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Lorsque les délégués suisses visitent le camp en juillet 1917, ils sont frappés par le fait que « le dépôt de l’Île Longue est fort bien installé et aménagé, offrant aux internés des ressources et des commodités généralement incompatibles avec l’internement dans des camps ». À l’inverse, les camps de Crozon et de Lanvéoc disposent « d’espaces très restreints » et les prisonniers réclament davantage d’activités extérieures, ainsi que l’aménagement d’une bibliothèque et d’un réfectoire151

. La diversité des activités impulsées par les internés, et étroitement contrôlée par les autorités représente, en effet, une spécificité du camp de l’Ile Longue.

La situation géographique du camp offre aux prisonniers la possibilité d’aller se baigner dans l’océan Atlantique et de se promener sur le littoral. Ces deux activités sont strictement encadrées par les autorités. Le règlement du camp stipule que les baignades doivent se faire par petits groupes, sans bousculades, sans contact avec la population locale et en présence des surveillants152. Toutefois, elles prennent rapidement fin par manque de

sécurité, notamment à la suite de la disparition d’un prisonnier, probablement noyé lors de sa tentative d’évasion153

et de la pénurie de surveillants. Cette mesure représente une véritable désolation pour les internés. Jean-Claude Farcy a, en effet, montré que les promenades et les baignades instaurent une véritable rupture dans la vie de camp car elles procurent un semblant de liberté154

. Dès lors, plusieurs prisonniers du camp demandent leur retour. À l’été 1919, ils suggèrent la prise hebdomadaire « d’un bain de mer à l’endroit même où les internés du camp de l’Île Longue se baignaient habituellement dans les années passées (à leur risque et péril) » ainsi que plusieurs « promenades en bas de la falaise, c’est-à-dire là où la corvée des vivres se

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ADF, 9R20. Lettre du sous-préfet de Brest au préfet du Finistère, 10 juillet 1917.

152

ADF, 9R19. Note de service du chef du dépôt, 20 mai 1916.

153

ADF, 9R29. Procès-verbal de disparition du prisonnier Funcke Albert Johann, importateur d’animaux, né le 11 décembre 1873 à Hanovre, 12 août 1916.

154

Jean-Claude FARCY, Les camps de concentration français de la Première Guerre mondiale, 1914-1920,

fait et après avoir assuré [leur] service »155. Mais malgré la réitération de leurs propositions,

celles-ci semblent ne s’être confrontées qu’à des refus de la part des autorités. Le préfet du Finistère juge, en effet, que ces promenades seraient « difficilement compatibles[s], vu leur grand nombre, avec une surveillance sérieuse »156

.

Dès lors, la plupart des activités proposées aux internés sont organisées à l’intérieur du camp. Leur diversité permet de satisfaire les différentes catégories sociales. Les prisonniers qui exercent un métier manuel peuvent ainsi, depuis le succès des expositions artisanales, fabriquer des produits dans un atelier. En février 1918, après plusieurs mois de négociations entre les autorités et le Comité de secours allemand, les artisans sont autorisés à disposer d’un atelier dans l’un des baraquements du camp. Les produits fabriqués sont destinés aux internés qui ont les moyens de les acheter mais également à d’autres dépôts. En revanche, en raison de la concurrence avec les artisans français, ils ne sont pas autorisés à les vendre à la population locale. Au même titre que les prisonniers qui travaillent en dehors du camp, les artisans qui tirent des bénéfices de leur activité doivent « payer au dépôt une somme égale au prix de revient de la journée ». Quant à l’installation des outillages et la fourniture des matières premières, elles se réalisent principalement grâce à l’intervention du Comité International de la Croix-Rouge157

.

Le sport rythme également le quotidien des prisonniers. Ces derniers disposent d’un grand terrain de sport au sein duquel ils peuvent jouer au football, faire de la gymnastique, jouer au tennis et aux quilles158

. En mars 1916, lorsque les autorités militaires préparent la passation du camp aux autorités civiles, elles ont conscience de l’importance du terrain de promenade et de jeux pour « des questions d’ordre moral, de commandement et de prudente réciprocité »159

. Le sport joue, en effet, un rôle considérable dans le maintien de la discipline des prisonniers. La publication régulière d’articles sur le football et la gymnastique dans le journal du camp montre l’intérêt que les internés portent à ces deux sports, dont la pratique leur est familière. Dans la société civile allemande du début du XXe

siècle, l’éducation des jeunes générations accorde une place importante au sport qui contribue à l’endurcissement de

155

ADF, 9R8bis, Lettre des secrétaires auxiliaires du dépôt des internés civils de l’Île Longue au sous-préfet de Brest, 9 août 1919. Lettre d’un groupe d’internés au sous-préfet de Brest, 31 mai 1919.

156

ADF, 9R20. Lettre du préfet du Finistère au ministre de l’Intérieur, 18 février 1919.

157

ADF, 9R32. Lettre du préfet du Finistère au sous-préfet de Brest, 2 janvier 1918. ADF, 9R25. Lettre du sous- préfet de Brest au préfet du Finistère, 11 février 1918.

158

Voir annexe 1d.

159

ADF, 9R72. Lettre du chef d’escadrons commandant le dépôt de prisonniers de guerre de l’Île Longue au colonel commandant le Génie de la Place de Brest, mars 1916.

l’esprit et du corps et à la création d’une identité nationale. Les mouvements de jeunesse participent à une certaine militarisation des populations dès le plus jeune âge, à l’image de la

Wandervogel de Saxe qui fournit, dans les quatorze premiers mois de la guerre, près de 40%

des cadres et des membres du mouvement160

. Un article du journal Die Insel Woche, qui cherche à recruter des gymnastes allemands pour le club de gymnastique, révèle une certaine préoccupation autour de leur santé physique, mais également de l’influence de cette qualité sur le rayonnement de leur patrie161

. Ils utilisent d’ailleurs le terme Vaterland qui fait référence à la patrie en danger, en opposition au terme Heimat qui connote la petite patrie dans laquelle on partage la même langue et les mêmes traditions162

. Le sport participe, en effet, à la construction de l’unité nationale qui se créée en opposition aux autres nations. À l’aube de la guerre, les rencontres sportives franco-allemandes peuvent ainsi refléter les tensions diplomatiques entre les deux pays, à l’image des rencontres sportives instrumentalisées par l’Action Française163

. Dans le camp, le sport favorise la rencontre et la cohésion entre les internés originaires d’un même pays. Des compétitions sont, par exemple, organisées entre les prisonniers par les responsables des clubs164

. L’une des photographies prises par Helmut Felle témoigne de l’entrain suscité par ces activités165

. Les deux équipes qui s’affrontent sur le terrain de football arborent deux maillots différents qu’ils ont probablement créés, et leur jeu attire une cinquantaine de prisonniers venus assister au match pour occuper leur temps libre.

Ainsi, la vie en captivité des prisonniers de guerre et des internés civils du camp de l’Île Longue est, à la fois marquée par des caractéristiques classiques de l’internement sur le sol français durant la guerre, et par des spécificités qui rendent le camp unique. Ce dernier est construit à la fin de l’année 1914 dans le but d’éviter la présence d’individus ennemis sur le sol français et d’empêcher de potentiels mobilisables de renforcer l’armée adverse. Dès lors, le camp, situé à bonnes distances du front et des frontières des Empires centraux, constitue

160

Gilbert KREBS, Les avatars du juvénilisme allemand: 1896-1945, Presses Sorbonne nouvelle, 2015, pp. 145- 159.

161

Die Insel Woche, n°40, 6 janvier 1918, p. 4.

162

Johann CHANOIR, « Deutschland über alles ? La Vaterland à l’épreuve des identités régionales durant la Grande Guerre », dans François BOULOC, Rémy CAZALS et André LOEZ (dirs.), Identités troublées: 1914-1918 :

les appartenances sociales et nationales à l’épreuve de la guerre, Toulouse, op. cit, pp. 101-114.

163

Patrick CLASTRES et Paul DIETSCHY, Sport, culture et société en France: du XIXe siècle à nos jours, Paris, Hachette supérieur, 2006, pp. 63-67.

164

À titre d’exemple, voir Die Insel Woche, n°50, 24 mars 1918.

165

une place charnière de l’internement des prisonniers de guerre et internés civils détenus en Bretagne et contribue à la spécificité du camp de l’Île Longue. Pouvant accueillir jusqu’à 5.000 prisonniers, le camp dispose d’importantes structures qui proposent des services de qualité qui se démarquent de ceux des autres camps finistériens. Ces structures participent au maintien de correctes conditions de détention, mais qui restent fortement influencées par les politiques de réciprocité menées par la France et l’Allemagne. La dégradation ponctuelle, mais brutale, de ces conditions s’explique ainsi par des représailles menées par les belligérants lorsque les négociations échouent. De plus, l’importante capacité d’accueil de l’Île Longue oblige les autorités à s’adapter à la diversité des profils de prisonniers. Si le camp est dominé par les ouvriers et les exploitants agricoles allemands, d’autres nationalités et origines sociales constituent de fortes minorités. Cette diversité sociale et géographique, ainsi que les importants flux de prisonniers dans le camp, conduisent à un strict encadrement des internés. Pourtant, quelques marges de manœuvre s’opèrent au fil de la durée de la captivité, notamment avec les surveillants qui partagent leur quotidien et comprennent leurs souffrances. Mais ces rapprochements représentent de maigres consolations pour ces prisonniers, pour lesquels la captivité rime avec ennui et oisiveté. Les négociations avec les comités de secours, les États neutres et l’Allemagne parviennent à convaincre les autorités françaises de progressivement autoriser une vie culturelle diversifiée. Initiée par une partie des internés, cette offre culturelle se démarque de celle des autres camps du département par sa richesse et son rayonnement. Elle donne également à des prisonniers l’occasion unique de devenir les principaux acteurs des structures culturelles implantées à l’Île Longue.

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