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Les “Unes” sont composées de textes et d'images, de discours dirons-nous, mais il s'agit également d'une image en tant que telle, d'une organisation scripturale de la page que le sémioticien se charge d'analyser.

A l’instar d’Yves Agnès à propos d’un titre, nous considérons qu’une “Une” « de journal peut changer le cours de l’Histoire » (Agnès, 2002 : 125), à condition que la “Une” et ce qui la compose soient déterminés avec soin. Focalisons-nous pour l’heure sur la maquette prototypique proposée par Agnès (Agnès, 2002 : 127). Nous avons reconstitué cette maquette afin de pouvoir citer l’ensemble des parties incluses dans une “Une”.

Au sein de la “Une”, il semblerait que certains emplacements soient de moindre importance, ceux notamment en deçà de la pliure, car invisibles lorsque le journal est positionné dans le kiosque à journaux. Emmanüel Souchier offre à lire une étude sur les “manchettes” des quotidiens, cet espace où se situe notamment le nom du journal. Il s’agit d’une carte d’identité, une fiche signalétique du journal, rehaussée des « conditions nécessaires et suffisantes à la production de tout récit : une instance d’énonciation, entité vivante et parlante, nommée et située à la fois dans l’espace et dans le temps » (Souchier, 1982 : 27).

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Figure 12 : Maquette prototypique d’une “Une” de journal quotidien

Passons maintenant en revue l’ensemble des éléments constitutifs d’un sujet placé en “Une”. Nous appelons le sujet placé en “Une” une annonce. Nous comptons donc le surtitre, qui permet de situer l’action géographiquement ou thématiquement. A cet emplacement, apparaissent parfois des mots-événements, que nous appelons “accroches”. Agnès les appelle des mots- repères. Le titre, facilement reconnaissable par la typographie plus importante que le reste de l’annonce. Le sous-titre ou chapeau, complément informatif, censé résumer l’information, justifier l’article, situer le contexte, annoncer le plan, inviter à la lecture (Agnès, 2002 : 149). Beaucoup (trop ?) de tâches pour ce petit chapeau qui peut faire une à trois lignes. Ajoutons à ces éléments de la titraille un visuel (photo, dessin ou infographie), parfois accompagné d’une légende, ainsi qu’un article plus ou moins long, avec ou sans « tourne ». Un article avec tourne s’étalerait sur au moins deux pages : la “Une” et une page intérieure, tandis que l’article sans

Bandeau ou streamer Oreille

gauche Manchette ou tribune Oreille droite

Sous tribune gauche Sous tribune droite Ventre ou Milieu de page Rez de chaussée ou

Pied de page Cheval

tourne est fini et clos, il renvoie cependant à un article, une hyperstructure ou un dossier dans les pages intérieures. Agnès rappelle cependant qu’ « il est extrêmement rare, dans les mises en page modernes, que tous ces éléments cohabitent » (Agnès, 2002 : 128).

S’agissant de transmission d’informations générales, la presse quotidienne nationale se doit de se renouveler quotidiennement, sans pour autant répéter le message ainsi que le fait la radio d’information qui reprend quasiment le même message d’une heure à l’autre en l’enrichissant si besoin. La distance temporelle entre chaque parution de journal rend palpable l'effort de reconstitution de l'événement et révèle la volonté des médias d'abolir la différence entre la “présentation” de l'événement et sa “représentation”. En effet, Verón annonce que « du discours d’information, l’opinion attend qu’il lui fasse connaître au jour le jour ce qui se passe dans le monde » (Verón, 1981 : 173). « Les quotidiens se différencient d’abord par la manière dont ils structurent l’espace discursif qui leur est propre », explique Verón. Cette remarque vaut également et surtout pour la “Une”. L’auteur explique qu’il existe selon lui deux modes d’organisation de la page de journal : le mode topographique, avec une fragmentation et une mise en relation des espaces de la page , et le mode taxinomique représentant un système de classification utilisé par chaque quotidien comme une grille sémantique dont les cases seront remplies par les événements du jour. La grammaire interne de la “Une” si l’on peut dire (section, rubrique, sous-rubrique, création de rubriques, etc.).

En cela, à l’instar du travail de Souchier sur la manchette, un intérêt de notre travail serait de proposer des maquettes prototypiques de “Une” pour chaque journal étudié. Ainsi dans un manuel dédié au journalisme, et plus spécifiquement au fait de Réussir sa Une, Marina Alcaraz explique-t-elle que « la couverture est le premier contact, parfois involontaire – qu’a le lecteur avec une publication » (Alcaraz, 2005 :7). La remarque d’Alcaraz concernant l’aspect involontaire d’être en contact avec une “Une” marque le caractère inconscient de la relation entre le public et les médias en règle générale. On ne regarde pas, et pourtant on voit, le public est marqué de façon inconsciente par ce qui le traverse : images, sons, représentations en présence dans l’espace public. La “Une” des journaux, les premières de couverture des magazines nourrissent cet inconscient collectif.

La “Une” est le reflet d’un journal, une première hiérarchisation de l’information. Elle est chargée d’attirer le lecteur potentiel. Pour Nicolas Hubé, la “Une” donne quotidiennement à lire le « fait du jour », « mis en récit et en sens par la rédaction » (Hubé, 2008 : 7).

Tout comme la publicité à l’égard d’un produit, la “Une” d’un journal tente de pousser à l’acte d’achat, répondant ainsi aux exigences commerciales des médias. Cette “Une” doit donc susciter intérêt et émotion, afin de sensibiliser le consommateur potentiel du journal. Concernant

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la presse quotidienne, Burger (2006) montre que la visée de captation est assumée par la titraille présente en “Une” et en début d’article, tandis que le corps du texte sert la finalité didactique du média, transformant ainsi le consommateur-lecteur en citoyen-lecteur. Sans elle, le lecteur ne saurait pas qu’il existe d’autres espaces qui aborderaient la même information à l’intérieur du journal. La “Une” est annonciatrice et offre à voir un aspect de l’information, plutôt que son ensemble.

Nicolas Hubé explique que « lorsque le sujet est traité en “Une”, la dramaturgie événementielle atteint son paroxysme » (Hubé, 2008, 141). Ce point de vue choisi ne l’est pas par le journaliste qui s’est occupé du dossier, de l’hyperstructure ou de l’article à l’intérieur des pages du journal. En effet, l’intérêt de travailler les “Unes” réside en une désolidarisation avec le contrat de communication de Charaudeau, spécifique à la médiatisation des sciences. Dans ce contexte précis de “Une”, l’instance de production des titres n’est pas clairement établie : ils ne sont, en règle générale, pas assumés par le journaliste qui a pourtant rédigé l’article à l’intérieur des colonnes. Il en va de même pour l’instance de réception, que l’on ne peut cantonner aux seuls lecteurs des journaux en question. En effet, une “Une” a un impact bien plus important que l’intérieur d’un journal, par le fait même qu’il s’agit d’un objet visuel de captation, opérant comme une vitrine. Mouriquand explique que, « au premier stade de la lecture, c’est simultanément au titre et à la photographie que va l’œil » (Mouriquand, 1997 : 103), sachant que la lecture d’une “Une” se cantonne la plupart du temps à ce qu’il appelle une “première lecture”. Bien entendu, l’information en tant que telle agit également sur le désir du potentiel lecteur, d’autant plus qu’elle est mise en forme : les mots sont choisis avec soins, les images et graphiques sélectionnés, afin de multiplier les chances de « passage à l’acte d’achat ». Il s’agit donc d’une vitrine ou d’un sommaire, mais également, de ce fait, d’une publicité. Notons cependant que les informations présentes dans la “Une” ont une forte valeur politique, en tant qu’éléments de captation. Après une étude quantitative, Hubé a montré que « les résultats calculés pour les manchettes et les seconds titres des quotidiens confirment que la politique occupe une place massive en “Une” » (Hubé, 2008 : 89). Nous gageons donc que la nature de l’information en lien avec le climat sera plus de nature politique que scientifique. Cette hybridation de la “Une” en fait un objet sémiotique privilégié, un espace dans lequel est construite l’histoire du changement climatique telle qu’on se la rappellera.

L’audiovisuel restitue, de par sa nature médiatique, les images prises en direct au moment même de l’action. Ces images sont ensuite diffusées, reprises, transformées, proposées à des téléspectateurs hors contexte initial, et dans un nouveau contexte spécifique de communication qui en modifie partiellement la signification, du point de vue du récepteur, en y ajoutant des

commentaires, des analyses, tout discours qui permettrait d’éclairer le téléspectateur. Une même image peut être répétée inlassablement dans le média audiovisuel, ou elle peut n’être utilisée qu’une unique fois. Sa répétition et, parfois, sa transformation, permettent de l’ancrer dans la mémoire collective au moment même de l’événement, d’en faire un thème incontournable sur le moment.

Concernant la presse écrite, il suffira d’une “Une” constituée de l’image et de la titraille adéquates, pour marquer la mémoire collective, pour que l’objet en question devienne un marqueur historique. Certes, l’image se répète et circule en télévision, elle acquiert cependant son rôle de marqueur sociétal au sein de la presse. Les mêmes images servent à illustrer un même événement au travers de médias différents, qu’il s’agisse de télévision ou de presse. L’arrêt sur image, c’est-à-dire l’image statique, offre selon nous un statut particulier, a un impact différent que le défilé d’images. Cet arrêt sur image ferait par ailleurs référence à la technique audiovisuelle du ralenti, qui permet de prendre le mouvement sur l’instant, de ralentir une dynamique de lecture filmique, afin de capter tous les éléments constituant une image.

Les “Unes” peuvent ainsi servir de repère historique. Prenons pour exemples les “Unes” marquantes des campagnes présidentielles, ou de l’événement du 11 septembre, ou du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Nombre d’émissions, tant radiophoniques que télévisées, annoncent et décrivent quotidiennement les “Unes” des journaux du jour dans les revues de presse quotidiennes, comme elles annonceraient la couleur du temps. Les événements politiques et sociaux se définissent a posteriori en partie par les images et les titres des “Unes” qui ont traité le sujet. De ce fait, la “Une” devient un objet sémiotique privilégié. Verón l’explicite sous une autre forme : « Dans la mesure où nos décisions et nos luttes de tous les jours sont, pour l’essentiel, déterminées par le discours de l’information, on voit que l’enjeu est bel et bien celui de l’avenir de nos sociétés » (Verón, 1981 : 176).

Les journaux, la presse écrite contribuent à délimiter, à cadrer l’ensemble des sujets importants, qu’ils soient politiques, économiques ou sociétaux. En servant de vitrine pour les lecteurs potentiels, les “Unes” deviennent des marqueurs sociétaux. D’un point de vue historique, les “Unes” se transforment en un objet d’étude inestimable ; d’un point de vue sémiotique, ces “Unes” constituent une étape du chemin qui construit les représentations collectives et sociales qui définissent nos sociétés, et régissent du même coup notre vie, dans ces aspects les plus anodins et quotidiens, comme dans ses traits les plus nobles, au sens politique. Anne Battestini en offre un exemple en étudiant les “Unes” au lendemain du 11 septembre. Comparant les images montrées en boucle à la télévision, servant de repère référentiel, Battestini explique que

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« les photographies des “Unes” ont un autre statut. Elles sont ancrées directement dans le symbolique, sans que celui-ci puisse être défini autrement que comme une rupture dont la nature reste en suspens de sens. Elles renvoient à l’imaginaire d’un “tournant historique et symbolique” qu’elles fixent ». (Battestini, 2002 : 68).

Ajoutons que, lorsque la Bibliothèque Nationale de France propose une exposition sur la presse, elle la nomme La presse à la Une, et montre des “Unes” de différents journaux selon les époques qui marquent l’Histoire, non seulement de la presse, mais également de la France : la Commune, la Grande Guerre 14/18, la Seconde Guerre Mondiale, etc. L’exposition se propose de réfléchir aux fonctions de la presse allouées par la presse elle-même, une espèce de vue rétroactive sur ce que devrait être une presse performante. S’il existe un centre national d’archivage audiovisuel connu sous le nom de l’Institut National Audiovisuel, nous considérons que les “Unes” des journaux et magazines constituent plus un lieu de mémoire, une trace en cela qu’elles représentent un thème privilégié de livres retraçant l’histoire d’un journal, d’une époque, d’un événement particulier, d’un homme ou d’une femme, etc.

D’après sa fonction publicitaire, attractive et séductrice, nous pouvons considérer que la “Une” d’un journal touche bien plus de personnes que les lecteurs à proprement parler. La double fonction de la “Une” est d’attirer le regard d’une part, et de mettre en mots et en images l’information saillante du jour afin de la communiquer d’autre part. La presse répond ainsi à son premier devoir d’ordre éthique. Les deux devoirs incombés à la presse seraient de transmettre l’information vers le grand public d’une part, et de donner corps à la voix et aux opinions du grand public afin que les classes dirigeantes en prennent connaissance d’autre part. Les journaux sont à la fois passeurs de l’information et passeurs d’opinions. De ce fait, ils ne peuvent pas assurer l’objectivité dont ils se réclament.

Allant plus avant, notre objectif est de comprendre la formation des images actuelles en lien avec le changement climatique. La représentation majoritaire se construit en fonction des discours et des images proposées à voir par le plus grand nombre. Nous considérons que l’objet sémiotique “Une” répond à cette exposition de représentations majoritaires, et parfois même minoritaires. Les “Unes” permettent une mise en visibilité de la circulation des dires ; elles permettent la manifestation des représentations normatives collectives. Leur rôle de séduction est mis en avant, bien plus que le rôle d’information dévolu de façon éthique à la presse en règle générale.