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Δύναμις dans les dialogues

UNE NOUVELLE DÉFINITION DE L’ÊTRE : LA DUNAMIS Je dis que ce qui possède une puissance (δύναμιν), quelle

A. Δύναμις dans les dialogues

On trouve une définition explicite de la puissance dans le livre V de la

République, lorsque Socrate essaie de distinguer l’opinion du savoir : Nous affirmerons que les puissances (δυνάμεις) sont un certain genre d’êtres (γένος τι τῶν ὄντων) grâce auxquels nous pouvons nous-mêmes ce que nous pouvons, et en général toute autre chose peut elle aussi ce qu’elle peut198. (Rép. 477c1-2)

Platon détermine ici la puissance comme un genre d’êtres, ce qui implique qu’il n’y a pas d’identification stricte entre la puissance et l’être. Mais si l’être n’est pas la puissance, alors comment peut-on comprendre la caractérisation de l’être par la puissance dans le Sophiste ?

La République aborde la question de la puissance afin de définir l’opinion et le savoir comme deux puissances différentes :

-Or, ne disons-nous pas que l’opinion est quelque chose ? -Comment faire autrement ?

-Disons-nous que c’est une autre puissance que le savoir ou la même ?

-Une autre.

-C’est donc à une chose que l’opinion se rattache, et le savoir à une autre, et chacun des deux selon la puissance qui lui est propre199. (Rép. 477b3-8)

198 République, 477c1-2, traduction Leroux modifiée : « Φήσομεν δυνάμεις εἶναι γένος τι

τῶν ὄντων, αἷς δὴ καὶ ἡμεῖς δυνάμεθα ἃ δυνάμεθα καὶ ἄλλο πᾶν ὅτι περ ἂν δύνηται »

Selon Socrate, il est possible de distinguer l’opinion du savoir, car ils se rattachent chacun à un objet différent, et la puissance propre à chacun d’entre eux est ce qui permet ce rattachement. Lefèbvre et Adam remarquent une transition avec la formule κατὰ τὴν δύναμιν au substantif, qui fait que l’opinion et le savoir sont d’abord considérés comme ayant des puissances différentes, puis ensuite considérés eux-mêmes comme étant des puissances différentes. Autrement dit, dans un premier temps, l’opinion et le savoir sont distingués via leurs objets parce qu’ils ont des puissances différentes leur permettant d’avoir des objets différents. Mais ensuite, l’opinion et le savoir sont des puissances qui opèrent de manières différentes, comme le dit Lefébvre : « la dynamis est donc double : en position de verbe ou de sujet grammatical du procès ; elle indique, à la fois, une capacité et son opération200. »

Nous pouvons remarquer la même transition dans le Sophiste, du fait d’avoir la puissance au fait d’être la puissance elle-même, même si la formule κατὰ τὴν δύναμιν est absente :

Je dis que ce qui possède (κεκτημένον) une puissance (δύναμιν), quelle qu’elle soit, soit d’agir sur n’importe quelle autre chose naturelle, soit de pâtir – même dans un degré minime, par l’action de l’agent le plus faible, et même si cela n’arrive qu’une seule fois – tout cela, je dis, est réellement. Et, par conséquent, je pose comme définition qui définit les êtres (τὰ ὄντα) que ceux-ci ne sont autre chose que puissance201. (Soph. 247d8-e4)

remplacé par « puissance » :

-Ἆρ’ οὖν λέγομέν τι δόξαν εἶναι; -Πῶς γὰρ οὔ;

-Πότερον ἄλλην δύναμιν ἐπιστήμης ἢ τὴν αὐτήν; -Ἄλλην.

-Ἐπ’ ἄλλῳ ἄρα τέτακται δόξα καὶ ἐπ’ ἄλλῳ ἐπιστήμη, κατὰ τὴν δύναμιν ἑκατέρα τὴν αὑτῆς.

200 Lefèbvre, D., Dynamis : sens et genèse de la notion aristotélicienne de puissance,

Librairie, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 2018, p. 233.

Dans le Sophiste, l’Étranger détermine d’abord ce qui est par ce qui possède la puissance d’agir et de pâtir, et il affirme ensuite que l’être est la puissance d’agir et de pâtir. La formulation concernant la transition entre « avoir la puissance » et « être la puissance » n’est certes pas exactement la même dans la République et le

Sophiste, cependant, peu importe que Platon choisisse d’employer κατὰ τὴν

δύναμιν pour dire ce qu’une chose fait selon sa puissance (qu’elle possède), ou qu’il choisisse d’employer κεκτημένον pour simplement insister sur le fait que cette chose a une puissance, la transition entre une différenciation et une identification entre la chose et sa puissance peut être remarquée dans les deux passages. Mais alors, pourquoi Platon fait-il de nouveau cette association entre le fait d’avoir une puissance et le fait d’être cette puissance-là ? Quel est le rapport précis entre avoir une puissance et être une puissance ?

Dans la République, Socrate explique ensuite la manière dont on distingue une puissance d’une autre :

Dans une puissance en effet, je ne vois pas quant à moi aucune couleur, ni aucune forme, ni rien de ce genre, comme on en trouve dans plusieurs autres choses. Tout cela, je le considère de manière à distinguer pour moi-même certaines choses et dire que les unes sont différentes des autres. Dans une puissance, par contre, je considère seulement ceci : sur quoi elle porte et ce qu’elle effectue, et c’est pour cette raison que j’ai appelé chacune d’entre elles une puissance. Celle qui se rattache au même objet et qui effectue le même résultat, je l’appelle la même puissance, et celle qui se rattache à un objet différent et qui produit un résultat différent, je l’appelle une puissance différente202. (Rép. 477c6-d5)

ὁποιανοῦν [τινα] κεκτημένον δύναμιν εἴτ’ εἰς τὸ ποιεῖν ἕτερον ὁτιοῦν πεφυκὸς εἴτ’ εἰς τὸ παθεῖν καὶ σμικρότατον ὑπὸ τοῦ φαυλοτάτου, κἂν εἰ μόνον εἰς ἅπαξ, πᾶν τοῦτο ὄντως εἶναι· τίθεμαι γὰρ ὅρον [ὁρίζειν] τὰ ὄντα ὡς ἔστιν οὐκ ἄλλο τι πλὴν δύναμις. »

202 République, 477c6-d5, traduction Leroux modifiée : « δυνάμεως γὰρ ἐγὼ οὔτε τινὰ

Platon semble faire une comparaison entre la manière dont on distingue des choses selon leurs qualités, et la manière dont on distingue des puissances selon ce sur quoi elles portent et ce qu’elles effectuent. Socrate semble dire que pour distinguer deux choses, on examine leurs qualités, mais que pour distinguer deux puissances, on examine ce sur quoi elles portent et ce qu’elles effectuent. Ce passage semble introduire une différence entre la chose, qui se manifeste dans des qualités différentes, et la puissance, qui se manifeste dans ce avec quoi elle se met en rapport, et un résultat. Est-ce que cela confirme que la puissance n’est qu’un genre d’êtres qui se différencie des choses, qui elles sont en possession de qualités ? Dans ce cas-là, pourquoi Platon dit-il dans le Sophiste que « l’être n’est autre chose que la puissance» (τὰ ὄντα ὡς ἔστιν οὐκ ἄλλο τι πλὴν δύναμις. Soph. 247e4) ?

La définition de la puissance dans la République est donc associée à l’acte d’accomplir (ἀπεργάζομαι), ou simplement de produire, dans une mise en rapport spécifique. Nous pouvons confirmer dans le Théétète cet usage de la δύναμις :

Quand, donc, un œil et, venant à proximité, telle autre chose, parmi celles qui lui sont proportionnées, enfendrent à la fois la blancheur et la sensation qui lui est par nature associée (lesquelles en aucun cas ne viendraient à être, si chacun des deux, l’œil et ce qui vient à sa rencontre, allait vers autre chose), à ce moment précis dans l’entre-deux (μεταξύ) sont portées d’une part la vision, à partir des yeux, d’autre part la blancheur à partir de ce qui contribue à mettre au jour la couleur203. (Théét. 156d3-e2)

La puissance est toujours une puissance déterminée, car c’est en mettant en

διορίζομαι παρ’ ἐμαυτῷ τὰ μὲν ἄλλα εἶναι, τὰ δὲ ἄλλα· δυνάμεως δ’ εἰς ἐκεῖνο μόνον βλέπω ἐφ’ ᾧ τε ἔστι καὶ ὃ ἀπεργάζεται, καὶ ταύτῃ ἑκάστην αὐτῶν δύναμιν ἐκάλεσα, καὶ τὴν μὲν ἐπὶ τῷ αὐτῷ τεταγμένην καὶ τὸ αὐτὸ ἀπεργαζομένην τὴν αὐτὴν καλῶ, τὴν δὲ ἐπὶ ἑτέρῳ καὶ ἕτερον ἀπεργαζομένην ἄλλην. »

203 Théétète, 156d3-e2, traduction Narcy : « ἐπειδὰν οὖν ὄμμα καὶ ἄλλο τι τῶν τούτῳ

συμμέτρων πλησιάσαν γεννήσῃ τὴν λευκότητά τε καὶ αἴσθησιν αὐτῇ σύμφυτον, ἃ οὐκ ἄν ποτε ἐγένετο ἑκατέρου ἐκείνων πρὸς ἄλλο ἐλθόντος, τότε δὴ μεταξύ φερομένων τῆς μὲν ὄψεως πρὸς τῶν ὀφθαλμῶν, τῆς δὲ λευκότητος πρὸς τοῦ συναποτίκτοντος τὸ χρῶμα. »

rapport une chose avec une autre chose particulière, du type de ce avec quoi elle peut effectuer ce qu’elle peut, qu’elle produit. Si la mise en rapport n’est pas ce qui détermine la puissance, alors elle n’est capable de rien. Comme l’explique Socrate dans le Théétète, la puissance, en tant que la vue, effectue la vision seulement si l’œil est mis en rapport avec ce qui est visible, c’est pourquoi l’œil ne voit pas le son, ou le goût des choses. La puissance est donc non seulement déterminée par ce qu’elle accomplit, mais aussi par ce sur quoi elle porte. Elle est une puissance parce qu’elle peut effectuer la mise en rapport qui la détermine et produit quelque chose, comme la vue peut se mettre en rapport avec ce qui est visible et produit la vision.

Ce passage dans le Théétète met donc au clair l’importance de la mise en rapport dans la puissance. Cependant, étant donné que la puissance effectue par nature une seule mise en rapport (parce qu’elle se rattache seulement à son objet et non pas à d’autres), et que cette mise en rapport doit être directionnelle (sinon la puissance se rattacherait à des objets contraires), la puissance articule nécessairement le côté de ce qui agit et le côté de ce qui pâtit. Prenons l’exemple de la vue : la puissance ici se rattache aux choses visibles et non pas aux choses voyantes, cela nous permet de distinguer la puissance d’agir de la vue de la puissance de pâtir des choses visibles. La présence d’une puissance implique donc la manifestation de deux puissances accomplissant deux effets, par exemple, la sensation de blancheur, et la couleur blanche en l’intermédiaire.

La puissance n’est donc plus simplement une puissance opérationnelle dans un sens positif, mais elle est aussi une puissance réceptive, autrement dit une capacité d’entrer dans un rapport en tant qu’objet. La puissance n’est donc pas délimitée par des facultés, comme le dit Lefébvre : « cette dynamis n’est pas seulement une faculté, parce qu’elle est ce par quoi toute chose accomplit ce qu’elle

accomplit, un homme, un dieu, une réalité sensible, une vertu, un sens, la science204 ». Autrement dit, un homme est la puissance par quoi il accomplit ce qu’est un homme. La division entre la chose et la puissance semble de plus en plus ambiguë, car les qualités des choses semblent étroitement liées à leurs puissances.

Cette ambiguïté peut être remarquée aussi dans d’autres dialogues, dans lesquels Platon semble parler du fait d’être quelque chose par sa puissance. Par exemple, dans le Philèbe, le plaisir en vue d’une souffrance est considéré comme une capacité à remplir un manque qui cause une peine, comme « la soif, à son tour, est destruction et douleur, alors que, à l’inverse, la capacité de l’humide à remplir ce qui s’est desséché est un plaisir205. (Phil. 31e10-32a2) ». De même des nombreuses occurrences du Politique, par exemple, en 287e4, l’Étranger montre que la politique est autre chose que des techniques dans la cité, parce qu’ « elle ne possède pas la capacité qui est celle des instruments206 » (Pol. 287e4).

204 Lefebvre, D., Dunamis…op. cit., 2018, p. 242. Lefébvre semble ne pas avoir donné

d’importance à l’articulation entre la puissance d’agir et de pâtir, il se concentre plutôt sur la puissance qui produit positivement et considère la puissance de pâtir comme l’objet de la puissance d’agir. De plus, la puissance d’agir selon lui est une puissance dans l’action, quand il dit : « En effet, la science est une puissance par laquelle on connaît ce qui est mais, si elle est aussi une puissance d’agir, ce n’est pas dans le domaine de ce qui est mais dans le domaine du devenir, c’est-à-dire celui de l’opinion : les philosophes-rois agissent dans la cité. » (Lefébvre, 2018, p. 245) Selon ce que dit Lefébvre dans ce passage, la puissance d’agir renvoie en effet à un porteur de cette puissance, donc un sujet, c’est pourquoi la science en tant que puissance d’agir est associée à l’action du philosophe- roi dans la cité. La puissance dans ce cas-là se manifeste toujours comme un sujet puissant, autrement dit, la puissance en tant que mise en rapport est toujours subordonnée à la chose, et le sujet en tant que ce qui effectue la puissance d’agir s’oppose donc toujours à l’objet qui effectue la puissance de pâtir. Il est problématique de comprendre les puissances d’agir et de pâtir dans le cadre de la division entre le sujet et l’objet, car dans ce cas-là, non seulement la puissance dépend complètement des entités, mais en plus, comme le relève l’Étranger dans le Sophiste, les formes sont donc inconnaissables parce qu’elles ne peuvent pas être mues par la puissance d’agir. (Soph. 249b5- c2) La distinction entre une puissance active et une puissance passive n’est pas ce qui nous permet de réduire de nouveau la mise en rapport aux choses, au contraire, elle ne distingue rien d’autre que la direction dans une mise en rapport, en soulignant que celle-ci n’est pas par nature symétrique. Le problème de la symétrie de la mise en rapport est soulevé par le débat entre Ackrill et Cornford, bien que l’interprétation d’Ackrill ne se concentre nullement sur la puissance. Voir : Ackrill, J. L., "Plato and Copula…"op. cit., 1957.

205 Philèbe, 31e10-32a2, traduction Pradeau : « Δίψος δ’ αὖ φθορὰ καὶ λύπη [καὶ λύσις], ἡ

δὲ τοῦ ὑγροῦ πάλιν τὸ ξηρανθὲν πληροῦσα δύναμις ἡδονή »

206 La politique n’est pas un instrument, car la puissance d’un instrument a pour l’objet de

Dans le passage du Philèbe mentionné plus haut, outre qu’il considère le plaisir comme une puissance capable de remplir un manque, Socrate parle davantage d’une certaine puissance de l’humide, qui remplit ce qui s’est desséché. L’eau ‒ ou n’importe quel liquide qui fait disparaître la soif ‒ possède cette puissance de l’humide par quoi elle remplit ce qui s’est desséché. Ce passage du

Philèbe semble suggérer que ce qui semble être la qualité de certaines choses est en

effet ce qui est produit par la puissance en correspondance. Autrement dit, ce que l’on considère intuitivement comme une qualité, par exemple l’humidité, est le produit d’une puissance. Ce passage du Politique semble confirmer le lien entre la nature d’une chose et sa puissance : on arrive à distinguer la nature de la politique et celle de la technique en rejetant l’association entre la politique et la puissance des instruments.

L’association entre la puissance et la nature apparaît à plusieurs reprises dans le Phèdre, lorsque Socrate essaie de définir le ce que c’est d’une chose. En 245c2-4, lorsque Socrate essaie de définir l’âme, il dit qu’« il faut d’abord réfléchir la nature de l’âme » (δεῖ οὖν πρῶτον ψυχῆς φύσεως). Ensuite, une fois définie la nature de l’âme, Socrate commence à parler de la puissance de l’âme en 246a6-7207. Et en 270d1, on trouve ce passage où Platon semble expliquer une méthodologie concernant la définition d’une chose :

N’est-ce pas ainsi qu’il faut procéder pour se faire une idée de la nature de quoi que ce soit ? D’abord se demander s’il est simple ou multiforme, l’objet dont nous souhaitons nous-mêmes parler avec art ou rendre quelqu’un d’autre capable de parler avec art. Puis, à supposer que cet objet soit simple, déterminer quelle puissance qu’il

(ἐπὶ γενέσεως αἰτίᾳ πήγνυται), tandis que la politique manifeste un autre type de performance, qui est « d’assurer la sauvegarde de cette chose une fois qu’elle a été fabriquée » (καθάπερ ὄργανον, ἀλλ’ ἕνεκα τοῦ δημιουργηθέντος σωτηρίας). (Pol. 287e4-6)

recèle : puissance d’agir (δύναμιν εἰς τὸ δρᾶν) par nature sur quoi, puissance de pâtir (δύναμιν εἰς τὸ παθεῖν) par quoi208. (Phdr. 270c10-

d7)

Ce passage semble indiquer qu’étudier les puissances d’agir et de pâtir d’une chose fait partie de l’étude de la nature de cette chose, car si une chose possède une nature distincte, alors cette distinction se manifeste dans ses rapports envers d’autres choses. De plus, la puissance d’agir et de pâtir n’est pas ici un simple pouvoir de faire d’une chose par rapport à son pouvoir, au contraire, le fait de posséder une telle nature implique déjà quelles sont les relations que cette chose est capable d’avoir vis à vis d’une autre chose. La nature et la puissance sont donc en effet interdépendantes, elles sont les deux faces d’une même chose : d’une part, la nature qui détermine la puissance de cette chose au milieu d’autres choses (comment elle agit et pâtit parmi d’autres), et d’autre part, la puissance qui manifeste la nature de cette chose dans ses rapports aux autres.

On retrouve une idée similaire dans le Cratyle, où Socrate, en essayant de mettre hors-jeu la thèse naturaliste de Cratyle et la thèse nominaliste d’Hermogène, détermine le nom par sa puissance. Le fait de déterminer le nom par la puissance fait que d’un côté, celui-ci n’est pas associé à la chose dénommée d’une manière directe, la même signification pouvant donc supporter des variations dans la composition du nom, et que d’un autre côté, le nom contient toujours quelque chose de constant malgré ses variations, à savoir, sa puissance. Autrement dit, les noms qui possèdent la même puissance sont en effet identiques :

C’est ainsi que les drogues des médecins, qui varient par la

208 Phèdre, 270c10-d7 : « ἆρ’ οὐχ ὧδε δεῖ διανοεῖσθαι περὶ ὁτουοῦν φύσεως· πρῶτον μέν,

ἁπλοῦν ἢ πολυειδές ἐστιν οὗ πέρι βουλησόμεθα εἶναι αὐτοὶ τεχνικοὶ καὶ ἄλλον δυνατοὶ ποιεῖν, ἔπειτα δέ, ἂν μὲν ἁπλοῦν ᾖ, σκοπεῖν τὴν δύναμιν αὐτοῦ, τίνα πρὸς τί πέφυκεν εἰς τὸ δρᾶν ἔχον ἢ τίνα εἰς τὸ παθεῖν ὑπὸ τοῦ. »

couleur et l’odeur, nous paraissent différentes bien qu’étant identiques ; en revanche, elles sont identiques aux yeux du médecin qui n’en considère que la puissance (δύναμιν), et ne se laisse pas impressionner par les additifs. Sans doute est-ce de la même manière que le savant en noms considère leur puissance ; il ne se laisse pas impressionner si l’on a ajouté, déplacé ou supprimé une lettre quelconque, ni même si c’est dans des lettres complètement différentes qu’il retrouve la puissance du nom (ἡ τοῦ ὀνόματος δύναμις)209. (Crat. 394a7-b6)

La δύναμις qui permet à une chose d’agir et de pâtir avec d’autres choses déterminées semble non seulement être un pouvoir ou une capacité quelconque d’une chose, mais elle est la manifestation de la nature de la chose. La puissance est la manifestation de la nature des choses, car elle est déterminée en tant que puissance, autrement dit la puissance s’effectue avec des restrictions, et elle ne peut pas agir sur tout ou pâtir de tout absolument. La mise en rapport d’une puissance se fait donc aussi avec des restrictions, la nature est donc ce qui détermine avec quelles restrictions une puissance agit ou pâtit.

La δύναμις est donc comme Platon la définit dans la République : « ce par quoi nous pouvons ce que nous pouvons210 », et elle se met en rapport avec ce avec quoi elle peut ce qu’elle peut et effectue sa puissance dans cette mise en rapport. Étant donné que la δύναμις effectue une mise en rapport avec des restrictions, sa mise en rapport avec un certain genre d’objet détermine donc la nature de cette puissance. L’opposition entre la chose et la puissance disparaît, car la nature des choses se manifeste par leur puissance, et en analysant la mise en rapport spécifique

209 Cratyle, 394a7-b6, traduction Dalimier : « ὥσπερ ἡμῖν τὰ τῶν ἰατρῶν φάρμακα

χρώμασιν καὶ ὀσμαῖς πεποικιλμένα ἄλλα φαίνεται τὰ αὐτὰ ὄντα, τῷ δέ γε ἰατρῷ, ἅτε τὴν δύναμιν τῶν φαρμάκων σκοπουμένῳ, τὰ αὐτὰ φαίνεται, καὶ οὐκ ἐκπλήττεται ὑπὸ τῶν προσόντων. οὕτω δὲ ἴσως καὶ ὁ ἐπιστάμενος περὶ ὀνομάτων τὴν δύναμιν αὐτῶν σκοπεῖ, καὶ οὐκ ἐκπλήττεται εἴ τι πρόσκειται γράμμα ἢ μετάκειται ἢ ἀφῄρηται, ἢ καὶ ἐν ἄλλοις παντάπασιν γράμμασίν ἐστιν ἡ τοῦ ὀνόματος δύναμις. » 210 République, 477c1.

d’une puissance, on détermine la nature de la chose correspondante. Mais si la nature d’une chose se manifeste dans sa puissance, alors la nature de l’être se manifeste-elle aussi dans sa puissance ?