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- L'EXPORTATION DE CAPITAL ET LA LUTTE POUR LE TERRITOIRE

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 191-200)

Tandis que, d'une part, la généralisation du système protectionniste tend de plus en plus à diviser le marché mondial en différents territoires économiques nationaux, de l'autre, l'évolution vers le capitalisme financier accroît l'importance de l'étendue du territoire économique. Celle-ci a toujours été très grande pour le développement de la production capitaliste1. Plus un territoire économique est vaste et peuplé, et plus il y a possibilité d'une vaste unité d'entreprise et par conséquent que le coût de la production soit moindre et plus forte la spécialisation à l'intérieur de chaque entreprise, ce qui signifie à son tour réduction du coût de production. Plus le territoire économique est vaste et plus rapidement il est possible de transférer les industries là où existent les conditions naturelles les plus favorables, où la productivité du travail est plus grande. Plus ce territoire est vaste, plus la production est variée et plus il est vraisemblable que les branches de production se complètent les unes les autres et que des frais de transport découlant des importations de l'extérieur soient épargnés. De même, dans un vaste territoire, des perturbations de la production par suite de fluctuations de la demande et de catastrophes naturelles sont plus faciles à pallier. C'est pourquoi il ne fait aucun doute qu'avec une production capitaliste développée le libre-échange unirait tout le marché mondial en un seul territoire économique, garantirait la productivité du travailla plus grande possible et la division internationale du travail la plus rationnelle. Mais, avec le libre-échange également, l'industrie jouit sur son propre marché national de certains avantages à cause de sa connaissance des mœurs du pays en question, des goûts et des habitudes des consommateurs, de la compréhension plus facile et surtout de la protection que lui assure la proximité géographique, par conséquent l'épargne de frais de transport, qui est encore renforcée par les mesures de la politique douanière. En revanche, l'industrie étrangère se heurte à certains obstacles du fait des différences linguistiques, juridiques, monétaires, etc. Mais le protectionnisme accroît considérablement les inconvénients du territoire économique plus petit en entravant les exportations et en réduisant par là les dimensions de l'entreprise possible, en empêchant la spécialisation et en augmentant ainsi le coût de production tout comme en empêchant une division internationale du travail rationnelle. C'est avant tout grâce à l’étendue de leur territoire économique qui permet une spécialisation extraordinaire dans la dimension des entreprises que les Etats-Unis ont pu, même sous le régime protectionniste, se développer si rapidement au point de vue industriel. Plus est petit le territoire économique avec une production capitaliste déjà développée, et plus en général ce pays est en faveur du libre-échange. Voir la Belgique. A quoi il faut ajouter que plus le territoire est exigu, plus est unilatérale la répartition des conditions naturelles de la production, et plus est réduit par conséquent le nombre des branches d'industrie en mesure d'exporter et plus grand l'intérêt à l'importation de marchandises étrangères pour la production desquelles le territoire national est moins bien adapté.

Par contre, le protectionnisme signifie une réduction du territoire économique et, par la, une entrave au développement des forces productives, puisqu'il diminue la mesure de grandeur des entreprises industrielles, rend la spécialisation difficile et finalement empêche cette division internationale du travail qui fait que le capital se tourne vers les branches de production pour lesquelles le pays en question possède les conditions les plus favorables. Mais avec le système protectionniste moderne, c'est d'autant plus grave que ses tarifs douaniers sont souvent établis moins en raison de la situation technique des différentes branches d'industrie que comme le résultat des luttes politiques entre les différentes couches industrielles, dont l'influence sur le pouvoir d'Etat détermine en fin de compte leur montant. Toutefois, si le protectionnisme constitue un obstacle au développement des forces productives et, par là, à celui de l’industrie, il signifie pour la classe capitaliste un accroissement du profit. Avant tout, le libre-échange rend la cartellisation difficile, enlève aux industries capables de se cartelliser, dans la mesure où elles ne bénéficient pas déjà, en raison des droits sur le fret (comme pour le charbon) ou d'un monopole naturel (comme, par exemple, pour la production allemande de la potasse), d'une situation privilégiée, le monopole du marché intérieur. Mais par là elles perdent le surprofit qui découle de l'utilisation au protectionnisme du cartel.

Certes, la monopolisation progresse aussi sans protection douanière. Mais, d'une part, son allure en est très ralentie, deuxièmement, la solidité des cartels en est moindre et, troisièmement, il y a à craindre la résistance contre des cartels internationaux, car ces derniers sont ressentis directement comme des puissances d'exploitation étrangères. Par contre, le protectionnisme assure au cartel le marché national et lui donne une solidité beaucoup plus grande, non seulement en supprimant la concurrence, mais parce que la possibilité d'utilisation des droits de douane devient une force motrice qui agit directement en faveur de la formation de cartels. Même la cartellisation internationale, qui avec le libre-échange interviendrait finalement aussi sur la base d'une concentration beaucoup plus avancée, sera accélérée par le protectionnisme en ce sens qu'elle facilite la formation de cartels avant tout sous forme de cartels d'union de prix et de rayonnement, puisqu'il ne s'agit plus de groupement de producteurs individuels sur le marché mondial, comme ce serait le cas sous le régime du libre-échange, mais de groupement de cartels déjà solidement constitués sur la base nationale. Le protectionnisme suppose comme contractants les différents cartels et réduit ainsi considérablement le nombre des partenaires. Mais il prépare la base de l'accord dans la mesure où il réserve d'avance le marché intérieur aux cartels nationaux. Plus il y a de tels marchés soustraits à la concurrence par le système des droits de douane et réservés à certains cartels nationaux, et plus facile, d'une part, est l'entente sur les marchés libre, plus solide, d'autre part, l'accord international, car sa rupture n'offre pas aux outsiders d'aussi grandes chances de succès que sous le régime du libre-échange.

Il y a par conséquent ici deux tendances opposées. D'une part, le protectionnisme devient pour les cartels une arme offensive dans la lutte pour la concurrence, ce qui aggrave la lutte des prix, tandis qu'en même temps on s'efforce, en faisant appel à l'aide de l'Etat, aux interventions diplomatiques, de renforcer ses positions dans la lutte pour la concurrence. D'autre part, il stabilise les cartels nationaux et facilite ainsi la création de formations inter-cartels. Le résultat de ces tendances est que ces accords internationaux signifient plutôt une suspension d'armes qu'une communauté d'intérêts durable, car tout déplacement de cette armée de droits protecteurs, tout changement dans les rapports de force entre les Etats modifie la base des accords et rend nécessaires de nouveaux contrats. On n'en vient à des créations plus solides que là où le libre-échange supprime plus ou moins 1 Voir Otto Bauer, « La Question des nationalités et la social-démocratie », Etudes marxiennes, tome II, p.p. 178 sq.

les barrières nationales ou quand la base du cartel n'est pas fournie par le protectionnisme, mais avant tout par un monopole naturel, comme par exemple pour le pétrole.

En même temps, la cartellisation accroît considérablement l'importance de l'étendue du territoire économique pour le montant du profit. Nous avons vu que le protectionnisme assure un surprofit au monopole capitaliste pour la vente sur le marché intérieur. Plus est vaste le territoire économique et considérable la vente sur le marché intérieur (qu'on compare par exemple la partie destinée à l'exportation des aciéries des Etats-Unis et de la Belgique) et plus est grand par conséquent le profit du cartel.

Et plus ce dernier est considérable, plus peuvent être élevées les primes d'exportation et plus forte sera par conséquent la capacité de la concurrence sur le marché mondial. A mesure que la passion coloniale provoquait une intervention plus active dans la politique mondiale, on s'efforçait de créer un territoire économique, entouré de barrières protectrices, aussi vaste que possible.

Dans la mesure où le protectionnisme a pour effet de réduire le taux de profit, le cartel s'efforce d'y remédier par des moyens que lui fournit le système protectionniste lui-même. En outre, le développement des primes d'exportation qu'entraîne le protectionnisme permet de franchir, du moins en partie, les barrières douanières des autres pays et empêche ainsi jusqu'à un certain point la réduction de la production. C’est d'autant plus possible qu'est plus importante la production primée par les droits protecteurs, ce qui fait qu'on s'intéresse, non pas au libre-échange, mais à l'extension de son propre territoire économique et à la hausse des droits de douane. Mais, dès que ce moyen échoue, intervient l'exportation de capital sous forme d'installation d'usines à l'étranger. Le secteur industriel menacé par le protectionnisme des pays étrangers utilise maintenant ce même protectionnisme en transférant une partie de sa production à l'étranger. Si l'extension de l'entreprise mère en devient par là impossible, de même que l'accroissement du taux de profit par la diminution du coût de production, on y remédie par l'augmentation du profit que la hausse des prix des produits fabriqués à l'étranger par le même propriétaire de capital procure à ce dernier. C'est ainsi que l'exportation de capital, qui est fortement encouragée sous d'autres formes par le protectionnisme de son propre pays, l'est également par celui des pays étrangers, et contribue par là à la transformation capitaliste du monde et à l'internationalisation du capital.

Ainsi, dans la mesure où le taux de profit entre en ligne de compte, est supprimé l'effet de la baisse de ce taux de profit provoquée par les entraves à la productivité dues au protectionnisme moderne. Le libre-échange apparaît ainsi au capital superflu et nuisible. Ces entraves à la productivité, par suite de la réduction du territoire économique, il cherche à les compenser, non par le passage au libre-échange, mais par l'élargissement de son propre territoire économique et l'accroissement des exportations de capital2.

Si la politique protectionniste moderne renforce ainsi la tendance toujours existante du capital à un élargissement constant de son territoire économique, la concentration de tout capital disponible dans les mains des banques mène à l'organisation méthodique de l'exportation de capital ; l'union des banques et de l'industrie leur fait lier le prêt de capital-argent à la condition qu'il sera employé exclusivement à l'activité de cette industrie, ce qui a pour résultat d'accélérer l'exportation de capital sous toutes ses formes.

Par exportation de capital nous entendons l'exportation de valeur destinée à produire de la plus-value à l'étranger. En quoi il est essentiel que la plus-value reste à la disposition du capital du pays d'origine. Si, par exemple, un capitaliste allemand émigre au Canada avec son capital, qu'il met en valeur dans ce pays, et ne revient plus dans son pays d'origine, il en résulte une perte pour le capital allemand, une dénationalisation du capital : il ne s’agit plus là d'une exportation de capital, mais d'un transfert de capital. Celui-ci représente une perte pour le capital national et un accroissement du capital étranger. On ne peut parler d'exportation de capital que quand le capital travaillant à l'étranger reste à la disposition du pays d'origine et quand les capitalistes de la métropole peuvent disposer de la plus-value produite par ce capital. Il crée alors un poste dans la « balance des comptes », la plus-value venant accroître chaque année le revenu national.

La société par actions et l'organisation développée favorisent l’exportation de capital et en modifient le caractère dans la mesure où elles rendent possible l'émigration du capital, non accompagnée de l'entrepreneur, où la propriété reste par conséquent plus longtemps au pays exportateur et rend plus difficile la nationalisation du capital. Là où l’exportation du capital a pour but la production agricole, la nationalisation est plus rapide, ainsi que le montre l'exemple des Etats-Unis.

L'exportation du capital peut, du point de vue du pays exportateur, se faire sous deux formes : le capital émigre à l'étranger en tant que capital portant intérêt ou rapportant un profit. En tant que créateur de profit, il peut fonctionner comme capital industriel, commercial ou bancaire. Du point de vue du pays où le capital est exporté, ce qui entre aussi en ligne de compte, c'est la partie de la plus-value sur laquelle l'intérêt est versé. L'intérêt à verser sur des lettres de change se trouvant à l'étranger signifie qu'une partie de la rente foncière3, et celui qui est à verser sur des obligations d'entreprises industrielles, qu'une partie du 2 Très caractéristique est l'exemple suivant, que montrent en temps un cartel international et l'effet de l’exportation du

capital. « La fabrication de fil à coudre est une branche d’industrie importante implantée depuis longtemps en Grande-Bretagne, particulièrement en Écosse. Les quatre grandes firmes Coats and Co, Clark and Co, Brook and Bros, Chodwich and Bros, qui contrôlent pratiquement cette industrie, sont groupées depuis en une, communauté de travail connue sous le nom de J. and P. Coats Limited, qui englobe en outre toute une série de petites fabriques anglaises et une union groupant quinze sociétés américaines. Cette Thread Combine, au capital de 5,5 millions de livres sterling, représente une des plus grandes unions industrielles du monde. Déjà avant le groupement les firmes Coats et Clark s'étaient vues contraintes par la politique protectionniste des Etats-Unis de créer des filiales dans ce pays pour éviter les hauts tarifs douaniers dirigés contre leurs produits. L'Union a poursuivi cette politique et s'est même assuré, en achetant un nombre considérable d'actions des sociétés de la même branche aux Etats-Unis et dans d'autres pays (par conséquent, exportation de capital dans de vastes dimensions), le contrôle sur ces sociétés. Ainsi les industriels anglais fabriquent à l'étranger ; c'est la classe ouvrière anglaise, et en définitive toute la nation qui en supportent le dommage.

Le trust du fer a toute raison de poursuivre cette politique, car il déclare sans risque d'être contredit que le bénéfice obtenu au cours de l’année 1903-1904, qui est de 2,58 millions de livres sterling, provient en grande partie des usines installées à l'étranger. Mais d’ici que l’industrie étrangère renforcée secoue le joug du « contrôle » anglais et diminue le tribut qu'elle paye actuellement, ce n’est qu’une question de temps » (Schwab, op. cit., p. 42).

3 C'est ainsi par exemple, qu'une partie de la rente foncière hongroise s'écoule en Autriche en paiement des intérêts des

profit industriel s'en va a l'étranger.

Avec l'évolution vers le capital financier en Europe, le capital européen émigre souvent déjà comme tel : une grande banque allemande fonde une succursale à l'étranger ; celle-ci lance un emprunt, dont le produit est employé a l'établissement d'une installation électrique ; celle-ci est confiée à la société de production de matériel électrique avec laquelle la banque est liée dans son pays d'origine. Ou le processus se simplifie encore : la succursale en question fonde à l'étranger une entreprise industrielle, émet les actions dans le pays d'origine et confie les fournitures aux entreprises avec lesquelles la banque principale est liée. Le processus s'accomplit à l'échelle la plus vaste dès que les emprunts des Etats étrangers sont employés à l'achat de fournitures industrielles. C'est l'union étroite du capital bancaire et du capital industriel qui favorise ce développement des exportations de capital.

La condition de ces exportations de capital est la différence des taux de profit : elles sont le moyen de l'égalisation des taux de profit nationaux. Le niveau du profit dépend de la composition organique du capital, par conséquent du niveau du développement capitaliste. Plus il est avancé, plus le taux de profit est bas. A cette cause générale qui entre moins en ligne de compte, puisqu'il s'agit de marchandises du marché mondial, dont le prix est déterminé par les méthodes de production les plus développées, s'en ajoutent d'autres, spéciales. En ce qui concerne d'abord le taux d'intérêt, celui-ci est beaucoup plus élevé dans les pays à faible développement capitaliste, sans organisation de crédit et bancaire, que dans les pays capitalistes avancés, à quoi s'ajoute le fait que l'intérêt contient la plupart du temps encore des parties du salaire ou du bénéfice de l'entrepreneur. Le taux d'intérêt élevé est un stimulant direct à l'exportation de capital de prêt. Le bénéfice de l'entrepreneur est plus élevé parce que la main-d'œuvre est extrêmement bon marché et que sa qualité inférieure est compensée par une très longue durée du travail. Mais en outre, parce que la rente foncière est faible ou purement théorique du fait qu'il y a encore beaucoup de terres libres, soit naturellement, soit par suite de l'expropriation violente des indigènes, le bas prix de la terre réduit le coût de production. A cela s'ajoute l'accroissement du profit par les privilèges et les monopoles. S'il s'agit de produits dont le nouveau marché lui-même constituerait le débouché, des surprofits abondants sont réalisés, car ici les marchandises produites selon le mode capitaliste sont en concurrence avec des produits fabriqués sur la base artisanale.

Mais, de quelque façon que se fasse l'exportation de capital, elle signifie toujours que la capacité d'absorption du marché étranger augmente. La barrière qui s'opposait à l'exportation de marchandises était la capacité d'absorption des marchés étrangers pour les produits industriels européens. Elle était limitée par la disposition d'excédents de leur production naturelle ou autre, dont la productivité ne pouvait être accrue rapidement et encore moins transformée en peu de temps en production pour le marché. Il est donc compréhensible que la production capitaliste anglaise, considérablement plus souple et plus capable d'expansion, suffit très rapidement aux besoins des nouveaux marchés et même les dépassa, ce qui se manifesta par voie de conséquence en tant que surproduction de l'industrie textile. Mais, d'un autre côté, la capacité d'absorption de l'Angleterre pour les produits spécifiques des nouveaux marchés était limitée. Certes, considérée du point de vue purement quantitatif, elle était beaucoup plus grande que celle des marchés étrangers. Mais, ce qui jouait ici le rôle décisif, c'était la qualité, la valeur d'usage des produits que ces marchés pouvaient exporter en échange des marchandises anglaises. Dans la mesure où il s'agissait de produits de luxe, leur consommation en Angleterre était limitée. D'un autre côté, l'industrie textile cherchait à s'étendre d'une façon extrêmement rapide, mais l'exportation des produits textiles accrut considérablement l'importation des produits coloniaux, alors que la consommation de luxe ne s'étendait absolument pas dans les mêmes proportions. Bien au contraire, l'expansion rapide de l'industrie textile eut comme conséquence que le profit fut accumulé en proportions de plus en plus grandes, au lieu d’être consommé en produits de luxe. C'est pourquoi chaque ouverture de nouveaux marchés donne lieu à des crises en Angleterre, provoquées, d'une part, par la baisse des prix des produits textiles à l'étranger et, de l'autre, par la chute des prix des produits coloniaux dans la métropole. Toutes les crises anglaises montrent l'importance de ces causes spécifiques de crise : il suffit de voir avec quel soin Tooke suit l'évolution des prix de tous les produits coloniaux et avec quelle régularité les crises industrielles d'autrefois sont accompagnées de l'effondrement complet de ces branches commerciales. Un changement n'apparut qu'avec le développement du système des transports moderne, qui rejette tout le poids sur l'industrie métallurgique, tandis que le commerce avec les nouveaux marchés se développe d'autant plus dans ce sens qu'il ne s'agit pas d'un simple commerce de marchandises, mais d'exportation de capital.

Déjà à elle seule l'exportation du capital en tant que capital de prêt accroît d'une façon considérable la capacité d’absorption des nouveaux marchés. En supposant qu'un nouveau marché soit en état d'exporter pour 1 million de livres de marchandises, sa capacité d'absorption dans un échange de marchandises - bien entendu, à valeurs égales - serait également de 1 million de livres. Mais si cette valeur est exportée dans le pays, non pas en tant que marchandises, mais en tant que capital de prêt, par exemple sous forme d'un emprunt d'Etat, la valeur de 1 million de livres dont le nouveau marché peut disposer grâce à l'exportation de son excédent ne sert pas à un échange contre des marchandises, mais au versement des intérêts du capital prêté. On peut par conséquent exporter dans ce pays, non seulement une valeur de 1 million de livres, mais, disons, de 10 millions, si cette valeur y est envoyée en tant que capital et si l'intérêt est de 10 %, et de 20 millions si l'intérêt est ramené à 5 %. Cela montre en même temps la grande importance que la baisse du taux d'intérêt a pour la capacité d'extension du marché.

La vive concurrence du capital de prêt étranger a pour effet de faire baisser rapidement le taux d'intérêt même dans les pays retardataires et, par là, d'accroître de nouveau la possibilité de l'exportation de capital. Beaucoup plus important encore que l'exportation sous forme de capital de prêt est l'effet de l’exportation du capital industriel, et c'est ce qui explique pourquoi ce genre d'exportation se développe de plus en plus. Car le transfert de la production capitaliste sur le marché extérieur libère ce dernier des barrières de sa propre capacité de consommation. Le revenu de cette nouvelle production assure la mise en valeur du capital. Mais, pour son écoulement, le nouveau marché n'entre pas seul en ligne de compte. Au contraire, le capital, dans ces nouveaux territoires également, se tourne vers les branches de production dont l'écoulement est assuré sur le marché mondial.

Le développement capitaliste en Afrique du Sud, par exemple, est complètement indépendant de la capacité d'absorption de ce pays, du fait que la principale branche d'industrie, l'extraction aurifère, a une capacité d'écoulement quasi illimitée et que le développement capitaliste dans ce pays ne dépend que de la capacité d'extension de l'exploitation des mines et de l'existence d'une main-d'œuvre suffisante. De même, l'exploitation des mines de cuivre est indépendante de la capacité de consommation de la colonie, tandis que les industries productrices de biens de consommation, qui doivent trouver leurs débouchés en majeure

lettres de change des banques hypothécaires hongroises en circulation en Autriche.

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 191-200)