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- LES OBSTACLES A L'EGALISATION DES TAUX DE PROFIT ET LES

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 119-131)

SURMONTER

L'objectif de la production capitaliste est le profit. L'obtention du plus grand profit possible est l'objectif de chaque capitaliste en particulier, la raison d'être de son activité économique, qui découle nécessairement des conditions de la lutte pour la concurrence. Car le capitaliste ne peut se maintenir que s'il s'efforce constamment, non seulement de résister à ses concurrents, mais même de les battre. Il n'y réussit que s'il parvient à accroître son profit au-dessus de la moyenne, par conséquent à obtenir un surprofit1.

Mais cet effort subjectif en vue du profit le plus élevé possible a pour résultat objectif la tendance à l'établissement du même taux de profit moyen pour tous les capitaux2.

Ce résultat on cherchera à l'atteindre par la concurrence des capitaux pour les sphères de placement, l'afflux constant du capital dans les secteurs à taux de profit supérieur à la moyenne et son reflux constant hors des secteurs à taux de profit inférieur à cette moyenne. Mais ce va-et-vient constant se heurte à des obstacles qui s'accroissent au fur et à mesure du développement capitaliste.

Le développement de la productivité du travail, le progrès technique, se manifestent en cela que la même quantité de travail vivant met en mouvement une quantité croissante de moyens de production. Ce processus se reflète économiquement dans la composition organique de plus en plus élevée du capital, la part de plus en plus grande qu’occupe le capital constant par rapport au capital variable à l'intérieur du capital global3. Dans cette modification de la proportion c : v s'exprime le changement de l'image que présentaient la manufacture et la fabrique pré-capitaliste avec leurs groupes d'ouvriers serrés les uns contre les autres dans des ateliers exigus autour de quelques petites machines, en comparaison avec l'usine moderne où derrière les immenses carcasses des automates, de petits hommes à peine visibles çà et là semblent toujours disparaître de nouveau.

Mais le développement technique entraîne également un changement à l'intérieur des éléments dont se compose le capital constant. Ainsi, la part du capital fixe croit plus rapidement que celle du capital circulant. C'est ce que montrent les textes suivants :

« Les progrès techniques dans les hauts fourneaux ont contraint à une activité de plus en plus grande, amené une concentration de capital de plus en plus forte. Selon Lürmann (« Les Progrès dans l'industrie des hauts fourneaux depuis cinquante ans », Düsseldorf, 1902), le cubage des hauts fourneaux s'est accru depuis 1852 dans la proportion à 33,3 et de 1 à 7 par tonne de cubage. En 1750, quatorze hauts fourneaux de charbon de bois silésiens produisaient au total 25 000 quintaux de fer brut, en 1799, les deux hauts fourneaux à coke de Königshütte voyaient passer leur production à 40 000 quintaux par an. Œchelhaüser célèbre en 1852 une production journalière de 50 à 60 000 livres 1 Hobbes explique cet effort de la manière suivante : la tendance générale de l'homme est « le désir permanent de plus en plus de puissance, désir qui ne prend fin qu'avec la mort ». « Et la cause en est toujours que chacun espère un plaisir plus intense que celui qu'il a obtenu ou qu'il ne se satisfait pas d'une puissance modérée, et qu'il ne peut assurer la puissance et les moyens pour le bien-être dont il jouit sans en avoir davantage » (Le Léviathan, chap. XI). Le motif capitaliste - le profit pour le profit - est personnifié chez Zola par Gunderman, qui ne se nourrit que de lait et malgré cela continue à pratiquer l'usure.

D'où sa victoire - celle du principe capitaliste - sur Saccard, chez qui la recherche du profit est troublée par un mélange étranger au capital : le goût de la puissance, les idées culturelles et des besoins de luxe. Gunderman est le type du capitaliste sous sa forme la plus pure, saisi comme usurier et spéculateur en Bourse, bien plus que le Gabriel Borkmann d'Ibsen (chez qui le besoin social est violenté par le capitalisme). Car Borkmann part du besoin social au lieu de la recherche du profit, par conséquent d'un motif étranger au capitaliste. Dans les drames bourgeois, cette contradiction entre l'intérêt social et l'intérêt du profit est toujours le motif tragique, et c'est ce qui explique si souvent leur effet non réaliste. Le vrai capitaliste se présente tout autrement que l'avare, dont la misère personnelle apparaît parfois tragique : non comme personnage dramatique, mais seulement comme épisode dans le roman.

2 Des motifs des sujets économiques agissants, déterminés eux-mêmes par la nature des rapports économiques, on ne peut rien tirer de plus que la tendance à l'établissement de l'égalité des conditions économiques : mêmes prix pour les mêmes marchandises même profit pour le même capital, même salaire et même taux d'exploitation pour le même travail. Mais, de cette façon, en partant des motifs subjectifs, je n’aboutis jamais aux rapports quantitatifs. Il me faut connaître déjà l’importance du produit social pour pouvoir trouver les déterminations quantitatives des différentes parties. De facteurs psychologiques il est impossible de tirer des résultats quantitativement déterminés.

3 A quel point, dans les usines modernes de fer laminé, la part du travail vivant a diminué, c'est ce qu'expriment les chiffres suivants : « Le seul élévateur dans le laminage des rails a eu pour effet de faire passer de 15-17 à 4-5 le nombre des servants. » Aux Etats-Unis, le salaire par tonne de produit fabriqué est passé de 1880 à 1901 :

pour les lamineurs de rails de 15 à moins de 1 ---tréfileurs de 212 à moins de 12 ---chauffeurs de rondins de 80 à moins de 5

(Voir Hans Gideon Heymann, Les Usines mixtes dans la grande industrie sidérurgique allemande, Stuttgart, 1904, p. 23.)

prussiennes. Les derniers records par jour et haut fourneau sont : société d'exploitation Deutscher Kaiser (Thyssen), 518 tonnes; Ohio Steel Co n° 3, 806 tonnes. Autrement dit, le haut fourneau américain produit en une trentaine d'heures ce qu'un haut fourneau silésien produisait autrefois en une année entière et en 36 heures ce que produisaient dans l'année il y a cent cinquante ans quatorze hauts fourneaux silésiens.

En conséquence, les frais d'installation par haut fourneau ont augmenté dans d'énormes proportions. Les hauts fourneaux de Königshütte susmentionnés étaient estimés en gros à 40 000 thalers, ce qui représente environ un capital de fondation de 20 000 thalers par tonne de production quotidienne. En 1887, on était descendu, selon Wedding, avec des frais d'établissement de près de 1 million de marks par haut fourneau, à 5 400-6 000 marks par tonne de production journalière. Ces derniers temps, les frais par tonne de production journalière, du fait de l'introduction de nombreux nouveaux appareils et de la suppression presque complète du travail manuel, se sont élevés à environ 10 000 marks, ce qui signifie qu'un faut fourneau normal de 250 tonnes dans le bassin de la Ruhr coûte aujourd'hui 2 millions et demi de marks. Quant aux hauts fourneaux américains, ils ont déjà englouti 6 millions de marks.

En dehors du Siegerland et de la Haute-Silésie, il n'y a presque plus aujourd'hui en Allemagne de hauts fourneaux d'une capacité de production journalière inférieure à 100 tonnes. La production annuelle minima d'un nouveau haut fourneau doit être estimée à 30 à 40 000 tonnes au minimum, mais l'activité de plusieurs hauts fourneaux offre de grands avantages, d'où l'effort en vue d'accroître constamment le nombre des hauts fourneaux appartenant à la même société. De même, les frais généraux (direction, laboratoire, ingénieurs), les frais de la machinerie de réserve nécessaire (soufflerie, chaufferie), se répartissent sur une production beaucoup plus vaste. Mais ce n'est qu'en groupant plusieurs fourneaux qu'on peut, bon an mal an, produire dans un même fourneau la même sorte de fer brut. On évite ainsi le passage onéreux, dans le même fourneau, d'une sorte de fer brut à l'autre, et il devient alors possible de spécialiser la construction des fourneaux en vue de la production d'une sorte de fer déterminée. Enfin, l'utilisation des inventions modernes (transport rationnel des matières premières, chaudière de fonderie, mélangeur, etc.) n'est économiquement rationnelle qu'avec de hauts chiffres de production et plusieurs fourneaux (Heymann, op. cit., pp. 13 sq.).

A cette branche d'industrie à haute composition organique, il est intéressant de comparer une autre branche industrielle où l'utilisation des machines a atteint également un très haut degré, mais où, par suite de tout autres conditions techniques, la composition organique est beaucoup plus basse. Nous montrerons l'importance du capital nécessaire pour la fabrication des chaussures en prenant l'exemple d'une usine qui fabrique 6 à 800 paires de chaussures par jour, la moitié à semelles débordantes, la moitié à semelles cousues.

Bâtiments...100 000 marks Terrain... 50 000 » Machines à vapeur (50 CV)...21 000 » Installations électriques ...20 000 » Machines et autres installations...80 000 » Formes...25 000 »

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Capital fixe...296 000 marks

Supposons maintenant que le capital circulant soit transformé deux fois par an ; nous obtenons : Matières premières pour six mois ....350 000 marks

Salaires pour six mois ...100 000 » Frais divers pour six mois...90 000 »

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Capital circulant...540 000 marks

« Nous pourrons donc dire qu'en dehors d'un capital fixe d'environ 300 000 marks, il faut un capital circulant de 500 000 marks, soit, pour cette fabrique, qui occuperait 180 à 200 ouvriers, un capital total d'environ 800 000 marks » (Karl Rehe, op. cit., p. 54)

En revanche, « Une grande firme combinée Thomas, d'une production de 300 000 à 400 000 tonnes, dont la fon-dation est projetée en Allemagne occidentale, et qui doit acheter des terrains ferrugineux, coûterait aujourd'hui au moins :

1 000 hectares de terrains ferrugineux ...10 millions de marks Six terrains houillers dans le bassin de la Ruhr...3 »

Une mine de charbon d'une capacité extractive de un million de tonnes, y compris les cokeries...12 » Construction de hauts fourneaux...10 » Usine sidérurgique...5 » Terrains, lignes ferroviaire, logement ouvriers, etc. ...5 »

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Soit en tout...55 millions de marks

Il faut envisager pour un tel combinat un personnel ouvrier de 10 000 personnes. En Amérique, on estime nécessaire un capital de 20 à 30 millions de dollars pour une aciérie d'une capacité de production deux fois plus grande (2 500 tonnes par jour). En revanche, on a investi en 1852 dans toute l'industrie du fer de la province de Nassau un capital de 1 235 000 florins » (Heymann, op. cit., p. 26).

Mais cet énorme accroissement du capital fixe a pour conséquence qu'il devient de plus en plus difficile de retirer les capitaux une fois investis. Alors que le capital circulant, à la fin de chaque période de transformation, peut être reconverti en argent et placé de nouveau dans une autre branche de production, le capital fixe est immobilisé par toute une série de périodes de transformation dans le processus de la production. Sa valeur se transfère peu à peu sur le produit et revient aussi progressivement sous forme d'argent. La transformation du capital global se prolonge. Plus la part du capital fixe est importante, plus vastes ses dimensions, plus il pèse lourdement dans la balance des investissements, et plus il est difficile de réaliser la valeur qui y est liée sans lourdes pertes et de transférer ensuite le capital dans une sphère de production plus favorable. Mais cela a pour résultat de modifier la lutte de concurrence du capital pour les sphères de placement. A la place des vieilles barrières légales de la tutelle moyenâgeuse, de nouvelles barrières économiques sont apparues, qui restreignent la liberté de mouvement du capital, restriction qui n'affecte d'ailleurs que les capitaux déjà investis dans la production et non ceux qui cherchent à s’investir. Une deuxième barrière consiste en ceci que le développement technique élargit en même temps l'échelle de la production, que les dimensions croissantes du capital constant et en particulier du capital fixe exigent des capitaux de plus en plus considérables, pour pouvoir élargir la production d'une façon adéquate ou créer de nouvelles entreprises. Les sommes progressivement accumulées au moyen de la plus-value sont très loin de suffire pour pouvoir être transformées en capitaux indépendants.

On pourrait ainsi penser que même l'afflux de nouveaux capitaux est insuffisant ou vient trop tard. Mais la liberté de mouvement du capital est la condition de l'établissement du taux de profit égal - égalité impossible si l'afflux ou le reflux du capital ne peuvent se faire sans entraves. Comme la tendance à l'égalité du profit est en premier lieu effort individuel du capitaliste en vue du plus haut profit possible, la barrière doit être supprimée en premier lieu au niveau individuel.

C'est ce qui se passe grâce à la mobilisation du capital.

Pour centraliser le capital, il suffit de l'associer. Mais la mobilisation élargit en même temps le cercle du capital associé. Car elle rend la reconversion du capital industriel, y compris le capital fixe, en capital-argent la plus indépendante possible du véritable reflux à la fin de la période pendant laquelle le capital fixe doit fonctionner en tant que tel. Cette reconversion, bien entendu, n'est pas possible à l'échelle sociale, mais seulement pour un certain nombre de capitalistes changeant constamment. La possibilité d'être reconverti en argent donne au capital le mode de reflux du capital de prêt - capital-argent qui, avancé pour un certain temps, revient comme somme d'argent majorée de l’intérêt.

Mais cela permet à des capitaux d'être investis dans l’industrie, qui n'auraient pu le faire sans cela.

Ce sont des capitaux qui devraient être immobilisés pour un temps plus ou moins long ou placés provisoirement en tant que simple capital de prêt. Leur composition change constamment, Ils se contractent ou s'élargissent, mais il y a toujours une certaine somme ainsi provisoirement immobilisée. Celle-ci peut être transformée en capital industriel et par là fixée. Le changement constant de cette somme d'argent s’exprime dans le changement constant de la propriété des actions. Cette transformation en capital industriel ne se fait bien entendu qu’une fois pour toutes. L'argent immobilisé a définitivement été transformé en capital-argent et celui-ci en capital productif. Les nouvelles sommes d'argent qui affluent maintenant de ce fonds d'argent immobilisé fonctionnent en tant que moyens d'achat pour les actions et ne servent plus que comme moyens de circulation pour leur échange. Mais, pour propriétaires de l’argent initialement converti en capital industriel, elles permettent le reflux de leur argent, dont ils peuvent maintenant disposer de nouveau à d'autres fins, après qu'il a fonctionné pour eux aussi dans l'intervalle en tant que capital. Observons en passant qu'avec la hausse du cours des actions, l'argent nécessaire pour leur échange doit, toutes proportions gardées, augmenter également et qu'alors il peut entrer dans cette circulation plus d'argent qu'il n'en a été initialement transformé en capital industriel. A propos de quoi il faut tenir compte qu'en règle générale le cours des actions est plus élevé que la valeur du capital industriel en lequel l'argent a été converti.

La mobilisation du capital n'affecte en rien bien entendu le processus de production. Elle ne concerne que la propriété, ne crée que la forme de transfert de la propriété fonctionnant d'une façon capitaliste, le transfert de capital en tant que capital, somme d'argent produisant du profit. Comme il n'affecte pas la production, ce transfert n'est en fait que

transfert du titre de propriété sur le profit. Mais le capitaliste ne s'intéresse qu'au profit. La sphère dans laquelle ce profit a été réalisé lui est indifférente. Le capitaliste ne fait pas une marchandise, mais il fait, dans une marchandise, du profit.

Une action est donc aussi bonne qu'une autre si elle rapporte, dans les mêmes conditions, le même profit. Chaque action est donc estimée selon le profit qu'elle rapporte. Le capitaliste qui achète des actions achète pour la même somme d'argent une part aussi grande sur le profit que tout autre capitaliste. Sur le plan individuel, par conséquent, l'égalité du taux de profit est réalisée pour chaque capitaliste par la mobilisation du capital. Mais seulement sur le plan individuel, en ce sens que les inégalités existantes ne sont, lors de l'achat des actions, effacées que pour lui. En réalité, ces inégalités continuent d'exister, de même que leur tendance à se compenser mutuellement.

Car la mobilisation du capital n'affecte pas le véritable mouvement du capital vers l'égalisation du taux de profit.

Reste seulement l'effort du capitaliste en vue du plus grand profit possible. Celui-ci apparaît maintenant dans le plus grand dividende et le cours le plus élevé des actions. On montre ainsi nettement la voie au capital qui cherche à s'investir. Le montant du profit obtenu, qui était jusqu'alors le secret commercial de l'entreprise individuelle, apparaît maintenant exprimé d'une façon plus ou moins adéquate dans le montant du dividende et facilite ainsi, pour le capital à la recherche d'un placement, le choix de la branche de production vers laquelle il doit se tourner. Si, par exemple, dans une industrie sidérurgique, on réalise avec un milliard de capital un profit de 200 millions, et dans une autre industrie avec le même capital 100 millions seulement, la valeur totale des actions de la première, en supposant une capitalisation à 5 %, peut atteindre 4 milliards, celle de la seconde 2 milliards, et ainsi la différence être effacée pour les propriétaires individuels. Mais cela n'empêche pas les nouveaux capitaux de chercher à s'investir dans l'industrie sidérurgique où ils peuvent obtenir un profit supérieur à la moyenne. Précisément, par le système des actions, l'afflux des capitaux dans cette sphère industrielle sera facilité. Non seulement parce que, nous l'avons remarqué, l'obstacle découlant de l'importance du capital en est ainsi facilement surmonté, mais parce que le surprofit de cette branche de production permet aussi, capitalisé, un bénéfice de fondateur particulièrement élevé et pousse les banques à tourner leur activité vers cette branche. La différence des taux de profit se manifeste ici dans la différence des bénéfices du fondateur; celle-ci se compense du fait que les masses de plus-value nouvellement accumulées affluent dans les sphères de production donnant les bénéfices du fondateur les plus élevés.

De même, la mobilisation du capital ne diminue en rien les difficultés auxquelles se heurte l'égalisation des taux de profit. Par contre, l'association du capital, qui se développe en même temps que la mobilisation, supprime les obstacles qui résultent du montant du capital à investir : grâce à l'union des capitaux avec la richesse croissante de la société capitaliste, l'importance de l'entreprise n'est pas un obstacle à sa réalisation. Ainsi, de plus en plus, l’égalisation du taux de profit n'est possible que par l'introduction de nouveaux capitaux dans les sphères de production où le taux de profit est supérieur à la moyenne, alors que le reflux du capital hors de celles comportant un grand capital fixe se heurte à de nombreuses difficultés. Ici, la diminution du capital ne se réalise que par une disparition progressive de vieilles installations ou la destruction du capital en cas de faillite.

En outre, avec l'élargissement de l'échelle de la production, une autre difficulté se présente. Dans une sphère de production hautement capitaliste, une nouvelle entreprise doit d’avance avoir une grande extension; son installation accroîtra considérablement d'un seul coup la production. Les exigences de la technique ne permettent pas cet accroissement progressif de la production que nécessiterait sans doute la capacité d'absorption limitée du marché. La forte augmentation de la production compense et au-delà l'effet sur le taux de profit ; si ce dernier était supérieur à la moyenne, il tombe maintenant au-dessous de cette moyenne.

C'est ainsi que la tendance à l'égalisation du taux de profit se heurte à certains obstacles qui s'accroissent au fur et à mesure du développement du capitalisme. Ils agissent différemment selon les branches de production, en particulier selon la part que représente le capital fixe dans le capital global. Mais c'est précisément dans les sphères les plus développées de la production capitaliste, à savoir l'industrie lourde, que cette influence est la plus forte. C'est là que le capital fixe joue le rôle de loin le plus important. C’est là que le capital une fois investi se dégage le plus difficilement.

Quelles conséquences cela a-t-il pour le taux de profit dans ces branches de production? On peut imaginer le raisonnement suivant : dans ces branches d'industrie, il faut un capital initial très important ; or, la propriété de si gros capitaux initiaux est limitée ; aussi la concurrence y sera-t-elle moins forte et le profit plus élevé. Mais ce raisonnement ne tient pas compte du fait que cela n'est vrai que pour le temps où le capital fonctionnait encore individuellement. La possibilité d'association du capital supprime comme en se jouant cette barrière. L'importance du capital n'est pas du tout un obstacle à sa mise sur pied. En revanche, l'égalisation du taux de profit par suite du dégagement de capitaux est ici à peu près exclue, et de même la destruction de capital très difficile. Ces branches d'industrie développées sont aussi celles où la concurrence des petites entreprises est plus rapidement éliminée ou bien où il n'y a pas eu de petites entreprises (comme dans certaines branches de l'industrie électrique). Non seulement c'est ici le domaine de la grande entreprise, mais ces grandes entreprises disposant de gros capitaux s'égalisent de plus en plus, et les différences techniques et économiques qui assurent à certaines d'entre elles une position prépondérante dans la lutte pour la concurrence diminuent de plus en plus. Ce n'est pas une lutte de forts contre des faibles, où ces derniers seraient anéantis et par là supprimé l'excédent de capital dans ces branches de production, mais une lutte entre égaux, qui longtemps reste indécise et impose à tous les mêmes sacrifices. Ces entreprises doivent toutes maintenir le combat, car autrement l'immense capital que l'on y a investi perdrait de sa valeur.

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 119-131)