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- LES CONDITIONS GENERALES DE LA CRISE

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 152-161)

C'est une loi d'expérience que la production capitaliste est prise dans un mouvement cyclique de prospérité et de dépression, où le passage d'une phase à l'autre s'accomplit de façon critique. A un certain moment de la période de prospérité, on assiste dans toute une série de branches de production à un arrêt des ventes, en suite de quoi les prix baissent. Arrêt des ventes et baisse des prix font tache d'huile, la production est réduite. Cela dure plus ou moins longtemps, les prix et les profits sont bas. Puis, peu à peu, la production s'accroît, les prix et les profits augmentent, les dimensions de la production sont plus grandes que jamais, jusqu'à ce qu'une nouvelle crise se produise. Le retour périodique de ce phénomène oblige à se demander quelles en sont les causes, que seule peut dégager une analyse du mécanisme de la production capitaliste.

La possibilité de la crise est donnée par la double transformation de la marchandise en marchandise et en argent. Cela implique que le flot de la circulation peut être interrompu si l'argent, au lieu d'être employé à la circulation des marchandises, est mis de côté et thésaurisé. Le processus M1 - A - M2 s'arrête, parce que l'argent, qui a réalisé la marchandise M1, ne réalise pas lui-même M2. Celle-ci reste invendable, et nous avons ainsi l'arrêt des ventes.

Mais aussi longtemps que l'argent ne fonctionne que comme moyen de circulation, que la marchandise s'échange directement contre de l'argent et celui-ci à son tour contre une marchandise, la thésaurisation peut n'être qu'un phénomène isolé, qui signifie qu'une certaine marchandise est invendable, mais non un arrêt général des ventes. Il n'en est plus de même avec le développement de la fonction de l'argent comme moyen de paiement. L'arrêt de la vente signifie maintenant que le paiement promis ne peut être effectué. Mais cette promesse de paiement a servi, nous l'avons vu, comme moyen de circulation ou de paiement pour toute une série d'autres échanges. L'enchaînement des personnes tenues à paiement, qui fait de l'argent un moyen de paiement, est brisé, et l'arrêt sur un point se répercute sur tous les autres, devient général. Ainsi le crédit de paiement développe une solidarité des branches de production et donne la possibilité que l'arrêt partiel des ventes se transforme en un arrêt total.

Mais cette possibilité générale de la crise n'est que sa signification générale : sans circulation de l'argent et sans le développement de la fonction de l'argent en tant que moyen de paiement, la crise est impossible. Cependant, possibilité n'est pas encore, et de loin, réalité. La simple production de marchandises ou, plus exactement, la production de marchandises pré-capitaliste, ne connaît pas de crises ; les troubles de l'économie ne sont pas des crises économiques au sens propre du terme, mais des catastrophes qui découlent de causes particulières, naturelles ou historiques, par conséquent fortuites du point de vue économique, telles que mauvaises récoltes, sécheresse, épidémies, guerres, etc. Leur caractéristique économique est qu'elles découlent d’un déficit de la reproduction, mais non pas d'une surproduction quelconque. Cela se comprend si l'on songe que cette production n'est encore essentiellement qu'une production pour les besoins immédiats, que la production et la consommation sont liées comme moyen et comme but et que la circulation des marchandises joue un rôle relativement faible.

Car c'est seulement la production capitaliste qui généralise la production des marchandises, laisse le plus de produits possible prendre la forme de la marchandise et - facteur décisif - fait de la vente de la marchandise la condition préalable de la reprise de la reproduction1.

Mais cette transformation des produits en marchandises rend les producteurs dépendants du marché et fait de l'irrégularité de la production, qui se manifeste déjà en principe dans la simple production de marchandises, du fait de l'indépendance des exploitations privées, cette anarchie de la production capitaliste qui constitue, avec la généralisation de ce système et l'élargissement des marchés locaux, dispersés en un vaste marché mondial, la deuxième condition générale des crises.

La troisième condition générale des crises, le capitalisme la crée en séparant la production de la consommation. Il sépare d'abord la production de son produit et le réduit à cette partie du produit de valeur équivalent à la valeur de la force du travail. Il crée ainsi dans les salariés une classe dont la consommation n'est en aucun rapport direct avec la production globale, mais seulement avec cette partie de la production qui est égale au capital salaires. Cependant, le produit que créent les salariés n'est pas leur propriété. C'est pourquoi leur production n'a pas pour but leur consommation. Au contraire, leur consommation dépend de la production, sur laquelle ils n'exercent aucune influence. La production des capitalistes n'a pas pour objectif la satisfaction des besoins, mais le profit. La réalisation et l'accroissement du profit sont l'objectif immanent de la production capitaliste. Cela signifie que pour le sort de la production, ses dimensions, sa diminution ou son accroissement, l'élément décisif, ce n'est pas la consommation et son accroissement, mais la réalisation du profit. On produit pour obtenir un certain profit, un certain degré de mise en valeur du capital. La production dépend ainsi, non de la consommation, mais du besoin de mise en valeur du capital, et une aggravation de cette possibilité de mise en valeur signifie une diminution de la production.

Il reste encore dans le mode de production capitaliste un lien général entre production et consommation, qui est certes, en tant que condition naturelle, commun à tous les régimes sociaux. Mais, tandis que dans l'économie naturelle, destinée à couvrir les besoins, la consommation détermine l'extension de la production, qui dans ces conditions ne trouve ses limites que dans l'état de la technique auquel on est parvenu, dans la production capitaliste, au contraire, la consommation est déterminée par les dimensions de la production. Mais celle-ci est limitée par la possibilité de mise en valeur du capital, la nécessité pour ce dernier 1 Abstraction faite des survivances de l'ancienne production pour les besoins propres, telle qu'elle se maintient

notamment dans l'exploitation paysanne, cette production joue dans la société capitaliste également un rôle là où le produit de l'entreprise elle-même devient un élément de la reproduction, comme par exemple le blé pour les semailles, le charbon utilisé dans la mine de charbon, etc. Avec le développement des combinaisons, s'accroissent les dimensions de cette sorte de production pour les besoins propres. Elle est telle parce que la marchandise n'est pas destinée au marché, mais employée comme élément du capital constant dans la même entreprise. Mais elle est entièrement différente pour la production destinée à couvrir les besoins familiaux des anciennes formes de société, puisqu'elle ne sert pas à la consommation, mais à la production de marchandises.

de produire un taux de profit déterminé. L'élargissement de la production se heurte ici à une barrière purement sociale, propre à cette structure sociale déterminée et à elle seule. La possibilité de la crise découle certes déjà de la possibilité de la production irrégulière, par conséquent de la production de marchandises, d'une façon générale, mais sa réalité uniquement d'une production non réglée qui supprime en même temps le rapport direct production-consommation caractérisant d'autres régimes sociaux et introduit entre la production et la consommation la condition de la mise en valeur du capital à un taux chaque fois déterminé.

L'expression « surproduction de marchandises » est, d'une façon générale, aussi vide de sens que celle de « sous-consommation ». On ne peut parler de sous-sous-consommation que dans un sens physiologique l'expression n'a en revanche aucun sens en économie politique, où elle pourrait signifier seulement que la société consomme moins qu'elle n'a produit. Mais on ne voit pas comment c'est possible si l'on a produit dans les dimensions voulues. Etant donné que le produit total est égal au capital constant, plus le capital variable, plus la plus-value, (c + v + p), que v tout comme p sont consumés, que les éléments du capital constant usé doivent se remplacer mutuellement, la production peut être élargie à l'infini sans mener à une surproduction de marchandises, c'est-à-dire à ceci, qu'on a produit plus de marchandises, pour lesquelles sous ce rapport seule la valeur d'usage entrerait en ligne de compte, plus de biens par conséquent qu'on ne pourrait en consommer2.

Du reste, une chose est claire : comme les crises dans leur succession périodique sont le produit de la société capitaliste, leur cause doit résider dans le caractère même du capital. Il doit s'agir d'un désordre qui découle du caractère spécifique de la société. Mais la base étroite qu'offrent les conditions de consommation à la production capitaliste est une condition générale de la crise parce que l'impossibilité de les élargir est une cause générale de l'arrêt des débouchés. Si la consommation était extensible à volonté, la surproduction ne serait pas possible. Mais, dans la société capitaliste, l'accroissement de la consommation signifie diminution du taux de profit. Car l'accroissement de la consommation des masses est liée à l'augmentation du salaire. Cependant, celle-ci signifie diminution du taux de la plus-value et par conséquent du profit. C'est pourquoi, si la demande d'ouvriers du fait de l'accumulation devient si forte qu'une diminution du taux de la plus-value se produit, de telle sorte que, à la limite, le capital accru ne fournirait pas un profit plus grand que le capital non accru, l'accumulation doit s'arrêter, car son objectif, l'accroissement du profit, ne serait pas atteint. A ce moment précisément, une des conditions nécessaires de l'accumulation, à savoir l'accroissement de la consommation, entre en contradiction avec l'autre : la réalisation du profit. Les conditions de mise en valeur du capital se rebellent contre l'accroissement de la consommation et, comme elles sont déterminantes, la contradiction s'aggrave jusqu'à la crise. Mais la base étroite de la consommation n'est précisément pour cette raison qu'une condition générale de la crise, qu'on ne peut absolument pas expliquer par la « sous-consommation ». Et encore moins son caractère périodique, puisqu'une périodicité ne peut être expliquée en général par un phénomène permanent. Ceci n'est pas du tout en contradiction avec ce que dit Marx :

« La masse globale des marchandises, le produit global, aussi bien la partie qui remplace le capital constant et le capital variable, que celle qui constitue la plus-value, doit être achetée. Si cela ne se produit pas, ou seulement en partie, ou seulement à des prix inférieurs au coût de production, l'ouvrier est bien exploité, mais son exploitation ne se réalise pas en tant que telle pour le capitaliste, ne peut être liée à aucune réalisation ou seulement à une réalisation partielle de la plus-value extorquée, et est même liée à une perte partielle ou totale de son capital. Les conditions de l'exploitation directe et de sa réalisation ne sont pas identiques. Elles varient, non seulement dans le temps et l'espace, mais aussi abstraitement. Les unes sont limitées uniquement par la force productive de la société, les autres par la proportionnalité des différentes branches de production et la capacité de consommation de la société. Celle-ci n'est déterminée, ni par la capacité de production absolue, ni par la capacité de consommation absolue, mais par la capacité de consommation sur la base des conditions de distribution antagoniques qui réduisent la consommation de la grande masse de la société à un minimum ne variant que dans les limites très étroites. Elle est limitée en outre par la tendance à l'accumulation, à l'accroissement du capital et à la production de plus-value sur une échelle élargie. C'est la loi de la production capitaliste, donnée par les révolutions constantes dans les méthodes de production elles-mêmes, la dépréciation continue du capital existant qu'elles entraînent, la lutte générale pour la concurrence et la nécessité d'améliorer la production et d'en élargir la base, simplement comme moyen de se maintenir et au risque de se perdre. C'est pourquoi le marché doit être constamment élargi, de telle sorte que ses rapports et les conditions qui les régissent prennent de plus en plus la forme d'une loi naturelle indépendante des producteurs, soient de plus en plus incontrôlables. La contradiction interne cherche sa solution dans un élargissement du champ extérieur de la production. Mais, plus les forces productives se développent, plus elles entrent en conflit avec la base étroite sur laquelle reposent les rapports de consommation. Il n'y a sur cette base contradictoire absolument aucune contradiction que l'excédent de capital soit lié à un excédent croissant de la population, car bien que, si on les rassemblait tous les deux, la masse de la plus-value produite augmenterait, s'accroît précisément par là la contradiction entre les conditions dans lesquelles cette plus-value est produite et celles dans lesquelles elle est réalisée3. »

La crise périodique est propre au capitalisme, elle ne peut donc s'expliquer que par le caractère même du capitalisme4. 2 « C'est une pure tautologie de dire que les crises proviennent de l'absence de consommation solvable ou de consommateurs

solvables. Le système capitaliste n'en connaît pas d'autres, à l'exception des indigents ou des voleurs. Que des marchandises soient invendables, cela ne signifie rien d'autre que ceci, qu'elles n'ont trouvé pour elles aucun acheteur solvable, par conséquent des consommateurs (que ce soit pour la consommation productive ou la consommation individuelle). Mais si l'on veut donner à cette tautologie un semblant de signification en disant que la classe ouvrière obtient une trop petite partie de son propre produit et que c'est là un mal auquel on ne peut remédier qu’en lui donnant une part plus importante et en augmentant son salaire en conséquence, il convient d'observer que les crises sont chaque fois précédées d'une période où le salaire augmente en général et où la classe ouvrière reçoit en réalité une plus grande partie de cette fraction du produit annuel destinée à la consommation. Cette période devrait, au point de vue de ces chevaliers de la saine et simple (!) raison humaine, éloigner au contraire la crise. Il semble par, conséquent que la production capitaliste implique des conditions indépendantes de la bonne ou de la mauvaise volonté, qui ne permettent que momentanément cette prospérité relative de la classe ouvrière, et cela toujours uniquement en tant qu'annonciatrice d'une crise ». A propos de quoi Engels observe dans une note: « Ad notam pour d'éventuels partisans de la théorie des crises de Rodbertus » (Le Capital, II, pp. 400 sq.).

3 Marx, Le Capital, I, pp. 225 sq.

4 Mais il s'agit de suivre l'évolution ultérieure de la crise potentielle - la crise réelle ne peut être expliquée qu'en partant du

La crise est, d'une façon générale, un trouble de circulation. Elle se manifeste comme impossibilité à peu près totale d'écouler la marchandise, de réaliser sa valeur (ou son coût de production) en argent. Elle ne peut donc s'expliquer que par les conditions capitalistes spécifiques de la circulation des marchandises, non par les conditions de la simple circulation des marchandises. Mais ce qu'il y a de spécifiquement capitaliste dans la circulation des marchandises est que celles-ci, en tant que produits, sont produites par le capital en tant que capital-marchandises, et doivent être réalisées comme telles. C'est pourquoi cette réalisation implique des conditions propres au capital en tant que tel, à savoir précisément ses conditions de mise en valeur.

L'analyse de ces conditions, tant du point de vue du capital individuel que - et ceci est très important - du point de vue du capital social, Marx l'a fournie dans le tome II du Capital et a réalisé par là une tentative qui, exception faite pour Quesnay, n'a même pas été entreprise par les économistes classiques. Si Marx appelle Le Tableau économique de Quesnay l'idée la plus géniale dont on soit jusqu'ici redevable à l'économie politique classique, sa propre analyse du processus de production social est certainement la mise en application la plus géniale de cette idée géniale, comme d'une façon générale les analyses, auxquelles on a prêté si peu d'attention, du tome II sont, du point de vue de ce qu'on peut appeler la raison économique pure, les plus brillantes de ce livre étonnant. Mais surtout on ne peut comprendre les causes des crises que si l'on se remet en mémoire les résultats de l'analyse marxienne5.

LES CONDITIONS D'EQUILIBRE DU PROCES DE REPRODUCTION SOCIAL

Si nous résumons les résultats les plus importants de l'analyse marxienne, nous obtenons ce qui suit (en supposant, bien entendu, dans cette étude, une échelle restant la même de la production capitaliste, par conséquent une simple reproduction, et en faisant abstraction de tout changement de valeur ou de prix) :

Le produit total, par conséquent aussi la production totale de la société, se divise en deux grandes sections :

1) moyens de production, marchandises qui possèdent une forme où ils doivent, ou tout au moins peuvent, entrer dans la consommation productive ;

2) moyens de consommation, marchandises qui possèdent une forme où ils passent dans la consommation individuelle de la classe capitaliste et de la classe ouvrière.

Dans chacune de ces sections, le capital se divise en deux parties : capital variable (v) et capital constant (c). Ce dernier à son tour se divise en capital constant fixe et capital constant circulant.

La partie de valeur c, qui représente le capital constant consumé dans la production, ne coïncide pas avec la valeur du capital constant employé dans la production. Le capital fixe n'a transféré qu'une partie de sa valeur sur le produit. Pour ce qui suit, nous ferons abstraction du capital fixe.

Représentons-nous maintenant le produit global marchandises de la façon suivante : I) 4 000 c + 1 000 v + 1 000 p = 6 000 moyens de production.

II) 2 000 c + 500 v + 500 p = 3 000 moyens de consommation.

Valeur totale : 6 000, d'où est exclu, selon notre hypothèse, le capital fixe continuant à fonctionner dans sa forme naturelle.

Si nous examinons maintenant les échanges nécessaires sur la base de la simple reproduction, où par conséquent toute la plus-value est consommée, et en laissant de côté la circulation d'argent qui les permet, nous constatons trois points importants :

1.) Les 500 v, salaires des ouvriers, et les 500 p, plus-value des capitalistes de la section II, doivent être dépensés en moyens de consommation. Mais leur valeur existe dans les moyens de consommation pour une valeur de 1 000, qui dans les mains des capitalistes, section II, remplacent les 500 v avancés par eux et représentent les 500 p. Salaire et plus-value de la section II sont par conséquent échangés au sein de la section II contre produit II. Ainsi du produit global disparaissent (500 v + 500 p) II, soit 1 000 moyens de consommation.

2.) Les 1 000 v + 1 000 p de la section I doivent être dépensés en moyens de consommation, par conséquent en produit de section II. Ils doivent par conséquent s'échanger contre la partie du capital constant qui reste encore de ce produit, et de montant égal, soit 2 000 c. En échange, la section II reçoit un montant égal de moyens de production, produit de I, où s'incorpore la valeur de 1 000 v + 1 000 p. Ainsi disparaissent du compte 2 000 II c et (1 000 v + 1 000 p) I.

3.) Restent 4 000 I c. Ces derniers consistent en moyens de production, qui ne peuvent être utilisés que dans section I pour remplacer son capital constant consumé, ce qui se produit par échanges mutuels entre les différents capitalistes de I tout comme les v (500 v + 500 p) II par échanges entre les ouvriers et les capitalistes, ou entre les différents capitalistes de II.

Quant au remplacement du capital fixe, il joue un rôle spécial. Une partie de la valeur du capital constant est transférée des moyens de travail sur le produit du travail ; ces moyens de travail continuent de fonctionner en tant qu'éléments du capital

mouvement réel de la production, de la concurrence et du crédit capitalistes - dans la mesure où elle est issue des déterminations de forme du capital qui lui sont inhérentes en tant que capital précisément et non impliquées dans sa seule existence en tant que marchandise et argent » (Marx, Théories sur la plus-value, II, 2, p. 286).

5 C'est le mérite de Tougan-Baranowski d'avoir montré l'importance de ces études pour le problème des crises dans ses fameuses Etudes sur la théorie et l'histoire des crises commerciales en Angleterre. Ce qui est étonnant, c'est qu'il ait fallu le montrer.

productif, et cela sous leur ancienne forme naturelle ; c'est leur usure, la perte de valeur qu'ils subissent peu à peu pendant leur fonction qui se poursuit pendant une période déterminée, qui réapparaît comme élément de valeur des marchandises produites grâce à eux. Or, l'argent, dans la mesure où il dose la partie de la valeur de la marchandise égale à l'usure du capital fixe, n'est pas de nouveau retransformé en la partie du capital productif, dont il remplace la perte de valeur. Il se dépose à côté du capital productif et se maintient sous sa forme d'argent.

Ce dépôt d'argent se répète jusqu'à ce que la période de reproduction, composée d'un nombre plus ou moins grand d'années, soit écoulée, pendant laquelle l'élément fixe du capital constant continue de fonctionner sous son ancienne forme naturelle dans le processus de production. Dès que l'élément fixe : bâtiments, machines, etc., est épuisé, ne peut fonctionner plus longtemps dans le processus de production, sa valeur existe à côté de lui, entièrement remplacée en argent - la somme des dépôts d'argent, des valeurs qui ont été transférées peu a peu du capital fixe sur les marchandises, à la production desquelles il a contribué, et qui sont passées, par suite de la vente des marchandises, sous la forme d'argent. Celui-ci sert alors à remplacer en nature le capital fixe (ou des éléments de ce dernier, vu que ces différents éléments ont une durée d'existence différente) et à renouveler ainsi vraiment cette partie du capital productif. Cet argent est par conséquent forme d'argent d'une partie de la valeur du capital constant, de sa partie fixe.

Cette constitution de trésor est donc elle-même un élément du processus de reproduction capitaliste, reproduction et accumulation, sous forme d'argent, de la valeur du capital fixe ou de ses différents éléments, jusqu'au moment où il s'est usé et a transféré toute sa valeur dans les marchandises produites et doit maintenant être remplacé en nature. Mais cet argent ne perd que sa forme de trésor et ne revient jouer un rôle actif dans le processus de reproduction du capital réalisé par la circulation qu'après avoir été reconverti en nouveaux éléments du capital fixe destinés à remplacer ceux qui ont disparu. Mais, pour qu'il n'y ait aucun trouble de la simple reproduction, la partie du capital fixe qui s'use chaque année doit être égale à celle qui est à renouveler chaque année.

Considérons par exemple l'échange de (100 v + 1 000 p) I contre 2000 c II. Dans ces 2 000 c, il y a 200 de capital fixe à remplacer. Il s'échange par conséquent 1 800 c, qui ne sont à transformer qu'en capital constant circulant, contre 1 800 (v + p).

Les 200 restants de I, qui ont la forme naturelle de capital fixe, doivent être tirés également de II. Mais ce n'est possible que si les capitalistes de II ont en réserve les 200 en argent pour acheter 200 de capital fixe de I, car 200 doivent être remplacés en argent par d'autres capitalistes II et maintenus sous forme d'argent en tant qu'usure pour leur capital fixe. Par conséquent, des capitalistes qui, au cours des années précédentes, ont accumulé successivement en argent l'usure de leur capital fixe, le renouvelleront cette année en nature ; ils achètent pour 200 d'argent le reste de I (v + p) = 200. I achète pour 200 autres d'argent le reste des moyens de consommation des autres capitalistes II, lesquels de leur côté accumulent cet argent qui représente pour eux l'usure de leur capital fixe. La partie des capitalistes II, par conséquent, qui cette année renouvellent en nature leur capital fixe, fournissent l'argent avec lequel les autres capitalistes II dorent leur partie d'usure et peuvent la garder sous forme d'argent. Il faut admettre par conséquent une proportion constante entre capital fixe usé et capital fixe à renouveler, mais aussi que la proportion entre capital fixe usé (et par conséquent à renouveler) et celui qui continue à fonctionner sous son ancienne forme naturelle reste constante. Car, si le capital fixe usé s'élevait à 300, le capital circulant aurait diminué ; II c aurait maintenant moins de capital circulant et ne pourrait plus poursuivre la production sur la même échelle. En outre, si le capital fixe s'élevait à 300, II n'ayant que 300 d'argent à dépenser pour le renouvellement du capital en nature, 100 de capital fixe en I seraient invendables.

Il peut par conséquent y avoir disproportion dans la production de capital fixe et de capital circulant avec un simple maintien du capital fixe, si la proportion du capital fixe qui disparaît chaque année et de celui qui continue à fonctionner se modifie, ce qui se produit toujours, en fait.

De même, on a vu précédemment que pour rendre possible une simple reproduction, certaines conditions de proportion doivent être remplies. I (v + p) devait être égal à II c. Mais cette proportion, par suite de l'anarchie de la société capitaliste, ne peut jamais être maintenue. Pour que la production se poursuive, une certaine mesure de surproduction est nécessaire, afin qu'on puisse toujours satisfaire des besoins apparaissant brusquement ou faire face aux fluctuations constantes de ces besoins.

Mais il se produit constamment des perturbations et irrégularités dans le reflux de la valeur du capital en voie de transformation.

Pour y parer, les capitalistes doivent toujours disposer, non seulement d'une réserve de marchandises, mais aussi d'une réserve d'argent. Il leur faut donc de l'argent supplémentaire, un capital-argent de réserve, qui doit nécessairement être maintenu sous forme d'argent parce que c'est précisément la transformation du capital-marchandises qui peut être perturbée, et d'autres marchandises tenues à la disposition des capitalistes. Mais c'est seulement sous la forme d'argent que la valeur a celle d'équivalent général, qu'elle peut à tout moment se transformer en n'importe quelle autre marchandise. Ici aussi, la nécessité de l'argent découle de l'anarchie du mode de production capitaliste.

« La forme capitaliste de la reproduction une fois écartée, l'affaire revient à ce que la grandeur de la partie de capital fixe usé et par conséquent à remplacer en nature (ici, celle consacrée à la production des moyens de consommation) change en différentes années successives. La masse de matières premières, produits semi-fabriqués et autres, nécessaire à la production annuelle de moyens de consommation ne diminue pas pour autant ; la production totale des moyens de production devrait par conséquent augmenter dans tel cas, diminuer dans tel autre. On ne peut y parvenir que par une surproduction relative constante : d'une part, une certaine quantité de capital fixe qui produit davantage qu'il n'en faut absolument, d'autre part, une réserve de matières premières, etc., dépassant les besoins immédiats (cela particulièrement pour les produits alimentaires). Une telle sorte de surproduction équivaut au contrôle de la société sur les moyens matériels de sa propre reproduction. Mais, dans la société capitaliste, elle est un élément anarchique6. »

Cette surproduction relative doit exister également dans la société capitaliste et elle trouve son expression dans une réserve de marchandises maintenue en permanence pour pallier les perturbations. A cette réserve de marchandises correspond, d'autre part, une réserve de capital-argent à la disposition des capitalistes industriels, qui leur donne la possibilité, au cas où des perturbations se produisent, de se procurer dans la réserve de marchandises les éléments nécessaires à la poursuite de la production. Ce capital-argent de réserve, qui même en temps normal doit être constamment à la disposition des capitalistes en 6 Marx, Le Capital, II, p. 463.

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 152-161)