• Aucun résultat trouvé

- LES BANQUES ET LE CREDIT INDUSTRIEL

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 55-66)

Le crédit apparaît d'abord comme simple résultat de la fonction modifiée de l'argent en tant que moyen de paiement. Si le paiement n'a lieu qu'un certain temps après la vente, pour cet intervalle de temps l'argent est crédité. Cette forme de crédit suppose par conséquent des propriétaires de marchandises, des capitalistes productifs dans la société capitaliste développée. Si nous supposons le processus isolé et accompli en une seule fois, cela signifie que le capitaliste A possède une réserve de capital suffisante pour pouvoir attendre les rentrées d'argent de B, lequel ne dispose pas de la somme nécessaire au moment de l'achat. Pour cette unique obtention de crédit, A doit posséder autant d'argent en plus que B en a besoin jusqu'à la date du paiement. L'argent ne serait pas ainsi épargné, mais seulement transféré. Il en est différemment si le bon de paiement fonctionne lui-même comme moyen de paiement, en d'autres termes si A, non seulement donne du crédit à B, mais en prend lui-même de C, en ce sens qu'il paye C avec la traite de B. Si C a lui-même un paiement à faire à B et le paye avec sa propre traite, les achats et ventes entre A et B, A et C, et C et B se sont effectués sans l'intermédiaire de l'argent. On a donc épargné de l'argent, et comme par ailleurs cet argent aurait dû être, en tant que capital supplémentaire (pour le processus de circulation du capital-marchandises), entre les mains des capitalistes productifs, du capital-argent a donc été épargné pour eux. La traite a remplacé l'argent en exerçant elle-même la fonction d'argent, autrement dit en fonctionnant comme argent de crédit. Une grande partie des processus de circulation, même les plus importants, jouent entre les capitalistes productifs eux-mêmes. Toutes ces transactions peuvent en principe être effectuées à l'aide de traites : une grande partie d'entre elles se compensent mutuellement et seule une certaine quantité d'argent liquide est nécessaire pour le règlement du solde. Ici par conséquent les capitalistes se font du crédit entre eux. Ce qu'ils créditent ainsi, ce sont les marchandises, qui représentent pour eux un capital-marchandises, mais celles-ci comme simples porteurs d'une certaine quantité de valeur, supposée, lors de la vente, déjà réalisée dans sa forme socialement valable, par conséquent comme porteurs d'une certaine somme d'argent, que représente la traite. La circulation des traites repose par conséquent sur la circulation des marchandises mais de marchandises qui ont déjà été réalisées en argent au moyen de la vente, même si cette transformation n'a pas encore été rendue socialement valable, mais n'existe qu’en tant qu’acte privé dans la promesse de paiement de l’acheteur1.

Ce crédit, tel qu'il a été considéré ici, se faisant entre les capitalistes productifs eux-mêmes, nous l'appelons crédit de circulation. Nous avons vu qu'il remplace de l'argent, par conséquent épargne du métal précieux, puisqu'il signifie transfert de marchandises sans l'intermédiaire de l'argent. L'extension de ce crédit repose sur l'extension de ces transferts de marchandises et, comme il s'agit ici de capital-marchandises - d'opérations entre capitalistes productifs -, sur l'élargissement du processus de reproduction. Ce dernier une fois élargi, la demande de capital sous forme de capital productif (machines, matières premières, force de travail, etc.) augmente du même coup.

L’augmentation de la production signifie en même temps augmentation de la circulation, laquelle entraîne à son tour une augmentation du crédit argent. La circulation des traites augmente et peut être augmentée, parce que la quantité des marchandises mises en circulation s'accroît. Ce qui est possible sans que la demande de métal précieux ait besoin de s'accroître, elle aussi. De même le rapport entre la demande et l'offre de capital-argent n'a pas besoin d'être modifie. Car l'offre peut s'accroître en même temps et dans la même proportion que le besoin de moyens de circulation, puisque, en raison de l'accroissement de la quantité de marchandises, on peut dépenser de l'argent-crédit en plus grande quantité.

Ici, la circulation des traites a augmenté2. Ce crédit accru n'affecte absolument en rien le rapport de l'offre et de la demande des éléments du vrai capital productif. Le processus de production a été élargi et les marchandises nécessaires pour une production accrue ont été fournies. Nous avons ainsi un crédit accru et un capital productif plus grand. L'un comme l'autre se traduisent par une circulation de traites accrue. Mais cela n'a entraîné aucune modification dans le rapport de l'offre et de la demande de capital sous forme d'argent. Seule cette demande influe sur le taux d'intérêt. Donc un crédit accru, même s'il ne s'agit que de crédit de circulation, peut aller de pair avec un taux d'intérêt resté le même.

1 Si l'on voit seulement que les traites sont fondées sur l'échange des marchandises en oubliant que cet échange de marchandises ne s’effectue d'une façon valable que socialement, que les traites se compensent, que la balance est soldée avec de l'argent liquide, et que les traites non payées sont remplacées par de l'argent, on abouti à l'utopie du billet-marchandises, de l'argent-travail etc., du signe de crédit, qui, détachés du métal, doivent représenter la valeur des marchandises.

2 Le montant total des traites mises en circulation dans l'année s’élevait (en millions de marks) en 1895 12 060, en 1895 à 15 241, en 1905 à 25 506. Dans ces chiffres, les acceptations bancaires étaient, respectivement, de1965, soit 16 %, de 3530, soit 23 %, et de 8000, soit 31 %. Dans ces sommes sont comprises les traites non mises en

circulation : traites de cautionnement, de dépôt, etc. (W. Prion, Les Affaires d'escompte de traites, Leipzig, 1907, p. 51).

La circulation des traites n'est limitée que par la somme des transactions vraiment effectuées. Alors que le papier d'Etat peut être émis en quantités surabondantes, ce qui a pour résultat de faire baisser la valeur de chaque coupure prise a part, mais non celle de l'ensemble, les traites ne peuvent être tirées en principe que pour des affaires déjà conclues et ne sont par conséquent pas émises en quantités surabondantes. Si l'affaire est simulée, truquée, la traite est sans valeur. Toutefois, cette non-valeur d'une traite isolée n'affecte absolument pas la masse des autres.

Mais, que des traites ne puissent pas être émises en quantités excessives, cela ne prouve pas que la somme d'argent pour laquelle elles sont émises ne puisse pas être trop élevée. Si une crise se produit, entraînant une dépréciation générale des marchandises, les engagements de paiement ne peuvent être entièrement tenus. L'arrêt des transactions rend impossible la transformation de la marchandise en argent. Le fabricant de machines qui a compté sur la vente de sa machine pour payer la traite qu'il avait tirée pour l'achat de fer et de charbon ne peut maintenant plus la payer et ne peut pas non plus la compenser par une autre traite reçue de l'acheteur de sa machine. S'il ne dispose pas d'autres ressources, sa traite est maintenant sans valeur, bien qu'elle ait représenté, au moment où il l'a tirée, un capital-marchandises - le fer et le charbon qui lui ont servi à fabriquer sa machine3.

Le crédit de traites est du crédit pour la durée du processus de circulation et remplace le capital supplémentaire, qu'il faut conserver pendant le temps de circulation. Ce crédit de circulation, les capitalistes productifs se l'accordent eux-mêmes entre eux; c'est seulement quand les rentrées ne se font pas que de l'argent doit être mis à disposition par des tiers, les banques. De même, celles-ci interviennent quand la vente des marchandises qui sont la condition de la circulation des traites s'arrête, soit parce que ces marchandises sont momentanément invendables soit parce que les transactions sont interrompues pour des raisons spéculatives.

Les banques ne font donc ici que compléter le crédit de traites.

Le crédit de circulation élargit ainsi la base de la production au-delà du capital-argent se trouvant entre les mains des capitalistes, qui ne constitue plus pour eux que la base de l'édifice de crédit, un fonds pour le règlement des traites et un fonds de réserve destiné à couvrir les pertes au cas où elles seraient dépréciées.

L'économie d'argent sera d'autant plus grande que les traites se compenseront davantage entre elles. Pour cela des installations spéciales sont nécessaires : les traites doivent être rassemblées et confrontées les unes avec les autres. Ces fonctions sont remplies par les banques. Ainsi l'économie d'argent devient d'autant plus grande que la même traite sert plus souvent de moyen de paiement. Mais la circulation de la traite pourra être d’autant plus étendue que sa capacité de paiement est plus sûre. L'estimation de crédit d’une traite, qui doit fonctionner comme moyen de circulation et de paiement, doit être connue. Cette fonction incombe également aux banques. Elles remplissent les deux fonctions en achetant les traites, ce qui revient à accorder elles-mêmes le crédit. Elles remplacent le crédit commercial par le crédit bancaire, autrement dit, leur crédit propre, en donnant des billets en échange de la traite et en remplaçant ainsi la traite commerciale et industrielle par leur propre traite. Car le billet de banque n'est en réalité qu'une traite sur le banquier, traite qu’on accepte plus volontiers que celle de l'industriel ou du commerçant. Le billet de banque repose par conséquent sur la circulation des traites. Si le papier d'Etat est garanti par le minimum socialement nécessaire des transactions commerciales, la traite par la transaction effectuée en tant qu'acte privé du capitaliste, le billet de banque est garanti par la traite, la promesse de paiement qui engage tout l'avoir des personnes ayant participé à l'échange.

En outre, l'émission de billets est limitée par le nombre des traites escomptées, limitées elles-mêmes par le nombre des actes d'échange accomplis.

Le billet de banque n'est donc, à l'origine rien d'autre qu’une traite de la banque, qui remplace la traite des capitalistes productifs4. Avant l'époque de l'apparition des billets de banque, les traites circulaient, souvent pourvues de cent signatures, jusqu'à leur échéance, et réciproquement les billets de banque étaient établis à l’origine, à la façon des traites, pour les montants les plus différents et pas seulement pour des sommes rondes.

Ils ne portaient même pas toujours le caractère de traites à vue. Autrefois, il n'était pas rare que des banques émissent des billets qui n'étaient payables ni à vue ni au lendemain du jour de leur présentation, mais au gré de la banque émettrice, auquel cas ils portaient intérêt jusqu’au jour du paiement5.

Un premier changement, qui ne supprime du reste pas les lois économiques, est introduit par l’intervention de l'Etat, dans le but de garantir la convertibilité de billet en limitant directement ou indirectement l'émission des billets de banque et en en faisant le monopole d'une banque placée sous le contrôle de l'Etat. Dans les pays où le papier d'Etat fait défaut et est limité à un montant inférieur au minimum social, le billet de banque prend la place 3 Mais si la circulation normale des marchandises est interrompue par des événements extraordinaires de caractère non

économique, tels que guerres ou révolutions, il convient de ne pas tenir compte de ce temps d'interruption dans le temps normal de circulation et d'attendre que ces événements soient passés. Cela se fait par la prescription légale d'un moratoire pour les traites.

4 Par capitalistes productifs, nous entendons les capitalistes qui réalisent un profit moyen, par conséquent les industriels et les commerçants, à la différence des capitalistes de prêt, qui reçoivent un intérêt, et des propriétaires fonciers, qui reçoivent une rente.

5 James Wilson, Capital, Currency and Banking, Londres, 1847, p. 44.

occupée d'ordinaire par le papier d’Etat. Si, dans certaines périodes de crise, on impose au billet de banque un cours forcé, il devient lui-même par là papier d'Etat6. La réglementation artificielle de l’émission des billets échoue dès que les circonstances exigent une émission de billets accrue. C'est ce qui se produit quand la crise entraîne l'effondrement du crédit, que l'argent-crédit d'un grand nombre de capitalistes privés (par conséquent un grand nombre de traites) perd de sa solidité et qu'il faut combler la place qu'il occupait dans la circulation par des moyens de circulation supplémentaires. La loi fait faillite et est violée, comme ce fut le cas récemment aux Etats-Unis, ou suspendue, comme les « actes de Peel » en Angleterre. Le fait qu'on accepte le billet de banque, alors que de nombreuses autres traites sont refusées, repose uniquement sur le crédit de la banque.

Si celui-ci était ébranlé, lui aussi, il faudrait imposer le cours forcé des billets de banque ou procéder à l'émission directe de papier d'Etat. Car, dans le cas contraire, on devrait créer, comme lors de la dernière crise américaine, des moyens de circulation privés. Mais ce serait là un moyen beaucoup moins efficace pour combattre la crise monétaire aggravée par une législation défectueuse sur les billets de banque7.

Pas plus que les traites, on ne peut émettre en quantités surabondantes les billets de banque 6 Bien entendu, la banque continuera d'escompter ces billets et, dans la mesure où ils sont émis contre des traites et

autres couvertures, ils continuent de remplir les fonctions de l’argent-crédit. Mais cela n'empêche nullement qu'ils sont du papier-monnaie d’Etat, et c'est ce que démontre le fait qu'ils perdent de leur valeur quand on émet plus de papier que n'en exige le minimum de circulation sociale. Si cela ne se produit pas, il n'y a naturellement aucune dépréciation. Du fait que les avances à l'Etat, qui ont pour effet d'accroître la quantité de papier en circulation indépendamment des besoins du commerce et de l'industrie, restèrent en Angleterre limitées, même pendant la période des restrictions bancaires la dépréciation le fut également. Cependant Diehl a tort d’écrire : « Mais, même avec les billets de banque non convertibles et ayant qualité de paiement légal, il ne peut être question d'une monnaie de papier, car, si grave que soit l'absence d'obligation de remboursement (gravité que Diehl, qui ne tient pas compte des expériences autrichiennes, surestime d’ailleurs - R. H.), même dans ce système, on n’émet pas des billets de banque pour mettre de l'argent en circulation, mais sous forme de prêts à l'Etat ou aux commerçants, par conséquent contre des droits de réquisition que la banque obtient de son côté. Car tout dépend de la façon dont la banque mène ses affaires, mais non de la quantité de billets, que l'émission des billets ne serve qu'aux besoins de crédit de l’Etat et du commerce ou que par-delà ces besoins elle mène à une économie de papier-monnaie mettant en danger tout le crédit » (Karl Dielh, Eclaircissements sociaux-scientifiques sur les lois fondamentales de l'économie chez Ricardo, Leipzig. 1905, II, p. 235). Diehl ne voit pas la différence essentielle entre émission de billets basée sur l'escompte des traites, par conséquent sur une circulation de marchandises, qui exige de l'argent, mais pour laquelle de l'argent-crédit est mis à disposition, et émission de billets pour avances à l'Etat. Le billet remplace la traite, par conséquent une forme d'argent-crédit, par une autre, et la traite représente une vraie valeur de marchandise. Mais une émission de billets contre une promesse de paiement de l'Etat doit permettre à ce dernier d'acheter des marchandises pour lesquelles l'argent lui fait défaut. Quand l'Etat lance des emprunts sur le marché financier, il reçoit de l'argent se trouvant en circulation et, en le dépensant, il le remet de nouveau sur le marché monétaire. Ici, la quantité d'argent en circulation n'a pas besoin de changer. Mais l'Etat s'adresse à la banque, parce qu'il n'a précisément aucun autre crédit et il donne aux billets cours forcé parce que sans cela la banque ferait faillite. Les billets émis pour ces emprunts constituent un accroissement de la circulation et peuvent subir une dépréciation. C'est exactement comme si l'Etat émettait lui-même le papier-monnaie dont il a besoin pour ses paiements et non en passant par le détour de la banque. Avec cette différence que ce détour est avantageux pour la banque, parce qu'elle reçoit des intérêts pour cet « emprunt » qui ne comporte que des frais d'impression. C'est, comme on sait, ce fait qui irrita si fort Ricardo contre la Banque d'Angleterre et l'amena à exiger de faire de l'émission de papier-monnaie - en quoi il

confondait, à vrai dire, papier d'Etat et billet de banque - une affaire d'Etat. II n'est du reste pas sans intérêt de constater que les fameuses propositions de Ricardo contenues dans ses Proposals for an Economical and Secure Currency ont été appliquées en partie dans la « pure monnaie de papier » autrichienne, et que précisément cette application a montré ce qu'il y avait de faux dans l'analyse de Ricardo.

7 En matière de législation financière, la société capitaliste se trouve placée devant un problème purement social. Mais cette société n'est pas consciente d'elle-même. Ses propres lois de développement lui restent cachées et ne doivent être découvertes péniblement que par l'analyse théorique. D'ailleurs, ses couches dominantes ont intérêt à refuser les résultats ainsi obtenus. Même si l'on fait abstraction des intérêts égoïstes des capitalistes d'argent qui sont considérés comme les experts les plus éminents en manière de législation financière, c'est le refus de la théorie de la valeur fondée sur le travail qui constitue un obstacle insurmontable à la compréhension des lois de la circulation de l'argent et des billets et aboutit, dans la législation financière anglaise, à la victoire des principes de l'école de la circulation, quoique cette doctrine ait déjà été conduite historiquement et théoriquement à l'absurde par les travaux de Tooke, de Fullarton et de Wilson. C'est une belle ironie de l’histoire que cette école ait pu - et dans une certaine mesure à juste titre - s'appuyer sur Ricardo, qui s'était efforcé auparavant d’appliquer d’une façon conséquente la théorie de la valeur fondée sur le travail, théorie que, sous l'impression de l'expérience de l'économie de papier-monnaie il avait dû ensuite abandonner.

C'est le caractère anarchique de la société capitaliste qui lui interdit la réglementation consciente d'une tâche sociale.

Péniblement et peu à peu elle tire des expériences réalisées dans différents pays et différentes époques des

enseignements, qu'elle n'a pas la force de généraliser, comme le prouve le maintien de la politique financière américaine et anglaise, et même, quoique à un degré moindre, allemande. Et encore moins est-elle en mesure de tirer les

conséquences des expériences les plus récentes : elle s’effraye déjà de la hardiesse d'un Knapp qui, sans les condamner ni les interpréter, en dégage une terminologie.

Du fait que le contrôle de la circulation monétaire et du crédit est une tâche purement sociale, on exige qu’il soit confié à l’Etat.

Mais comme l'Etat capitaliste est déchiré par des intérêts de classe, certaines réserves se font entendre au sujet de l’accroissement de puissance qui en découlerait pour les couches qui dominent l’Etat. Cela aboutit à un compromis pour un large contrôle d'Etat sur une société privée privilégiée. Les intérêts privés des directeurs des banques nationales ne sont nullement en rapport avec le pouvoir dont ils jouissent. Ici, en effet, la gestion libre de l’intérêt privé au moyen de l'utilisation pour son propre compte du crédit

convertibles - et les billets non convertibles ne sont rien d'autre en fait que du papier d'Etat à cours forcé8. La circulation se débarrasse du billet de banque dont elle n'a plus besoin en le rendant à la banque. Comme elle se substitue aux traites, l'émission de billets de banque est soumise aux mêmes lois que la circulation de traites et s'étend parallèlement à celle-ci aussi longtemps que le crédit reste intact mais, en tant que moyen de paiement dont le crédit est resté inébranlé dans la crise, le billet de banque, de même que l'argent liquide, remplace la traite dès que la circulation des traites se contracte violemment du fait de la crise de crédit.

Au fur et à mesure du développement du système bancaire, où tout l'argent inactif afflue dans les banques, le crédit bancaire se substitue au crédit commercial, de telle sorte que de plus en plus toutes les traites ne servent pas dans leur forme initiale de moyen de paiement en circulant entre les capitalistes productifs, mais dans leur forme nouvelle de billets. La compensation et le règlement des soldes se font maintenant dans et entre les banques, une disposition technique qui accroît le cercle de la compensation possible et diminue encore le montant d'argent liquide nécessaire au règlement des soldes.

L'argent que jusque-là devaient conserver les capitalistes eux-mêmes pour régler le solde résultant de la compensation de leurs traites est maintenant devenu pour eux superflu; il est déposé dans les banques, qui s'en servent pour le règlement des soldes. D'où diminution de la partie du capital que les capitalistes productifs devaient conserver par devers eux sous forme de capital-argent.

Comme le banquier remplace la traite par son propre crédit, il a lui aussi besoin de crédit, mais seulement d'un petit capital propre sous forme d'argent en tant que fonds de garantie pour sa solvabilité. Ce que font ici les banques, c'est, en remplaçant le crédit inconnu par le leur propre, plus connu, permettre à l'argent-crédit de circuler en plus grande quantité. Elles permettent également par là de multiplier la compensation des engagements de paiement sur un espace plus vaste et aussi dans le temps élargissant ainsi l'édifice du crédit dans une mesure plus grande que n'aurait pu le faire la circulation des traites entre les capitalistes productifs eux-mêmes.

Mais il ne faut pas considérer doublement le capital que les banques, en escomptant les traites, mettent à la disposition des capitalistes productifs ; la plus grande partie des dépôts en banque appartient à la classe des capitalistes productifs qui, avec le développement du système bancaire, déposent dans les banques tout leur capital-argent disponible. Ce capital-argent constitue, nous l'avons vu, la base de la circulation des traites. Mais c'est le capital propre de la classe. Par l'escompte des traites, la classe en tant que telle ne reçoit pas un nouveau capital. On n’a fait que remplacer le capital sous une de ses formes d'argent (promesse de paiement de la banque et éventuellement argent liquide). Il ne s'agit que de capital-argent, dans la mesure ou il remplace un capital-marchandises déjà réalisé ; par conséquent, la somme d'argent est ici considérée du point de vue génétique. Mais, du point de vue purement fonctionnel, il ne s'agit toujours que d'argent - moyen de paiement ou d'achat.

Bien entendu, la substitution du crédit bancaire au crédit des capitalistes productifs peut également se faire sous d'autres formes. C'est ainsi que, dans les pays où existe un monopole des émissions de billets, les banques privées mettent leur crédit à la disposition des capitalistes productifs en « endossant » leurs traites, c'est-à-dire en y apposant leur signature, et en garantissant ainsi leur solvabilité. De cette manière, la traite bénéficie du crédit de la banque, ce qui accroît sa capacité de circulation comme si elle était remplacée par les billets de cette banque. On sait qu'une grande partie des transactions commerciales internationales se font à l'aide de ce genre de traites. En principe, entre des traites ainsi garanties et des billets émis par des banques privées, il n’y a aucune différence9.

Le crédit de circulation, dans le sens que nous venons d'employer, consiste par conséquent en la création d'argent-crédit. Il rend par là la production indépendante de la limite de la somme d'argent liquide existante, et par argent liquide nous entendons aussi bien les lingots de métal précieux, la monnaie d'or ou d'argent, que le

national pourrait avoir des conséquences néfastes. Le caractère social de la tâche rend indispensable l'exclusion ou du moins la limitation de l'intérêt du profit.

8 « Je n'hésite pas un instant à me déclarer d’accord avec le principe tant décrié des anciens directeurs de banque de 1810, selon lequel, tant qu'une banque n'émet ses billets qu'en vue d'escompter de bonnes traites d'une durée de 60 jours au maximum, elle a raison d'en émettre autant que le public veut en prendre. Il y a, à mon avis dans ce principe, si simple soit-il, plus de vérité et de compréhension des lois qui régissent la circulation monétaire que dans n'importe quelle prescription faite depuis sur ce sujet » (Fullarton, op. cit., p. 207).

9 « Le principal moyen d'effectuer des paiements dans le commerce international est la traite. Alors qu'autrefois dans la traite commerciale la compensation se faisait visiblement entre Etats, au cours de la dernière décennie la traite bancaire est venue de plus en plus au premier plan, derrière lequel est cachée la précédente, mais aussi celle qui découle d'autres obligations, par exemple des affaires de devises. Dans la traite commerciale, le genre particulier de l'achat de marchandises précédent disparaît; dans la traite bancaire, en revanche, conformément à la tendance actuelle, l'abstraction est poussée encore plus loin, et l'on ne peut plus conclure qu'elle est fondée sur l'échange des

marchandises. On peut dire seulement qu'elle doit satisfaire une demande d'argent découlant d'un fait économique. A ce genre de paiement le crédit international peut maintenant s'attacher » (A. Sartorius von Walterhausen, Le Système économique du placement de capital à l'étranger, Berlin, 1907, pp. 258 sq. ).

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 55-66)