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Des conditions de détention étroitement surveillées par les comités de secours et les États neutres

Les États neutres et les comités de secours jouent un rôle considérable dans l’amélioration des conditions de vie des prisonniers.

D’abord, les comités de secours tiennent leur légitimité du fait de leur mention dans les conventions de La Haye, préalablement signées en 1899 et 1907 par les États belligérants, qui ont le devoir de collaborer avec les représentants des différentes sociétés de secours88

. Dès lors, ils peuvent participer à l’amélioration des conditions de détention des prisonniers de deux façons. Premièrement, ils envoient des colis en partance du pays d’origine des destinataires. Deuxièmement, des comités de secours peuvent être créés au sein du camp sur autorisation des autorités, à l’image du comité de secours des internés civils allemands présidé par le prisonnier Horst Liedtke, dont les membres sont nommés et strictement encadrés par les autorités89

. Ils sont alors chargés de deux missions. D’une part, les autorités considèrent qu’ils sont des « intermédiaires entre leurs compatriotes et l’Ambassade des États-Unis pour les demandes d’argent, de vêtements, de linge et de chaussures en faveur de ceux d’entre eux qui

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ADF, 9R7. Procès-verbal de la transmission des services, de l’état des lieux et de l’inventaire du camp de l’Île Longue, 24 août 1916.

86

ADF, 9R7. Lettre du ministre de l’Intérieur, 13 octobre 1916.

87

ADF, 9R7. Accord entre le sous-préfet de Brest et le capitaine chef du Génie à Brest, janvier 1917.

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Convention de La Haye du 18 octobre 1907, article 15. Voir annexe 3a.

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se trouvent sans ressources ». D’autre part, ils sont des intermédiaires entre les États-Unis et les autorités du dépôt, car ils sont tenus de distribuer les colis de leurs camarades sous le contrôle du chef du dépôt90

. Les principales aides sont destinées aux prisonniers allemands qui constituent la majorité des prisonniers présents sur le sol français. Elles s’expliquent aussi par le fait que certaines nationalités de prisonniers, telles que les Bulgares et les Italiens, reçoivent moins de colis. Les difficultés d’approvisionnement qui touchent leur pays et le faible intérêt de ces gouvernements à leurs égards ne leur permettent pas de recevoir de colis, à l’exception de ceux de l’aide humanitaire91

. De plus, l’importance de la réciprocité donnée par les gouvernements français et allemand conduit à plusieurs négociations qui ont pour objectif l’amélioration des conditions de vie des prisonniers détenus par les deux pays. En octobre 1915, au moment de la mise en place de ces caisses de secours, le ministre de la Guerre rappelle ainsi qu’il « importe, pour assurer sur ce point aussi une exact réciprocité, que pareille attitude soit prise en France dans les camps de prisonniers allemands »92

.

Ensuite, les États neutres interviennent également dans la vie des prisonniers par le biais de légations composées de délégués. Dès décembre 1914, une circulaire autorise l’ambassade américaine à envoyer les premiers envois de secours93

. Les États peuvent, avec le contrôle des autorités belligérantes, visiter les camps et prendre en charge l’envoi des colis envoyés par les prisonniers. L’envoi d’argent, de denrées alimentaires, de savon, de métaux, de caoutchouc, de coton et de vêtements est en revanche strictement prohibé94

. La répartition de ces légations s’effectue en fonction de la nationalité des prisonniers. Jusqu’en 1917, la légation américaine s’occupe des internés allemands et austro-hongrois. À la suite de l’entrée en guerre des États-Unis, qualifiée de « rupture diplomatique avec l’Allemagne » par les autorités françaises, leur prise en charge est assurée par la Légation Suisse à Paris95

. L’ambassade des États-Unis reste toutefois chargée des autres nationalités du camp, à

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ADF, 9R2. Note de service « Organisation et attributions des comités de secours constitués dans les dépôts d’internés civils austro-allemands ».

91

Annette BECKER, Oubliés de la Grande guerre, op. cit, pp. 98-105.

92

ADF, 9R2. Lettre du ministre de la Guerre aux généraux gouverneurs militaires de Paris et de Lyon, aux généraux commandant les régions, au général commandant en chef les Forces de terre et de mer de l’Afrique du Nord, au général commissaire résidant général de France au Maroc, 29 mars 1916.

93

Jean-Claude FARCY, Les camps de concentration français de la Première Guerre mondiale, 1914-1920,

op. cit, pp. 308-321.

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ADF, 9R2. Note de service n°16 de la Préfecture du Finistère, 31 mai 1917.

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l’exception des Ottomans qui sont gérés par l’ambassade d’Espagne, et des Allemands capturés en Belgique et au Congo belge, pris en charge par la légation des Pays-Bas96

.

La régularité de ces deux types d’intervention durant toute la captivité des internés a permis de considérablement améliorer leurs conditions de détention. Les prisonniers les plus démunis ont bénéficié de l’envoi d’objets de première nécessité essentiels à leur survie. Cette aide a notamment été possible grâce à au rôle actif du comité de secours allemand du camp. Elle s’est réalisée par le biais de deux collaborations : celle des autorités avec lesquelles il correspond régulièrement et parvient à se légitimer, et celle avec les prisonniers aisés du camp qui ne sont pas dans le besoin. En décembre 1917, le comité de secours allemand récolte ainsi près de 3.150 francs auprès d’une quinzaine de prisonniers, destinés à améliorer les conditions de « soldats allemands blessés au théâtre des opérations de la guerre actuellement en traitement à l’hôpital de l’Arsenal à Brest »97. Des spectacles de bienfaisance sont également

organisés par le comité de secours allemand du camp. En 1917, lors des fêtes de Noël, il négocie avec le sous-préfet de Brest un « service divin avec le concours de l’orchestre et du chœur, un concert gratuit pour les nécessiteux allemands avec distribution gratuite d’un repas et des étrennes et une fête de bienfaisance pour le camp tout entier »98

. Ces événements permettent à la fois de récolter des dons qui sont ensuite reversés aux plus nécessiteux, mais également de divertir l’ensemble des prisonniers du camp. Les autres catégories sociales de prisonniers ont, en effet, également bénéficié des bienfaits de ces comités qui leur ont permis de disposer d’un certain bien-être physique et moral. Ils ont, par exemple, obtenu des faveurs qu’ils n’auraient jamais eues sans la présence de cette aide. En mars 1918, un interné parvient à recevoir un violoncelle par le biais du comité universel des Unions Chrétiennes de Jeunes Gens99

. Cet exemple témoigne de l’influence acquise par les comités qui parviennent, au fil de la guerre et jusqu’à la libération des internés, a directement influencé les décisions des autorités. Par exemple, en avril 1919, après être intervenu dans la vie culturelle du camp en organisant notamment des expositions de produits réalisés par les internés artisans100

, le comité de secours négocie avec le préfet du Finistère une augmentation de la ration de pain et la fin de l’interdiction des cigarettes.

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ADF, 9R2. Note de service « Gouvernements chargés des intérêts des internés », 3 août 1917.

97

ADF, 9R32. Lettre du Comité de secours des internés civils allemands de l’Île Longue au préfet du Finistère, 15 décembre 1917.

98

ADF, 9R25. Lettre du Comité de Secours des internés civils allemands du camp de l’Île Longue au sous-préfet de Brest, 26 novembre 1917.

99

ADF 9R25. Lettre du sous-préfet de Brest au préfet du Finistère, 15 mars 1918.

100

ADF, 9R4. Lettre du Comité de Secours des internés civils allemands du camp de l’Île Longue au préfet du Finistère, 3 août 1917.

Ainsi, si des rapprochements peuvent avoir lieu avec le personnel de surveillance du camp, les prisonniers restent étroitement surveillés par l’autorité civile qui doit appliquer les directives de son ministère. Le respect des conventions internationales est principalement contrôlé par les États neutres. Leur implication dans la vie des prisonniers du camp, ainsi que celle des comités de secours, contribue grandement à l’amélioration des conditions de vie des prisonniers. Leur intervention a instauré une aide complémentaire aux conditions, déjà relativement correctes, proposées par les autorités françaises. Elle apparaît alors indispensable au vu de la diversité de prisonniers qui peuplent le camp.

4. Un camp numériquement important

En octobre 1914, le camp de l’Île Longue est spécialement créé pour interner près de 5.000 prisonniers101

. Jusqu’à sa dissolution en décembre 1919, il représente une plaque tournante des flux entrants et sortants de prisonniers dans le département du Finistère. Cette capacité d’accueil considérable conduit à la rencontre de plusieurs groupes d’individus avec des profils divers qui ne se côtoient habituellement pas dans la société civile. Ces cohabitations spécifiques à la captivité concernent principalement les internés civils, suspectés de sentiments germanophiles, qui côtoient les militaires partis combattre et qui ont été capturés sur le front. Mais en dépit de ces deux catégories, les prisonniers présentent également différents profils sociaux.

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