• Aucun résultat trouvé

La thèse conventionnaliste d’Hermogène sur le nom fau

LE NOM FAUX DANS LE CRATYLE

A. La thèse conventionnaliste d’Hermogène sur le nom fau

La dénomination, pour Hermogène, n’est qu’une question d’imposition (συνθήκη) et d’accord (ὁμολογία) sur cette imposition :

Je n’ai pu me laisser persuader que la rectitude de la dénomination soit autre chose que la reconnaissance (ὁμολογία) d’une imposition (συνθήκη)56. (Crat. 384d2)

Nous pouvons remarquer que les mots dérivés de τίθημι apparaissent plusieurs fois dans le discours d’Hermogène. Comme dans ce passage où Hermogène continue de défendre l’idée que le nouveau nom que l’on impose après (μεταθῆται) une première imposition (θῆται) n’est pas moins juste, en disant :

À mon avis, quel que soit le nom qu’on assigne à quelque chose, c’est là le nom correct. Et impose-t-on un autre (μεταθῆται) nom en mettant fin à la première appellation, pour moi, le second nom n’est pas moins correct que le premier57. (Crat. 385d2-3)

54 De nombreux commentateurs comme Robinson, Weingartner et Kahn considèrent les

arguments sur le nom faux fallacieux car selon eux un nom n’a pas de valeur de vérité, c’est pourquoi la question de la fausseté ainsi relevée dans le Cratyle est relativement peu étudié mis à part des critiques qui indiquent l’erreur dans le raisonnement de Platon. Robinson, R., « A Criticism of Plato’s Cratylus », The Philosophical Review, vol. 65 / 3, 1956, p. 324‑341. Weingartner, R. H., « Making Sense of the “Cratylus” », Phronesis, vol. 15 / 1, 1970, p. 5‑25. Kahn, C., « Language and Ontology in the “Cratylus” », Phronesis, vol. 18, 1973, p. 152‑176.

55 Nicholas Denyer démontre davantage que les conséquences auxquelles les thèses de

Cratyle et d’Hermogène conduisent ne sont pas simplement l’impossibilité du nom faux, mais l’impossibilité de tout énoncé faux : « (they) have views about the correctness of names from which it follows that no false statements can ever be made. » Language, thought, and falsehood in ancient Greek philosophy, Routledge, 1991, 222 p. 71.

56 Cratyle, 384d2, traduction Dalimier modifiée : οὐ δύναμαι πεισθῆναι ὡς ἄλλη τις ὀρθότης

ὀνόματος ἢ συνθήκη καὶ ὁμολογία.

57 Cratyle, 385d2-3, traduction Dalimier modifiée : ἐμοὶ γὰρ δοκεῖ ὅτι ἄν τίς τῳ θῆται ὄνομα,

τοῦτο εἶναι τὸ ὀρθόν· καὶ ἂν αὖθίς γε ἕτερον μεταθῆται, ἐκεῖνο δὲ μηκέτι καλῇ, οὐδὲν ἧττον τὸ ὕστερον ὀρθῶς ἔχειν τοῦ προτέρου. La traduction de Dalimier sur μεταθῆται qui donne « change- t-on de nom » ne nous permet pas de faire le lien entre μεταθῆται et θῆται, et il est difficile de faire apparaître le sens d’imposer dans le contexte, c’est pourquoi je traduis « imposer d’un autre » afin

Si, pour Hermogène, la dénomination est l’accord sur l’imposition d’un nom pour appeler une chose, alors cet acte de la reconnaissance d’une imposition d’une appellation peut être fait au niveau individuel autant que collectif, comme le dit Hermogène :

Pour ma part, Socrate, je ne tiens pas que la rectitude d’un nom soit autre chose que ceci : je peux, moi, appeler (καλεῖν) chaque chose du nom que je lui ai imposé (ἐθέμην) ; tu peux, toi, l’appeler de tout autre nom que tu lui auras imposé58. (Crat. 385d7-9)

C’est pour cette raison que, pour Hermogène, la justesse du nom n’est même pas une question, puisque tous les noms, une fois que l’accord sur son imposition est établi, sont justes. Un nom peut donc être utilisé d’une manière incorrecte, parce que son usage n’est pas en conformité avec une reconnaissance de l’imposition de ce nom pour appeler une chose, mais tout nom reconnu comme étant celui qu’on impose pour appeler une chose est toujours un nom juste59. Pour Hermogène, étant donné que la nomination est définie par l’acte d’imposer la façon dont on appelle (καλεῖν) une chose, et non pas la condition collective de cette imposition, il est donc peu étonnant de le voir affirmer qu’une appellation peut venir d’un individu (ἰδιώτης) ou d’une cité (πόλις) (Crat. 385a4-5).

Un nom, selon Hermogène, est donc une simple appellation privée de sens

de garder à la fois l’idée d’imposition et de changement.

58 Cratyle, 385d7-9, traduction Dalimier : Οὐ γὰρ ἔχω ἔγωγε, ὦ Σώκρατες, ὀνόματος ἄλλην

ὀρθότητα ἢ ταύτην, ἐμοὶ μὲν ἕτερον εἶναι καλεῖν ἑκάστῳ ὄνομα, ὃ ἐγὼ ἐθέμην, σοὶ δὲ ἕτερον, ὃ αὖ σύ

59 Plusieurs commentateurs font remarquer la distinction entre l’usage d’un nom et l’accord

de l’imposition d’un nom et précisent qu’un nom est juste seulement quand il y a une conformité entre l’usage de ce nom pour appeler une chose et la reconnaissance de l’imposition de ce nom pour appeler cette chose. On trouve plus de discussion sur cette distinction ici: Ademollo, F., The Cratylus of Plato: A Commentary, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 39. Barney, R., « Plato on Conventionalism », Phronesis, vol. 42 / 2, 1997, p. 143‑162 : 148‑156. Keller, S., « An Interpretation of Plato ’ s “Cratylus” », Phronesis, vol. 45 / 4, 2000, p. 284‑305 : 286‑290. Sedley, D., Plato’s Cratylus, Plato’s Cratylus, Cambridge University Press, 2003, p. 52‑54.

en elle-même, un signe vide que l’on peut associer à n’importe quel objet de manière absolument arbitraire60. Hermogène confirme ensuite que non seulement un individu ou une collectivité peut imposer une appellation pour être le nom de quelque chose, de plus, un individu peut imposer une appellation privée (ἰδίᾳ) tout en se mettant d’accord sur une appellation publique (δημοσίᾳ) :

Prenons un être quelconque, par exemple ce qu’on appelle présentement un « homme » ; si moi je le dénomme « cheval », en dénommant « homme » ce qu’on nomme présentement « cheval », le même être aura comme nom public (δημοσίᾳ) « homme » et comme nom privé (ἰδίᾳ) « cheval » ? Inversement, un autre aura comme nom privé « homme », et comme nom public « cheval »61 ? (Crat. 385a6-

10)

Suivant le raisonnement d’Hermogène, non seulement un individu peut donner à quelque chose une appellation différente de celle imposée par la cité, mais de plus, un individu peut être d’accord (ὁμολογία) sur plusieurs appellations pour la même chose. Autrement dit, si le rapport entre le nom et la chose nommée est assuré uniquement par un acte de reconnaissance de l’imposition d’un nom, tout mot est donc un support vide qui attend d’être imposé par un individu pour appeler quelque chose.

Le premier argument sur le nom faux apparaît à la fin de cette discussion qui porte sur les appellations publique et privée. Les commentateurs62 remarquent

60 Baxter donne la même explication sur la thèse d’Hermogène en dérivant le fait qu’un nom

peut contenir certaines propriétés descriptives par hasard, mais la justesse d’un nom n’est absolument pas dérivée de sa qualité descriptive vis-à-vis de son nominatum. Voir : Baxter, T. M. S., The Cratylus : Plato’s critique of naming, E.J. Brill, 1992, 203 p. 18.

61 Cratyle, 385a6-10, traduction Dalimier : Τί οὖν; ἐὰν ἐγὼ καλῶ ὁτιοῦν τῶν ὄντων, οἷον ὃ

νῦν καλοῦμεν ἄνθρωπον, ἐὰν ἐγὼ τοῦτο ἵππον προσαγορεύω, ὃ δὲ νῦν ἵππον, ἄνθρωπον, ἔσται δημοσίᾳ μὲν ὄνομα ἄνθρωπος τῷ αὐτῷ, ἰδίᾳ δὲ ἵππος; καὶ ἰδίᾳ μὲν αὖ ἄνθρωπος, δημοσίᾳ δὲ ἵππος;

62 Taylor défend l’idée que le changement du « nom juste/injuste » au « nom vrai/faux » est

en fait une manière de dire que les noms faux sont des noms qui remplissent mal leurs fonctions. Richardson réfute cette thèse de Taylor, car si le changement des termes n’indique pas un glissement du sujet dans la discussion, alors Platon emploie donc les mots « vrai » et « faux » d’une manière

un glissement de la discussion de la justesse du nom à la vérité ou la fausseté du nom. Mais on peut montrer que le glissement entre les deux questions est en fait relié par l’intermédiaire de la question de l’« appellation ».

Socrate : Tiens, dis-moi ceci : tu appelles quelque chose « dire vrai » et « dire faux » ?

Hermogène : Pour moi oui.

Socrate : Il y aurait l’énoncé vrai et l’énoncé faux ? Hermogène : Absolument.

Socrate : Par conséquent, l’énoncé qui dirait les êtres comme ils sont est vrai, et celui qui dit les êtres comme ils ne sont pas est faux ?

Hermogène : oui.

Socrate : Alors donc ceci est possible : dire dans un énoncé les êtres ainsi que les non-êtres ?

Hermogène : Absolument.

Socrate : Mais le discours est vrai si l’ensemble est vrai et que ses parties ne sont pas vraies ?

Hermogène : Non, ses parties sont aussi vraies.

Socrate : Seulement les grandes parties sont vraies mais les petites non, ou tout est vrai ?

Hermogène : Tout, je crois.

Socrate : Est-il donc possible que tu dises que la partie la plus petite d’un discours est autre chose qu’un nom ?

Hermogène : Non, ceci est la plus petite.

Socrate : Et par conséquent, le nom d’un énoncé vrai, dit quelque chose sur lui-même ?

Hermogène : Oui.

Socrate : Il est vrai selon toi Hermogène : Oui

Socrate : Celui qui est une partie d’un énoncé faux n’est-il pas faux ? Hermogène : Si, je l’affirme

Socrate : Il est possible donc d’avoir un nom faux comme il est possible de parler du vrai, puisque c’est possible pour un énoncé ?

ambigüe. Voir : Richardson, M., « True and False Names in the “Cratylus” », Phronesis: A journal for Ancient Philosophy, vol. 21 / 2, 1976, p. 138. Taylor, A. E., Plato : the man and his work, Seventh edition., 1960, p. 335.

Hermogène : Tout à fait.63 (Crat. 385b1-d1).

L’argument, dans le passage cité, est l’un des plus débattus du Cratyle. Non seulement on peut remarquer un glissement du sujet, mais la validité du raisonnement est aussi mise en doute par de nombreux commentateurs64. Malcolm Schofield défend même l’idée que ce passage est peut-être mal placé dans l’ensemble du texte, et pense que le passage 385b2-d1 devrait être mis à la suite du 387c665.

On peut présenter ainsi l’argument :

1) Il y a deux choses que l’on appelle « dire vrai » et « dire faux », il y a donc l’énoncé vrai et l’énoncé faux.

63 Cratyle, 385b1-d (ma traduction) :

ΣΩ. Φέρε δή μοι τόδε εἰπέ· καλεῖς τι ἀληθῆ λέγειν καὶ ψευδῆ; ΕΡΜ. Ἔγωγε. ΣΩ. Οὐκοῦν εἴη ἂν λόγος ἀληθής, ὁ δὲ ψευδής; ΕΡΜ. Πάνυ γε. ΣΩ. Ἆρ’ οὖν οὗτος ὃς ἂν τὰ ὄντα λέγῃ ὡς ἔστιν, ἀληθής· ὃς δ’ ἂν ὡς οὐκ ἔστιν, ψευδής; ΕΡΜ. Ναί. ΣΩ. Ἔστιν ἄρα τοῦτο, λόγῳ λέγειν τὰ ὄντα τε καὶ μή; ΕΡΜ. Πάνυ γε. ΣΩ. Ὁ λόγος δ’ ἐστὶν ὁ ἀληθὴς πότερον μὲν ὅλος ἀληθής, τὰ μόρια δ’ αὐτοῦ οὐκ ἀληθῆ; ΕΡΜ. Οὔκ, ἀλλὰ καὶ τὰ μόρια. ΣΩ. Πότερον δὲ τὰ μὲν μεγάλα μόρια ἀληθῆ, τὰ δὲ σμικρὰ οὔ· ἢ πάντα; ΕΡΜ. Πάντα, οἶμαι ἔγωγε. ΣΩ. Ἔστιν οὖν ὅτι λέγεις λόγου σμικρότερον μόριον ἄλλο ἢ ὄνομα; ΕΡΜ. Οὔκ, ἀλλὰ τοῦτο σμικρότατον. ΣΩ. Καὶ τοῦτο [ὄνομα] ἄρα τὸ τοῦ ἀληθοῦς λόγου λέγεται; ΕΡΜ. Ναί. ΣΩ. Ἀληθές γε, ὡς φῄς. ΕΡΜ. Ναί. ΣΩ. Τὸ δὲ τοῦ ψεύδους μόριον οὐ ψεῦδος; ΕΡΜ. Φημί. ΣΩ. Ἔστιν ἄρα ὄνομα ψεῦδος καὶ ἀληθὲς λέγειν, εἴπερ καὶ λόγον; ΕΡΜ. Πῶς γὰρ οὔ;

64 Certains commentateurs comme Robinson et Ademollo pensent que l’argument présent

dans ce passage est simplement fallacieux car Platon fait une division fallacieuse dans son argument. Voir : Robinson, R., « A Criticism of Plato’s Cratylus », The Philosophical Review, vol. 65 / 3, 1956, p. 328. Ademollo, F., The Cratylus of Plato, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 54. Les recherches sur ce passage sont très nombreuse, voir : Fine, G., « Plato on Naming », The Philosophical Quarterly, vol. 27 / 109, 1977, p. 289-301; Luce J. V., « Plato on Truth and Falsity in Names », The Classical Quarterly, vol. 19 / 2, 1969, p. 222-232; Bagwell, G., « Does Plato Argue Fallaciously at Cratylus 385b–c? », Apeiron, vol. 44 / 1, 2011, p. 13-21.

65 Schofield, M., « A Displacement in the Text of the Cratylus », The Classical Quarterly,

2) Un énoncé vrai exige que toutes ses parties soient vraies ; au contraire, un énoncé faux contient nécessairement une partie fausse.

3) Le nom est la partie la plus petite d’un énoncé. Si un énoncé peut être faux, alors un nom, en tant que partie de l’énoncé, peut être un nom faux.

Cet argument est en effet fallacieux, car il présente une division fallacieuse, à savoir diviser l’énoncé en noms, comme le dit Robinson66. Mais, il existe un autre moyen de le comprendre. Socrate demande confirmation à Hermogène pour son affirmation qu’un nom est une appellation imposée sur une chose, et Hermogène donne une réponse affirmative. Cela veut dire que, 1) le nom en tant que signe imposé, ne décrit pas et n’a pas de rapport avec la chose nommée ; 2) tout nom, si c’est un nom, est juste. Si le nom est en fait ce qui sert à appeler quelque chose, alors les choses particulières ne sont pas les seules qui reçoivent une appellation. Tout ce qu’on utilise pour appeler un objet est dans ce cas un nom. C’est pour cette raison que Socrate déplace son centre d’intérêt du nom à l’appellation. Et dans ce contexte, Socrate pose la question : appelles (καλεῖς) -tu quelque chose « dire vrai » et « dire faux » ? Autrement dit, lorsqu’on appelle quelque chose « dire vrai » et « dire faux », alors le « dire vrai » et le « dire faux » ou encore l’« énoncé vrai » et l’« énoncé faux » sont des noms pour appeler « l’énoncé qui dit ce qui est » et « l’énoncé qui dit ce qui n’est pas ».

Les commentateurs ont tendance à comprendre le mot ὄνομα comme un « nom » dans son sens moderne grammatical. Mais le mot ὄνομα apparaît plusieurs fois dans les dialogues dans un sens beaucoup plus général et peut désigner un verbe, un prédicat, ou tout ce qu’on peut dire sur la réalité67. Ce passage du Sophiste

66 Robinson, R., « A Criticism…», op. cit., p. 328.

illustre bien le fait que le mot ὄνομα pour Platon a un sens beaucoup plus large que « nom » :

-Disons donc maintenant de quelle manière nous pouvons appeler une chose qui est, en chaque cas, la même, mais par plusieurs noms (ὀνόμασι) ?

-De quelle manière ? Donne un exemple.

-Nous disons l’homme en lui appliquant, certes, plusieurs autres appellations, en lui attribuant des couleurs, des formes, des dimensions, des vices et des vertus68. (Soph. 251a5-b1)

Ici dans le Sophiste, on découvre le premier sens d’ὄνομα pour Platon : une appellation, ou plus précisément un symbole (graphique ou phonétique) qu’on utilise pour appeler ou pour dire quelque chose.

Si on accepte que « dire vrai », « dire faux », « énoncé vrai », « énoncé faux » ne sont que des ὀνόματα pour appeler un énoncé qui dit ou qui ne dit pas ce qui est, alors on sera peut-être d’accord sur le fait que Platon veut démontrer à travers la parole de Socrate que la manière dont on appelle quelque chose a en effet un rapport avec la nature de cette chose, sinon il n’y aura pas d’énoncé vrai ou faux. Autrement dit, le nom « énoncé vrai » est le signe pour appeler l’énoncé qui dit les choses comme elles sont, et cette appellation est établie sur le fait que le nom dit

ambiguïté du mot ὄνομα dans les dialogues, notamment dans le Cratyle. Gold indique que le mot ὄνομα est souvent traduit par « nom », mais selon l’emploi de ce terme, il serait mieux de le traduire par « mot ». Voir : Anagnostopoulos, G., « Plato’s "Cratylus" : The Two Theories of the Correctness of Names », The Review of Metaphysics, vol. 25 / 4, 1972, p. 691-736 ; Levinson, R. B., « Language and the "Cratylus" Four Questions », The Review of Metaphysics, vol. 11 / 1, 1957, p. 28-41; Robinson, R., « The Theory of Names in Plato’s Cratylus », Revue Internationale de Philosophie, vol. 9 / 32, 1955, p. 221-236; Gold, J. B., « The Ambiguity of "Name" in Plato's "Cratylus », Philosophical Studies, vol. 34, 1978, p. 223.

68 Sophiste, 251a5-b1, traduction Cordéro : « ΞΕ. Λέγωμεν δὴ καθ’ ὅντινά ποτε τρόπον

πολλοῖς ὀνόμασι ταὐτὸν τοῦτο ἑκάστοτε προσαγορεύομεν. ΘΕΑΙ. Οἷον δὴ τί; παράδειγμα εἰπέ.

ΞΕ. Λέγομεν ἄνθρωπον δήπου πόλλ’ ἄττα ἐπονομάζοντες, τά τε χρώματα ἐπιφέροντες αὐτῷ καὶ τὰ σχήματα καὶ μεγέθη καὶ κακίας καὶ ἀρετάς. »

quelque chose sur la chose nommée. Il met d’abord au clair le fait que l’appellation « énoncé vrai/faux » est déterminée par ce que cet énoncé décrit et la nature de ce qui est décrit dans l’énoncé. Ceci est la première étape de l’argument visant à réfuter la thèse d’Hermogène, qui insiste sur le fait que l’ὄνομα ne révèle en rien de ce à quoi il se réfère.

Le raisonnement qui pose ensuite le plus de problème dans l’argument pour les commentateurs est l’inférence faite entre l’énoncé, qui peut être vrai ou faux, et les parties de l’énoncé, qui peuvent aussi être vraies ou fausses. Un énoncé est nécessairement composé, ceci est un fait que l’on peut facilement accepter. Ainsi, si un énoncé est vrai, cela implique le fait que toutes ses parties disent ce qui est (en réalité), mais en revanche, un énoncé faux contient des parties qui ne disent pas ce qui est (en réalité). L’ὄνομα, en tant qu’appellation de la partie la plus petite d’un énoncé (λόγος), peut dire ce qui n’est pas dans un énoncé, et rendre l’énoncé faux. Il ne s’agit nullement d’un nom faux, au sens d’une mauvaise attribution du nom, mais simplement d’une appellation qui ne dit pas la réalité, ou, selon la terminologie de Platon, une appellation qui ne dit pas ce qui est. Puisqu’un énoncé qui ne dit pas ce qui est est appelé « énoncé faux », alors l’ὄνομα qui ne dit pas ce qui est est donc appelé « nom faux ».

Si l’on prend l’énoncé « le chien court » pour décrire en réalité un chat qui court, alors le mot « chien », dans un sens, est l’appellation ou la partie de l’énoncé qui ne dit pas ce qui est en réalité. Il est donc « faux », dans le sens où il s’agit d’une appellation qui échoue à décrire la nature des choses. L’ὄνομα ψεῦδος, traduit par « nom faux », n’est donc pas un mauvais nom ou un nom injuste pour dénommer quelque chose, mais simplement la partie la plus petite d’un énoncé qui ne dit pas la réalité.

Par conséquent, cet argument réfute depuis le début la thèse d’Hermogène en démontrant le lien nécessaire entre le nom et la chose nommée. Autrement dit, le nom, en tant que partie la plus petite d’un énoncé, dit quelque chose sur la réalité, et il n’est pas, comme l’affirme Hermogène, totalement arbitraire. C’est pour cette raison que Platon fait dire à Socrate cette phrase, qui ne semble pas avoir de rôle dans l’argument si l’on considère qu’il est mal placé dans le dialogue : « Et par conséquent, le nom d’un énoncé vrai dit quelque chose sur lui-même69 ? » (Crat. 385c10)

Suivant ce raisonnement, l’argument sur la reconnaissance du nom en tant que la plus petite partie de l’énoncé n’est pas terminé. Cette première étape démontre que si Hermogène accepte qu’il y ait un énoncé faux, alors il doit aussi accepter qu’un ὄνομα dise quelque chose sur ce qui est dénommé. Et Hermogène accepte évidemment le fait qu’il existe des énoncés faux, il est donc obligé d’accepter le fait que le lien entre le nom et la chose dénommée n’est pas purement arbitraire. Autrement dit, la reconnaissance de l’existence des énoncés faux implique la réfutation de la thèse d’Hermogène. Ensuite, Platon démontre à l’inverse, que la thèse d’Hermogène, à son tour, conduit nécessairement vers l’impossibilité de l’énoncé faux, du fait que sa thèse se joint à la thèse de Protagoras : « l’homme est la mesure de toute chose ».

Cet argument de Socrate vise donc deux objectifs : 1) forcer Hermogène à dire que le nom décrit de quelque manière la chose nommée, et donc le laisser se contredire ; 2) montrer que la thèse d’Hermogène implique une conséquence non souhaitable dont Hermogène n’est pas conscient : l’impossibilité de l’énoncé faux.

69 Cratyle, 385c10, traduction Dalimier : Καὶ τοῦτο [ὄνομα] ἄρα τὸ τοῦ ἀληθοῦς λόγου

Selon l’interprétation que je défends, l’argument de 385b2-d1 est bien à sa place dans le dialogue. En effet, il faut d’abord faire dire à Hermogène qu’il affirme l’existence de l’énoncé faux pour démontrer ensuite que sa thèse implique le contraire, car l’existence de l’énoncé faux (et vrai) implique la qualité descriptive du nom à propos de la chose nommée. La contradiction interne de la thèse d’Hermogène est ainsi mise au jour.