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- LES CHANGEMENTS DANS LE CARACTERE DES CRISES

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 178-186)

CARTELS ET CRISES

Le développement de la production capitaliste amène aussi certains changements dans la façon dont se manifestent les crises et que nous allons examiner maintenant. En quoi il ne peut s’agir que d'une tentative en vue d’esquisser les grandes lignes générales, laissant aux historiens le soin de montrer en détail, et pour chaque pays séparément, les changements qui se manifestent dans les crises. On ne pourra ici qu'essayer de montrer le général dans le particulier, ce qui est d'autant plus difficile qu'avec le progrès du capitalisme l'enchevêtrement international des phénomènes économiques devient de plus en plus serré et que, par conséquent, lors des crises, les phénomènes d'un pays déterminé, avec toutes ses particularités de développement à la fois au point de vue du temps de la technique et du degré d’organisation, se répercutent sur la crise des autres pays. C’est ainsi que, par exemple, les manifestations de la récente crise européenne de 1907 ne peuvent se comprendre qu’en tant que répercussions de la crise américaine. Le caractère particulier de cette crise, laquelle fit apparaître les manifestations de la crise financière et bancaire sous une forme tellement parfaite qu'elle n'avait pas atteinte depuis longtemps en Europe, eut comme conséquence sur les marchés financiers européens des phénomènes spécifiques qui, en plus d'un détail auraient pu être évités.

D'un autre côté, il est tout aussi impossible de tirer des lois générales concernant le changement des crises de l’histoire des crises dans un seul pays, par exemple l'Angleterre, parce que, précisément la crise est un phénomène du marché mondial - plus elle dure et plus c'est le cas - et que les crises d’un seul pays peuvent connaître, du fait des particularités du développement capitaliste dans ce pays, certaines modifications, qu'il serait faux de vouloir généraliser1.

Si nous voulons constater par conséquent les changements qui se produisent dans les phénomènes des crises, nous devons pouvoir les fonder théoriquement, pour avoir la certitude qu'il ne s'agit pas de phénomènes particuliers, correspondant à une phase spéciale du capitalisme, au total peut-être fortuits, par conséquent, mais de tendances tenant à l'essence même du développement capitaliste.

Le capitalisme se développe dans une société où la production des marchandises occupe une place encore relativement faible. C'est son extension seulement qui entraîne le développement de la production des marchandises, la création du marché national et du marché international en voie d'élargissement constant. Cet élargissement crée les conditions dans lesquelles des crises peuvent se produire. Aussi longtemps que la production capitaliste se développe au sein d'une économie destinée à la satisfaction des besoins familiaux et dans le cadre d'une production de marchandises artisanale destinée au marché local et non capitaliste, les crises ne pèsent de tout leur poids que sur la superstructure capitaliste. Elles frappent ainsi des branches de production dont les débouchés peuvent être presque complètement fermés, parce que la circulation nécessaire aux échanges organiques de la société est assurée par la production artisanale, et le reste par la production familiale. La crise peut entraîner ici, dans le domaine capitaliste de la production, les plus grandes dévastations, en rendant pour quelque temps les débouchés complètement impossibles, à condition que les causes de cette crise soient par ailleurs assez fortes pour paralyser la production, ce qui, nous le verrons, est souvent le cas.

Avec le développement de la production capitaliste, la production artisanale et celle qui a pour but la satisfaction des besoins familiaux disparaissent de plus en plus. La crise affecte maintenant une production dont l'accroissement est déterminé par la nécessité de couvrir les besoins sociaux beaucoup plus considérables, tant relativement qu'en chiffres absolus. Avec le développement de la production s'accroît aussi cette partie qui doit être poursuivie en toutes circonstances et dont la poursuite empêche l'arrêt complet du processus de production et de circulation. Cela se manifeste en ceci que ce sont les branches d'industrie destinées à la consommation qui sont les moins touchées par la crise et d'autant moins qu'il s'agit de produits de grande nécessité, dont la consommation n'est soumise qu'à de très légères fluctuations.

Des changements dans les phénomènes des crises doivent aussi intervenir du fait des progrès de la concentration capitaliste. Avec les dimensions de l'entreprise individuelle croît sa force de résistance. Plus l'entreprise est petite, plus il est vraisemblable que l'effondrement des prix aura pour conséquence une faillite complète. Le petit entrepreneur perd peut-être tous ses débouchés ; la chute des prix et l'arrêt du travail rendent impossible la conversion de son capital-marchandises en capital-argent. Il ne peut pas s'acquitter de ses dettes, car il ne possède pas de capital de réserve et, surtout en période de crise, n'obtient aucun crédit. La crise mène ainsi à un effondrement en masse des petites entreprises capitalistes, par refus de crédit, à des faillites en série, des cessations de paiements, des krachs bancaires, une panique générale. A quoi il faut ajouter que les 1 Erreur que Tougan-Baranowski, dans les conclusions à sa remarquable histoire des crises en Angleterre, ne semble pas

avoir toujours évitée.

différences techniques sont aussi plus grandes. A côté d'entreprises modernes, il y a des entreprises encore partiellement artisanales ou appartenant à l'époque de la manufacture, auxquelles la chute des prix ne permet pas de se maintenir. Mais leur effondrement en masse mène aussi à la ruine des entreprises parfaitement viables au point de vue technique2.

Tout autre est la situation de la grande entreprise moderne en face de la crise : sa production est si considérable qu'une partie peut se poursuivre même pendant la crise. Le trust américain de l'acier peut être contraint de réduire sa production de moitié, mais il n'a pas besoin de la réduire au-dessous d'un certain seuil.

Avec la concentration des entreprises croissent ainsi les dimensions dans lesquelles la production peut être maintenue.

Le développement de la production capitaliste entraîne par conséquent, d'une façon tant relative qu’absolue, l’accroissement de cette partie de la production qui se poursuit en toutes circonstances. Par là s’accroissent également les dimensions de la circulation des marchandises qui n’est pas affectée par la crise mais aussi le crédit de circulation fondé sur elle. L'effondrement du crédit n'est donc bas aussi complet que dans les crises de la période de début du capitalisme. Toutefois, l'évolution de la crise de crédit, d'une part, vers la crise bancaire, de l'autre, vers la crise financière, est rendue difficile par les changements intervenus dans l'organisation du crédit, d’une part, et les rapports entre le commerce et l'industrie, d'autre part.

La crise du crédit se transforme en crise financière quand l'effondrement du crédit crée une pénurie soudaine de moyens de paiement3. Mais cette pénurie se manifeste d'autant plus difficilement que sont plus 2 « La crise de 1857 et plus encore celle de 1873 frappèrent un grand nombre d'entreprises, notamment dans l'industrie

métallurgique, qui ne se distinguaient pas beaucoup entre elles du point de vue de la capacité productive ; de nombreuses usines qui du point de vue purement technique, étaient tout à fait viables furent précipitées par là dans l'effondrement général. La crise de 1900 frappa, à côté d'entreprises géantes des industries fondamentales un grand nombre d'entreprises d'organisation périmée selon nos conceptions modernes, que la vague de la haute conjoncture avait portées au sommet. La chute des prix, la baisse de la demande mirent ces usines dans une situation grave, dont il n'était pas question, sinon pour un temps très court, dans les entreprises géantes combinées. Par là, la crise récente a conduit à une concentration industrielle beaucoup plus forte que les précédentes, notamment celle de 1873, qui certes créa un choix, mais, étant donné l'état de la technique, pas un choix tel qu'il en résulta un monopole des entreprises sorties victorieuses de la crise. Un tel monopole ce sont principalement les entreprises géantes de l'industrie métallurgique et de l'industrie de l'électricité, et, à un degré moindre celles de la construction mécanique, des transports, etc., qui l'exercent grâce à leur technique complexe, leur organisation et leur puissance financière. Si cela n'est pas vrai pour certaines branches d’industrie plus « légères » et que pour ces dernières l'effet de la crise n'a pas fondamentalement changé par rapport aux précédentes, on comprend plus facilement que l'évolution récente du système bancaire soit tellement influencée par ces industries » (Jeidels, op. cit., p. 108).

3 Cette condition suffit, quelles que soient les causes qui la déterminent. Dans la description du krach boursier

d’Amsterdam en 1773, voici ce qu'on dit des conséquences d'une grande banqueroute : « On ne savait jusqu'où elle irait, quelles autres maisons seraient entraînées dans cette faillite. L'insécurité générale chassa le crédit, et en un instant il n'y eut plus d'argent liquide. L’un craignait de voir renvoyer sa traite, d'autres avaient peur de ne rien recevoir des sommes qui leur étaient dues, et tous n’attendaient que l’occasion d'acheter au plus bas prix, chacun craignait de dépenser son argent liquide, et c'est ainsi que la circulation s’arrêta presque complètement » (La Richesse de la Hollande, Leipzig, 1778, t. I, pp. 444 sq. Cité par Sartorius von Waltershausen, op. cit., p. 377). Qu'on compare à cela la description suivante de la situation des Bourses allemandes au moment où éclata la guerre de 1870. Le 4 juillet 1870 la Bourse de Berlin avait été d'excellente humeur. Pendant les jours suivants elle devint hésitante, le 8 juillet elle était fortement inquiète, le 11 juillet en pleine panique. Celle-ci dura huit à dix jours, jusqu'à ce que, la confiance revenue, le

mouvement de baisse s'arrête ... Comme par enchantement, l’argent avait disparu de la Bourse. Le taux d'escompte à la Banque de Prusse monta jusqu'à 9 %, à Leipzig pour les emprunts sur gages à 10 %, à Lübeck 9 %, à Brême 8 %. Où était donc passé l'argent, qu'on pouvait quelques jours auparavant trouver abondamment à 3 et 3,50 % ? Que l'Etat l'ait absorbé dans des buts de mobilisation était exclu du fait de la décentralisation du système monétaire qui régnait alors en Allemagne et aussi à cause des réserves qui se trouvaient aux mains des banques émettrices d'un grand nombre de petits billets et dans celles des banquiers privés. La plus grande partie de cet argent était, restée dans les coffres où on le tenait enfermé et celui qui pouvait s'en procurer l'ajoutait au reste. C’est ainsi par exemple qu'on rapporte de Munich : « Il y eut un moment où, pour le meilleur papier et contre les meilleures garanties on ne pouvait trouver 500 florins; par contre, même des personnes privées croyaient devoir, au prix des plus grands sacrifices, se constituer une réserve d'argent liquide pour les cas d'extrême urgence. ». A Francfort-sur-le-Main, « les banquiers ne pensaient qu'à faire rentrer leurs avoirs, tandis que le public, de son côté, exigeait le versement immédiat des sommes déposées chez eux. Comme le montrait le gonflement rapide des virements en banque, on s'efforçait des deux côtés de se constituer une forte réserve d'argent liquide pour parer à toute éventualité ».

Sur l'agio de l'argent liquide, on rapporte ce qui suit de Hanovre : « Chaque banquier, la Banque de Hanovre en tête, ne pensait qu’à soi ... Les bons de caisse et billets des banques privées allemandes étaient proscrits et le brave homme qui désirait des billets courants ou prussiens devait supporter une perte de 5 %, et le paysan voulait s'en défaire à tout prix devait payer 10 % et plus. » Et comme cette situation montre en plus petit tous les traits typiques de la récente crise financière américaine, le remède fut aussi le même : « Dans la période de la pénurie d'argent, au cour la deuxième moitié de juillet, on chercha à se tirer d'affaire par différents moyens. A Brême, le Sénat et la bourgeoisie décidèrent d'attribuer à certaines pièces d'or étrangères le caractère de moyen de paiement légal, ce qui ne servit pas à grand-chose, car cette monnaie, tout comme celle de la Ville, resta enfermée dans les coffres. A Stuttgart, une association de caisse fut créée, qui en circulation des bons de 50 à 500 florins à 3 % d'intérêt, remboursables en six mois. A Munich, la Hypotheken und Wechsel Bank mit en circulation des billets du même genre, à Francfort-sur-le-Main, des banques réputées accordèrent à la banque d'émission locale une garantie collective. Dès que cela fut possible, on

grandes les dimensions de la production qui se maintient en toutes circonstances. Car l'argent-crédit peut continuer à remplir ses fonctions dans la même mesure. Ainsi, plus grandes sont les dimensions des transactions à régler à l'aide du crédit, plus le crédit commercial est remplacé par le crédit bancaire. Car il est plus difficile d'ébranler le crédit bancaire que celui d'un industriel isolé. Mais le facteur déterminant est que la pénurie de moyens de paiement ne se manifeste pas, parce que le développement du crédit réduit même pendant la crise les besoins de moyens de paiement et que, par exemple, le mouvement des chèques et des instituts de clearing se poursuit. Mais ces moyens de paiement peuvent être mis à disposition par les banques d'émission dont le crédit, même pendant la crise, reste intact. Nous avons vu que la circulation des billets est fondée sur la circulation des traites. Celle-ci diminue parce que sa base, la circulation des marchandises, diminue. Mais la circulation des billets diminue plus fortement que cette dernière parce que le crédit commercial est ébranlé. La banque remplace maintenant celui-ci par le sien propre, dans la mesure où la véritable circulation des marchandises le permet. Elle peut, par conséquent, mettre son argent-crédit à disposition pour les véritables besoins de la circulation et satisfaire la demande de moyens de paiement. Mais, par là, elle réduit cette demande de moyens de paiement à ses besoins, véritables nécessaires pour la circulation et empêche cette demande quasi illimitée qui, née de la crainte de ne pas détenir de moyens de paiement même en échange des meilleures garanties, dépasse les besoins véritables et mène à l'accroissement de l’accumulation, par conséquent de nouveau à la diminution des moyens de paiement. Pour que la banque d'émission puisse accomplir cette tâche, il est nécessaire, d'abord, que son crédit soit intact, ce qui, si elle est bien dirigée, est une condition facile à remplir, ensuite que l'émission de billets accrue ne mette pas en danger leur convertibilité. Cette condition est remplie par le soin, dicté à la banque par son propre intérêt, de n’accorder ses billets pendant la crise qu'en échange d'une sécurité absolue, ce qui lui donne la garantie qu'elle n'agit que pour les besoins véritables de la circulation dans les limites données par la crise. Ensuite, que cette convertibilité soit protégée contre des hasards imprévus par une réserve suffisante d'argent liquide, avant tout par de l'or. Mais cette condition est remplie, avec le développement du régime capitaliste, par l'accroissement de la production d'or, l'accumulation de l'or dans les banques et la limitation de la fonction de cet or au rôle de réserve. Par le développement du crédit, l'or est de plus en plus strictement consacré à équilibrer la balance internationale des paiements. Quoique les proportions des paiements internationaux s'accroissent d'une façon colossale, grâce au développement de l'argent-crédit fonctionnant sur la base internationale, le solde à régler en argent liquide ne s'accroît pas dans les mêmes proportions que la réserve d'or accumulée dans les pays de développement capitaliste avancé, ce qui permet aux banques d'émission de satisfaire aux demandes accrues pendant la crise. A condition, bien entendu, qu'elles ne soient pas entravées dans leurs fonctions économiques par les contraintes légales, comme c'est le cas en Angleterre par les « Actes de Peel » et aux Etats-Unis par les prescriptions absurdes de couverture qui y ont provoqué des crises financières au sens le plus typique du terme.

Mais l'absence de la crise financière préserve le crédit d'un effondrement complet et constitue par là un moyen préventif contre le déclenchement de la crise bancaire. La ruée sur les banques ne se produit pas, le retrait des dépôts ne prend pas un caractère dramatique, et les banques, pour peu qu'elles soient solvables, peuvent faire face à leurs obligations. Cependant, dans la mesure où la crise bancaire n'est pas la conséquence de la crise de crédit et de la crise financière, mais provient de l'immobilisation des ressources bancaires et des pertes provenant des allocations de crédit, le développement capitaliste manifeste ici aussi des tendances qui ont pour résultat une atténuation de la crise pour le capital.

Le rôle le plus important revient ici à la concentration bancaire. Elle permet, grâce à l'énorme extension des affaires dans des domaines économiques nationaux comportant des phases différentes de développement capitaliste, une beaucoup plus grande répartition du risque. Mais, ainsi, cette concentration croissante des banques va de pair avec un changement de leur position à l'égard de la spéculation, du commerce et de l'industrie. Avant tout, la concentration des banques signifie un déplacement de force en leur faveur du fait de leur grande puissance financière. Non seulement cette puissance est quantitativement plus considérable que celle des débiteurs de la banque, mais cette supériorité est aussi qualitative, en ce sens que la banque dispose du capital sous sa forme toujours prête à servir, celle d'argent. Cette supériorité empêche qu'une grande banque bien dirigée devienne à ce point dépendante du sort d'une ou plusieurs entreprises où elle aurait placé ses fonds qu'elle soit entraînée dans leur faillite.

Si l'on examine en détail les causes qui empêchent le déclenchement de la crise bancaire, on constate tout d'abord que la spéculation a beaucoup perdu en extension et en importance, aussi bien la spéculation sur les marchandises que celle sur les valeurs. Par spéculation sur les marchandises, nous entendons ici, non seulement la spéculation boursière, mais avant tout celle du commerce des marchandises, la demande de marchandises de la part des commerçants dans l'attente que les prix monteront, et l'accumulation de grands dépôts de marchandises pour faire monter les prix en réduisant l'offre. Cette spéculation recule avec l'élimination du commerce en général, l'accroissement des rapports directs entre producteurs et consommateurs et la transformation des commerçants en

fit venir du métal noble de l'étranger. Les banques et maisons d'importation de Brême furent à la fin de juillet en mesure de disposer de sommes considérables en souverains. Francfort fit venir de l'or de l'Angleterre et de l'argent de Vienne. Ces mesures se révélèrent assez efficaces contre la pénurie d'argent pour les payements, mais ne suffirent pas à apporter sur le marché des capitaux en quantité suffisante pour pouvoir satisfaire les besoins de l'Etat » (Sartorius, op.cit, pp. 323 sq.).

agents appointés des syndicats et des trusts. Cela empêche jusqu'à un certain point qu'en période de haute conjoncture les prix soient portés d'une façon spéculative très au-dessus du niveau fixé par les producteurs et qu'on fasse croire encore à des ventes abondantes au moment où en réalité elles ont déjà commencé à s'arrêter4.

Mais là où le commerce de gros - et il ne s'agit ici que de ce dernier - a réussi à maintenir ses positions en face de l'industrie ou des sections commerciales des grandes banques, il manifeste lui-même une forte concentration et réduit considérablement la participation d'éléments plus faibles ou indépendants. Là où, par contre, en raison de conditions particulières, le commerce des marchandises en Bourse joue encore un rôle spécial, les mouvements de la spéculation sont de plus en plus contrôlés par les banques, auxquelles le développement de l'organisation donne de plus en plus la disposition de tout le capital-argent et qui sont ainsi en mesure de maintenir la spéculation à l'intérieur de certaines limites.

Enfin, ce qui a pour effet de restreindre la spéculation sur les marchandises, c'est le développement des moyens de transport, qui a raccourci les distances séparant du marché les marchandises faisant particulièrement l'objet de la spéculation, ainsi que celui du service d'informations, chargé de fournir à tout moment des renseignements sur l'état du marché. L'accumulation de produits invendables sur des marchés lointains, pendant que sur les lieux de production celle-ci se poursuit à l'ancien rythme ou à un rythme accru, est devenue beaucoup plus difficile. En outre, du fait de la diminution de la part relative des moyens de consommation, la spéculation sur les produits coloniaux qui, dans les crises anglaises d'autrefois, jouait un rôle si néfaste, a perdu beaucoup de son importance grâce à la sécurité et à la régularité des importations, la précision et la rapidité des informations sur l'état du marché. A quoi il faut ajouter que la spéculation sur les marchandises perd de son importance avec les dimensions croissantes que prennent les industries de moyens de production, dont les produits ne sont pas objet de spéculation, parce que destinés à une clientèle spéciale et bien déterminée.

Conjointement agissent les changements intervenus au cours des phénomènes de crise dans l'industrie et le renforcement du contrôle des banques sur l'industrie. Nous avons vu que la concentration croissante des entreprises industrielles renforce leur capacité de résistance quant à la conséquence ultime de la crise, la faillite. Capacité de résistance encore renforcée par la forme d'organisation de la société par actions qui, nous l'avons vu également, accroît considérablement l'influence des banques sur l'industrie. Car la société par actions permet à l'entreprise de poursuivre la production sans profit et même avec pertes, parce que les placements de capitaux sont ici plus faciles que pour l'entreprise individuelle. En outre, il est plus facile à la société par actions d'accumuler des réserves et de se prémunir dans les bonnes années contre les mauvaises.

Enfin l'utilisation des ressources et avant tout du capital emprunté est soumis à un contrôle plus facile, donc plus strict. Les banques contrôlent directement les dépenses des sociétés qu'elles soutiennent avec leur crédit. Ce contrôle est appliqué d'autant plus systématiquement que la tendance va vers l'assujettissement des entreprises industrielles aux banques. Celles-ci interdisent l'emploi du crédit à d'autres objectifs que ceux de l'entreprise elle-même. Dans les crises d'autrefois, le fait que les entrepreneurs individuels participaient à des opérations spéculatives en utilisant le capital destiné à l'entreprise, et en faisant marcher celle-ci avec du capital emprunté, jouait un rôle considérable. Aujourd'hui le contrôle de la banque interdit de telles pratiques.

C'est par conséquent une conception erronée de vouloir s'opposer à la pénétration, nécessaire et inévitable, parce que découlant des lois du développement capitaliste, des banques dans l'industrie, comme constituant un danger pour les premières, et de considérer en revanche le système bancaire anglais retardataire, avec sa division du travail en banque de dépôts et banques d'affaires, comme l'idéal qu'il faut atteindre, au besoin par la contrainte légale. Cette conception prend l'apparence de ce système pour la réalité : elle ne voit pas qu'en Angleterre également les banques mettent leurs fonds à la disposition de l'industrie, du commerce et de la spéculation. Que cela se fasse en Angleterre à l'aide d'intermédiaires, en Allemagne, et sous une forme un peu différente aux Etats-Unis, d'une façon directe5, s'explique par des causes historiques déterminées. Mais le procédé anglais est arriéré et du reste en voie de disparition, parce qu'il rend difficile le contrôle du capital prêté par les banques et interdit par là même l'extension du crédit bancaire.

Enfin, et ici nous pouvons nous référer à ce qui a été dit dans le chapitre sur la Bourse, la spéculation sur les valeurs joue, en tant que facteur de la crise bancaire, un rôle de plus en plus faible. A mesure que les banques accroissent leur puissance, les mouvements de la spéculation sont contrôlés par celles-ci et non le contraire. Et à mesure que le rôle de la Bourse en général décroît, son importance en tant que facteur d'aggravation de la crise décroît encore plus rapidement.

4 En ce sens, la remarque suivante de Marx s'applique à la situation actuelle : « Avec le système moderne de crédit il (le capital commercial) dispose d'une grande partie du capital-argent global de la société, de sorte qu'il peut renouveler ses achats avant d'avoir vendu ce qu'il a déjà acheté… En dehors de la séparation de M-A et A-M, qui découle de la nature de la marchandise, il est ainsi créé une demande fictive ... D'où ce phénomène, dans les crises, qu'elles ne se manifestent pas en premier lieu dans le commerce de détail, qui a affaire à la consommation directe, mais dans les secteurs du commerce de gros et des banques, qui mettent à la disposition de ce dernier le capital-argent de la société » (Le Capital , III , 1, p. 288).

5 A quoi rien n'est changé du fait que se glisse parfois entre la banque et l'entreprise une société de fondation propre, puisque celle-ci dépend directement de la banque.

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 178-186)