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C HAPITRE 2 – H ISTOIRE DES SCIENCES DU CLIMAT : VERS UNE MULTIDISCIPLINARITE

IV. Vers une multidisciplinarité assumée

2. Le Giec : médiateur scientifique

« Néanmoins, (…) le Giec reste bien l’instance déterminante qui cherche à instaurer des procédures très strictes chargées de garantir son caractère rigoureusement scientifique » (Dahan, Guillemot, 2006 : 7). Comme Dahan, nous souhaitons nous attarder sur le rôle scientifique du GIEC. Le travail d’état de l’art ne semble plus être assumé par une seule personne, ou même par un petit groupe, mais par plusieurs centaines de scientifiques issus de nombreuses sciences, qui se doivent, pour chaque groupe de travail, de lire l’ensemble des recherches et d’en faire une synthèse. En quoi cela renvoie-t-il au rôle de médiateur précité ? La multiplicité des lecteurs- interprètes de chaque résultat leur permettrait ainsi d’élargir leurs propres connaissances. L’état de l’art du premier groupe est nécessaire pour les deux suivants, qui doivent s’y appuyer, et qui s’en inspirent. Les formes d’adaptation et d’économie seraient également nécessaires au premier groupe afin de développer des modèles spécifiques, de prendre en compte des situations politiques et géographiques selon chaque pays, etc. Grâce au travail fourni par l’ensemble des scientifiques bénévoles au sein du Giec, le dialogue entre disciplines et entre sciences serait alors à même de s’établir.

La configuration administrative du Giec indique que l’état de l’art concerne de nombreuses sciences. « Aux yeux des scientifiques, les rapports complets du Giec (plusieurs milliers de pages) constituent un état des lieux de la connaissance scientifique relativement fidèle et satisfaisant, faisant même apparaître les divergences et les incertitudes dans les résultats » (Dahan, Guillemot, 2006 : 9). Un tel travail mené par des chercheurs sur le climat ne serait finalement pas utile qu’aux classes politiques. Le rôle inavoué du Giec, du moins celui dont on ne parle pas, est de faire dialoguer les disciplines entre elles dans un souci de compréhension globale du phénomène environnemental changement climatique, d’être ce médiateur nécessaire à une réelle multidisciplinarité. Le Giec remplit ainsi une autre mission d’état de l’art qui permet un dialogue des sciences et disciplines, non seulement du point de vue du destinateur, mais également selon le destinataire. Cependant, la définition du Giec sur son site Internet met en avant surtout l’aspect d’expertise, considérant que les seuls destinataires de cet état de l’art seraient les classes politiques internationales.

L’ensemble des connaissances recueillies au cours de la constitution du rapport permet la construction de différents scénarios relatifs aux données paléoclimatologiques, certes, mais également relatifs aux choix politiques, économiques et sociaux. Cette nouvelle appréhension du problème permettrait d’ouvrir la voie à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à l’adaptation des modes de vie aux nouvelles normes climatiques en devenir. Ainsi, pour les climatologues qui travaillent sur les modélisations climatiques, le travail de synthèse effectué

sous l’égide du Giec semble conditionner les travaux permettant des prescriptions chères aux yeux des politiques et des médias. Suite à la définition du Giec diffusée par son bureau, il semblerait en effet que le Giec assume ces trois rôles : l’état de l’art tant en sciences exactes, en sciences de la nature qu’en sciences humaines et sociales permet cette mise en équivalence des sciences et disciplines pour un même objet de recherche. Reste à savoir si ces rapports volumineux sont lus et partagés par l’ensemble du corps de recherche, toute science confondue, et si cet état de l’art influence d’une manière ou d’une autre les corps de recherche. En d’autres termes, qui sont les récepteurs réels des rapports, et ces derniers ont-ils une valeur rétroactive sur le travail des premiers ?

S’il ne produit pas de connaissances en tant que telles, le Giec contribue à offrir une visibilité sociale en dehors du cercle scientifique à ces connaissances, il contribue à les rendre indispensables à la décision politique. En cela, le Giec rend les disciplines liées à l’étude du climat « rentables ». L’institution répond à la volonté des scientifiques de transformer la question scientifique des changements climatiques de nature anthropique en un problème politique, en une affaire, selon les termes utilisés par Roqueplo. Elle répond également à une demande de multidisciplinarité souhaitée. Plus qu’un dialogue, il apparaît que le Giec permet une réelle cohésion de l’ensemble des disciplines et sciences qui travaillent sur l’objet climat, ainsi que le décloisonnement des ces disciplines, pour une meilleure compréhension des enjeux de chacune d’entre elles, sachant que l’objectif final leur est commun et est assumé par une organisation

forte et solide : le consensus15 scientifique, pour aboutir à un consensus politique et un consensus

sociétal. Ainsi que l’explique Rafael Encinas de Munagorri dans sa contribution à l’ouvrage qu’il a dirigé Expertise et gouvernance du changement climatique, « la recherche d’un consensus est une étape obligée dans l’avènement du réchauffement climatique parmi les questions internationales » (Encinas de Munagorri, 2009 : 41).

V. Complexité des connaissances climatiques

En dressant un tableau de la complexité du processus impliqué dans l’émergence et le développement des sciences du climat, nous avons pu montrer que la circulation et la mise en commun des connaissances constituent un pilier des sciences à l’heure actuelle, une forme d’idéologie de la circulation s’il en est, pour reprendre les termes de Verón. La circulation des connaissances climatiques selon les différentes disciplines parties prenantes se fait par l’entremise du Giec lorsqu’elle se situe au niveau scientifique. C’est également le Giec qui

15 Selon Encinas de Munagorri, « Au sens général, le consensus est un accord proche de l’unanimité,

une convergence générale des opinions (…) il correspond au fait de parvenir à un accord, sans procéder à un vote » (2009 : 41).

déploie ces connaissances à l’extérieur du domaine scientifique en direction des politiques afin de les aider à une prise de décision au niveau politique. Les données scientifiques sont ainsi transformées une première fois par le Giec, puis ensuite par le monde profane, politique et social. Il apparaît donc que les attentes de chaque institution sociale (politique, médiatique et scientifique) soit extrêmement divergentes en termes de temporalité, même si l’objectif est commun : convaincre l’opinion publique du bien-fondé des politiques publiques menées.

Les savoirs transmis sont de nature extrêmement complexe, et leur circulation à l’extérieur du champ scientifique présuppose leur transformation, voire leur altération. Un syntagme comme

forçage, ou même changement peut se charger de nouvelles significations au travers des usages

qui en sont fait à l’extérieur du champ disciplinaire originel. Son changement de sens entraine une modification dans cette conscience collective qui nourrit en réception certes, mais également en production.

Sur la base de ces premiers éléments, notre travail de thèse se propose de comprendre la façon dont l’objet scientifique changement climatique circule dans le social et notamment dans les médias jusqu’aux discours assumés par des profanes, afin d’apprécier sa transformation. La question se pose de savoir si ces représentations perdurent dans la circulation de l’objet changement climatique dans de nouvelles sphères sociales, ou s’ils sont abandonnés au profit de nouveaux, qui conditionnent en partie nos comportements à l’égard de cette problématique globale. En d’autres termes, de quelle manière circulent et se transforment les représentations climatiques, partant de la sphère scientifique, jusque la sphère profane, et passant par la sphère médiatique ?

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ARTIE

II-E

TUDIER LA CIRCULATION DES REPRESENTATIONS

:

THEORIES DISCURSIVES

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