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La nature et le rôle de l’intermédiaire chez Platon

L’ANALYSE DES OCCURRENCES DE μεταξύ DANS LES DIALOGUES

A. La nature et le rôle de l’intermédiaire chez Platon

Dans toutes les occurrences de μεταξύ que l’on a parcourues, nous ne

127 Souilhé a résumé des passages importants dans quelques dialogues contenant les termes

μέσος et μέτριον, qui pourraient aussi soulever la question de l’intermédiaire, mais son analyse n’est pas une analyse exhaustive de toutes les discussions sur l’intermédiaire chez Platon. Souilhé, J., La notion platonicienne d’intermédiaire dans la philosophie des Dialogues, Paris, F. Alcan, 1919, p. 44‑72.

pouvons trouver que des discussions sur des entités médiatrices entre deux éléments bien déterminés, autrement dit, des intermédiaires spécifiques entre des choses déterminées. En revanche, on ne trouve nulle part dans les dialogues une discussion sur la notion générale de l’intermédiaire elle-même, ou une définition de sa nature et de son rôle. Pour délimiter mon champ de recherche afin d’élucider progressivement quelle est la place de cette intermédiaire, à première vue insaisissable chez Platon, je m’appuierai sur le travail de Souilhé et de Renaut. Dans un second temps, je montrerai que même si le terme d’intermédiaire n’est pas l’objet d’une réflexion particulière de Platon, son utilisation dans toutes les réflexions du philosophe est fondamentale.

Selon les recherches de Souilhé, une notion vague d’intermédiaire existait déjà chez les contemporains de Platon, notamment chez les phusikoi Ioniens, afin d’expliquer le mélange des éléments dans la formation du cosmos. La notion d’intermédiaire chez ces penseurs est réduite à ce que Souilhé appelle des « entités médiatrices », c’est-à-dire les entités qui rendent possible le mélange d’éléments précis128. Nous pouvons remarquer une continuité entre Platon et ses contemporains, étant donné que la plupart des discussions concernant l’intermédiaire cherche à déterminer les intermédiaires spécifiques qui font communiquer des choses spécifiques. Cependant, un rôle commun à tous ces intermédiaires spécifiques commence à voir le jour. Par exemple dans ce passage du Phédon cité auparavant (Phd, 71a10-12), l’intermédiaire est explicitement présenté comme ce à travers quoi les contraires sont mis en relation. Au-delà des réflexions dispersées portant sur les entités spécifiques dans l’intermédiaire des choses, c’est-à-dire les intermédiaires

128 Par exemple, pour Parménide, l’air et l’eau sont des entités médiatrices produites dans le

spécifiques, Platon semble commencer à questionner le rôle de l’intermédiaire en général.

Les recherches de Renaut fournissent une typologie des usages de l’intermédiaire chez Platon, et il en distingue trois : 1) le milieu où les deux limites se mélangent, 2) la position médiane, et 3) le milieu qui polarise en médiatisant129. Dans cette typologie, les passages du Phédon, des Lois, et du Timée cités plus haut sont inclus dans le premier usage de l’intermédiaire, c’est-à-dire l’intermédiaire qui indique seulement un lieu de mélange entre deux termes. Les passages de la

République, du Théétète et du Parménide relèvent du deuxième usage. Et enfin,

pour Renaut, l’éros du Banquet appartient au troisième usage, car il est un intermédiaire qui non seulement met en relation deux termes, mais qui les polarise tout en introduisant une orientation « correcte »130.

Selon Renaut, les recherches de Souilhé sur l’intermédiaire ont deux présupposés : 1) les domaines des recherches existent a priori et 2) les pôles extrêmes dans les dualités sont déjà bien établis131. La lecture de Renaut consiste à montrer qu’en s’appuyant sur l’importance de l’intermédiaire, Platon polarise les termes entre lesquels un intermédiaire se trouve, et encourage donc le développement du dualisme dans sa pensée132. Cependant, cette lecture de Renaut elle-même contient une présupposition, qui est aussi celle de Souilhé, à savoir : considérer l’intermédiaire comme subordonné à deux termes déjà bien établis. Autrement dit, on présuppose que le rapport entre les deux termes est déjà préétabli,

129 Renaut, O., "Dualisme et metaxu…" op. cit., 2014, p. 2.

130 Selon Renaut, le troisième usage de l’intermédiaire se détache des deux premiers, car

l’intermédiaire ne reste pas toujours neutre, ou « médiocre », il peut polariser l’opposition entre les deux termes tout en imposant une orientation, comme l’éros est censé s’approcher du savoir et non pas de l’ignorance. « Dualisme et Metaxu… » Ibidem, 2014, p. 9.

131 Renaut, O., « Dualisme et Metaxu… » Ibidem, 2014, p. 2. 132 Renaut, O., « Dualisme et Metaxu… » Ibidem, 2014, p. 10.

et qu’ainsi l’intermédiaire n’est qu’une chose qui se trouve entre deux termes, et qui est un mélange des deux. Cette chose intermédiaire n’est alors en réalité pas considérée comme l’intermédiaire, c’est-à-dire un être-entre par nature, mais simplement une troisième chose qui est un mélange des deux autres.

Partant de la notion d’intermédiaire compris comme entité intermédiaire, il est impossible d’expliquer comment l’intermédiaire peut s’articuler dans une échelle de mesure. Par exemple, l’opinion en tant qu’intermédiaire entre le savoir et l’ignorance articulée dans la République cité plus haut, n’est pas simplement une entité qui se trouve entre le savoir et l’ignorance, au contraire, l’opinion en tant qu’intermédiaire articule une échelle graduelle entre le savoir et l’ignorance. Si le rôle de ce qui est intermédiaire n’est pas simplement le mélange des deux extrémités, mais la mesure par rapport aux deux extrémités, alors la possibilité de mesure implique premièrement qu’il existe un rapport continu entre deux extrémités, et deuxièmement, que ce rapport est articulé selon de nombreuses graduations. Les points intermédiaires entre deux extrémités ne sont pas constitués par l’addition une échelle graduelle mesurable, par ailleurs, la mesure qui articule cette échelle n’existe que lorsque l’intermédiaire se manifeste. Par conséquent, une entité n’est intermédiaire qu’au moment où elle détermine la mise en rapport des deux termes liés. Le présupposé qui considère que les rapports entre les choses sont préétablis néglige donc l’importance de la mise en rapport de tout intermédiaire.

Cette conception de l’intermédiaire chez Renaut et Souilhé réduit l’idée de l’intermédiaire à un mélange de deux termes arbitraires, que l’on peut par nature articuler sans raison. Il est donc arbitraire de présupposer que les choses sont par nature en relations, et que les points intermédiaires sont par nature différenciés et organisés de telle ou telle manière. Car, sans un point d’appui en dehors des deux

extrémités qui détermine la nature du lien qui les organise dans un même rapport, il est impossible de comprendre pourquoi et comment les deux extrémités se mélangent sauf à le poser comme un fait. Réexaminons les discussions sur l’intermédiaire dans les dialogues en se demandant qu’est-ce qui rend possible une position intermédiaire, et alors nous constatons qu’à chaque fois qu’un intermédiaire est introduit, il détermine le lien entre les deux termes liés et non pas l’inverse. Il faut maintenant articuler la nature spécifique de l’intermédiaire et son rôle selon cette idée : l’intermédiaire est celui qui détermine la mise en rapport des choses.

J’essaie ici de reconstruire la notion essentielle d’intermédiaire à partir de toutes ces analyses autours de μεταξύ. Le sens le plus fondamental de μεταξύ est « entre ». Mis à part les usages du mot pour désigner « être au sein d’un espace ou d’un laps de temps », l’être-entre intermédiaire indique dans un premier temps sa position de double négation : un intermédiaire n’est aucun des termes qu’il relie. Cette position de double négation par rapport à ce entre quoi l’intermédiaire est situé semble évidente.

Par exemple, l’opinion en tant qu’intermédiaire entre le savoir et l’ignorance dans la République n’est ni le savoir ni l’ignorance :

-Avons-nous alors considéré ce point de façon satisfaisante, même si nous pourrions l’examiner beaucoup plus en détail, à savoir que ce qui est complètement est complètement connaissable, alors que ce qui n’est aucunement est entièrement inconnaissable ?

-Oui, de manière tout à fait satisfaisante.

-Bien. Mais si une certaine chose est ainsi disposée qu’elle est et n’est pas à la fois, ne se trouve-t-elle pas au milieu, entre ce qui est purement et simplement et ce qui, au contraire, n’est aucunement ?

-Par conséquent, comme nous avons convenu que la connaissance s’établit sur ce qui est et que, nécessairement, la non- connaissance s’établit sur ce qui n’est pas, pour ce qui concerne cela qui se trouve au milieu, il faut chercher quelque intermédiaire entre ignorance et savoir, s’il existe par hasard quelque chose de ce genre133 ? (Rép. 477a2-b1)

Dans ce passage, nous pouvons aussi remarquer que l’opinion, en tant qu’intermédiaire entre le savoir et l’ignorance, est ce qui établit un rapport continu entre les deux termes, et sans elle le savoir et l’ignorance ne se sont même pas situés l’un et l’autre comme des contraires. L’introduction de l’opinion détermine donc le rapport qui relie le savoir, l’opinion et l’ignorance dans une continuité, en indiquant que le fondement commun qui rend les trois termes comparables est la complétude de leurs objets de connaissances. Si les deux termes sans intermédiaires peuvent tomber simplement dans les dimensions différentes, alors l’intermédiaire est ce qui assure que les deux termes sont mis sur le même plan, en déterminant le rapport entre eux. Par conséquent, et deuxièmement, un intermédiaire met en place une continuité qui relie deux termes.

En outre, l’intermédiaire, qui établit le rapport entre deux termes liés tout en étant différent de chacun des deux, en se situant « entre », articule ce qui le différencie de l’un et de l’autre tout en reliant l’un à l’autre dans une continuité. Ce qu’est un terme par rapport à l’intermédiaire et ce qu’est l’intermédiaire par rapport à l’autre terme rend donc possible une continuité graduelle. Autrement dit, il est

133 République, 477a2-b1, traduction Leroux :

« -Ἱκανῶς οὖν τοῦτο ἔχομεν, κἂν εἰ πλεοναχῇ σκοποῖμεν, ὅτι τὸ μὲν παντελῶς ὂν παντελῶς γνωστόν, μὴ ὂν δὲ μηδαμῇ πάντῃ ἄγνωστον; -Ἱκανώτατα. Εἶεν· εἰ δὲ δή τι οὕτως ἔχει ὡς εἶναί τε καὶ μὴ εἶναι, οὐ μεταξύ ἂν κέοιτο τοῦ εἰλικρινῶς ὄντος καὶ τοῦ αὖ μηδαμῇ ὄντος; -Μεταξύ. -Οὐκοῦν ἐπὶ μὲν τῷ ὄντι γνῶσις ἦν, ἀγνωσία δ’ ἐξ ἀνάγκης ἐπὶ μὴ ὄντι, ἐπὶ δὲ τῷ μεταξύ τούτῳ μεταξύ τι καὶ ζητητέον ἀγνοίας τε καὶ ἐπιστήμης, εἴ τι τυγχάνει ὂν τοιοῦτον;

maintenant possible de « mesurer ». Par exemple, établir une échelle graduelle entre l’ignorance et le savoir, ou entre le non-être et l’être réellement réel, comme dans le livre VII de la République :

Il nous plaira donc, dis-je, comme auparavant, de nommer la première section science, et la deuxième pensée, la troisième croyance, et la quatrième imagination. Il suffira aussi de nommer ces deux dernières prises ensemble opinion, et les deux premières ensemble, intellection. On dira alors que l’opinion concerne le devenir, alors que l’intellection vise l’être : ce que l’être est par rapport au devenir, l’intellection est par rapport à l’opinion, la science l’est par rapport à la croyance, et la pensée par rapport à l’imagination134. (Rép. 533e7-534a5)

Nous pouvons donc remarquer une troisième caractéristique essentielle de l’intermédiaire, qui est de rendre possible la « mesure » en articulant entre les deux termes une continuité graduelle par rapport à la différenciation et à la ressemblance entre chacun des deux termes et l’intermédiaire. Je résume : l’intermédiaire est ainsi déterminé par trois caractéristiques, 1) ce qui est déterminé par une double négation par rapport aux deux termes entre lesquels il se trouve ; 2) ce qui met en rapport les deux termes ; 3) ce qui rend possible une échelle graduelle entre les deux termes en fournissant leur commensurabilité.

Je distingue donc ici les deux expressions « être l’intermédiaire » entre deux termes, et « se trouver entre » deux termes. Je réserve le terme « intermédiaire » pour désigner ce qui établit le rapport entre deux termes, donc ce qui médiatise en effet les deux pôles. « L’intermédiaire » est donc ce qui, par nature, et

134 République, 533e7-534a5, traduction Leroux : Ἀρκέσει οὖν, ἦν δ’ ἐγώ, ὥσπερ τὸ

πρότερον, τὴν μὲν πρώτην μοῖραν ἐπιστήμην καλεῖν, δευτέραν δὲ διάνοιαν, τρίτην δὲ πίστιν καὶ εἰκασίαν τετάρτην· καὶ συναμφότερα μὲν ταῦτα δόξαν, συναμφότερα δ’ ἐκεῖνα νόησιν· καὶ δόξαν μὲν περὶ γένεσιν, νόησιν δὲ περὶ οὐσίαν· καὶ ὅτι οὐσία πρὸς γένεσιν, νόησιν πρὸς δόξαν, καὶ ὅτι νόησις πρὸς δόξαν, ἐπιστήμην πρὸς πίστιν καὶ διάνοιαν πρὸς εἰκασίαν·

nécessairement « entre » deux termes. Au contraire, ce qui « se trouve entre » désigne une entité posée simplement entre deux termes, sans en articuler la mise en rapport. Dans le second cas, une chose qui se trouve entre deux termes sans les mettre en rapport, peut très bien se trouver là par accident. Par exemple, l’Éros n’est pas l’intermédiaire entre le savoir et l’ignorance, il n’est pas non plus l’intermédiaire entre le beau et le laid, même s’il a des qualités qui se trouvent entre ces termes. En revanche, l’Éros est l’intermédiaire entre poros et penia, c’est à dire entre l’abondance et la pauvreté, car il les met en rapport :

Du fait qu’il est le fils de Poros et de Pénia, Éros se trouve dans la condition que voici. D’abord, il est toujours pauvre, et il s’en faut de beaucoup qu’il soit délicat et beau, comme le croient la plupart des gens. Au contraire, il est rude, malpropre, va-nu-pieds et il n’a pas de gîte, couchant toujours par terre et à la dure, dormant à la belle étoile sur le pas des portes et sur le bord des chemins, car, puisqu’il tient de sa mère, c’est l’indigence (ἐνδείᾳ) qu’il a en partage. À l’exemple de son père en revanche, il est à l’affût de ce qui est beau et de ce qui est bon, il est viril, résolu, ardent, c’est un chasseur redoutable ; il ne cesse d’user d’artifices135 (πλέκων μηχανάς), il est

passionné de savoir et fertile en expédients (πόριμος), il passe tout son temps à philosopher, c’est un sorcier redoutable, un magicien et un expert. Il faut ajouter que par nature il n’est ni immortel ni mortel. En l’espace d’une même journée, tantôt il est en fleur, plein de vie, tantôt il est mourant ; puis il revient à la vie quand ses expédients réussissent en vertu de la nature qu’il tient de son père ; mais ce que lui procurent ses expédients (ποριζόμενον) sans cesse lui échappe ; aussi Éros n’est-il jamais ni dans l’indigence ni dans l’opulence, il se trouve à mi-chemin entre le savoir et l’ignorance136. (Banqu.

135 Je modifie la traduction de Luc Brisson en introduisant le terme « user d’artifices », pour

mettre l’accent sur le fait que πλέκων μηχανάς consiste à se fournir les moyens de faire quelque chose, notamment toutes sortes d’outils, et non pas des ruses pour tromper.

136 Banquet, 203c5-e5, traduction Brisson : « ἅτε οὖν Πόρου καὶ Πενίας ὑὸς ὢν ὁ Ἔρως ἐν

τοιαύτῃ τύχῃ καθέστηκεν. πρῶτον μὲν πένης ἀεί ἐστι, καὶ πολλοῦ δεῖ ἁπαλός τε καὶ καλός, οἷον οἱ πολλοὶ οἴονται, ἀλλὰ σκληρὸς καὶ αὐχμηρὸς καὶ ἀνυπόδητος καὶ ἄοικος, χαμαιπετὴς ἀεὶ ὢν καὶ ἄστρωτος, ἐπὶ θύραις καὶ ἐν ὁδοῖς ὑπαίθριος κοιμώμενος, τὴν τῆς μητρὸς φύσιν ἔχων, ἀεὶ ἐνδείᾳ σύνοικος. κατὰ δὲ αὖ τὸν πατέρα ἐπίβουλός ἐστι τοῖς καλοῖς καὶ τοῖς ἀγαθοῖς, ἀνδρεῖος ὢν καὶ ἴτης

203c5-e5)

Sans l’Éros qui détermine le rapport précis entre la richesse et la pauvreté, on imagine facilement la richesse et la pauvreté en opposition sans savoir sur quel point elles s’opposent. Selon ce passage du Banquet, il ne s’agit pas ici d’une opposition entre la richesse (πλοῦτος) et la pauvreté (πενία), mais d’une opposition entre « avoir accès à l’ouverture » ou « avoir le moyen d’accéder à quelque chose » et « être dépourvu de moyen »137. C’est pour cette raison que dans la description de Diotime, la différence entre Poros et Pénia n’est pas simplement le fait de posséder beaucoup ou non, mais le fait d’avoir le moyen d’acquérir ce que l’on veut ou non.

Dans cette description, on peut remarquer que la mise en opposition de Poros et Penia n’est pas une opposition entre la plénitude et le vide de possession, ou entre l’abondance et l’indifférence à la beauté, mais entre l’abondance et le manque de moyen pour acquérir la même chose. L’opposition entre la richesse et la pauvreté est donc éclairée une fois que l’on s’aperçoit que, seulement en vue d’un objectif à atteindre, la richesse et la pauvreté se trouvent en opposition. Le fait que les termes sémantiquement liés de « moyen », « ressource », « expédient »138 apparaissent de manière répétitive soutient l’idée que l’opposition dont l’Éros est intermédiaire consiste en une opposition entre ἔνδεια et πόριμος, c’est-à-dire entre le manque de moyens et l’accès aux moyens.

Si l’opposition dont l’Éros est l’intermédiaire se fait entre le manque et la

καὶ σύντονος, θηρευτὴς δεινός, ἀεί τινας πλέκων μηχανάς, καὶ φρονήσεως ἐπιθυμητὴς καὶ πόριμος, φιλοσοφῶν διὰ παντὸς τοῦ βίου, δεινὸς γόης καὶ φαρμακεὺς καὶ σοφιστής·καὶ οὔτε ὡς ἀθάνατος πέφυκεν οὔτε ὡς θνητός, ἀλλὰ τοτὲ μὲν τῆς αὐτῆς ἡμέρας θάλλει τε καὶ ζῇ, ὅταν εὐπορήσῃ, τοτὲ δὲ ἀποθνῄσκει, πάλιν δὲ ἀναβιώσκεται διὰ τὴν τοῦ πατρὸς φύσιν, τὸ δὲ ποριζόμενον ἀεὶ ὑπεκρεῖ, ὥστε οὔτε ἀπορεῖ Ἔρως ποτὲ οὔτε πλουτεῖ, σοφίας τε αὖ καὶ ἀμαθίας ἐν μέσῳ ἐστίν. »

137 Le mot πόρος signifie « passage », « expédient » ou « un moyen un traverser une rivière

ou un détroit ».

138 Ces termes πλέκων, μηχανάς, πόριμος, ποριζόμενον ont tous un sens en lien avec le fait

prospérité des moyens pour accomplir une seule et même fin, alors cette lecture contredit le troisième type d’intermédiaire chez Renaut. Renaut défend l’idée qu’il y a une troisième acception de l’intermédiaire dans les dialogues, et qu’un intermédiaire de ce troisième type est non seulement situé à la position médiane qui médiatise les deux termes, mais encore ordonne une orientation en les polarisant. Renaut prend l’Éros pour exemple : en tant qu’intermédiaire, selon lui, l’Éros donne une bonne orientation (désir du savoir) et déconseille le contraire (désir de l’ignorance). Selon lui, « Ni un intervalle indifférencié, ni une position médiane « médiocre », l’intermédiaire est posé comme une étape déterminée vers un plus grand bien139. » L’Éros en tant qu’intermédiaire entre Poros et Pénia n’est ni essentiellement un intermédiaire entre ce qui est beau et ce qui est laid, ni non plus un intermédiaire entre celui qui veut posséder le bon, le beau et le bien, et celui qui n’en veut pas. L’Éros tend vers le beau et le bien, parce qu’en dehors de la mise en rapport entre Poros et Pénia, tout mouvement doit s’orienter vers le beau et le bien. La différence essentielle entre Poros et Pénia présentée par Diotime tient dans le fait d’avoir ou non le moyen d’acquérir la fin, et l’Éros n’est dans la recherche du bien que parce que cette fin est donnée comme ce qui est beau et bien. Par conséquent, l’Éros, l’intermédiaire de Poros et de Pénia, tantôt possède le moyen d’acquérir le beau, tantôt ne le possède pas, et il n’y a donc pas d’orientation imposée par l’Éros. Il est donc difficile de justifier que l’intermédiaire en soi impose une orientation.

Après avoir parcouru les discussions essentielles sur l’intermédiaire dans les dialogues, on peut donc avancer que la nature de l’intermédiaire est cet être-

entre, qui se détermine par une double négation et qui met en relation deux termes en créant un socle commun qui les relie. En distinguant la description d’une entité qui se trouve entre deux choses de celle de ce qui est l’intermédiaire entre deux choses, on saisit alors avec plus de clarté qu’en tant qu’intermédiaire, cet élément est ce qui met en rapport les termes entre lesquels il se trouve, sans être ni l’un ni l’autre. Autrement dit, la question de l’intermédiaire pour Platon est une question de rapport, de relation, de tout ce qui se trouve par nature entre d’autres choses.

Les dialogues contiennent en effet une discussion riche portant sur ce qu’est un tel intermédiaire mettant en accord les choses. Platon n’est donc ignorant ni de cette notion, ni de l’importance de l’intermédiaire. Bien au contraire, il met constamment dans les dialogues l’accent sur ce qui établit la communication, rend possible le mélange. Mais cela n’explique ni pourquoi Platon s’intéresse à l’intermédiaire, ni la raison pour laquelle l’intermédiaire est absent des arguments qui conduisent vers l’impossibilité du faux.

Afin de comprendre la raison pour laquelle Platon s’intéresse à l’intermédiaire, il faut probablement remettre l’auteur dans son contexte intellectuel. La pensée de Platon fait face à deux grandes écoles de pensée, et il se positionne toujours par rapport à ces deux écoles, à savoir : la pensée de Parménide d’une part, et celle d’Héraclite d’autre part, qui est souvent présentée dans les dialogues comme étant en lien avec la pensée de Protagoras. Contrairement à l’interprétation de Renaut sur le rôle de l’intermédiaire dans la pensée de Platon, qui défend l’idée que c’est l’intermédiaire qui polarise la pensée de Platon, je soutiens la thèse selon laquelle Platon s’intéresse à juste titre à l’intermédiaire parce qu’il fait face à des pensées polarisées : l’unité qui exclut absolument toute altérité dans la thèse de Parménide ou la différence infinie qui exclut absolument toute communauté, soit