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Partant du point de vue d’une philosophie rationaliste, Chaïm Perelman expose le rôle d’un vulgarisateur au regard de celui d’un initiateur au sens scientifique du terme, c’est-à-dire d’un professeur :

« Son but n’est pas d’initier l’auditeur, de lui faire connaître les arcanes d’une discipline, mais, bien au contraire, d’enlever à cette discipline son caractère technique et de faire connaître ses résultats dans un langage qui est celui de tout le monde. Le vulgarisateur aura surtout recours à des analogies : le langage imagé, métaphorique, ne sera pas, pour lui, simple artifice littéraire, mais moyen d’exposition indispensable pour se faire comprendre sans initier. Le vulgarisateur informe, mais ne forme pas » (Perelman, 1963 : 119).

Ainsi, dès 1963, Perelman explique que la vulgarisation scientifique a à voir avec l’information par essence, tout comme son langage aura recours à une forme de métaphorisation pour un transfert de signification. Et d’ajouter qu’« alors que l’initiation suppose une technicité et permet, par conséquent, l’application de l’esprit critique à une discipline déterminée, ces deux éléments font défaut dans la vulgarisation scientifique » (Perelman, 1963 : 120). Cette remarque pose le problème d’une juste compréhension des éléments vulgarisés dans les médias par un public non spécialiste. A rebours des idées de réduction des connaissances du fait d’une forme de vulgarisation, Roqueplo va plus loin quant au rôle des médias dans la diffusion de la science auprès du grand public.

Selon le sociologue Philippe Roqueplo, la vulgarisation scientifique, en tant que corps déterminé de pratiques sociales spécifiques, représente toute activité d’explication et de diffusion des connaissances, cultures et techniques sous deux conditions : que cela soit fait en dehors de l’enseignement officiel, et qu’elle n’ait pas pour but de former des spécialistes (Roqueplo, 1974 : 18). Cette définition sommaire recoupe avec la dichotomie mise en place par Perelman entre initiation scientifique, ici remplacée par formation, et vulgarisation. Roqueplo considère que la science s’adresse à et concerne l’ensemble de la population, du moins dans sa visée scientifico- technique. Il pense qu’« un recours aux mass-médias fera explicitement partie de la signification de l’expression vulgarisation scientifique » (Roqueplo, 1974 : 22). Son objectif assumé est de

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permettre au plus grand nombre de mieux connaître les phénomènes du monde qui nous gouvernent à notre insu, afin de pouvoir en débattre lorsque ceux-ci posent des problèmes d’ordre moral, à l’image des Organismes Génétiquement Modifiés (maintenant OGM) ou de la maladie de Creutzfeld-Jacob, assimilée à la maladie bovine de la “vache folle”. La vulgarisation scientifique répond donc à une finalité à la fois éducative et citoyenne, et le sens critique des citoyens est pris à partie, bien que le citoyen ne soit pas formé à la discipline dans laquelle apparaît l’objet de savoir dont il est question. Cette définition sous-entend deux idées fondatrices des discours de vulgarisation scientifique : l’explication des connaissances revêt un caractère didactique, tandis que sa diffusion représente le versant attractif de la vulgarisation scientifique, c’est la science-spectacle autour d’une question de société. Les discours de vulgarisation scientifique répondraient donc à ces deux aspects d’explication et de mise en spectacle.

Les objets de savoir dans les médias, pendant près de 40 années d’études (1960-2000 environ), étaient ainsi considérés comme faisant partie du genre de discours vulgarisation scientifique. Pour le linguiste Jacobi, le discours de vulgarisation scientifique correspond à toute pratique discursive qui propose une reformulation du discours scientifique, discours source, ésotérique et légitime (Jacobi, 1985). Les linguistes Mortureux (Mortureux, 1985) et Jacobi, spécialistes de l’analyse du lexique scientifique dans les discours de vulgarisation scientifique, ont montré respectivement que le vocabulaire scientifique ne disparaît pas, il est transformé au profit de la compréhension du lecteur et est adapté au sein des discours non-savants. Ainsi, les termes scientifiques voient-ils leur sens étendu. Des homonymes apparaissent, ne recouvrant pas tout à fait les mêmes significations dans les discours scientifiques et dans les discours dits courants. C’est le cas de l’aérosol, gaz détruisant la couche d’ozone pour les scientifiques, et objet du quotidien pour les profanes.

Les conclusions de Mortureux sont étayées par les travaux de Jacobi (Jacobi, 2002), qui montrent que la vulgarisation scientifique utilise de nombreuses figures d’amplification (analogie, métaphore, comparaison), et que les termes techniques et scientifiques cohabitent avec des synonymes, permettant de mettre en place des relations d’équivalence entre les lexiques. Il remarque un va-et-vient permanent entre les deux registres de langue. Selon lui, la vulgarisation scientifique est une des composantes du discours scientifique, dont l’objectif est de rendre l’information scientifique accessible au plus grand nombre, à l’image de Roqueplo. Jacobi voit ce discours comme un continuum. Le terme même de continuum renvoie à une forme de circulation des connaissances entre les sphères scientifiques et un espace médiatique dévolu à l’explication des connaissances, mais pas à son exploitation sociale, ainsi que l’appelle de ses vœux Roqueplo. La circulation des connaissances était assurée par ce troisième homme ainsi

nommé par Marie-Françoise Mortureux, scientifique ou journaliste, sorte de médiateur qui assure la traduction intralinguale que constitue le discours de vulgarisation scientifique.

Charaudeau considère quant à lui que le discours de vulgarisation scientifique est en rupture avec le discours scientifique source. Le discours de vulgarisation scientifique se partage entre des situations tantôt didactiques, tantôt médiatiques. Il diffère du discours scientifique qui adopte une visée démonstrative en cela qu’il cherche à établir des vérités au travers d’une argumentation par la preuve. Charaudeau considère que les discours sont marqués différemment selon la visée des supports dans lesquels ils apparaissent, l’intentionnalité du producteur du discours. Si le journal en question se réclame de la vulgarisation scientifique, son objectif sera plus didactique. A l’inverse, s’il s’agit d’un journal d’information généraliste, l’objectif sera plus lié à la science- spectacle et à la portée stratégique et commerciale de l’information qu’est la captation du public.

3. Les différents contrats de communication : vers une médiatisation