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Des conditions de détention qui attisent la jalousie de la population locale

Les multiples circulaires émises par le Ministère de la Guerre et le Ministère de l’Intérieur témoignent du souci des autorités d’assurer des conditions de vie relativement acceptables, tout en prenant en compte les risques de protestation de la population locale qui juge les conditions de vie des prisonniers meilleures que les siennes. Un article, paru dans le journal républicain Le Finistère en janvier 1915, compare les conditions de détention des prisonniers avec celles de la population finistérienne et révèle leurs similitudes. Le journaliste affirme que « les soins donnés [aux prisonniers de guerre blessés] ne se différencient en rien

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de ceux dont sont entourés nos propres blessés ». Quant aux internés civils, leur régime est « bien supérieur, comme on le pense, à celui réservé à nos prisonniers en Allemagne. Et puis ils ont la ressource de se procurer à la cantine du fort, moyennant finances, quelques suppléments dont ils ne se privent guère. C’est inouï, nous a-t-on assuré, la quantité de chocolat et de confitures qu’ils absorbent »15

. Ce type de propos n’est pas rare au début de la guerre, dans un contexte où les contemporains sont certains de gagner une guerre qui sera courte. À partir de 1916, l’ancrage dans le conflit fait évoluer les mentalités et l’opinion des populations locales change, aux dépens des discours nationaux diffusés par les journaux patriotiques et républicains comme Le Finistère. Mais ces rapprochements entre les populations locales et les prisonniers concernent surtout les prisonniers de guerre qui ont été en contact avec certaines populations lors de leur affectation dans les exploitations agricoles. L’aide qu’ils apportent et leur participation à l’effort de guerre français modifient les perceptions des populations qui bénéficient d’une main-d’œuvre désormais prisée. En revanche, il est peu probable que ce changement d’opinion ait eu lieu à l’égard des internés civils qui sont restés éloignés de la population de Crozon durant toute leur captivité16

.

De plus, ces derniers souffrent des privations alimentaires qui touchent le camp à mesure que la guerre s’éternise. À partir de 1917, l’interné Helmut Felle s’indigne de l’insuffisance du régime alimentaire réservé aux prisonniers. Le café, le thé, la farine et les légumes disparaissent progressivement du menu, tandis que la ration de pain diminue de 600 à 200 grammes par homme et par jour17

. Ces fortes diminutions s’expliquent par les pénuries humaines et agricoles auxquelles doivent faire face toutes les populations de l’arrière. L’envoi des classes de jeunes hommes à la guerre aggrave la pénurie de main-d’œuvre agricole déjà fortement affaiblie par la perte de sa force de travail agricole masculine, estimée à 43% tout au long de la guerre18

. La baisse des récoltes, pourtant attendues des populations, entraîne une inflation des matières premières qui sont prioritairement envoyées vers le front. La population finistérienne n’est pas exclue de ces difficultés. En 1916 et 1917, la Bretagne connaît

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ADF, 9R25. Extrait du journal Le Finistère intitulé « Les prisonniers allemands dans le Finistère », 30 janvier 1915.

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Sur les liens entre les populations locales et les prisonniers, voir Elodie RIVALIN, Des « Boches » à Lyon et

dans le Rhône entre 1915 et 1920 : le travail des prisonniers de guerre allemands entre économie de guerre et cohabitation avec l’ennemi, mémoire de M1 sous la direction de Jean SOLCHANY, 2016, « Chapitre 3 : la participation du « Boche » à l’économie locale : rejets et collaborations », pp. 104-132.

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Helmut FELLE, Cinq années derrière les barbelés, traduit de l’allemand par l’association Île Longue 1914-

1919, disponible en ligne : http://www.ilelongue14-

18.eu/IMG/pdf/cinq_annees_derriere_les_barbeles_161029.pdf, consulté le 3 avril 2017.

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d’importantes pénuries de main-d’œuvre, de blés et de fourrages19 qui ont pour conséquence

l’exacerbation du nationalisme que les autorités tentent d’enrayer dans le but d’éviter tout débordement aux abords du camp. Ces manques confortent, en effet, le sentiment des populations locales de devoir nourrir des prisonniers assimilés à des bouches inutiles qui ne participent pas à l’effort de guerre local. Le sous-préfet de Brest rappelle ainsi, en juillet 1917, que « certains internés, avec le jeu de tickets, échappent à toute restriction, alors que la population civile est restreinte dans sa consommation de sucre »20

. Dès lors, plusieurs diminutions interviennent en 1916 et 1917 à un moment où les manques sont importants21

. En février 1917, le préfet du Finistère décrète la diminution des denrées les plus rares. La ration journalière de pain est réduite de 600 à 500 grammes et la ration hebdomadaire de viande passe de 800 à 600 grammes22

. Ces diminutions sont suivies, en août 1917, de l’interdiction de vendre à la cantine du camp des produits à usage inhabituel, tels que les langoustes, le saumon, les champignons, la charcuterie et le tabac23

. Le décalage avec les chiffres mentionnés par l’interné Helmut Felle laisse penser que les internés de l’Île Longue ont connu des privations supplémentaires liées aux difficultés d’acheminement des denrées sur la presqu’île, qui n’ont cessé de diminuer jusqu’à la fermeture du camp en 1919. Elles s’expliquent également par les politiques de représailles franco-allemandes qui constituent un deuxième facteur de privations.

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