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Comme ce qui a été souligné plus haut, notre recherche a pour objectif de déterminer les liens entre le renouveau et la multiplication des processus de régionalisation dans un contexte de mondialisation et le renouvellement des politiques d’aménagement du territoire à travers la mise en place de nouvelles formes de coopération entre villes et territoires et l’élaboration de politiques régionales liées au transport et à l’environnement.

Nous nous intéressons ainsi à mieux comprendre comment la régionalisation permet la mise en place d’une gouvernance à niveaux multiples mettant en relation des acteurs territoriaux, à différents échelons de décision (supranational, national et infranational) dans le but de faire face à la complexité grandissante des problèmes actuels à l’échelle mondiale (délocalisation, renforcement des inégalités économiques et sociales, impacts sur l’environnement).

1.5.1 Un changement de paradigme

La mondialisation vient bousculer un certain nombre d’acquis comme la manière de gouverner et de gérer l’économie nationale et la société ainsi que les relations internationales établies. Les anciennes formes d’accords régionaux, essentiellement régies par les États centraux, sont remplacées par de nouveaux projets régionaux élargis à de nouveaux acteurs (acteurs privés, organisations non gouvernementales, collectivités territoriales et société civile). Ce basculement

commence par modifier les discours qui sont investis par des notions et concepts nouveaux (ou renouvelés). Dans un deuxième temps, il infiltre les processus en transformant les modes de gouvernement antérieurs en de nouvelles formes de gouvernance à niveaux multiples. Enfin, ces nouveaux paradigmes traversent et modifient en profondeur les cultures économiques, politiques, institutionnelles, sociétales et géographiques.

1.5.2 Un intérêt pour les espaces géographiques à forte interface

Nord-Sud

Ces considérations sont fortement pertinentes dans les espaces transnationaux qui recoupent à la fois des pays développés du Nord et, en développement, du Sud, car, à notre avis, la gestion de ces interfaces appelle à des formes nouvelles de coopération. Celles-ci seraient capables de renouveler l’aide classique au développement, à travers l’établissement de relations synergiques de partenariat entre le Nord et le Sud qui ne sont plus dictées par une vision réaliste du monde (centre vs périphérie, intérieur vs extérieur), mais par une autre de nature plus « constructiviste » qui considère les États comme des « acteurs sociaux » ouverts à la coopération et à la négociation (Laïdi 2005: 52).

Ces interfaces Nord-Sud sont identifiables dans plusieurs parties du monde. Elles peuvent être terrestres, comme le long de la frontière Étasunienne-Mexicaine ou entre l’Union Européenne et les pays de l’Est de l’Europe. Elles peuvent être maritimes, comme c’est le cas autour de la mer de Chine, entre le Nord (Japon, Corée du Sud) et le Sud en développement (les dragons asiatiques) ou au niveau de la mer des Caraïbes.

Parmi ces espaces maritimes, le cas méditerranéen nous semble extrême et passionnant tant il polarise, à lui seul, les tensions et les potentialités qui existent dans ce type de configurations : tensions historiques, politiques et géopolitiques héritées de conflits passés ou plus récents, mais également potentialités futures, du fait du

partage d’un patrimoine culturel commun et d’une complémentarité entre ressources démographiques et énergétiques (sud de la Méditerranée) et capacités technologiques et financières (nord de la Méditerranée). C’est cet exemple que nous avons choisi comme contexte pour notre étude, et c’est sur les projets de coopération décentralisée et transfrontalière (interrégionale et transnationale) qui se mettent en place au niveau de la Méditerranée et impliquant plusieurs villes et régions riveraines, que nous nous intéressons particulièrement.

1.5.3 Les sous-questions de recherche

Pour effectuer ce travail de défrichage de pistes nouvelles de réflexion, notre question principale de recherche a été déclinée en plusieurs (sous) questions spécifiques complémentaires qui nous ont servi par la suite de grilles de lecture pour guider le travail empirique. Une première question (1) tourne autour de la nature du projet régional euro-méditerranéen et de son implication au niveau des stratégies territoriales principales. Comment ce projet de nature hégémonique et néolibéral peut- il aboutir à un véritable projet de société associant les deux rives dans une culture commune de la régionalisation, celle de la Méditerranée ? Comment s’effectue le passage entre une hégémonie colonialiste voire néocolonialiste, à travers la domination d’une puissance étatique, à une autre, où domine des institutions supranationales ? Comment ce projet régional s’aligne-t-il aux injonctions néolibérales des Institutions Financières Internationales, à travers la promotion de la disparition des barrières tarifaires, de la dérégulation et de la libre circulation des biens et des échanges, tout en proposant aux pays tiers des moyens pour affronter les contraintes du marché ?

Une deuxième question (2) concerne le contenu et les processus de mise en œuvre des programmes et projets de coopération décentralisée et transfrontalière et leur pertinence au niveau du développement local des territoires du Sud. Par quels moyens ces programmes et projets sont-ils conçus dans un contexte géographique

spécifique, c.-à-d. l’espace communautaire européen, et transférés par la suite aux régions du Sud et de l’Est de la Méditerranée ? Quelle est la place réservée à l’aménagement du territoire dans les programmes de coopération décentralisée et transfrontalière et en quoi l’aménagement est renouvelé ? De quelle manière ces projets au contenu abstrait s’adaptent-ils au contexte des collectivités territoriales du Sud qui recherchent surtout des initiatives aux impacts visibles et aux budgets consistants ?

Une troisième question (3) s’intéresse au rôle de l’État central en face du développement de ces initiatives qui le contourne. Jusqu’à quelle mesure autorise-t-il ces transferts transnationaux ? À quel niveau intervient-il ? Comment maintient-il le contrôle de son territoire dans un contexte global de désengagement étatique ?

Enfin, une quatrième série de questions (4) concerne l’attitude de l’échelon local par rapport à ces initiatives transnationales qui l’interpellent et le sollicitent en tous sens. Trouve-t-il ces nouvelles relations horizontales lisibles et répondent-elles à ces besoins ? Comment perçoit-il ce type de coopération par rapport à d’autres types de coopération plus classiques ? Dans quelle mesure cette coopération présente-t-elle des opportunités réelles pour les collectivités locales du Sud afin de prendre en main le développement de leur territoire en modifiant leur manière de le planifier et de le gérer et en rééquilibrant leur relation avec les autorités centrales dans un contexte de désengagement étatique ?