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CHAPITRE 3 : LA MÉDITERRANÉE ET SES AVATARS, ENTRE RUPTURE

3.3 L’émergence de la zone euro-méditerranéenne et mondialisation

3.3.1 La région euro-méditerranéenne comme projet, entre virtualité et

Si la région euro-méditerranéenne n’existe pas, est-ce que le projet de la constituer est pertinent et surtout viable ? Dans cette partie, nous essayons d’identifier les principales positions théoriques — et idéologiques ! — relatives au Projet euro- méditerranéen. De manière synthétique, nous pouvons recenser trois positions sur la pertinence du Projet euro-méditerranéen : La première le défend et milite pour son existence, elle est soutenue par des spécialistes comme P. Beckouche et D. Schmid, qui sont proches des institutions européennes. La seconde remet fondamentalement en question la validité politique, économique et culturelle d’une telle région. Elle est portée par des sceptiques comme J. Levy, qui mais aussi par de nombreux commentateurs, comme S. Amin et A. El Kenz, qui, hostiles au Projet euro- méditerranéen, le suspectent d’être une nouvelle forme « policée » d’hégémonie néolibérale et européenne. Entre ces deux positions, se retrouvent les déçus qui, tout en souscrivant à la nécessité d’un projet d’intégration régionale euro-méditerranéen,

constatent que le Processus de Barcelone (c’est-à-dire le Partenariat euro- méditerranéen) n’a pas tenu ses promesses de départ.

3.3.1.1Positions favorables au projet euro-méditerranéen

P. Beckouche, se base sur les flux de biens, de marchandises et de personnes pour confirmer l’existence d’une région euro-méditerranéenne. Selon lui, « l’argument le plus favorable à la notion de région tient dans l’importance des flux qui lient d’ores et déjà les deux rives de la Méditerranée » (Beckouche 2005: 4). L’auteur prend pour exemple les flux migratoires, les transports aériens, où prédominent les vols à l’intérieur de la zone Euromed par rapport aux vols vers d’autres destinations, les échanges commerciaux et les transferts de fonds ; avec toutefois un bémol au niveau des IDE qui demeurent largement inférieurs aux investissements européens dans le reste du monde (E-U et Asie du Sud-Est) et vice versa.

Selon Beckouche, les raisons pour lesquelles la région euro-méditerranéenne est méconnue sont au nombre de trois : premièrement, la région subit les méfaits de la théorie du « choc des civilisations » de S. Huntington qui la perçoit comme une ligne de fracture entre l’Islam et le monde judéo-chrétien. Deuxièmement, elle a été éclipsée par l’attention portée par l’UE sur l’élargissement vers l’Est. La troisième raison concerne une idée préconçue selon laquelle la mondialisation est synonyme d’un monde

« dominé par les Japonais et les Américains, (…) [ce qui fait perdre] de vue que l’essentiel de l’échange obéit aux règles simples de la proximité. Bien entendu, la révolution des transports et des télécommunications nous a ouvert le monde ; mais son effet principal est d’élargir l’aire de notre proximité. » (Beckouche 2005: 8)

Dans une même logique utilitaire l’IFRI, l’Institut Français des Relations Internationales, constate suite à une étude sur l’évolution du commerce mondial au XXIe siècle que la méconnaissance de la région euro-méditerranéenne est, à terme, préjudiciable pour l’Europe elle-même qui risque dans un avenir proche de décrocher

d’autres ensembles macro-régionaux plus vigoureux (ALENA et ASEAN), tant économiquement que technologiquement et démographiquement. Selon le rapport de l’IRFI, seule une Europe élargie, au-delà des 25 et de la Turquie peut espérer ralentir sinon stabiliser la tendance :

« Dans ce scénario, l’UE 30 parvient à maintenir son poids dans l’économie mondiale : elle représente près de 20 % de l’économie mondiale et fait jeu égal avec l’ALENA et la Grande Chine. Le monde demeure tripolaire : l’ensemble “Europe Russie Méditerranée” représente un tiers de l’économie mondiale, l’Amérique un quart, et l’Asie n’atteint pas 40 %. » (IFRI 2002: 8) D. Schmid compte parmi les spécialistes qui ont abondamment écrit sur le processus euro-méditerranéen, qu’elle qualifie de « bonne idée » (Schmid 2003b). D. Schmid se place explicitement du côté européen également et trouve que la Méditerranée

« continue (…) à nous mettre en relation, et nous partageons forcément avec nos voisins une forme de risque, mais aussi des opportunités d’entente qui nous sont propres (…) L’acquis pratique de Barcelone [c’est-à-dire le Partenariat Euromed] constitue alors une base solide pour une refondation urgente de la relation partenariale en Méditerranée. La conscience d’une forme de communauté méditerranéenne est plus que jamais nécessaire pour résister aux forces de simplifications qui tentent de nous réduire à l’affrontement. » (Schmid 2003b: 9)

Schmid souligne la nécessité de reconnaître la complexité méditerranéenne, tel que l’a conceptualisée E. Morin (et F. Braudel avant lui) afin d’échapper au schéma réducteur « huntingtonien » et de comprendre que la « force du mythe méditerranéen réside dans sa formidable énergie de renouvellement » (Schmid 2003b: 8-9). Dans une étude intitulée Optimiser le processus de Barcelone, Schmid appelle à préserver les « acquis de Barcelone » (Schmid 2002: 5) en soulignant que, malgré toutes les difficultés, le Partenariat euro-méditerranéen est toujours opérationnel et continue de « mobiliser des acteurs de plus en plus nombreux et des moyens de plus en plus sophistiqués » (Schmid 2002: 9). Schmid souligne l’importance du contraste entre la perception très positive du Partenariat à l’interne, par les gestionnaires de projets, les

responsables politiques impliqués dans le processus de part et d’autre de la méditerranée, et les fortes critiques qui lui sont adressées de l’extérieur.

Schmid situe les acquis de Barcelone à trois niveaux : sa dimension multilatérale, l’interdépendance entre les trois volets (politique, économique et socioculturel) et son cadre institutionnel expérimental. Pour elle, la dimension multilatérale provient de la justesse du concept de Méditerranée pour réunir différents pays minés par des décennies de conflits, mais surtout pour créer le seul cadre multilatéral où les États-Unis, omniprésents dans la région, « n’ont même pas le statut d’observateur » (Schmid 2002: 10). À un deuxième niveau, Schmid estime que

« le Partenariat est une action globale, qui vise à enclencher une dynamique de paix, en comptant sur des interactions fructueuses entre le politique, l’économique et le social (…). Toute l’originalité du projet réside en fait dans la porosité assumée entre ces trois domaines de coopération. Les trois champs d’action de Barcelone communiquent, et c’est l’interaction entre les trois domaines d’intervention qui est considérée comme bénéfique. » (Schmid 2002: 10-1)

À un troisième niveau, Schmid trouve dans l’approche institutionnelle du Processus de Barcelone, une qualité inédite qui constitue une évolution « raffinée » du cadre institutionnel de l’UE plutôt qu’une copie simplifiée :

« Le Processus de Barcelone n’est donc pas de nature strictement intergouvernementale, ni uniquement communautaire au sens du premier pilier de Maastricht. Il requiert la mobilisation de toute une série d’institutions, mais aussi d’agents individuels et de groupes informels. » (Schmid 2002: 12)

S. Panebianco (2003) fait également partie des spécialistes favorables au projet de constitution d’une région euro-méditerranéenne et se place, lui aussi, dans une perspective européenne. Pour Panebianco (2003: 3), le projet euro-méditerranéen est une réponse adéquate à la fragmentation, à la complexité et à l’instabilité du monde postmoderne, en continuité avec d’autres initiatives multilatérales lancées afin d’aider les États à gérer des problèmes communs. Avec la fin de la guerre froide, la sécurité en tant que concept nécessite une approche multidimensionnelle qui ne se limite pas

aux questions militaires, mais qui prend également en compte les menaces économiques, sociétales et environnementales. Selon Panebianco, ce concept élargi de la sécurité, au cœur du projet euro-méditerranéen, est un des aspects les plus innovateurs du Partenariat. Ce « complexe sécuritaire » (voir également Buzan 2003) s’est traduit par un dispositif institutionnel de coopération tout aussi complexe (Panebianco 2003: 4) mettant en relation les acteurs étatiques et non étatiques dans des formes variées de coopération décentralisée. Le concept de partenariat se trouve, d’après Panebianco (2003: 6), au cœur de ce dispositif et place les différentes parties concernées sur un même pied d’égalité. En regardant de près les différents niveaux d’interaction, Panebianco constate que, malgré les contraintes géopolitiques et les conflits territoriaux, le Partenariat a fait preuve de longévité puisque les différents acteurs méditerranéens (leaders et représentants politiques, membres de la société civile et experts de 27 pays partenaires) se retrouvent régulièrement au sein des institutions du Partenariat euro-méditerranéen et contribuent à la revitalisation du processus.

Pour sa part, F. Attinà (2003) oppose deux lectures du Processus de Barcelone, une première lecture hégémoniste qui le voit dans le cadre d’une perspective européenne de pacification de la Méditerranée et une autre vision, de « socialisation », qui s’intéresse aux perspectives de changements internes dans les sociétés et les économies des PSEM. Selon Attinà, même si ces deux visions sont pertinentes, une analyse plus fine des documents et des programmes de la PEM montre l’ascendance de la perspective de « socialisation » (Attinà 2003: 200).

3.3.1.2Positions défavorables au projet euro-méditerranéen

Beaucoup de voix se sont élevées contre le projet euro-méditerranéen, s’en prenant à l’un de ses trois volets, économique, politique ou culturel. Au niveau économique, par exemple, D. Seddon a constaté que les pays du Maghreb ont été lésés (raw deal) par l’UE et que les termes du « partenariat » sont limités et très

inéquitables. L’auteur en voit pour preuve, le contraste entre la promotion du « libre échange » dans les pays du Maghreb et le renforcement des restrictions à la libre circulation de la main d’œuvre sur le territoire communautaire (Seddon 1999: 150-49). Pour Seddon, le « nouveau » régionalisme du Partenariat diffère très peu des expériences néocolonialistes des quarante dernières années, si ce n’est la meilleure coordination et institutionnalisation. L’UE met en place des relations commerciales avec les économies « libéralisées » et affaiblies de sa périphérie selon des termes qui lui sont essentiellement favorables (Seddon 1999: 151).

De même pour A. Sid Ahmed, le Partenariat encourage les pays tiers méditerranéens à poursuivre leurs processus d’ajustement structurel, de libéralisation de leur économie et d’ouverture de leur marché aux exportations en provenance de l’UE, mais, en contrepartie, il ne leur permet pas d’accéder librement au marché communautaire. Ce traitement inégal contribue à l’alourdissement de la dette externe des pays tiers et à la perte de recettes fiscales importantes pour leur stabilité. En retour, ils n’ont obtenu de leurs homologues européens qu’une promesse de traiter la dette dans un « forum approprié » dont la date de tenue n’a jamais été fixée (Sid Ahmed 1999: 163). Sid Ahmed constate que, cinq ans après le lancement du Processus de Barcelone, les inégalités entre les deux rives ont augmenté sensiblement et que les engagements de l’UE n’ont pas été tenus. De plus, les investissements européens n’ont pas suivi (les PSEM n’ont bénéficié que de 1 % des IDE européens dans le monde). Cela mène Sid Ahmed à conclure que « la convergence des revenus – et donc des productivités – postulée par l’objectif de création d’une zone de prospérité partagée reste à ce jour un leurre » (Sid Ahmed 1999: 164).

S. Amin et A. Al Kenz ont formulé les critiques les plus acerbes contre le projet euro-méditerranéen qu’ils rattachent, à la fois, au néolibéralisme et au néocolonialisme. Pour les auteurs, le Partenariat euro-méditerranéen cache derrière tous « les euphémismes diplomatiques et les déclarations solennelles une duplicité ou du moins une ambigüité, qui est habilement dissimulée dans le discours » (Amin et El

Kenz 2005: 82). Ils accusent le projet euro-méditerranéen d’être principalement un projet défensif qui vise à protéger l’UE des risques de débordements culturels, sociaux et politiques en provenance des PSEM. Derrière un emballage policé qui caractérise l’approche européenne, le projet partage les mêmes objectifs que, ceux, hégémoniques, des E-U dans le cadre de l’ALENA.

Amin et El Kenz n’épargnent pas les experts et les centres de recherche qui se consacrent au projet euro-méditerranéen et les accusent de participer à l’élaboration de cette rhétorique habile :

« Partenariat, co-développement, développement durable, ouverture de l’économie, mise à niveau, libéralisation… un lexique de cette nouvelle économie politique euro-méditerranéenne devrait être dressé. Il cache de manière habile les véritables enjeux d’une économie politique, qui sont beaucoup plus prosaïques. » (Amin et El Kenz 2005: 87)

Selon les auteurs, toutes ces notions proviennent du globalisme néolibéral tel que prôné par les E-U et les institutions internationales. Cette réalité qui ne résiste pas à une observation approfondie est « noyée » dans un discours techniciste et normatif dont l’enjeu n’est pas l’analyse rationnelle des faits, mais la justification des initiatives lancées par l’UE en Méditerranée.

Les auteurs adoptent la position critique de Bourdieu qui a également rattaché le projet de construction européenne à l’entreprise néolibérale d’imposition du capitalisme. En contrepoint à l’enthousiasme de S. Panebianco, ils tournent en dérision la profusion des forums de dialogue et les différentes plateformes de coopération euro-méditerranéenne qui, selon eux, frôlent la caricature (Amin et El Kenz 2005: 89- 90). Ils critiquent également la portée pédagogique réductrice de ces plateformes supposées introduire les partenaires du Sud aux vertus du modèle européen (Amin et El Kenz 2005: 90). De plus, les auteurs s’arrêtent sur certaines terminologies véhiculées par le projet (comme celle de « dialogue », « partenariat » ou encore « société civile ») qui contribuent à l’opération de lissage et de suppression des contradictions. Selon les auteurs,

« Les Européens sont principalement soucieux que les pays méditerranéens du sud adhèrent complètement au processus d’implémentation et qu’ils impliquent les secteurs “utiles” de leurs sociétés, particulièrement les classes moyennes pour lesquels ils ont conçu une catégorie politique et culturelle correspondant de manière parfaite à ce qu’ils ont nommé “société civile”. » (Amin et El Kenz 2005: 123)

Amin et El Kenz s’en prennent également aux régimes autoritaires des PSEM qu’ils accusent de tenir un double langage. D’une part, ils promettent aux instances européennes l’ouverture de leur marché interne et l’application des principes néolibéraux et, de l’autre, ils affichent leur solidarité avec leurs sociétés face à ce qu’ils présentent comme un processus inévitable de la mondialisation (Amin et El Kenz 2005: 122).

La position critique d’Amin et El Kenz est en continuité avec celles de Bourdieu, Wallerstein et Said par rapport à la mondialisation (chapitre 1). Elle a pour mérite de relativiser un processus euro-méditerranéen qui peut parfois lasser par une rhétorique habile, mais creuse. Cependant, cette critique tombe parfois dans le même excès qu’elle entend dénoncer, en versant dans une généralisation et une réduction, qui empêchent d’observer d’une manière plus fine les processus en cours.

3.3.1.3Positions intermédiaires mitigées

Dans cette troisième catégorie, on retrouve la grande majorité des analyses du Processus de Barcelone. Cette position oscille entre scepticisme et enthousiasme. Il s’agit principalement des déçus du processus qui ont cru voir dans le Partenariat euro- méditerranéen les prémisses

« de la construction régionale souhaitée. La dimension trop étroitement économique des coopérations passées était remise en cause et un vaste champ d’actions économiques bien sûr, mais aussi sociétales et politiques, semblait désormais s’ouvrir. » (Bistolfi 2000: 9)

Pour J-L. Rieffers également, le Processus de Barcelone est le fruit de son contexte historique, où l’intégration à l’économie de marché était devenue un facteur essentiel

pour assurer une transition économique aux économies nationales. Selon Rieffers, la région euro-méditerranéenne ne pouvait pas ignorer ce nouvel impératif et devait « suivre le mouvement » (Rieffers 2006: 89).

Ainsi, même si les promesses de départ n’ont pas été tenues, Rieffers est

« persuadé que cet objectif, placer la Méditerranée dans l’économie intégrée mondiale, est extrêmement important comme position de départ, et que si ce postulat n’est pas posé, la Méditerranée conservera une organisation de la production rentière, non compétitive, et n’atteindra pas la convergence salariale qu’on observe mondialement. » (Rieffers 2006: 90) Pour O. Tambou,

« les difficultés dans lesquelles s’empêtre le partenariat euro-méditerranéen ne remettent pas en cause la pertinence des objectifs poursuivis. Le plus central d’entre eux réside dans la volonté de mettre en place un espace euro-méditerranéen. » (Tambou 2003: 33)

Mais pour une écrasante majorité de ces spécialistes, le premier bilan d’étape, cinq ans après le lancement du Partenariat a été négatif : « des entrepreneurs inégalement motivés peinent à masquer la fragilité d’une construction aux fondations incertaines » (Bistolfi 2000: 10). En somme, comme le résume G. Soltan, un expert des PSEM, on reproche au Partenariat « d’être un grand concept, mais pas un grand mécanisme » (a grand design, but not a grand mechanism) (cité dans Schmid 2002: 5).

Première mise en cause, l’Union Européenne, « objet politique non identifié » (Bistolfi 2000: p.10), impuissante face au poids grandissant des États-Unis dans la région et face aux conflits qui grondent à sa porte : Kosovo, guerre israélo- palestinienne, guerres d’Irak, contentieux turco-chypriote, etc. Pour C.J. Smith et K. Lahteenmaki, le processus de Barcelone prouve encore une fois la difficulté qu’éprouve l’UE dans ces relations avec les PSEM : « Interdits d’entrée, mais partie intégrante du développement du processus d’intégration européenne, les PSEM doivent être intégrés, politiquement et économiquement dans un cadre stabilisé de relations » (Smith et Lahteenmaki 1998: 166).

G. Corm pour sa part, trouve que les fonds alloués au processus ont été inconsistants, surtout par rapport à l’argent qui est dépensé dans le cadre des fonds structurels européens en Italie, au Portugal et en Espagne et plus tard dans le cadre du processus de préadhésion, dans les pays d’Europe de l’Est. Par ailleurs, Corm rappelle que même les fonds promis n’ont pas été dépensés en entier, puisque les taux de déboursement sont restés très faibles, de l’ordre de 10 à 15 % (Corm 2006: 72). Il blâme pour cela autant l’inefficacité de la bureaucratie de la Commission Européenne que celle des pays tiers méditerranéens.

D’autres spécialistes pointent du doigt le double langage des pays tiers méditerranéens qui retardent la mise en place des réformes nécessaires pour l’accession à la zone de libre-échange, pour l’accélération du rattrapage économique, et surtout celles qui étaient prévues pour le renforcement du processus de démocratisation et de décentralisation, qui avance timidement. Sur ce dernier point, les résultats sont plus qu’insatisfaisants, les autorités nationales évoquant la souveraineté des États et la défense de l’unité nationale à chaque fois que s’élèvent des voix internes et externes appelant à la démocratisation et au renforcement de l’État de droit. Pour A. Biad, les failles se situent essentiellement au niveau du Partenariat euro-méditerranéen lui-même puisque la déclaration de Barcelone de 1995 a réaffirmé la notion du « respect de la souveraineté des États » et de la non- ingérence, pour tranquilliser les leaders arabes, soucieux de voir leurs pouvoirs s’éroder au sein de leurs pays respectifs (Biad 2003: 144-5).

R. Del Sarto (2006: 1) pousse l’argument encore plus loin en suggérant que l’approche régionale du Partenariat euro-méditerranéen, à travers l’identification d’enjeux et d’objectifs communs, bouleverse l’ordre régional préétabli ainsi que le rang et le rôle que chaque État se reconnaît sur l’échiquier régional. À travers les cas du Maroc, de l’Égypte et d’Israël, Del Sarto montre qu’au-delà des problèmes géopolitiques régionaux, un aspect domestique important est à considérer dans l’échec du processus de Barcelone, ce dernier ayant eu un impact « implicite, mais

significatif » sur l’identité même de ces États (Del Sarto 2006: 2). En d’autres termes, un État ne peut clairement identifier ses ennemis et ses amis, la région à laquelle il appartient et les priorités de sa politique extérieure tant qu’il n’a pas réussi à se constituer une identité propre (p. 24). Or pour Del Sarto, la majorité des pays tiers méditerranéens, arabes ou non arabes (Israël et Turquie) sont traversés par des conflits qui fragilisent leur cohésion interne : montée de l’islamisme dans le cas des premiers, lutte entre groupes laïques et religieux dans le cas des seconds.

Selon Del Sarto, l’approche normative du processus de Barcelone, qui est un aspect fondamental de la politique extérieure de l’UE, ne se limite pas aux relations intergouvernementales, mais nécessite une pénétration en profondeur des économies et des sociétés ; or dans des pays en proie à de grandes incertitudes « existentielles », cette approche ne peut que buter sur des résistances qui la ralentissent considérablement voire qui l’écartent de son objectif initial (p.15-6).

Conclusion

Le choix d’aborder la problématique de la mondialisation et de la régionalisation et de leur impact sur le territoire à partir des relations euro-méditerranéennes pourrait