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- LA BOURSE DES VALEURS

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 88-100)

2.Les valeurs boursières. La spéculation

La Bourse est le marché des valeurs. Par là, nous entendons en premier lieu tous les « papiers de valeur » en général, qui représentent des sommes d'argent. Ils se divisent en deux groupes principaux : bons de paiement, qui ne sont rien d'autre que des titres de créance, par conséquent des papiers de crédit libellés pour la somme d'argent pour laquelle ils ont été établis, et dont le principal représentant est la traite. Le second groupe comprend les papiers qui ne représentent pas la somme d'argent, mais son revenu; ils se divisent eux aussi en deux sections : les papiers à intérêt fixe, bons d'Etat et obligations et les papiers à dividende, les actions. Mais, dans la société capitaliste, nous le savons, tout revenu versé à intervalles réguliers (annuel) s'entend comme revenu d'un capital, dont l'importance est égale au revenu capitalisé au taux d'intérêt en vigueur. Ainsi, ces papiers de valeur représentent également des sommes d'argent. Cependant, la différence par rapport au groupe précédent est celle-ci; pour les papiers de crédit, la somme d'argent constitue l'élément primaire; de l'argent ou une valeur de grandeur égale a vraiment été prêté et porte maintenant intérêt. Ces papiers ne circulent qu'un certain temps : ils trouvent leur fin quand le capital est remboursé. De ce fait la traite devient caduque. Que des traites soient constamment en circulation n'empêche pas que constamment certaines d'entre elles deviennent caduques et qu'ainsi le capital prêté retourne au prêteur. Ce dernier reçoit alors de nouveau la somme d'argent entre ses mains et peut la prêter de nouveau. L'échéance de la traite, par conséquent, le reflux constant du capital entre les mains de son propriétaire, est ici la condition du renouvellement constant du processus.

Il en est tout autrement dans le second groupe. Ici, l'argent a été cédé définitivement. Pour ce qui est des papiers d'Etat, il peut être depuis longtemps dépensé d'une façon improductive, c'est-à-dire avoir complètement disparu. En ce qui concerne les papiers industriels, il a été dépensé à l'achat de capital constant et de capital variable, il a servi comme moyen d'achat, sa valeur a été transférée dans les éléments du capital productif, la somme d'argent est dans les mains des vendeurs et ne revient plus à son point de départ. Les actions ne peuvent plus représenter cet argent pour la bonne raison qu'il est passé dans les mains des vendeurs des marchandises (les vendeurs des éléments du capital productif), dont il est devenu ainsi la propriété. Mais elles ne représentent absolument pas non plus le capital productif lui-même. Car, premièrement, les propriétaires d'actions n'ont aucun droit à une part quelconque du capital productif, mais seulement au revenu, et, deuxièmement, l'action ne représente pas une quelconque valeur d'usage concrète à la façon des warrants ou connaissements - ainsi que cela devrait être si l'action représentait vraiment une part du capital productif - mais elle ne donne droit qu'à une somme d'argent. C'est là le but précisément de la « mobilisation » du capital industriel. Mais cette somme d'argent n'est rien d'autre que le revenu capitalisé au taux d'intérêt en vigueur. Ici, par conséquent, le revenu, le revenu annuel, est le point de départ du mouvement du papier et c'est seulement d'après le revenu que la somme d'argent est calculée.

Les papiers à intérêt fixe se rapprochent du premier groupe dans la mesure où à chaque instant, dans un moment déterminé, une somme d'argent déterminée correspond à un revenu fixe. Mais ils appartiennent au second groupe parce que l'argent qu'ils représentaient initialement est définitivement parti et n'a pas besoin de revenir au point de départ, que le capital qu'ils représentent est par conséquent fictif et que son importance n'est calculée que d'après le revenu. Ce qui différencie les papiers à intérêt fixe des autres papiers de revenu est que, si l'on fait abstraction des causes de détermination fortuites, les prix des premiers dépendent du taux d'intérêt, les autres à la fois de celui-ci et du montant du revenu à tout moment. Le prix des premiers n'est ainsi soumis qu'à des fluctuations relativement faibles, lesquelles d'ailleurs se produisent peu à peu avec les fluctuations générales, plus faciles à prévoir, du taux d'intérêt. En revanche, le montant du revenu dans le second groupe est indéterminé, divers, soumis à des modifications pas toujours prévisibles, qui entraînent de fortes oscillations du prix de ces papiers. Ces derniers constituent ainsi l'objet principal de la spéculation.

Il résulte déjà de ce qui précède que le nom généralement donné à la Bourse de « marché des capitaux » ne lui convient pas.

Les papiers du premier groupe sont des titres de créance. Ils proviennent dans leur immense majorité d'actes de la circulation, de transferts de marchandises sans l'intermédiaire de l'argent, lequel n'a fonctionné ici qu'en tant que moyen de paiement. Ils ont, en tant qu'argent de crédit, remplacé l'argent liquide. Leur commerce à la Bourse signifie seulement le transfert de l'allocation de crédit de l'un à l'autre. Mais la circulation du crédit-argent a, nous le savons, comme base et complément la circulation de l'argent véritable. Comme le crédit-argent qui circule ici réalise le mouvement des paiements, non seulement à l'intérieur, mais aussi à l'extérieur, la Bourse ne doit pas avoir à sa disposition crédit intérieur seulement, mais aussi crédit et l'argent métallique étrangers. C'est pourquoi, en tant que complément de la circulation de l'argent-crédit, le commerce des devises étrangères comme de l'argent trouve aussi son centre à la Bourse. Là afflue le capital-argent disponible à tout moment à la recherche d'un placement, qu'il trouve dans les papiers de crédit.

En cela la Bourse est en concurrence avec les instituts de crédit proprement dits, les banques. Mais la différence

est à la fois quantitative et qualitative. Quantitative car ici ce n'est pas, comme pour les banques, le rassemblement des petites sources les plus diverses qui joue un rôle, mais de gros capitaux déjà rassemblés d'avance qui cherchent un placement. La concentration de l'argent, qui constitue pour les banques une si importante fonction, est ici déjà accomplie. Différence qualitative, en ce sens qu'il ne s'agit pas de différentes sortes d'allocation de crédit. Ici on ne met à disposition que l'argent nécessaire au maintien de la circulation de l'argent-crédit. L'argent est placé en montants importants, en traites de premier ordre. Tant à la demande qu'à l'offre, il s'agit de grosses sommes; l'offre et la demande se font face concentrées. C'est là que se forme le prix de marché du capital de prêt, le taux d'intérêt. C'est l'intérêt pur, libéré de toute prime de risque, car il s'agit des meilleurs papiers qu'on puisse posséder dans ce maudit monde capitaliste, des papiers dont l’excellence est encore moins douteuse que celle du bon Dieu. L'intérêt sur ces excellentes traites - excellentes naturellement pas dans le sens de leur méprisable valeur d'usage : même les meilleures traites ne sont pas écrites sur du papier à la cuve - paraît provenir directement de la simple propriété sur le capital-argent. L'argent ne semble pas avoir été cédé, car il peut être réalisé à tout moment par la négociation toujours possible de la traite. En tout cas il n'est placé que provisoirement, toujours prêt à une autre disposition. La sécurité et la courte échéance ont pour conséquence le bas niveau de l'intérêt pour ces placements, auxquels ne conviennent que de très gros capitaux qui ne sont libres que pour un temps souvent très court. Cet intérêt constitue le point de départ pour le calcul de l'intérêt pour les autres genres de placement. Son taux détermine aussi les déplacements des capitaux libres, flottants, d'une place boursière à une autre. Ces capitaux entrent dans des dimensions constamment changeantes dans la circulation, puis en ressortent.

La Bourse constitue ici le marché pour les mouvements d'argent des grandes banques et des grands capitalistes entre eux. Les traites dont il s'agit portent la signature d'une des premières maisons de banque. Les banques de l'intérieur et de l'étranger ou autres grands capitalistes placent dans ces traites des capitaux disponibles pour qu'ils soient employés de façon qu'ils portent intérêt et absolument sûre. Au contraire, les grands instituts de crédit portent ces traites à la Bourse pour se procurer les fonds nécessaires si les demandes qu'ils ont à satisfaire dépassent leurs disponibilités1.

Les sommes d'argent qu'exigent ces mouvements s'élargissent et se contractent, mais elles existent toujours dans certaines dimensions minima. Elles servent à acheter les traites et on les rembourse quand celles-ci arrivent à échéance. Par ce retour constant de l'argent à son point de départ, par sa mission de simple intermédiaire dans le mouvement du crédit, la circulation de l'argent qui est investi dans ce premier groupe de valeurs boursières se distingue immédiatement de l'investissement de l'argent dans le second groupe, par exemple de l'investissement en actions. Ici l'argent est définitivement cédé, transformé en capital productif, et passe dans les mains des vendeurs de marchandises. Il ne revient pas, comme dans le premier cas, à la Bourse.

Au lieu de l'argent, on a maintenant des titres d'intérêt capitalisés. Ici, de l'argent est vraiment retiré de la circulation.

Sur le marché des traites, la Bourse est en concurrence avec les banques. Le développement de ces dernières enlève à la Bourse une partie des traites; les relations entre les capitalistes industriels et la Bourse en tant que médiatrice du crédit de paiement, qui, à l'époque de l’apparition des banques, constituaient sa fonction la plus importante, lui sont enlevées en majeure partie par ces dernières. Il ne lui reste que le rôle d'intermédiaire entre les banques elles-mêmes et le commerce des devises qui permet les paiements étrangers et règle le cours des traites. Mais, ici aussi, une grande partie du trafic est assurée directement par les banques, qui entretiennent leurs filiales étrangères dans ce but. Le développement du système bancaire agit dans un double sens sur la limitation de cette partie du trafic boursier. D'abord directement, en ce sens qu'elles placent en quantités de plus en plus grandes leurs ressources sans cesse croissantes en traites, sans l'intermédiaire de la Bourse. Ensuite en ce sens que par suite du développement du système bancaire, le crédit de traites est remplacé en partie par d'autres formes de crédit.

La traite est du crédit accordé par un capitaliste productif (nous entendons par là tout capitaliste qui réalise du profit, par conséquent aussi le commerçant) à un autre au lieu de paiement. Le capitaliste qui le reçoit la fait escompter par la banque, laquelle prend ainsi le crédit à sa charge. S’ils ont tous les deux un dépôt ou un compte de crédit a la banque, ils peuvent, au lieu de la traite, régler leur paiement à l'aide d'un chèque sur la banque ou d'une inscription sur ses livres. La traite est ainsi devenue superflue. Elle a été remplacée par une transaction dans les livres de la banque, transaction qui, contrairement à la traite, qu'il faut négocier, n'apparaît pas du tout extérieurement. Du fait que les banques règlent dans une mesure toujours croissante les paiements de leurs clients, il en résulte une diminution du mouvement des traites, qui affecte également le marché boursier des traites. A cela s'ajoute, dans les pays où l'émission des billets constitue un monopole d'Etat, la position dominante de la banque d'émission sur le marché des devises, position qui n’est pas ébranlée en faveur de la Bourse, mais seulement des grandes banques. Ce domaine de la circulation de l'argent-crédit, ne donne pas lieu à une activité boursière spécifique, à l’exception de la spéculation sur les devises. La Bourse n'est ici que le marché central pour les sommes d'argent qui sont mises à la disposition de cette circulation de l'argent-crédit.

1 Voir l'ouvrage très instructif de W. Prion, Les Affaires d'escompte de traites en Allemagne, Leipzig, 1907.

Ce qui constitue le domaine de l'activité boursière proprement dite est le marché des titres d'intérêt ou du capital fictif. Ici se fait en premier lieu le placement de l'argent en tant que capital-argent qui doit être transformé en capital productif. L'argent est définitivement cédé dans l'achat des titres d'intérêt et ne revient plus. Ne revient à la Bourse tous les ans que l'intérêt obtenu, par conséquent autrement que dans le placement des capitaux pour les papiers de crédit, où le capital lui-même revient. Au contraire, pour l'achat et la vente des titres d'intérêt, de nouvelles sommes d'argent sont nécessaires, qui servent a la circulation à la Bourse même.

Par rapport aux sommes en circulation, elles sont relativement faibles. Comme les titres d'intérêt représentent des bons d'argent, ils peuvent se compenser mutuellement et il n'y a toujours qu'un petit solde à régler. Au moyen d'établissements spéciaux destinés au règlement de ces différences, on fait en sorte que seul le montant du solde est payé en argent liquide. Mais, pris absolument, les moyens de circulation nécessaires pour des buts boursiers, notamment en périodes de forte spéculation, sont considérables car, précisément dans ces périodes, la spéculation est presque toujours dirigée dans le même sens, ce qui fait que le solde restant à régler s'accroît fortement.

La question qu'il faut se poser maintenant est celle du genre de l'activité boursière et de sa fonction. Nous avons vu que cette activité sur le marché des traites coïncide avec celle des banques. De même, l'achat de valeurs à des fins de placement ne constitue pas une fonction spécifique de la Bourse : on peut acheter les valeurs à la banque aussi bien qu'à la Bourse, et c'est ce qui se fait d'ailleurs de plus en plus. L'activité boursière proprement dite est bien plutôt la spéculation.

Celle-ci apparaît tout d'abord en tant qu'achat et vente. Non de marchandises, mais de titres d'intérêt. Pour que le capitaliste productif réalise son profit, il faut que son capital-marchandises soit transformé en argent, que par conséquent sa marchandise soit vendue. Si cette fonction est assurée par un autre capitaliste, l'industriel doit lui céder une part de son profit. Tout le profit contenu dans la marchandise n'est réalisé définitivement que par la vente au consommateur. La marchandise va du producteur au consommateur, à propos de quoi il serait bien entendu absurde de penser à un simple mouvement local (comme par exemple l'achat de maisons) et de confondre le commerce avec le transport. Dans l'achat et la vente il ne s'agit pas d'affaires locales, mais de phénomènes économiques, de transferts de propriété. Dans les affaires banales, il s'agit aussi de changements dans l'espace. Mais qui voit l'essence du plaisir théâtral dans la recherche de l'emplacement du théâtre?

La marchandise échoit finalement à la consommation et disparaît ainsi du marché. Le titre d'intérêt, en revanche, est par nature éternel. Il ne sort jamais de la circulation comme la marchandise. Même quand il en est provisoirement retiré à des fins de placement, il peut revenir à tout moment sur le marché, et il revient en fait, après un temps plus ou moins long, en grandes ou petites quantités. Mais pour la circulation elle-même l'éloignement du titre d'intérêt du marché et, par là, de la circulation, n'est ni un but ni une conséquence. Le papier de spéculation proprement dit est constamment en circulation à la Bourse. C'est un va-et-vient continu, un mouvement circulaire et non un mouvement vers la sortie.

L'achat et la vente de marchandises sont des phénomènes socialement nécessaires. Ils constituent dans l'économie capitaliste la condition vitale de la société, sa condition sine qua non. Il n'en est pas de même de la spéculation. Celle-ci ne concerne pas l'entreprise capitaliste, ni la production, ni son profit. Le changement de propriété, la circulation permanente, est pour l'entreprise une fois fondée sans influence. La production et son revenu ne sont pas concernés par le fait que les assignations sur le revenu changent de mains, pas plus que la valeur du revenu n'est modifiée par les fluctuations de prix des actions. Au contraire, c'est, toutes proportions gardées, la valeur du revenu qui les détermine. L’achat et la vente des titres d'intérêt sont par conséquent des phénomènes purement économiques, un simple déplacement dans le partage privé de la propriété, sans aucune influence sur la production ou la réalisation du profit (comme pour la vente des marchandises). Les gains ou les pertes de la spéculation ne proviennent par conséquent que des différences des appréciations à chaque moment des titres d'intérêt. Ils ne sont pas du profit, une participation à la plus-value, mais ne proviennent que des différences d'appréciation concernant cette partie de la plus-value qui revient aux propriétaires d'actions, différences qui, nous le verrons, ne sont pas provoquées par des changements dans le profit vraiment réalisé.

Ce sont de simples gains différentiels2. Tandis que la classe capitaliste en tant que telle s'approprie une partie du travail du prolétariat sans équivalent et obtient son profit de cette manière, les spéculateurs ne gagnent que les uns sur les autres. La perte de l'un est le bénéfice de l'autre. Les affaires, c'est l'argent des autres*.

La spéculation consiste en l'utilisation du changement de prix. Mais non celui des marchandises.

Contrairement au capitaliste productif, il est indifférent au spéculateur que les prix montent ou descendent. Il ne s'agit pas pour lui de prix de marchandises, auxquelles il ne s'intéresse pas, seulement des prix de ses titres d'intérêt. Mais ces derniers dépendent de la grandeur du profit, une grandeur qui peut augmenter ou diminuer, 2 Bien entendu nous ne parlons pas ici des affaires dites différentielles, où il n'y a pas livraison effective des valeurs et où

l'affaire est terminée par le règlement des différences de cours. En fait, tout gain spéculatif est un gain différentiel au sens économique du terme. La technique de l'affaire boursière qui est à la base de ce gain n'a pas ici plus d'importance que le fait que pour les capitalistes comme pour les économistes, tout bénéfice capitaliste apparaît comme différence, qu'il s'agisse de profit industriel ou commercial de rente foncière, d'intérêt ou de bénéfice de spéculation.

* En français dans le texte.

avec des prix, soit identiques, soit plus bas ou plus hauts. Car, pour le profit le facteur décisif, ce n'est pas le niveau absolu des prix de la marchandise vendue, mais le rapport de son prix de revient à son prix de vente.

Pour le spéculateur, que le profit augmente ou diminue, cela lui est indifférent : ce qui compte, c'est le changement, et de le prévoir. Son intérêt est tout autre que celui du capitaliste productif ou du capitaliste prêteur d'argent, qui souhaite un revenu le plus stable possible et de préférence en augmentation constante.

Les hausses des prix des marchandises n'ont alors d'influence sur la spéculation que s'ils sont l'indice d'un profit élevé. Ce sont les changements dans le profit, changements qu'il faut prévoir et attendre, qui sont à la base de la spéculation. Mais le profit qui a été produit est réparti sans tenir compte de la spéculation. Il est réparti entre les propriétaires du capital productif ou des titre de profit. Le spéculateur en tant que tel ne tire absolument pas son bénéfice du profit plus élevé; il peut tout aussi bien le tirer d'une baisse du profit. Il ne compte pas sur l'augmentation du profit, mais seulement sur les fluctuations des prix des titres de profit, comme conséquences de la hausse ou de la baisse du profit. Il ne conserve pas les titres de profit dans l'espoir d'obtenir un profit plus élevé, comme c'est le cas du capitaliste qui a placé son argent, mais cherche à obtenir un gain par l'achat et la vente de ses titres de profit. Ce gain ne consiste pas en une participation quelconque au profit, car il gagne même éventuellement avec un profit en baisse, mais au changement de prix, en ce sens qu'il peut à un moment donné acheter plus bas qu'il n'a vendu, ou vendre plus cher qu'il n'a acheté. Si tous ceux qui participent ; à la spéculation agissaient dans le même sens, fixaient au même taux la valeur des titres de profit3, il ne pourrait y avoir aucun gain de spéculation. Ceux-ci ne naissent que parce que des appréciations opposées se forment, dont une seule apparaîtra comme juste. La différence qui se forme entre les appréciations des titres de profit à un moment donné de la part des acheteurs et des vendeurs constitue le gain spéculatif de l'un, la perte spéculative de l'autre. Le gain de l'un est ici la perte de l'autre, contrairement au profit du capitaliste productif, car le profit de la classe capitaliste n'est pas une perte de la classe ouvrière, qui, dans les conditions capitalistes normales, n'a rien de plus à recevoir que la valeur de sa force de travail.

Il faut maintenant examiner les facteurs dont la spéculation tient compte dans ses opérations. L'objet principal de la spéculation, ce ne sont pas les papiers portant intérêt fixe. Ici, les changements de prix dépendent principalement de deux acteurs : d'une part, du profit, et, de l'autre, du taux d'intérêt. Le premier est certes en général donné théoriquement par le taux de profit moyen. Mais celui-ci n'est que l'expression d'un nombre incalculable de profits individuels, dont le taux peut s'écarter considérablement du niveau moyen. Mais le taux du profit individuel est impossible à connaître pour les non-initiés. A côté des causes de détermination générale du taux de profit : grandeur de la plus-value et importance du capital prêté, tous les hasards des variations des prix du marché, de l'utilisation de la conjoncture par l'habileté individuelle des entrepreneurs, jouent ici un rôle décisif. Ce qui apparaît au dehors, c'est seulement le prix de la marchandise; le facteur décisif, à savoir le rapport du prix du marché au prix de revient reste inconnu au dehors, et n'est souvent connu des entrepreneurs eux-mêmes qu'à la fin d'une période de transformation et seulement après un calcul précis.

Abstraction faite de la grandeur réelle du profit, toute une série de facteurs plus ou moins arbitraires exercent une influence sur le revenu qui parvient vraiment à être réparti sur les titres d'intérêt : amortissements, tantièmes, calcul des réserves, etc. Ces derniers facteurs donnent à la direction de l'entreprise le pouvoir de fixer arbitrairement le montant du revenu jusque dans certaines dimensions et d'influer ainsi sur les cours. Mais, en tout cas, c'est un facteur de détermination des prix, pratiquement décisif pour la masse des spéculateurs, absolument impossible à calculer. Étant donné les différences de prix infimes dont il s'agit parfois et l'importance de la poussée qu'une modification du profit par sa capitalisation déclenche dans les cours, une connaissance générale, plus ou moins superficielle, de l'entreprise, ne suffit encore pas. En revanche, la connaissance intime des initiés leur donne une grande sécurité et la possibilité de l'utiliser à peu près sans risque à des fins spéculatives.

Il en est autrement de la seconde cause de détermination des prix, le taux d'intérêt. Nous avons vu que, pour donner à la spéculation la possibilité de s'exercer, il faut qu'il existe une divergence d'opinions concernant l'évolution prévisible des cours, divergence provoquée par l'incertitude où l'on est touchant le futur profit. Le taux d'intérêt, en revanche, est, tout comme le prix de la marchandise sur le marché, une grandeur donnée à chaque moment, par conséquent connue de tous les spéculateurs. Mais ses variations aussi peuvent être prévues dans leur direction, tout au moins avec un certain degré de probabilité, abstraction faite de perturbations soudaines, plus ou moins, telles qu'en entraînent des événements qui exercent une influence directe sur les besoins d'argent, comme les guerres ou révolutions, les catastrophes, etc. A quoi s'ajoute l'intensité des répercussions des changements du taux d'intérêt sur les cours: ce taux baisse ordinairement dans les périodes de dépression, où la spéculation est faible, la confiance diminuée et où le niveau des cours des valeurs industrielles, malgré le faible taux d'intérêt, est au plus bas. Au contraire, aux époques de haute conjoncture et de spéculation déchaînée, le taux d'intérêt élevé est surmonté par l'attente de gains accrus sur les cours. Si, par conséquent, le taux d'intérêt et son évolution constituent un facteur plus sûr que l'évaluation par avance du profit, c'est essentiellement l'évolution de ce dernier qui donne à la spéculation sa direction et 3 Et non seulement dans le même sens, mais aussi dans le même temps et dans la même proportion. Car il n'y a bénéfice

spéculatif que lorsqu'on achète une valeur à un prix plus élevé à une date ultérieure à laquelle un autre vend, ou lorsqu'on vend à un prix plus élevé qu'un autre qui vend déjà à ce prix.

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