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CHAPITRE 2 : LES SITES « CONCRETS » D’ACTION : IMPLICATION AU

2.3 La recomposition de l’État et son impact sur l’aménagement du

2.3.4 La nécessité de renouvellement de l’aménagement du territoire

2.3.4.1Le renouveau en France

13

Au niveau spatial, les écarts, entre des régions et pays forts et dynamiques et des régions et pays périphériques faibles et en perte de vitesse, se creusent dans ce contexte de concurrence généralisée. Face à ces écarts, les politiques urbaines locales et régionales ont du mal à suivre. L’aménagement du territoire est à nouveau réhabilité dans l’espoir

« [d’]aborder les problèmes dans leur globalité et non de façon sectorielle. Parce que (…) [les] sociétés sont complexes et riches en interdépendances, gérer les territoires revient à gérer la complexité des interdépendances. » (Wachter 2002: 5)

Ces impacts se sont soldés par une refonte profonde de l’approche de l’aménagement du territoire – du moins dans les textes – à travers :

- la mise en place de cadres législatifs appropriés qui permettent à l’Etat de « tenir son rôle de régulateur des relations territoriales, pour introduire des innovations et les

13 Le renouvellement de l'aménagement du territoire à l'échelle européenne est discuté dans ce

diffuser largement et pour redonner de la lisibilité à son action » (Lacour et Delamarre 2003: 92-3);

- la construction de « représentations renouvelées et délibérées » à travers (1) la démarche prospective, qui permet tenir compte des aspirations territoriales et de découvrir des potentialités non identifiées ou oubliées, et (2) le débat et le dialogue « qui constituent désormais la clé de voûte de la décision publique » ;

- la conception et la diffusion des « modalités de territorialisation » à travers la reconnaissance du rôle essentiel des territoires «comme structure d’organisation, d’interactions sociales, et non plus comme réservoir de ressources sans passé ni futur » (Veltz 1996: 13). Cela se manifeste par un intérêt porté à l’élaboration de « projets urbains globaux » des agglomérations, de « territoires de projets » autour de la notion de pays ou la promotion de systèmes productifs locaux ou patrimoniaux (le patrimoine comme levier du développement local).

Mais cet enthousiasme n’est pas partagé par tous les spécialistes. Pour Pierre Merlin, figure marquante de l’aménagement du territoire français, ces nouvelles tendances n’ont rien d’un renouveau de la planification. Encore une fois, le changement de nom de la DATAR est désigné comme une preuve sans équivoque de la marginalisation en cours de l’aménagement du territoire :

« En ce qui concerne la France, il y a eu un élément, certes très symbolique mais quand même significatif, c’est que le premier janvier dernier [2006] la Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, la DATAR, a changé de nom, il y a encore aménagement dans DIACT mais il n’y plus d’aménagement du territoire et aménagement est associé à compétitivité. C’est un changement de cap tout à fait significatif qui est certes lié à la mondialisation, mais dans le mauvais sens. La mondialisation a conduit à dire qu’il fallait chercher la compétitivité avant tout et qui dit compétitivité place la dimension économique en priorité par rapport à la dimension des qualités territoriales, par rapport à la dimension d’égalité des chances, par rapport à la dimension de protection de l’environnement. Donc pour moi c’est un recul et même un recul grave et au-delà de cet aspect symbolique du changement de nom de la DATAR, l’ensemble des politiques menées en

France qui se rattachent à l’aménagement du territoire me semble plus être en recul qu’en progrès. »14

2.3.4.2L'influence sur les PSEM

Ces changements ne concernent pas seulement les pays industrialisés comme la France. Ils ont également des répercussions sur les pays en développement, plus spécifiquement ceux qui sont encore exposés à l’influence de l’expertise technique française. A ce niveau, G. Antier et X. Crépin constatent

« le renouveau à l’export d’un produit relativement « fort » de l’ingénierie française, l’aménagement du territoire, que ce soit au niveau national (schémas nationaux de Tunisie, du Maroc et du Liban) ou régional (Sud Liban, Maroc, Cambodge). La nouveauté de ces projets récents fut de privilégier des démarches territoriales intégrées – issues de réflexions menées en France depuis 1990 – par rapport aux politiques sectorielles qui avaient prévalu dans les années 1960/70.» (Antier et Crépin 2004: 1273) Ainsi, à la fin des années 1990, un grand nombre de Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée lancent des schémas d’aménagement du territoire en bénéficiant, dans la plupart des cas, d’une assistance technique française.

En effet, l’expertise française a joué un rôle déterminant. Au Liban, en Lybie et, très récemment en Syrie, l’IAU-îdF (précédemment IAURIF), l’agence d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de France, a participé à plusieurs études et schémas directeurs. L’IAU-îdF a également produit les schémas directeurs du Grand Casablanca (2007) et de Tripoli (2009) et a gagné l’appel d’offre du schéma directeur d’Alger en 2010. En Tunisie et au Maroc, c’est Groupe HUIT un bureau privé français proche de la DATAR à qui est confiée la tâche, en association avec DIRASSET, un bureau d’études tunisien. La DATAR a pour sa part contribué à la mise en œuvre du SNAT algérien et effectue des missions fréquentes auprès des ministères marocains et algériens en charge de l’aménagement du territoire. Parmi les capitales arabes des PSEM, seul Amman n’a pas eu recours à une expertise française. Dans le cas de la capitale

jordanienne, c’est City Alliance, l’agence canadienne basée à Toronto qui a gagné l’appel d’offre, et à Damas la tâche a été confiée à Khatib & Alami, un bureau d’ingénierie libanais, le schéma directeur du Gouvernorat de Rif Damas a, quant à lui, été confié à la Société Générale d’Etudes et de Consultations, une agence publique syrienne qui a bénéficié d’un encadrement technique et scientifique de l’IAU-îdF.

Cependant, la réhabilitation de l’aménagement du territoire dans les PSEM ne répond pas aux mêmes impératifs qu’en France. Dans le cas du Maroc, le recours à l’aménagement du territoire découle de la nécessité de répondre aux trois échéances démographique, économique et écologique qui guettent le Maroc dans les années à venir (Souafi 2001: 5).

Selon Mohamed Souafi, l’ancien directeur de l’aménagement du territoire marocain responsable de la relance du débat sur l’aménagement du territoire entre 2000 et 2007 au Maroc, la pression démographique se fera surtout ressentir quand la génération des 5-10 ans, la plus nombreuse en effectifs, demandera à avoir accès au marché du travail dans la prochaine décennie. En matière d’économie, le défi se manifeste par une « mutation radicale avec le traité de libre-échange ; l’ouverture européenne c’est tout simplement la mondialisation, avec toutes ses implications et en particulier en matière de compétitivité. » (Souafi 2001: 5). Enfin, en ce qui concerne l’environnement, les pressions se manifestent au niveau de la gestion des ressources naturelles et de la gestion de l’eau. Selon Souafi, « le lieu de rencontre de ces trois défis, c’est le territoire lui-même » (Souafi 2001: 5).

Au Liban également, les thématiques nouvelles de l’aménagement du territoire, sont réinterprétées pour répondre aux préoccupations d’un pays malmené par plusieurs contradictions et conflits. Dans ce pays d’équilibre par excellence, le recours à l’aménagement du territoire se fait ressentir à la fin de la phase de reconstruction du pays, au lendemain de la guerre civile de 1975-1990. Une reconstruction qui a essentiellement pris une forme physique et sectorielle (infrastructures, équipements, zones industrielles). En termes spatiaux, les efforts de reconstruction se sont

essentiellement concentrés dans la capitale libanaise et autour, à travers des actions majeures comme la modernisation de l’aéroport international, l’élargissement du port historique, la réalisation d’infrastructures routières et le lancement de projets urbains, principalement la reconstruction du centre-ville historique. Face à l’importance accordée à la métropole beyrouthine et aux politiques sectorielles dans les régions, l’aménagement du territoire a été pensé dans une logique de rééquilibrage spatial.

Ainsi, les thématiques de développement économique durable et de cohésion sociale ont été envisagées dans l’optique de la notion de « développement équilibré » placée au cœur des accords de Taëf15 qui ont mis fin à la guerre civile libanaise. Le

« développement équilibré », entre régions et communautés religieuses libanaise, a constitué l’une des conditions principales du retour à la paix civile après quinze années de conflits civils.

Dans les cas libanais et marocain, comme dans les autres cas mentionnés plus haut, la construction de « représentations renouvelées et délibérées » et le « débat et le dialogue » (Lacour et Delamarre 2003: 92-3) ne constituent pas un enjeu essentiel, sauf pour un nombre limité d’interlocuteurs dans le cas du Liban (i.e. les principales familles et groupes politiques du pays). Dans la majorité des cas, « l’État conserve très largement dans tous les pays la maîtrise de la planification spatiale » (Verdeil 2006: 170).

Cette situation pose les limites de ce regain d’intérêt pour l’aménagement du territoire dans les PSEM. S’agit-il d’un renouveau profond de l’action étatique en matière de planification spatiale ou d’un simple exercice de style qui, pour reprendre la formule rendue célèbre par A. Faludi (2004), ne serait qu’un vieux vin français servi dans de nouvelles bouteilles (old French wine in new bottles ) ?

Pierre Merlin, dans une entrevue effectuée pour les besoins de notre travail de recherche penche pour la seconde explication :

15 Les accords de Taëf portent le nom de la ville saoudienne où se sont tenus les pourparlers entre

« Mon impression est que structurellement l’aménagement du territoire n’est pas ressenti comme une priorité dans ces pays et peut difficilement l’être dans la mesure où il s’agit de pays en développement où il y a de très grandes inégalités spatiales (entre autres) et où l’impératif premier est de développer l’économie, de développer les échanges, d’équilibrer la balance commerciale et la balance des paiements et où par conséquent, tout naturellement, c’est là où il y a déjà le développement qu’on peut accentuer l’évolution. Donc la tendance spontanée n’est pas à la recherche d’un équilibre entre les régions les plus développées et celles qui le sont moins, bien au contraire. »

2.3.4.3Enseignements à tirer des relations entre mondialisation, États

et territoires

La mondialisation, en tant que concept, n'a ni l'ambition ni la capacité d'expliquer, à elle seule, tous les processus économiques, politiques et sociaux en cours. Elle ne peut pas réduire non plus le territoire et les entités territoriales à de simples conteneurs dans lesquels viendraient s’insérer des phénomènes qu’elle aurait elle-même déclenchés.

L'exploration des liens entre mondialisation et territoire à travers la notion de « relativisation de l’échelle » permet de comprendre le double phénomène de déterritorialisation et de reterritorialisation c’est-à-dire la reconfiguration et le changement d’échelle (re-scaling) des formes traditionnelles d’organisation territoriale (villes, régions et États).

Cette dernière réflexion nous a mené par la suite à explorer deux pistes de réflexion, en premier lieu l’impact de ces changements sur les États et en deuxième lieu leur implication sur les politiques d’aménagement du territoire.

En ce qui concerne le premier point, notre postulat principal a été de décentrer notre regard sur l’État et de ne pas le considérer comme une constante de départ ou comme une donnée préétablie, en nous focalisant uniquement sur les niveaux global et local. En référence à un corpus théorique (Agnew, Brenner, Ruggie, Swyngedouw) qui s’est penché de près sur les changements survenus à l’État, nous avons proposé de ne pas limiter la discussion sur la disparition ou non des États sous le poids de la

mondialisation mais plutôt de nous interroger sur le sens et la signification de l’État en tant qu’acteur dans différentes circonstances historiques. Ainsi, l’irruption du discours sur la mondialisation aura surtout permis de relativiser la territorialité de l’État en la replaçant dans un contexte historique particulier.

Cette question se pose de manière encore plus pressante dans les PSEM, qui sont au cœur de ces changements et non pas, comme le veulent certains spécialistes proches des institutions financières internationales, en dehors de la mondialisation. Pour d’autres spécialistes comme C. Tripp, l’adoption par les PSEM des principes de l’économie de marché a permis de renforcer l’emprise de l’État sur son territoire à travers l’usage du clientélisme et son incorporation, sous des formes renouvelées, par l’élite gouvernante.

En ce qui concerne le deuxième point, celui des implications au niveau de l’aménagement du territoire, nous avons commencé par souligner la relation organique entre celui-ci et l’État. Ainsi les changements observés au niveau de l’État sont de nature à se répercuter sur ses outils de planification et d’aménagement du territoire. Par la suite, nous nous sommes concentrés sur l’origine française de l’aménagement du territoire en nous arrêtant brièvement sur les principales étapes de sa constitution en tant que discipline et la manière dont le modèle a été exporté dans les PSEM grâce à l'expertise française.

La montée en puissance de la mondialisation et de l’Europe a mis en avant de nouvelles préoccupations en France et a provoqué de nouveaux arrangements institutionnels. Dans les PSEM également, les enjeux d’aménagement du territoire se sont diversifiés.

Dominique Voynet ministre française de l’Environnement entre 1997 et 2001 résume très bien la situation :

« Cela a été dit avant moi : il n’y a pas de territoires condamnés, il n’y a que des territoires sans projet (…) une politique d’aménagement du territoire me semble donc, aujourd’hui encore, non seulement possible, mais nécessaire (…) Depuis quelques années, la nécessité d’une relance de

l’aménagement du territoire semble s’imposer, même à Los Angeles, selon Allen Scott ! (…) Mais les conditions dans lesquelles l’Etat agit se sont profondément transformées. Ce n’est pas seulement le contexte économique qui s’est modifié. L’Etat ne peut plus, seul, dessiner la carte de l’occupation future de l’espace national. »16

Le constat de Voynet vient à un moment charnière de l’aménagement du territoire en France, au milieu d’un processus de réforme profonde de la pratique. Dans la section précédente, nous avons vu que l’État n’était plus le seul acteur sur la scène nationale à « dessiner la carte de l’occupation future de l’espace ». Dans la partie qui suit, et à partir du cas européen, nous nous intéresserons à la dimension macro-régionale de l’aménagement du territoire.

2.4 La conceptualisation et la construction de l’espace