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Les différents contrats de communication : vers une médiatisation de l’information scientifique

Selon Charaudeau, il n’existe pas d’acte de langage en dehors d’un contexte. La langue s’inscrit dans une situation de communication qu’il définit comme un cadre de contraintes psychosociales, un ensemble de conventions nécessaires, mais pas suffisantes à l’acte de langage. A force de récurrence d’observations des usages, Charaudeau a montré que ces situations pouvaient devenir des contrats de communication assimilables à des genres de discours en fonction de certaines constantes qui permettent de structurer l’échange verbal, et reconnu par tous (Charaudeau, 2008 : 12-13). Ce contrat de communication, “ordonnateur” d’un certain nombre d’instructions discursives utiles à la production et à l’interprétation de l’acte de langage, est constitué de quatre grandes classes (Charaudeau, 2008 : 14) : la finalité du discours, sa visée ; l’identité sociale des communicants, leurs statuts, les rapports de force qu’ils entretiennent ; vient ensuite le propos de l’acte de discours, le domaine de savoir, le macro- thème et les micro-thèmes ; enfin, Charaudeau s’intéresse aux circonstances matérielles de l’acte, le dispositif scénique, le lieu, le moment du discours.

Etudiant les discours médiatiques liés à la transmission de connaissances, Charaudeau a pu ainsi élaborer le contrat de communication spécifique aux discours scientifiques dans des revues spécialisées notamment, et ceux liés aux discours de médiatisation scientifique, se scindant entre des situations tantôt didactiques, tantôt médiatiques. Il met ainsi de côté les discours de vulgarisation scientifique, qui n’apparaissent selon lui que dans des médias qui se revendiquent de la vulgarisation scientifique. Selon Charaudeau, dès lors qu’une information scientifique passe dans un média d’information, il ne s’agit plus exactement de vulgarisation mais de médiatisation scientifique qui devient une forme de vulgarisation dans laquelle l’aspect

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didactique du discours est réduit au profit de son aspect attractif, afin de répondre aux normes économiques du marché des médias. Ainsi le discours évolue-t-il en fonction du média. L’objectif du discours de médiatisation scientifique est de raconter la science, de faire découvrir une vérité scientifique au travers d’une histoire, dans la double-visée de faire connaître une problématique scientifique et de forger une opinion si la problématique devient sociétale.

Charaudeau considère que le contrat de communication du discours de médiatisation scientifique a à voir avec trois autres contrats : le contrat des discours scientifiques, des discours didactiques et des discours médiatiques. La mise en tableau permet de faire des rapprochements entre les différentes situations de communication, de voir ce qui les différencie et ce qui les rapproche, au-delà des marqueurs linguistiques et discursifs.

Dans la première situation, l’enseignant se trouve en position supérieure par rapport à l’apprenant, puisque lui sait et son rôle est de transmettre ce savoir. Si la situation médiatique est également asymétrique, cette asymétrie ne revêt pas la même nature. Le journaliste doit en permanence légitimer sa position et ses propos. Pour ce faire, il va faire appel à des discours sources qu’il utilise et cite pour construire son propos, afin d’asseoir sa crédibilité aux yeux des lecteurs.

A la réception, il ne s’agit pas d’apprenants qui sont en position d’acquérir un savoir, le public – lecteur est là pour connaître l’existence d’une information sans entrer dans les détails scientifiques ou techniques. Il doit comprendre la situation générale afin de se forger une opinion. Charaudeau explique que la situation de discours de médiatisation scientifique revêt plus souvent cet aspect de porter à la connaissance du grand public une vérité scientifique que celui de forger une opinion. Nous nuancerons quelque peu ce propos. Si une information scientifique apparaît dans les médias d’information généraliste, c’est parce qu’elle est susceptible d’avoir une portée politique ou sociale. Il semble que dans ce contexte social et/ou politique, l’objectif de porter à la connaissance du public une information scientifique serait justement le fait pour lui de se forger une opinion sur la question. Nous employons le terme “question” délibérément. En effet, Charaudeau explique que pour permettre au lecteur de se forger une opinion, l’information communiquée doit être considérée comme vraie. Cependant, Roqueplo a montré, à l’inverse, que les thèmes scientifiques abordés dans les médias étaient très souvent encore discutés dans les sphères scientifiques. Pour cette raison, entre autres, Roqueplo les nomme des “affaires”, terme symptomatique des situations de désaccord et de scandale médiatique. Si par ailleurs les thématiques apparaissent sur la scène médiatique, c’est également en partie pour aider à la prise de décision politique et sociale, car la science seule ne peut

déterminer la direction à prendre pour au moins deux raisons : parce que, d’une part, ce n’est pas son rôle, et parce que, d’autre part, la science ne propose pas une vérité clairement établie.

Tableau 3 : Mise en perspective de quatre contrats de communication

Aux vues du tableau, nous pouvons dire que, même si le discours de médiatisation scientifique a à voir avec un objet de savoir, il se rapproche plus volontiers d’une situation de communication liée aux médias qu’à une situation de communication scientifique. En effet, la visée, les instances de réception, les circonstances matérielles ainsi que la dominante discursive s’apparentent à une situation médiatique, tandis que seule une partie du propos se retrouve également dans la situation scientifique.

Nous pouvons voir le traitement discursif dans la dernière ligne du tableau. Les dominantes discursives du contrat de communication du discours de médiatisation scientifique sont en lien avec le discours didactique, se rapprochant ainsi de la vulgarisation scientifique, en cela que le discours est explicatif. Cependant, il ne remet pas en contexte disciplinaire l’objet de savoir. Le discours observé est également narratif et répondrait ainsi à la visée de captation des discours médiatiques en règle générale, il se veut attractif. La crédibilité de l’instance de production dépend du maniement de ces deux visées représentées dans les dominantes discursives, l’explicatif à valeur didactique et le narratif, à valeur attractive. Nous reviendrons plus loin sur une définition du narratif qui pose un certain nombre de questions. En effet, un discours poétique Discours scientifique Discours didactique Discours médiatique Discours de médiatisation scientifique

Finalité Visée démonstrative captation et évaluation. 3 visées : information,

Double visée : information et captation. 3 logiques : démocratique, marchande et

d’influence.

Double visée : information et captation. Porter à la connaissance du public afin qu’il

se forge une opinion. Rapport

identités Symétrique Asymétrique Asymétrique Asymétrique

Production

Pairs aux mêmes références de savoirs spécialisés. Connivence discursive.

Enseignant détenteur officiel du savoir, médiateur pour

l’apprenant. Sélectionner, rapporter et commenter l’événement. Problème du choix de l’événement, de la fidélité au vrai, et de positionner le commentaire. Très variable : du scientifique au journaliste non spécialisé. Doit

prendre en compte l’hétérogénéité de la réception.

Réception Apprenant dans l’obligation d’acquérir ce savoir. Hétérogène : individus ayant des croyances et connaissances difficilement déterminables.

Très hétérogène, à voir en fonction de la finalité des médias. Peu éclairés s’il s’agit de médias

généralistes.

Propos thème : objet de savoir dans Toujours ciblé. Macro- une discipline donnée.

Objet de savoir préexistant représentant une vérité.

Un événement construit selon 3 principes : perception, saillance

et prégnance.

Objet de savoir découplé de sa discipline, et transformé en événement (stratégie discursive

de dramatisation). Désacralisation de la science compensée par une éthique de

popularisation du savoir scientifique. Circonstances

matérielles circonstances monologales. La plupart du temps, interactions possibles. Variables, avec des

Caractéristiques spécifiques en fonction des supports

médiatiques.

Caractéristiques spécifiques en fonction des supports

médiatiques. Dominantes

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peut également être narratif, tout comme un discours polémique peut être poétique. Et de conclure, « Voilà qui nous fait dire que, passant par les médias d’information, le discours de vulgarisation scientifique n’est pas la traduction d’un discours scientifique d’origine écrit par des auteurs spécialistes d’une discipline s’adressant à des pairs, mais un discours construit par l’organe médiatique en fonction de la finalité de son contrat de communication » (Charaudeau, 2008 : 19).

Dans le tableau no.3, les circonstances matérielles des discours médiatiques ont été évincées, car elles dépendent du média choisi. Nous revenons ici sur ces circonstances, afin de les expliciter. Selon Charaudeau, le contrat de communication en lien avec le discours apparaissant dans la presse est « essentiellement une aire scripturale, faite de mots, de graphiques, de dessins, et parfois d’images fixes » (Charaudeau, 2005 : 92).

La presse peut être considérée comme l’un des plus vieux médias, qui a dû se renouveler et modifier son apparence et son organisation en fonction des innovations technologiques qu’ont été la radio, la télévision, Internet et aujourd’hui les smartphones et autres tablettes, nouveaux lieux de consommation de l’information. La tradition écrite de la presse se caractérise par un rapport distancié entre le producteur et le récepteur qui ne se rencontrent jamais. Cela demande un effort de conceptualisation de part et d’autre du média, ainsi qu’un parcours oculaire “multi- orienté” de l’espace d’écriture. De par cette distanciation, « la presse est un média qui, par définition, ne peut faire coïncider temps de l’événement, temps de l’écriture, temps de production de l’information et temps de la lecture » (Charaudeau, 2005 : 93). La presse se retrouve donc toujours en décalage avec la prise à la réalité, temporalité largement réduite pour les autres médias, du fait de l’effet de “direct” opéré d’abord par la télévision sur certaines émissions, et caractéristique principale de la radio et d’Internet. Le point fort, dirons-nous, de la presse est son caractère de média écrit, qui « joue un rôle de preuve pour l’établissement de la vérité, ce que ne peut faire l’oralité, non reparcourable et apparemment plus éphémère » (Charaudeau, 2005 : 93). De ce fait, la presse reste encore aujourd’hui le média privilégié pour la construction de marqueurs historiques de notre monde et donc pour la construction de représentations dont l’histoire se souvient. Une question demeure cependant : cette situation n’est-elle pas en train d’évoluer du fait même des grandes possibilités informatiques développées quant à la capacité d’archivage de l’oralité, de la radio ou de la télévision (développement de l’Institut National de l’Audiovisuel), ou encore même d’Internet ? Du moins pouvons-nous considérer que la presse reste aujourd’hui encore, et malgré les problématiques économiques que ce média rencontre, un des marqueurs historiques de notre temps.

4. Les contraintes médiatiques inhérentes au contrat de