’on les a permutées dans la pensée92. (Théét. 189b10-c1)

Socrate essaie de saisir l’opinion fausse par “ allodoxia ” : avoir l’opinion qui porte sur une autre chose que ce que l’on croit. Le point de départ de l’argument semble prometteur, cependant l’argument mène toujours à une impasse. Étant donné que le principe du savoir et du non-savoir, c’est-à-dire le principe de la dichotomie entre le savoir total et l’ignorance totale, applique non seulement au premier argument, mais il est placé par Socrate comme la prémisse de tout argument, alors le fait de « prendre la connaissance d’une chose pour une autre » est impossible.

Pour Socrate, si la fausseté d’une opinion consiste en la mauvaise association de l’opinion et de son objet, alors cela exige de penser à ces deux choses : le vrai objet de l’opinion, et l’objet qu’on croit que notre opinion vise. Car afin de permuter, ou de prendre une chose pour une autre, il faut que la pensée se mette en face de deux objets, et trois possibilités épuisent tout rapport possible entre la pensée et ses deux objets, comme Socrate le dit : « n’est-il pas nécessaire aussi

92 Théétète, 189b10-c1, traduction Narcy : « Ἀλλοδοξίαν τινὰ οὖσαν ψευδῆ φαμεν εἶναι

qu’elle pense, soit les deux à la fois, soit l’une des deux93 ? (Théét. 189e1) »

Selon Socrate, la pensée est comme le dialogue intérieur de l’âme avec elle- même, et pendant ce processus qu’on appelle « penser », l’âme examine l’objet de pensée en s’interrogeant (ἑαυτὴν ἐρωτῶσα), répondant (ἀποκρινομένη), affirmant (φάσκουσα) et n’affirmant pas (οὐ φάσκουσα). Et l’opinion, selon cette définition de la pensée, est donc le résultat de cette interrogation :

Car voici ce que me semble faire l’âme quand elle pense : rien d’autre que dialoguer, s’interrogeant elle-même et répondant, affirmant et niant. Et quand, ayant tranché, que ce soit avec une certaine lenteur ou en piquant droit au but, elle parle d’une seule voix, sans être partagée, nous posons que c’est là son opinion. De sorte que moi, avoir des opinions, j’appelle cela parler, et que l’opinion, je l’appelle un langage, prononcé, non pas bien sûr à l’intention d’autrui ni par la voix, mais en silence à soi-même94. (Théét. 190a1-

6)

Si l’opinion est en effet la conclusion tirée du dialogue intérieur de l’âme avec elle-même, alors une opinion fausse dans ce cas-là est donc la conclusion où l’âme affirme « le beau est laid » ou « le bœuf est cheval »95 après s’être interrogée sur ces objets.

Le fait est qu’une opinion fausse consiste à faire une mauvaise affirmation du type « le bœuf est un cheval », parce que l’argument présuppose le principe du

93 Théétète, 189e1, traduction Narcy : « Ὅταν οὖν τοῦθ’ ἡ διάνοιά του δρᾷ, οὐ καὶ ἀνάγκη

αὐτὴν ἤτοι ἀμφότερα ἢ τὸ ἕτερον διανοεῖσθαι ; »

94 Théétète, 190a1-6, traduction Narcy : « τοῦτο γάρ μοι ἰνδάλλεται διανοουμένη οὐκ ἄλλο

τι ἢ διαλέγεσθαι, αὐτὴ ἑαυτὴν ἐρωτῶσα καὶ ἀποκρινομένη, καὶ φάσκουσα καὶ οὐ φάσκουσα. ὅταν δὲ ὁρίσασα, εἴτε βραδύτερον εἴτε καὶ ὀξύτερον ἐπᾴξασα, τὸ αὐτὸ ἤδη φῇ καὶ μὴ διστάζῃ, δόξαν ταύτην τίθεμεν αὐτῆς. ὥστ’ ἔγωγε τὸ δοξάζειν λέγειν καλῶ καὶ τὴν δόξαν λόγον εἰρημένον, οὐ μέντοι πρὸς ἄλλον οὐδὲ φωνῇ, ἀλλὰ σιγῇ πρὸς αὑτόν· »

95 Théétète, 190c1-3, traduction Narcy : Mais crois-tu que quelqu’un d’autre, en bonne

santé ou pris de délire, ait osé se dire sérieusement à lui-même, en s’efforçant de s’en persuader, que nécessairement le bœuf est un cheval, ou deux, un ? « Ἄλλον δέ τινα οἴει ὑγιαίνοντα ἢ μαινόμενον τολμῆσαι σπουδῇ πρὸς ἑαυτὸν εἰπεῖν ἀναπείθοντα αὑτὸν ὡς ἀνάγκη τὸν βοῦν ἵππον εἶναι ἢ τὰ δύο ἕν ; »

savoir et du non-savoir. Si la pensée vise à quelque chose, alors c’est l’objet de la pensée qui fournit entièrement son contenu, et la formation d’une opinion consiste à affirmer le lien ce contenu de la pensée et son objet, peu importe que l’objet soit empirique ou non. Par conséquent, selon ce principe, le fait de considérer « ceci », un certain contenu présent dans la pensée implique nécessairement que l’objet qui fournit ce contenu est présent dans la pensée, et qu’ensuite l’opinion affirme le lien entre ce contenu et un objet en se disant : « ceci (par exemple un cheval) est un bœuf », comme ce « ceci » est totalement fourni par le cheval et identique au cheval, alors cette affirmation de l’opinion est identique à « le bœuf est un cheval ». Comme le dit Socrate :

Dans le cas au moins où discours et opinion portent sur l’une et l’autre chose à la fois (ἀμφότερά) et où, par l’âme, on est en contact avec les deux (ἀμφοῖν), il n’y aura personne pour dire et avoir pour opinion que l’une est l’autre96. (Théét. 190c5-8)

Comme l’âme est en contact avec les deux choses individuellement, elle peut avoir une opinion au sujet de chacune d’entre elles, mais pas une opinion dans laquelle elle identifie les deux. Autrement dit, selon Socrate, il est impossible d’avoir pour opinion une chose à la place d’une autre, parce que s’il s’agit de deux connaissances séparées sur deux choses, cela implique que l’âme est en contact avec ces deux choses individuellement. Une fois que l’âme est entrée en contact avec ces deux choses, elle est censée saisir la totalité de la connaissance sur chacune de ces deux choses selon le principe du savoir et du non savoir. Si l’âme a la totalité de la connaissance des deux choses individuellement au moment où elle se met en contact avec elles, alors elle sait les différencier, et elle sait donc que l’une n’est pas

96 Théétète, 190c5-8, traduction Narcy : « οὐδεὶς ἀμφότερά γε λέγων καὶ δοξάζων [καὶ]

l’autre. Par conséquent, l’âme ne prend pas l’une pour l’autre, et une allodoxia est impossible. En revanche, si l’âme n’est en contact qu’avec l’une des deux, elle n’aura une opinion qu’à propos d’une seule, et restera totalement ignorante de l’autre, et ne prendra donc pas l’une à la place de l’autre97.

Cet argument peut être ainsi résumé :

Prémisse 1 : à propos d’une chose, soit on sait totalement, soit on ne sait rien du tout. (Principe du savoir et du non savoir)

Prémisse 2 : Si quelque chose se présente à l’esprit, alors l’âme est en contact avec son objet.

Prémisse 3 : avoir une opinion fausse est avoir pour opinion une chose à la place de l’autre.

Inférence 1 : Avoir pour opinion A à la place de B exige que l’âme entre en contact avec A et B, à partir des prémisses 2 et 3.

Inférence 2 : Si l’âme est en contact avec A et B, alors l’âme possède un savoir total sur A et B, ce qui inclut le fait que A n’est pas B, selon les

97Selon Crivelli, dans le cas de l’opinion fausse comme allodoxia, il s’agit d’un échange au

sens de “ troquer ” : « Une opinion d’un objet est fausse, si et seulement si l’état de chose posé par l’opinion est en désaccord avec l’état de chose actuel auquel l’objet de l’opinion se rapporte. » Crivelli, P., ‘Αλλοδοξια’, in Archiv Für Geschichte Der Philosophie, no. 1, 1998, p. 1–29 Pour Williams, l’argument de l’allodoxia se rapporte à une construction “ opaque ” qui cadre toute proposition de l’opinion fausse dans la forme “ croit que {A est ~A} ” et puisqu’il est impossible de croire quelque chose de contradictoire, la définition de l’opinion fausse comme allodoxia ne démontre que la non-existence de l’opinion fausse. Selon Williams, l’échec de Platon est causé par l’ignorance de la distinction entre une construction de dicto et une construction de re de la phrase. La formule “ croit que {A est ~A} ” est une construction opaque selon Williams, parce que Socrate ne considère pas la possibilité dans laquelle {A est ~A}, une contradiction de dicto, et peut être substituée par “ ce qu’on pense être A est en réalité ~A ” (ce qu’on pense être laid est en réalité quelque chose de beau) qui est compris dans une construction de re. Williams, C. J. F., ‘Referential Opacity and False Belief in the Theaetetus’, in The Philosophical Quarterly, no. 89, 1972, p. 289– 302

prémisses 1 et 2.

Inférence 3 : Si l’âme a une opinion fausse en prenant B pour A, alors cela implique que l’âme affirme « A est B », selon les prémisses 2 et 3.

Conclusion : l’âme affirme « A est B » et nie « A est B » en se faisant une opinion fausse, l’opinion fausse est donc impossible.

Même en définissant le faux comme l’altérité, l’argument sur l’allodoxia mène à la contradiction. Comme Socrate n’accepte pas la possibilité que l’âme affirme et nie la même chose en même temps, alors l’opinion fausse reste impossible.

d. L’argument du bloc de cire

L’obstacle auquel se confrontent ces trois premiers arguments est le principe du savoir et du non-savoir. Ce principe pose qu’au moment où l’âme se met en contact avec une chose, elle saisit immédiatement la totalité de la connaissance de cette chose, sinon l’âme n’est pas en contact avec cette chose et n’a donc aucune connaissance, ni aucune notion par rapport à elle. L’absence d’intermédiaire fait qu’il est impossible d’avoir deux manières de connaître ou de se mettre en contact avec les choses. Car le fait d’avoir plusieurs manières de connaître la même chose implique que l’on soit capable de distinguer ces manières différentes par les résultats différents de la connaissance, et cela implique donc aussi la possibilité de n’entrer en contact qu’en partie avec une chose. Par conséquent, si l’on peut connaître un seul objet de deux manières, et que la perception ne donne pas nécessairement des résultats identiques dans les deux cas, alors la différence entre les résultats des deux manières de percevoir rend possible la mauvaise association

entre la connaissance et son objet. Comme le dit Socrate :

Soit donc quelqu’un qui, d’une part, est pourvu d’un savoir portant sur ses souvenirs, et qui, d’autre part, examine quelque chose parmi ce qu’il voit ou entend : regarde s’il lui serait peut-être possible, de la façon que voici, d’avoir des opinions fausses98(Théét.

191e3-4).

Socrate introduit une différence entre la connaissance dans la mémoire et la connaissance par la perception directe. Il considère ici les souvenirs qu’on a des choses comme des empreintes sur l’âme, qu’il compare à un bloc de cire. D’une part, les souvenirs s’effacent, les empreintes deviennent floues. D’autre part, la perception ne s’effectue pas forcément dans des conditions idéales. Il est donc possible d’associer la perception d’une chose à l’empreinte d’une autre. La possibilité d’avoir un souvenir flou et une perception vague semble rendre potentiellement partielle la connaissance de cet objet. La fausseté n'apparaît donc ni dans le savoir, ni dans la perception, selon Socrate, mais dans l’association entre le savoir et la perception.

L’argument du bloc de cire ne semble pas avoir rendu possible cette distinction. Car quand Socrate parle d’une empreinte dans sa totalité, cette totalité reste toujours une unité non-analysable en parties. Bien que Socrate semble avoir démontré la possibilité de l’erreur concernant la perception, la mauvaise association entre la perception d’un objet et sa connaissance (dans la mémoire) est impossible à expliquer, comme il est impossible de dire que l’on confond la perception d’une chose avec la mémoire d’une autre car “ certains traits ” entre les deux se ressemblent. Mais le plus grand défaut de l’argument du bloc de cire est qu’il est

98 Théétète, 191e3-4, traduction Narcy : « Ὁ τοίνυν ἐπιστάμενος μὲν αὐτά, σκοπῶν δέ τι ὧν

capable de concevoir seulement certains types d’erreurs. L’argument du bloc de cire