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3 1919 : Le retour à la vie « normale » ?

B. Une expérience marquante pour le reste de leur vie ?

Au moment de leur arrestation, les internés avaient eu l’obligation de délaisser leurs affaires personnelles à l’arrivée du camp et leurs biens personnels avaient été séquestrés par les autorités80. En 1918 et 1919, si leur départ de l’Île Longue les libère de leur condition

d’internés, ils ne redeviennent pas pour autant maîtres de leurs biens qui font l’objet d’une patrimonialisation par l’État français. À partir de 1918 et le rapatriement progressif des internés, le gouvernement français établit, en effet, des règles strictes concernant les conditions dans lesquelles les internés quittent les camps. Au moment de leur libération, leurs bagages et les baraques dans lesquelles ils dormaient doivent faire l’objet de fouilles. Pour des questions de défense nationale, « les notes, cours, mémoires écrits par les internés, tous les livres en leur possession, puis les lettres privées ou de famille ou qui seraient remises par des internés » doivent être retenus81

. Ces documents sont ensuite examinés à la légation suisse de Paris, puis à la Préfecture, pour ensuite être remis à la délégation allemande à la Conférence

77

ADF, 9R25. Lettre du sous-préfet de Brest au préfet du Finistère, 20 octobre 1919.

78

ADF, 9R4. Procès-verbal de rétrocession à l’autorité militaire des locaux et du matériel du dépôt de l’Île Longue avec inventaire du matériel existant le 24 décembre 1919 annexé au procès-verbal en date de ce jour, 7 janvier 1920.

79

ADF, 9R114. Circulaire n°17 du Ministère de l’Intérieur aux préfets, 15 février 1920.

80

ADF, 9R2. Note de service n°10 applicable aux internés allemands, émise par la Préfecture du Finistère, 7 octobre 1916.

81

de la Paix en 191982. L’ampleur de la production culturelle produite à l’Île Longue,

principalement renvoyée aux comités de secours et aux Croix-Rouge à la fermeture du camp, témoigne de l’importante stimulation intellectuelle des internés tout au long de leur captivité. Le comité de secours des internés allemands estime, par exemple, le contenu de la bibliothèque entre 7.000 et 8.000 ouvrages envoyés à la Bibliothèque Centrale des Prisonniers de Guerre Allemands à Berne à la libération des internés83

. Le comité joue un rôle actif dans le renvoi des documents personnels des internés. Les listes établies permettent de connaître les productions de chacun des internés rapatriés en octobre 1918 et de savoir comment les internés sensibles aux activités intellectuelles ont occupé leur temps84

.

Graphique 9 : Types de travaux produits par une partie des prisonniers et rapatriés de l’Île Longue en octobre 1918

En octobre 1918, près de 170 prisonniers quittent l’Île Longue en laissant aux camps les travaux qu’ils ont produits ainsi que les objets qui ont servi à enrichir l’offre culturelle, à

82

ADF, 9R8bis, Lettre du préfet du Finistère au sous-préfet de Brest, 12 novembre 1919. ADF, 9R114. Lettre de l’administrateur séquestre des biens laissés par les internés au préfet du Finistère, 25 novembre 1920.

83

ADF, 9R46. Lettre du comité de secours des internés allemands de l’Île Longue au préfet du Finistère, 2 juillet 1918.

84

ADF, 9R114. Liste des productions culturelles envoyée à la Légation Suisse, 9 octobre 1918. 51%

22% 11%

8%

5% 4%

Travaux juridiques, littéraires, graphiques et scientifiques Travaux d'écritures Cahiers d'études Dessins et peintures Objets personnels Livres

l’image des instruments de musique. La majorité des travaux référencés correspondent aux travaux personnels des internés, souvent de nature littéraire et scientifique, qui montrent qu’ils ont essayé de poursuivre leurs réflexions dans le cadre de leurs études ou de leur métier et ce, malgré l’immobilisation physique et mentale créée par la captivité. Plusieurs travaux de 14 des principaux organisateurs de la vie culturelle du camp sont mentionnés alors que 10 d’entre eux ne sont rapatriés qu’en octobre et novembre 1919. Ce décalage correspond certainement à une anticipation des autorités qui souhaitent progressivement libérer le camp, tout en restant incertaines du sort des prisonniers après la fin de la guerre. Cette anticipation s’explique également par la quantité des travaux produits par les internés. Par exemple, durant sa captivité, l’intellectuel Karl Italiener, qui participe à la rédaction du journal Die Insel Woche et dispense des enseignements de comptabilité, a rédigé près de quinze cahiers d’écritures et produit plusieurs travaux graphiques. La continuité des réflexions entamées avant la captivité de ces prisonniers n’est propre, ni à l’internement, ni au premier conflit mondial. Elle représente un moyen de s’adapter à la situation extraordinaire à laquelle les protagonistes doivent faire face. Pour cela, ils adoptent les mêmes comportements que ceux de leur vie d’avant-guerre. À l’Île Longue, cette attitude leur permet de faire abstraction de l’oisiveté qui les menace et de rendre leur captivité profitable. Les mêmes logiques se dessinent dans les tranchées, mais également durant la Seconde Guerre mondiale, tant du coté des soldats que des prisonniers. Les intellectuels ont poursuivi leur travail au front dans le but de s’évader spirituellement, d’oublier provisoirement les difficiles conditions de vie qui les fragilisent et de renforcer les liens avec leurs semblables85

. Ce fut notamment le cas de Marc Bloch qui, alors sergent d’infanterie puis capitaine, rédigea un carnet de guerre mais également un autre carnet intitulé « Travail de l’historien » qui constitue les prémices de sa thèse86

. D’autres se concentrent sur l’écriture de leur expérience qu’ils savent inhabituelle et dont le récit pourrait être déterminant pour les futures générations, à l’image du capitaine Georges Mongrédien, officier de réserve capturé en 1940 et qui n’a pas reçu l’autorisation de travailler. Après cinq années de captivité, il a rédigé près de 1.000 pages et de nombreux carnets, dans lesquels il fait état de ses expériences de guerre, de ses rapports avec la captivité puis de sa libération et

85

Nicolas MARIOT, Tous unis dans la tranchée ?, op. cit, pp. 249-252.

86

Leonard V. SMITH, « Le récit du témoin, formes et pratiques d’écriture dans les témoignages sur la Grande Guerre » dans Christophe PROCHASSON et Anne RASMUSSEN (dirs.), Vrai et faux dans la Grande guerre, Paris, Éditions la Découverte, 2004, pp. 277-301. Voir également le cas de Fernand Braudel, Peter SCHÖTTER, « Fernand Braudel, prisonnier en Allemagne : face à la longue durée et au temps présent », dans Anne-Marie PATHÉ et Fabien THÉOFILAKIS (dirs.), La captivité de guerre au XXe siècle, op. cit, pp. 128-140.

de son rapatriement87. Les intellectuels réalisent, en effet, assez rapidement que leur

expérience est unique. L’écriture, présente dans 22% des travaux produits rapatriés en octobre 1918, apparaît comme le principal moyen de résister aux difficultés de la captivité mais également de transmettre leur témoignage, dans un contexte où ils ne savent pas s’ils survivront aux obstacles auxquels ils doivent faire face.

Le cas de l’intellectuel allemand Karl Italiener reflète particulièrement le quotidien des intellectuels en captivité. Commerçant de profession aux États-Unis, il profite de la bibliothèque du camp pour lire et traduire en allemand de nombreux ouvrages d’économie à l’image de Investigating an Industry, a scientific diagnosis of the diseases of management de William Kent88. L’avant-propos de la traduction, qu’il a écrit à l’Île Longue, révèle une

certaine projection vers l’avenir. Selon lui, « la lutte sanguinaire des peuples européens sera suivie d’une bataille - non moins chaude – la compétition pour la maitrise du marché mondial » et dans laquelle « l’industrie allemande aura besoin d’une organisation interne plus rigoureuse »89. À travers cette occupation, l’interné reproduit son rôle d’intellectuel, tel qu’il

aurait pu l’endosser avant la guerre. En adoptant une attitude presque avant-gardiste, il se positionne en conseiller auprès de ses confrères économistes, tout en continuant d’adopter une position patriotique à l’égard de la prospérité de son pays. Ses années de captivité apparaissent décisives, à la fois dans la construction de sa figure d’intellectuel, que dans sa carrière. Durant près de cinq années, elles lui ont, en effet, permis d’analyser la partie théorique de sa profession, étude qu’il n’aurait probablement pas faite en disposant librement de ses facultés intellectuelles et de son activité professionnelle. En étant privé de ces dernières, il a développé ses propres théories économiques en profitant des structures culturelles, qui lui ont été offertes à l’Île Longue, telles que la bibliothèque. La captivité est alors créatrice de nouveaux intellectuels qui, dans la société civile d’avant la guerre, n’auraient pas obligatoirement endossé ce statut. Elle expliquerait notamment l’implication plus ou moins significative des 76 intellectuels qui ont participé à la vie politique et culturelle du camp ainsi que la hiérarchie du groupe. Karl Italiener dessine pour Die Insel Woche et donne des cours de comptabilité. Il contribue ainsi à l’offre culturelle du camp mais sans véritablement établir sa ligne directrice qui est davantage aux mains des intellectuels-

87

Anne-Marie PATHÉ, Yann POTIN et Fabien THÉOFILAKIS, Archives d’une captivité, 1939-1945, op. cit.

88

William KENT, Investigating an Industry, a scientific diagnosis of the diseases of management, New York, John Wiley & sons, 1914.

89

Avant-propos disponible en ligne : http://www.ilelongue14-18.eu/IMG/pdf/k._italiener_-_avant-propos.pdf, consulté le 9 mai 2017.

administrateurs, initiateurs du projet et des directeurs de chacune des activités. Les activités sont ensuite animées par des adhérents du projet, comme Karl Italiener, qui y trouvent le moyen, premièrement de s’occuper l’esprit et, deuxièmement, l’occasion de s’élever socialement. Le professionnalisme qu’Italiener a acquis pendant ces années de détention lui a ensuite permis de gagner en influence dans son milieu professionnel.

Certains intellectuels ont également profité de leur expérience de la captivité pour étoffer leur réseau social et professionnel. Les quelques éléments de la vie de l’interné et dessinateur Max Pretzfelder après sa libération révèle l’existence d’amitiés nées à l’Île Longue, et qui ont perduré après la libération des prisonniers. Il aurait notamment gardé contact avec l’horloger Willy Hennings, auteur de plusieurs articles dans le journal du camp, et Georg Wilhelm Pabst, principal metteur en scène de la troupe de théâtre du camp. Son mariage avec la sœur de Willy Hennings laisse croire que les deux prisonniers se sont régulièrement fréquentés après leur libération, alors qu’ils sont originaires de régions différentes. En revanche, sa relation avec Georg Wilhelm Pabst semble davantage professionnelle. Le réalisateur autrichien a, en effet, fait appel aux talents d’acteur et de costumier de Max Pretzfelder dans cinq de ses films90. Les deux anciens internés de l’Île

Longue semble s’être rencontrés dans le cadre de leur captivité. Leurs fiches de renseignements, sur lesquels figurent leurs anciens domiciles et les camps dans lesquels ils ont transité, laissent penser qu’ils ne se connaissaient pas avant la guerre et qu’ils se sont liés d’amitié à l’Île Longue. Leur passion pour le théâtre leur a permis de s’engager, pendant près de quatre ans, dans la troupe du camp et de probablement surmonter ensemble les difficultés de la captivité. La captivité se présente alors comme créatrice d’un réseau de sociabilité inédit, qui met en relation d’anciens internés. Les difficultés et le contact permanent durant plusieurs années a, en effet, fait naître plusieurs relations amicales qui ne sont pas spécifiques aux intellectuels du camp, bien que leurs relations aient pu être publiques par la suite. D’autres internés, n’ayant pas joué de rôle spécifique dans le camp, ont probablement gardé contact avec les internés avec lesquels ils partageaient de grandes affinités. En revanche, le travail des intellectuels a pu favorisé ces rapprochements. Avec près de 1.500 prisonniers en moyenne dans le camp par an et d’importants flux avec les autres dépôts, les activités

90

Ursula BURKERT, Fernab des Krieges: Das Leben des Carl Röthemeyer im Internierungslager Île Longue, op.

cit, pp. 105-107. Voir, par exemple, Georg WilhelmPABST (réal.),Die freudlose Gasse, Allemagne, 1925, 148

culturelles qu’ils ont proposées ont mis en relation des passionnés qui ne se seraient pas forcément rencontrés autrement, alors qu’ils cohabitaient dans le même camp.

Enfin, ces relations apparaissent essentielles à la bonne réintégration des internés dans la société civile d’après-guerre. Si leur libération a fait l’objet de fortes mobilisations en Allemagne après l‘armistice, ils restent des acteurs secondaires du conflit91. Le courage et les

traumatismes des soldats qui ont survécu au front marquent la société allemande, reconnaissante de leur dévouement. Contrairement aux scénarios qu’ils redoutaient, les prisonniers sont rarement considérés comme des embusqués. La médiatisation de leurs conditions de détention par la presse allemande, notamment à partir de 1918 et 1919, a sensibilisé les populations sur les souffrances qu’ils ont silencieusement endurées durant près de cinq années. Pourtant, comme pour les soldats, les prisonniers peuvent présenter certaines blessures psychologiques qui les retranchent dans le silence. Dans son ouvrage Fernab des

Krieges - das Leben des Carl Röthemeyer im Internierungslager Île Longue, Ursula Burkert,

fille de l’interné Carl Röthemeyer, raconte les réticences de son père à évoquer son passé de captif et n’apprend les détails sur cette période de sa vie qu’après sa mort92. Pour autant, il ne

semblait pas cacher les rencontres qu’il avait faites à l’Île Longue, probablement parce que certains des internés étaient devenus des amis chers avec lesquels ils pouvaient partager ses souvenirs et blessures. Des portraits, réalisés par le dessinateur Léo Primavesi pendant sa captivité, étaient par exemple ostensiblement affichés dans sa maison, révélant un certain attachement de Carl Röthemeyer pour cette période extraordinaire de sa vie. D’autres, ont extériorisé leur douleur à travers leurs propres productions d’après-guerre. Le film de Georg Wilhelm Pabst, Westfront 1918 : Vier von der Infanterie (Quatre de l’infanterie), adapté du roman d’Ernst Johannsen en 1930, retrace l’expérience combattante et l’amitié de quatre fantassins de l’armée française jusqu’à leur mort. L’évocation de thèmes également présents en captivité, tels que le manque de la femme, les spectacles et la folie, sonne, à la fois comme une thérapie personnelle durant laquelle le réalisateur a extériorisé ses peines, mais également comme un hymne à la fraternité et à la paix, adressé à tous les protagonistes de la guerre93. À

travers ce film, l’ancien interné se fait le représentant de tous ses camarades qui éprouvent des difficultés à évoquer leur expérience de la captivité. Ce passage charnière de leur vie a été occulté de la mémoire collective construite dans les années 1920, empêchant les anciens

91

Sur le retour des prisonniers dans leur patrie et leur besoin de reconnaissance, voir l’exemple des prisonniers français. Bruno CABANES, La victoire endeuillée, op. cit, pp. 410-424.

92

Ursula BURKERT, Fernab des Krieges, op. cit.

93

prisonniers d’exprimer leur douleur. Ce mal-être a parfois développé des troubles psychiques chez certains internés. Georg Wilhelm Pabst a notamment évoqué le suicide de six de ses camarades après l’armistice, probablement en 1919 lorsqu’ils étaient dans l’attente d’un rapatriement94. Pour ceux qui ont survécu à la captivité, le manque de reconnaissance de leur

patrie et la « culpabilité du survivant »95 peuvent également conduire à un repli sur eux-

mêmes.

Ainsi, les comportements adoptés par les 76 intellectuels de l’Île Longue se démarquent de ceux des autres internés et ont contribué à la formation du projet culturel destiné à occuper l’esprit de tous les prisonniers. Arrivés seuls à l’Île Longue, la plupart d’entre eux sont d’abord individuellement confrontés aux différentes conditions sociales qui peuplent le camp. Si certains essayent timidement de côtoyer des internés qui ne sont pas issus de milieux similaires, ils sont rapidement trahis par leurs pratiques sociales qui excluent le bruit et les jeux d’argent, pourtant pratiqués par bon nombre des internés, au profit d’activités intellectuelles, telles que la lecture et l’écriture. En étant rejetés de ces milieux, les intellectuels parviennent toutefois à identifier leurs semblables, créant ainsi un réseau qui cherche à influencer plusieurs domaines de la vie du camp, à l’image des activités culturelles qui leur permettent de regagner une influence, voire d’acquérir des statuts qui légitiment leur autorité et les mettent directement en lien avec les autorités, à l’image de chef de chambrée. Si cet engagement profite théoriquement à tous les internés, certains rejettent l’omniprésence de cette autorité perçue comme une subordination à l’autorité française. Ces refus marquent l’échec de cohésion qui était pourtant l’un des objectifs du groupe. La durée de l’internement, qui a accentué les divergences sociales, apparaît comme l’un des facteurs de cet échec. À leur libération, la plupart reprennent le cours de leur vie d’avant guerre en essayant d’oublier leur expérience de guerre. Mais l’amitié et les réseaux nés de leur captivité surmontent, dans certains cas, l’amnésie volontaire de cette période difficile de leur vie. Celui de quelques intellectuels-administrateurs révèle une certaine continuité des projets nés en captivité. Pour d’autres, leur participation à la vie culturelle a pris la forme d’une formation qui leur a offert la possibilité de véritablement devenir des intellectuels après leur libération.

94

Barthélémy AMENGUAL, G.W. Pabst, op. cit, p. 11.

95

C

ONCLUSION

La figure de l’intellectuel en captivité apparaît ainsi complexe, partageant à la fois des caractéristiques communes avec ses homologues de la société civile d’avant-guerre et ceux envoyés au front, mais en présentant aussi ses propres spécificités. L’étude du camp de l’Île Longue permet de comprendre l’hétérogénéité d’un groupe composé de 76 internés définis comme intellectuels, malgré la diversité de leur profil.

La constitution de ce groupe s’est réalisée de manière progressive, en parallèle des vagues d’arrivées de prisonniers, principalement survenues en 1914 et 1916. Internés dans un camp exceptionnellement grand, les intellectuels se sont d’abord démarqués des autres internés par leur engagement auprès des autorités détentrices, dans le but d’instaurer des activités qui stimulent leur esprit et celui de leurs camarades, profondément atteints par l’oisiveté quotidienne de leur situation, et pour laquelle les autorités sont incapables d’y remédier. Dès lors, deux groupes d’intellectuels ont participé à la création d’une vie culturelle au camp. Les intellectuels-administrateurs ont été les principaux médiateurs entre les autorités et les internés, ainsi que les initiateurs du projet culturel. Ils ont ainsi administré quatre grandes activités, que sont la création et la diffusion d’un journal, d’une troupe de théâtre, d’une petite université populaire et la gestion d’une immense bibliothèque, qui ont rythmé la vie des internés entre 1916 et 1918. Majoritairement originaires de l’élite culturelle et sociale allemande, tous ne présentent pourtant pas les compétences nécessaires pour encadrer ce projet, à l’image des membres de l’élite économique, mais deviennent, dans le contexte spécifique de la captivité, des internés engagés dans une cause qui leur tient à cœur et qui leur permet de tenir psychologiquement. Ce type d’engagement participe à la spécificité de la

Lagerintelligenz, c’est-à-dire de la figure intellectuelle telle qu’elle se présente en captivité.

Des hommes, qui n’auraient pas été considérés comme des intellectuels dans la vie civile endossent exceptionnellement ce rôle « d’homme du culturel, créateur ou médiateur, mis en situation d’homme du politique, producteur ou consommateur d’idéologie »1

. Ils présentent ainsi des différences avec le comportement et les rapports qu’entretiennent les intellectuels français partis combattre avec les autres combattants, étudiés par Nicolas Mariot dans Tous unis dans la tranchée ?: 1914-1918, les intellectuels rencontrent le peuple, et choisis pour

1

Pascal ORY et Jean-François SIRINELLI, Les intellectuels en France: de l’affaire Dreyfus à nos jours, op. cit., p. 10.

leur profil intellectuel visible avant l’éclatement du conflit2. Ce cas est notamment visible à

travers l’hétérogénéité des intellectuels de l’Île Longue, dont le degré d’implication dans la

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