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- LA BOURSE DES MARCHANDISES

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 100-111)

Pour le commerce des valeurs la Bourse est le lieu de naissance. Avec elle se développent les banques de valeurs, qui, d'une part, font concurrence à la Bourse, de l'autre l'utilisent comme leur organe de transmission.

Pour le commerce des valeurs l'échéance est sans importance; elle le facilite mais n'a aucune influence décisive sur le niveau du prix. Il en est tout autrement du commerce boursier des marchandises1.

A la Bourse des valeurs s'effectue l'échange des valeurs ; ces échanges remplissent la fonction de la mobilisation du capital. Dans l'échange s'accomplit pour le capitaliste individuel la retransformation du capital fictif (qui avait d'abord été transformé en capital industriel) en capital-argent. Ce sont des échanges d'une nature particulière, qui n'ont de commun avec le commerce des marchandises que la forme d'achat et de vente, la forme économique générale de transfert de valeur et de propriété. Il en est tout autrement du commerce des marchandises : ici s'accomplit la réalisation du profit industriel et commercial créé dans la production, tandis que s'effectuent par la circulation des marchandises les échanges organiques de la société. C'est pourquoi Bourses de marchandises et Bourses de valeurs se distinguent déjà d'avance comme marchandises et valeurs. Les mettre sur le même plan comme « Bourses », c'est créer de la confusion si l'on ne tient pas compte de cette différence fondamentale et si l'on identifie en outre spéculation et commerce. La notion de commerce boursier des marchandises, donc du caractère particulier de la Bourse des marchandises, à la différence de l'autre

« commerce », nécessite par conséquent un examen plus profond.

D'ordinaire, on appelle boursier tout commerce qui s'effectue dans une Bourse, c'est-à-dire un lieu où se réunissent de nombreux commerçants. Mais, que ces derniers fassent leurs affaires à leurs comptoirs ou dans un autre endroit, précisément la Bourse, il n'y a là qu'une différence de technique commerciale, non une différence économique. La rapidité de la conclusion des affaires, le coup d'œil général sur la situation du marché, peuvent en être facilités, Mais ce ne sont là, encore une fois, que des différences techniques, non économiques.

La différence reste même purement technique si une fonction importante du commerçant en est rendue superflue du fait que l'examen et la constatation de la valeur d'usage pour l'affaire privée sont abolis parce qu'on ne doit livrer que des marchandises d'une qualité déterminée. Que ces conditions de livraison soient remplies ou non, ce sont les organes boursiers experts en la matière qui ont, en cas de conflit, à en juger. Mais la suppression de cette fonction est une condition préalable du commerce en Bourse des marchandises, lequel exige encore, pour exister, d'autres critères économiques.

La marchandise entre par conséquent dans le commerce boursier en tant que marchandise d'une certaine qualité. Elle est marchandise boursière en tant que valeur d'usage fixée, que marchandise standard. Comme telle, chaque quantité peut être remplacée par toute autre quantité égale ; en tant que quantité de la même valeur d'usage, la marchandise est devenue un bien valable. Les marchandises ne se distinguent dans le commerce boursier que quantitativement. Selon la nature de la marchandise et les règlements de la Bourse, une certaine quantité : tant et tant de kilos, tant et tant de sacs d'un poids déterminé, vaut comme unité pour la conclusion de l'affaire. Ne conviennent par conséquent au commerce boursier que des marchandises qui, conformément à leur nature ou à des règles, relativement simples, peu coûteuses, peuvent fonctionner comme telles.

Mais qu'elles puissent fonctionner comme telles, c'est une propriété naturelle de la valeur d'usage, que possède une sorte de marchandise, une autre non. Pour le commerce boursier, il faut davantage. Dans le commerce ordinaire la marchandise passe, au coût de production du fabricant, entre les mains du commerçant, qui la vend, majorée du profit commercial, au consommateur. Le commerce ne devient boursier que si, en dehors du commerce, il reste encore place pour un gain différentiel, le gain de spéculation. Mais, pour qu'il y ait spéculation, il faut de fréquentes fluctuations de prix. Sont par conséquent propres au commerce boursier les marchandises qui sont soumises aux plus grandes oscillations de prix dans les temps relativement les plus courts. Ce sont avant tout les fruits, les céréales, le coton, puis les produits semi-fabriqués et éventuellement les produits manufacturés, dont les matières premières servant à la production sont soumises à de fortes oscillations, influent d'une façon décisive sur le prix du produit, comme par exemple le sucre .

Selon Robinow2, c'est en Angleterre, pour les métaux, le talc, etc., que le commerce à terme a fait son apparition. Cependant, après l'introduction du télégraphe et des bateaux à vapeur, le commerce à terme s'est étendu aux produits d'outre-mer. Toute la production ne s'étale pas sur toute une année, mais ne dure que quelques mois, produits qui sont jetés en une seule fois sur le marché, tandis que leur consommation se répartit sur toute l'année. La raison du marché à terme est par conséquent la courte durée du temps de production par 1 M. Russel, de la Société d'escompte, donne la définition suivante : « L'essence de la spéculation commerciale consiste à

percevoir un changement de la conjoncture et, si possible, à se garantir d'avance au moyen du commerce à interne » (Enquête sur la Bourse, I, p. 417).

2 Enquête Sur la Bourse, II, p. 2072.

rapport à la longueur du temps de circulation, due à la consommation ininterrompue. Ce qui pousse à l'introduction du commerce à terme dans les opérations portant sur les valeurs, c'est la faculté de fonctionnement qu'ont les objets échangés, titres de revenu capitalisés, par conséquent représentants d'argent. Quant au commerce à terme des marchandises les raisons en sont les conditions spécifiques de transformation, par exemple la différence entre temps de production et temps de circulation. C'est le besoin du marché à terme qui conduit à l'établissement, souvent obtenu uniquement par des moyens artificiels, de marchandises standard, c'est-à-dire de marchandises dont chaque quantité à la même valeur d'usage que n'importe quelle autre3.

Que cessent les fluctuations de prix, notamment par la formation de cartels, comme par exemple pour le pétrole, et cesse également ou devient purement formel le commerce boursier sur ces produits. Une autre condition importante, liée à la précédente, est que les oscillations de prix ne puissent être à tout moment compensées par une adaptation de l'offre à la demande. Ici aussi, c'est pour les produits du sol que cette adaptation est la plus difficile. La récolte une fois faite, l'offre est par là déterminée, et ne peut qu'après un temps très long être adapté à la demande. Une dernière circonstance qu'il reste encore à mentionner est que les quantités de marchandises qui entrent dans le commerce boursier doivent être assez importantes pour pallier le danger de formation d'un cartel, étant donné que l'établissement d'un prix de monopole empêche les changements de prix et par là la spéculation.

La particularité du commerce boursier est que la fixation de la valeur d'usage de la marchandise fait de cette marchandise pour chacun une simple incarnation de la valeur d'échange, un simple porteur de prix. Chaque capital-argent est immédiatement en mesure de se transformer en cette marchandise. C'est pourquoi on peut amener des non-professionnels à participer à l'achat et à la vente de ces marchandises. Elles sont égales en argent ; l'examen de leur valeur d'usage est retiré aux commerçants; elles ne sont soumises qu'à des oscillations constantes, plus ou moins importantes, de leurs prix4. Etant donné qu'elles sont des marchandises de marché mondial, qu'elles peuvent à tout moment être vendues, par conséquent retransformées en argent; il ne s'agit toujours que de gain ou de perte provenant des différences de prix. Elles sont donc devenues des objets tout aussi propres à la spéculation que d'autres titres d'argent, par exemple les valeurs. Pour le commerce à terme, la marchandise ne vaut que comme valeur d'échange. Elle devient simple représentant d'argent, tandis que l'argent est représentant de valeur de marchandises. La signification du commerce, de la circulation des marchandises, a disparu, et par là aussi les caractères et l'opposition de marchandise et argent. Cette opposition, réapparaît quand la spéculation est terminée, parce qu'un cartel l'empêche et que brusquement l'argent doit se substituer à la marchandise, qu'on ne peut avoir. De même que l'argent ne joue dans la circulation qu'un rôle insignifiant, de même la marchandise dans la spéculation sur la marchandise. De même que dans la circulation il y a beaucoup plus d'argent de compte que d'argent réel, de même la spéculation échange de plus grandes quantités de marchandises qu'il n'y en a en réalité5.

Afin que dans le commerce à terme des marchandises il y ait un véritable mouvement du producteur au consommateur, ce qui signifie par conséquent de véritables opérations commerciales et non de simples opérations de spéculation - et le commerce est la condition primordiale pour la spéculation - il faut qu'au début de la chaîne des affaires à terme il y ait le producteur (ou le commerçant en tant que son représentant) et au bout le consommateur (par exemple le meunier). On peut considérer la chose de telle sorte qu'une partie de la marchandise reste toujours à la disposition de la spéculation. Ce n’est rien d'autre qu'un certain stock, dont la composition bien entendu change constamment ; celui-ci devrait être entreposé quelque part ailleurs, sous la surveillance d'autres agents capitalistes, non des spéculateurs, mais des producteurs ou des commerçants, éventuellement aussi des consommateurs. Il devrait toujours avoir un volume suffisant pour éviter le danger de la formation d'un cartel.

En s'emparant de ces marchandises, la spéculation provoque toute une série de nouvelles transactions d'achat et de vente. Cette chaîne d'affaires d'achat et de vente est purement spéculative, son but est d'obtenir un gain différentiel ce ne sont pas des opérations commerciales, mais des échanges spéculatifs. Les catégories de vente et d'achat n'ont pas ici la fonction de la circulation des marchandises, la tâche consistant à faire passer la 3 Ce raffinement est la source de nombreux abus, qui disparaissent là où existe une fluidité véritable et facile à constater,

comme par exemple pour l'eau-de-vie (degré d'alcool) et en partie pour le sucre (degré de polarisation).

4 « Cette forme spéciale de l'opération à terme n'a donc pas été créée seulement pour faciliter le commerce effectif, mais elle sert en dernière analyse à donner aux capitalistes ou aux spéculateurs, c'est-à-dire au propriétaire du capital

momentanément disponible, la possibilité de le placer provisoirement (ou durablement) dans la branche commerciale en question, même s'il en ignore tout. Ce capitaliste ... se distingue par conséquent du négociant en grains par le motif de son activité. » Celui-ci veut échanger des céréales, celui-là tirer profit des fluctuations de prix. Le capitaliste prend ainsi en même temps le risque (voir Fuchs, « Le Commerce à terme des marchandises » dans Annuaire pour législation..., 1891, 1er cahier, p.

71). A quoi il faut ajouter que la recherche du gain est bien entendu le motif commun de toutes les activités capitalistes.

Différente seulement est la façon dont ce gain peut être obtenu.

5 C'est ainsi qu'Offermann rapporte à propos de la Bourse de la laine au Havre qu'en 1892 2 000 balles y ont été vendues effectivement et 16 300 sur le marché à terme. De même, le commerce à terme du coton y est dix fois plus important que le commerce effectif. Pour une récolte de 8 à 9 millions de balles, 100 millions environ ont été échangés sur le marché à terme (Enquête sur la Bourse, p. 3368).

marchandise de la production à la consommation, mais elles sont devenues comme imaginaires. Le but est l'obtention du gain différentiel. La marchandise arrive à la Bourse déjà majorée du profit commercial normal. Car le commerçant les vend à la Bourse. Si c'est le fabricant qui l'a fait, il a précisément fait lui-même fonction de son propre commerçant et encaissé le profit commercial. La Bourse n'achète et ne vend que spéculativement ; les spéculateurs n'obtiennent pas un profit, mais un gain différentiel. Le bénéfice de l'un est la perte de l'autre. Mais cette chaîne de transactions permanentes assure à la marchandise en Bourse la possibilité permanente d'être transformée en argent, permet ainsi jusqu'à un certain point de placer de l'argent dans cette marchandise et de le réaliser à tout moment en la vendant. La marchandise en Bourse devient par conséquent un gage approprié de fonds momentanément libres.

Les banques peuvent donc jusqu'à un certain niveau de leur prix, donner ces marchandises en gage ou les reporter. D'où un nouveau mode d'emploi du capital bancaire. Ce dernier participe au commerce, mais il ne le fait que dans la forme adéquate qui lui est propre en tant que capital portant intérêt. Les marchandises dans lesquelles il a transformé son argent sont à tout moment transformables en argent. Et une banque bien dirigée ne placera jamais plus d'argent dans ces marchandises qu'elle peut en réaliser à tout moment, même dans le cas le plus défavorable. L'existence d'une Bourse, d'une chaîne incessante d'achats de ventes constituant la spéculation, assure à la banque à tout moment la possibilité de réaliser son argent. Celui-ci n’est par conséquent pas fixé, il est resté pour la banque capital-argent, capital placé en banque et ne rapporte par conséquent que des intérêts. Mais l'intervention de la banque donne de nouveau à la spéculation comme au commerce la possibilité d'étendre leurs opérations. Pour acheter la marchandise il n'est plus indispensable de posséder tout l'argent que représente son prix. Il suffit d'en avoir assez pour pouvoir couvrir les différences possibles ; le reste est avancé par la banque.

Pour la spéculation, cela signifie seulement la possibilité d'étendre ses opérations. Mais comme, par suite de l'accroissement des quantités négociées, de très petites différences suffisent pour inciter le spéculateur à acheter et à vendre, cela aura pour résultat, d'une part d'augmenter le nombre des échanges, et d’autre part de réduire le pourcentage des différences qui apparaîtront chaque fois.

Plus intéressante est la question de l'influence exercée par le capital bancaire sur le commerce. Celui-ci aussi peut maintenant mettre en gage la marchandise. Pour l'argent qu'il en reçoit il n'a que l'intérêt à payer. Mais, pour le commerce lui-même, il n'en résulte aucun profit. Il n'obtient que le profit moyen correspondant à l'importance du capital utilisé. Toutefois, comme il dispose maintenant d'un crédit plus large, il n'a plus besoin que d'un capital moindre lui appartenant en propre pour échanger les mêmes quantités de marchandises. Le profit commercial se répartira par conséquent sur une plus grande quantité de marchandises. La marge commerciale sur la marchandise diminuera. Mais, comme le profit commercial est pris sur le profit industriel, celui-ci augmentera d'autant. Pour le consommateur, le prix restera le même. L'intervention du capital bancaire a donc pour conséquence, premièrement, un accroissement du profit industriel, deuxièmement, une baisse du profit commercial dans sa totalité et calculé sur chaque marchandise, troisièmement, une transformation d'une partie du profit industriel en intérêt. Ce dernier phénomène est dû au fait qu'une partie du capital commercial est remplacée par du capital bancaire. Mais ce remplacement a rendu possible le commerce des marchandises en Bourse.

L'intérêt - il faut en faire ici la remarque - est toujours, à l'exception du crédit de consommation, un morceau de profit ou de rente foncière. Mais il convient d'ajouter encore ceci : le capital de prêt employé dans la production fonctionne comme capital industriel et produit par conséquent du profit. Il ne reçoit que l'intérêt et accroît le profit du capitaliste industriel de la différence entre le profit moyen et l'intérêt sur le montant du capital emprunté. Dans le commerce, où n'est produit aucun profit, mais où le taux de profit moyen pour le capital commercial doit être payé sur la masse de profit globale, le capital bancaire agit autrement. Il reçoit son intérêt, mais ne produit aucun profit pour le commerçant. Ce dernier reçoit le profit moyen, plus l'intérêt, qu'il ristourne au capital bancaire. Pour assurer le commerce, il faut maintenant moins de capital commercial, d'où aussi moins de profit sur ce capital. Ce profit épargné reste entre les mains de son producteur, le capital industriel. Le capital bancaire agit ici comme tout progrès qui épargne des frais commerciaux. Cette différence dans l'effet produit vient tout simplement de ce que le capital industriel crée de la plus-value et que le capital commercial n'en crée aucune.

Un autre facteur agit dans le même sens. Le commerce à terme en Bourse crée pour les marchandises dont il traite un marché toujours ouvert. Le producteur ou l'importateur peut donc à tout moment vendre la marchandise.

Cela signifie une diminution du temps de circulation de son capital. Mais nous savons déjà que toute diminution du temps de circulation signifie une libération de capital. Ainsi le commerce à terme diminue aussi par ce moyen le capital nécessaire à la circulation de la marchandise, par conséquent aux opérations commerciales, capital qui ne servait pas à la production, mais uniquement à la réalisation du profit.

La forme adéquate de toute spéculation est le commerce à terme. Etant donné que chaque spéculation est l'utilisation de différences de prix et que celles-ci se produisent dans le temps, mais que, d'autre part, pour la spéculation, le temps pendant lequel elle ne fait ni achats ni ventes est une simple perte, car la spéculation n'est pas production, elle doit pouvoir utiliser chaque différence de prix, même celles qui ne se sont pas encore manifestées. Elle doit par conséquent pouvoir à chaque instant acheter ou vendre pour l'instant suivant, ce qui constitue précisément l'essence même du commerce à terme. En faisant cela, la spéculation crée un prix pour chaque moment de l'année. Mais elle donne par là au fabricant et au commerçant la possibilité d'éliminer pour eux

les conséquences fortuites de l'évolution des prix, de s'assurer contre les oscillations de prix, de rejeter sur la spéculation le risque qui découle des changements de prix. Le fabricant de sucre brut qui achète aujourd'hui de la betterave sait qu'il peut payer pour celle-ci, disons 100 000 marks, s'il peut vendre le sucre brut dès aujourd'hui à la Bourse, disons 130 000 marks, pour la date à laquelle il le livrera. S'il vend par conséquent aujourd'hui le sucre brut à ce prix, il n'a à se soucier d'aucune fluctuation de prix pouvant se produire dans l'intervalle, il a assuré son profit. Le commerce à terme est ainsi pour les industriels et les commerçants le moyen de se restreindre à leur propre fonction. Une partie du capital de réserve jusqu'alors nécessaire pour les assurer contre ces fluctuations est ainsi libérée. Une partie sert maintenant à la spéculation boursière. Mais ici elle est concentrée et par conséquent peut-être moins importante que n’était le capital dispersé dans les mains des industriels et commerçants isolés.

Le profit capitaliste naît dans la production, il est réalisé par la circulation. C’est une tendance naturelle des producteurs comme des commerçants de s'assurer contre les hasards provenant des oscillations de prix pendant la durée de la circulation si la production est terminée depuis longtemps et si le profit est par là, tant pour le producteur que pour le commerçant qui a déjà acheté la marchandise, une grandeur donnée. A cette tendance répond, à un certain stade du développement, et pour les marchandises où, par suite de causes naturelles (par exemple, dépendance du résultat de la production des conditions météorologiques), ces oscillations sont particulièrement fortes et imprévisibles, le commerce à terme. Il compense le plus possible les fluctuations provenant de la spéculation, mais n'y parvient qu’en en créant de plus petites et de plus fréquentes provoquées par celle-ci. Cette spéculation - entièrement absurde du point de vue social - apparaît nécessaire parce qu'elle entraîne la participation d'acheteurs et de vendeurs dans une mesure suffisante pour que les quantités de marchandises nécessaires soient toujours négociées. Cette assurance contre les fluctuations de prix rapproche le prix du marché du coût de production constitue ainsi une catégorie spéciale de capitalistes, les spéculateurs, qui prennent sur eux ces fluctuations. La question est de savoir comment leur capital est mis en valeur.

Nous avons vu, pour la spéculation sur les titres que ce capital obtient un gain différentiel. Le gain de l'un est la perte de l'autre. Ce sont en général les gros qui peuvent attendre et exercent eux-mêmes une influence sur les cours, et les initiés6 qui obtiennent ce gain au détriment des petits et des non-initiés. Le problème est de savoir si la spéculation reçoit en outre une prime de risque

Cette prime de risque a certes souvent été évoquée mais d'autant moins étudiée. Il faut constater tout d'abord que la prime de risque ne peut pas être une base de formation et par conséquent pas non plus une base d'explication du profit. Ce dernier est créé dans la production et est égal à la plus-value contenue dans le surtravail des ouvriers, qui n'a rien coûté a la classe capitaliste. Un risque différent, c'est-à-dire une sûreté différente de pouvoir réaliser dans la circulation le profit créé dans la production, ne peut entraîner qu'une répartition différente du profit, répartition que des branches d'industrie comportant un risque élevé, qui doit se traduire aussi en réalité par des pertes plus élevées, obtiennent grâce à des prix plus élevés, de sorte que le taux de profit correspondant à leur capital est finalement égal au taux de profit moyen. Il est clair que, dans la mesure où l'on doit compter, dans une branche de production déterminée, avec certaines circonstances qui diminuent le revenu, elles doivent entrer en compensation dans le montant des prix afin que l'égalité du taux de profit soit maintenue. Dans le prix des verres à lunettes entre aussi le coût de ceux qui en moyenne sont abîmés lors de la fonte. Car ils font partie également des frais de production. De même, les dégâts subis par les marchandises pendant leur transport jusqu'au marché entrent dans le prix. Il n'en est pas de même du risque provenant de phénomènes survenus fortuitement pendant la circulation, mais qui affectent le coût de production, si, par exemple, un produit est encore sur le marché, qui a été fabriqué avec de vieilles machines, alors que de nouvelles permettent de le fabriquer en un temps deux fois plus court, il n'existe pour ce genre de « risque » aucune espèce de compensation. Le vendeur de ce produit aura à supporter la perte.

Les conditions sont les mêmes pour les produits négociés d'ordinaire sur le marché à terme en Bourse.

L'insécurité vient de ce que, pour le prix, par exemple, des blés allemands, le facteur déterminant, ce ne sont pas seulement les résultats de la récolte en Allemagne, par conséquent le coût de production allemand, qui s'exprimerait directement dans le prix, mais aussi le coût de production américain, indien, russe, etc. Pour cette formation de prix, il n'y a pas de compensation dans le prix des blés allemands7.

Mais, dans la mesure où de fortes oscillations de prix imprévues peuvent se produire dans la circulation, les capitalistes doivent, dans une telle branche de production, maintenir un fonds de réserve pour compenser les pertes résultant de ces oscillations de prix et permettre à la production de se poursuivre sans interruption. Ce fonds de réserve est une partie du capital de circulation nécessaire et le profit moyen est calculé pour lui. Ce profit 6 « Assurément il ne faut pas se faire d'illusions sur les initiés dans le commerce à terme. S'il était possible de prévoir de quelle

façon évoluera le marché et à quel prix il convient d'acheter ou de vendre, ce serait magnifique. Ce que je puis dire en me basant sur une vieille expérience, c’est que l'intuition est tout. On dit ordinairement qu’il faut être informé. Malheureusement cela ne sert à rien et les commerçants se trompent fréquemment... Le commerçant est aussi ignorant que le cultivateur et, quand il a étudié tous les rapports, il n'en sait pas plus qu'avant et les choses se passent d’ordinaire tout autrement », avoue le commerçant Damme (Enquête sur la Bourse, II, p. 2858).

7 Les droits de protection n'égalisent pas ce prix, mais ne font qu'élever le prix allemand d'un montant supérieur à celui du marché mondial, permettant au producteur de céréales d'obtenir un profit même quand ce prix est bas.

Dans le document LE CAPITAL FINANCIER. Rudolf Hilferding (Page 100-111)