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Moirand considère certains termes comme devenant des mots-événements. Pour cela, le terme en question doit circuler dans la presse, être utilisé, mais également résumer une situation qui n'a plus besoin d'être expliquée. Ainsi faisant, le terme en lui-même rappelle des discours antérieurs que le journaliste n'a pas besoin de restituer, considérant ces discours comme acquis par le coénonciateur. Moirand aborde la construction de mots-événements, qui circulent et marquent ainsi le temps des médias, non seulement dans le corps des articles de presse, mais également, et surtout, au sein de la titraille.

« Les mots que les médias contribuent à faire circuler prennent ainsi au fil de leurs voyages des colorations nouvelles, et reviennent aux médias, colorés de sens nouveaux qu’ils ont acquis en route, et amputés des sens originels qu’ils ont perdus : ce que l’on met au jour, c’est finalement la mémoire que le mot transporte, à l’insu parfois des énonciateurs, tel ‘contaminé’ employé à propos du colza et dans lequel un lecteur percevra le rappel du ‘sang contaminé’, auquel le locuteur n’a pas forcément pensé » (Moirand, 2004 : 89).

Il est intéressant de noter que, sans pour autant conceptualiser la notion de circulation, Moirand s’autorise une métaphore concernant la circulation, non pas des idées, mais des personnes, des transports : le voyage, la route. Ces mots événements font l'objet de reformulations et de transformations syntaxiques et sémantiques. Ainsi le principe de précaution devient-il le syntagme « prendre des précautions », et le « M de OGM aura tantôt son sens

scientifique, tantôt son sens figuré » (Moirand, 2004 : 87), passant imperceptiblement de “modifié” à “manipulé”. Dans un contexte scientifique, la manipulation n’a rien de péjoratif, tandis que dans le langage commun, elle équivaut à la manipulation des esprits et revêt un caractère extrêmement dysphorique. Cette transformation sémantique et syntaxique de notions scientifiques aide à leur banalisation dans le langage courant. Les mots-événements représentent donc un rappel mémoriel. Nous posons l’hypothèse que dans notre corpus, la notion de Copenhague ne renvoie pas à la ville, mais à l’événement environnemental qui s’y est déroulé et qui porte aujourd’hui une coloration particulière dans la presse, celle d’un échec politique au niveau international. La question se pose dans notre contexte de savoir s’il existe des images qui serviraient d’événements, c’est-à-dire qui ramèneraient à la mémoire du lecteur des événements antérieurs et qui, de la même manière, marqueraient l’histoire. Certaines images sont d’une telle récurrence qu’elles marquent les mémoires et deviennent incontournables lorsque l’on parle du changement climatique. Le réchauffement climatique deviendrait donc un mot-événement en cela qu’il a perdu ses guillemets et qu’il résume une situation qu’on n’a plus vraiment besoin d’expliquer. Nous verrons que cette idée n’est plus aussi simple à défendre, grâce à l’espace sémiotique d’une page de journal qui offre à voir différentes ères d’informations avec, notamment, un encadré qui sert de remise en mémoire des faits antérieurs comme s’il s’agissait, du point de vue de la sémiotique narrative, d’un rappel de la saga. On reprend l’histoire là où on l’avait laissée la dernière fois que la presse a utilisé ce mot-événement.

Ces mots-événements sont les points de mire, les « déclencheurs mémoriels » aux problèmes posés, non aux solutions à trouver. Un aspect négatif, voire dépréciatif, plane lors de l’utilisation de ces mots-événements. Cette dépréciation sémantique est marquée par une nouvelle signification sociale, voire historique. Les mots-événements deviennent ainsi des mots- mémoires. Moirand se tourne vers Courtine pour lui emprunter sa notion de mémoire discursive (1981), « sortes de déclencheurs mémoriels, ces mots-événements, fréquents dans les titres et surtout dans les éditoriaux, les chroniques, les points de vue, tissent ainsi des liens entre des événements qui, pour des scientifiques, n’ont rien en commun » (Moirand, 2004 : 90). Le terme technique ou scientifique travaille dans la presse comme « le rappel en mémoire d’événements antérieurs et dans l’orientation pragmatique de l’article ou du dessin de presse » (Moirand, 2007 : 39). Cela est d’autant plus vrai dans les titres de presse, dont l’objectif double de séduction et d’information permet l’utilisation de notions scientifiques dans des contextes médiatiques de captation, ainsi que nommés par Charaudeau. Les discours médiatiques marquent l’Histoire, en tant que mots-événements, qui deviennent des mots-mémoires en cela qu'ils s'inscrivent dans l'histoire sur le moyen voire le long terme. La thèse défendue par Moirand que nous soutenons également est la suivante : les médias sont devenus « un lieu de construction des

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mémoires collectives des sociétés actuelles » (Moirand, 2007 : 2), résumant cette idée sous la notion de « mémoire collective médiatique majoritairement interdiscursive, qui vient s’ajouter ou se superposer aux mémoires collectives de différents mondes sociaux qui y sont exposés, et qui sous-tend l’explication des enjeux sociaux des moments discursifs » (Moirand, 2007 : 149). Nous dirons même qu’il s’agit d’un passage obligatoire pour qu’un événement fasse partie de l’Histoire de nos sociétés. Car en entrant dans l’Histoire, ils entrent dans cette mémoire collective. Mais avant d’entrer dans l’Histoire, il faut marquer les histoires du quotidien. Nous pouvons par ailleurs comprendre cette Histoire comme une histoire des représentations sociales, construites au travers des discours médiatiques, et notamment, des mots-événements, et, pourquoi pas, des images-événements. Ainsi les termes utilisés dans les médias sont-ils eux- mêmes marqués par l'histoire. Nous pouvons ainsi observer la circulation des dires-mémoires.