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CHAPITRE 3 : LA MÉDITERRANÉE ET SES AVATARS, ENTRE RUPTURE

3.1 La région méditerranéenne existe-t-elle ?

Le choix de la Méditerranée, et des PSEM, pour discuter des liens entre mondialisation et régionalisation d’une part, et renouvellement des politiques territoriales d’autre part, pourrait surprendre, vu que la Méditerranée, malgré toutes les initiatives, les projets et les écrits qui la concernent, est loin de constituer une région (économique, politique, socioculturelle) clairement identifiable à l’instar de son imposante voisine, l’Europe. En effet, à la lumière de la discussion sur le régionalisme dans le chapitre précédent,

« la Méditerranée contemporaine, encore influencée par les lignes de force de la guerre froide, ne répond pas à l’ensemble des critères susmentionnés. Elle est plutôt un lieu de rencontre et d’oppositions entre plusieurs régions plutôt qu’une région en elle-même, malgré le processus de recomposition actuelle. » (Willa 1999: 2)

De plus, comme nous l’avons vu précédemment, les PSEM ne sont pas les meilleurs exemples pour rendre compte, de la manière la plus représentative, de l’impact de la mondialisation sur le territoire et les politiques territoriales, tant il est clair que tout s’y transforme de manière détournée et réinterprétée. Cependant, ce cas non exemplaire et les distorsions que nous pouvons observer sur le terrain par rapport à une vision plus lisse des impacts de la mondialisation font tout l’intérêt des PSEM et de la Méditerranée comme cas d’étude.

À ce niveau, il est clair que si l’objectif initial est de montrer l’avancement d’un projet de régionalisation typique – à supposer qu’un tel projet existe – la

Méditerranée, et plus spécifiquement les PSEM, est loin de constituer un modèle. Mieux vaudrait se pencher sur d’autres régions où les avancées sont plus visibles et quantifiables, comme l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est, qui permettent de mieux vérifier la validité empirique des différents concepts introduits et discutés dans les chapitres précédents.

Loin de nous satisfaire d’une énième lamentation sur l’état des lieux, sur la mise en place difficile des réformes, voire sur l’échec des initiatives de régionalisation, nous croyons que l’intérêt pour la Méditerranée est ailleurs, voire que c’est tout le contraire. En effet,

« La notion de Méditerranée ou de région méditerranéenne, suivant une définition des relations internationales, reste ainsi sans réalité concrète pour l’instant. Elle est pourtant de plus en plus utilisée par différents États et organisations internationales, particulièrement en Europe, et elle semble coïncider avec certaines ambitions. Une autre approche théorique est ainsi nécessaire pour comprendre l’utilisation de plus en plus courante de cette référence méditerranéenne malgré son irréalité matérielle. » (Willa 1999: 26)

Il s’agit de voir comment ces initiatives et les objectifs qui les sous-tendent butent sur des résistances et se transforment au contact d’aires culturelles rétives. Ces initiatives, concepts et discours, nés dans le « Nord-Atlantique » (Europe du Nord-Ouest et Amérique du Nord), mutent, se vident de leur sens initial et sont investis de significations nouvelles, dès qu’ils traversent la Méditerranée. Des termes aussi neutres qu’« harmonisation », « libéralisation » ou « régulation » ont une résonnance profonde qui ranime de vieilles craintes, de part et d’autre de la Méditerranée. Vus sous cet angle, la Méditerranée et les PSEM sont un champ d’investigation passionnant pour voir comment les « récits dominants » sur la mondialisation se fragilisent à partir du moment où ils sortent d’un contexte historique et géographique occidental précis (Beckouche 2008), ou comment le paradigme de la mondialisation se fissure au contact des « flots incertains de la Méditerranée » (E. Reclus, cité dans Deprest 2002).

L’intérêt de la Méditerranée réside ailleurs, dans un

« espace placé sous le signe de ruptures. Cette tension entre l’événement et le temps long de l’histoire ne se retrouve nulle part sur la planète à un tel degré et c’est cette tension qui donne aux études méditerranéennes un intérêt toujours renouvelé même si la Méditerranée n’est plus, comme avant l’invention du Nouveau Monde, le centre du Monde. » (Bethemont 2000) Loin de le simplifier, la Méditerranée est de nature à complexifier le débat sur la mondialisation en exacerbant les contradictions entre les lectures économique, politique et culturelle parce que les relations économiques et culturelles entre les deux rives de la Méditerranée cachent souvent des intérêts politiques et vice versa.

Ainsi comme le suggère Willa, une approche constructiviste de la région serait plus adaptable pour comprendre la réinvention de la Méditerranée depuis un peu plus de deux décennies :

« La Méditerranée n’est ainsi plus conçue seulement comme une évocation géographique prégnante. Elle doit être attachée à une période historique, qui crée son sens, différent suivant le contexte. Il y a donc une part d’invention continue de ce concept (…) L’analyse des conceptions successives de la Méditerranée, et des discours y attenant, devient donc incontournable pour comprendre les raisons de l’emploi de cette référence méditerranéenne et les intérêts en présence qui définissent le véritable sens du mot. »

De même pour A. Moulakis, il est impossible d’évoquer la région Méditerranée sauf en tant qu’image mentale, un projet qui est le fruit d’une destinée commune, façonnée par une imagination collective, elle-même basée sur un riche héritage historique. Ainsi en Méditerranée, beaucoup plus que dans toute autre partie du monde, les projets régionaux courent le risque de sombrer dans un « revivalisme nostalgique » (Moulakis 2005: 15). Dans la partie qui suit, nous commencerons par discuter la notion de Méditerranée comme objet géographique, politique et culturel.