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CHAPITRE 2 : LES SITES « CONCRETS » D’ACTION : IMPLICATION AU

2.1 Le double processus de déterritorialisation/reterritorialisation

déterritorialisation/reterritorialisation

Le débat théorique dans le chapitre précédent est une entrée en matière assez féconde pour aborder les questions en rapport avec la mondialisation et le territoire. La redéfinition des concepts sociospatiaux, dans les différentes disciplines des sciences sociales, a eu lieu sous l’impulsion de la mondialisation. Pour N. Brenner, la mondialisation consiste en

« un processus dialectique à double tranchant à travers lequel (1) le mouvement de biens, de capitaux, de personnes, d’images et d’information dans l’espace géographique est continuellement accéléré et élargi et (2) des infrastructures socioterritoriales relativement fixes et immobiles sont produites, reconfigurées, redifférenciées et transformées afin de faciliter l’extension et l’accélération de ce mouvement. La globalisation consiste ainsi en une interaction dialectique entre le besoin endémique de compression spatio-temporelle sous le capitalisme (le mouvement de déterritorialisation) et la production continue de configurations d’organisations territoriales

relativement fixes et provisoirement stabilisées sur des échelles géographiques multiples (le mouvement de reterritorialisation). » (Brenner 1999b: 435)

A notre avis, cette définition parvient à résumer l’action double de la mondialisation, avec d’une part la déterritorialisation (délocalisation, accélération des flux, avènement de l’âge informationnel, etc.) et de l’autre, la reterritorialisation, ou la reconfiguration des territoires pour accommoder l’extension continuelle du capitalisme.

Si le premier aspect du processus a été analysé dans le chapitre précédent, c’est au processus inverse de reterritorialisation que nous nous intéresserons dans la section suivante, puisque la mondialisation ne dilue pas les frontières (Ohmae 1990) et que

« le monde hautement interdépendant dans lequel nous sommes entrés n’est pas, et ne sera sans doute jamais un pur espace de flux, où les lieux auraient perdu toute signification. Le territoire résiste. Mais la territorialité se transforme en profondeur. » (Veltz 2002: 143)

Selon Brenner, les processus de reterritorialisation, c’est-à-dire la reconfiguration et le changement d’échelle (re-scaling) des formes d’organisation territoriale, telles que les villes, les régions et les États, constituent une partie intégrante de la vague actuelle de mondialisation (Brenner 1999b: 432). La stabilité de ces organisations territoriales facilite l’accélération des flux et favorise le développement de la mondialisation néolibérale. Brenner estime que le cercle vertueux, qui reliait les villes et les États sous l’économie fordiste et qui trouve son origine dans l’assujettissement progressif de la ville au pouvoir politique des États à partir du XVIesiècle, a fini par éclater sous le poids de la crise économique du début des années 1970 (Brenner 1999b: 432).

L’essoufflement du modèle fordiste se fait ressentir, aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, lorsqu’une grande partie du système économique keynésien, rattachée à l’État-providence, est devenue inopérante, voire « contre-productive » (Scott 2000: 122). La crise s'est aggravée à la suite d’une fermeture généralisée

d’usines, d’un accroissement du chômage dans des régions industrialisées prospères autrefois et du redéploiement accéléré des activités dans les régions périphériques. Des zones antérieurement marginalisées comme le sunbelt américain, la Troisième Italie, et le sud de l’Allemagne ont alors commencé à montrer des signes de croissance industrielle vigoureuse (Scott 2000).

La crise des régions centrales a été encore plus aggravée par un exode des branches d’usines, non seulement vers les périphéries à l’intérieur du territoire national, mais également en direction de certaines régions du tiers-monde. Ce flux d’investissements à l’étranger a détourné encore plus les capitaux et les emplois des foyers traditionnels de la production fordiste et a poussé le système international à franchir un nouveau seuil, celui d’une nouvelle division internationale du travail, où les économies les plus avancées se spécialisent dans la production basée sur les cols blancs à haut salaire, tandis que les pays les moins avancés fournissent les cols bleus à bas salaire. Un système qui posait déjà les éléments constitutifs de la globalisation actuelle (Scott 2000).

Pour sa part, B. Jessop (2000) fait la différence entre crise dans et crise du régime d’accumulation fordiste. Les crises dans le fordisme étaient nécessaires pour son développement et se réglaient généralement par la mise en place de mécanismes de gestion de crise sous la forme de restructurations économiques et de changements institutionnels. La crise du fordisme a eu lieu quand ces mécanismes se sont effondrés sous le poids de l’internationalisation progressive de l’échange, de l’investissement et de la finance au détriment de l’économie nationale. Ainsi, le salaire (social et individuel) est devenu de plus en plus envisagé comme un coût international de production plutôt que comme la réponse à une demande domestique. Par ailleurs, la circulation de l’argent en tant que devise internationale a affaibli le rôle régulateur de l’État keynésien (Jessop 2000: 338-9). En définitive, la crise du fordisme, comme de tout autre régime d’accumulation fordiste, se solda par la recherche de nouvelles stratégies, de nouveaux compromis institutionnalisés et de nouveaux dispositifs spatio-

temporels (spatio-temporal fixes) (Jessop 2000: 337). Sans ces dispositifs, qui régulent les marchés, les capitaux et les droits de propriété, et veillent à la sécurité et à la livraison des services, l’ordre économique s’effondrerait inévitablement (Swyngedouw 2004: 32).

Jessop résume cette nouvelle situation par la formule suivante : l’échelle nationale est devenue trop petite pour résoudre les grands problèmes du monde et trop grande pour en résoudre ses petits problèmes (Jessop 2008). C’est en réaction à cette crise qu’un processus de reterritorialisation s’est déclenché, à partir des années 1980, afin de faire face, à la fois, aux grands et aux petits problèmes mondiaux. Ce processus de reterritorialisation a été qualifié de glocalisation par Swyngedouw (2004), un processus à travers lequel les compétences à l’échelle nationale sont transférées, de manière progressive et simultanée, aux échelons supranationaux (Organisations Internationales, UE) et infranationaux (villes, régions).

Dans la partie qui suit de ce chapitre, nous nous intéresserons à la reconfiguration des relations entre national et local, en analysant en particulier les impacts de ces changements sur une politique publique qui nous intéresse en particulier : l’aménagement du territoire. À la fin de ce chapitre, nous analyserons avec plus de détails le transfert de compétences aux échelons supranationaux, à partir du cas européen, en nous arrêtant également sur ses implications au niveau de l’aménagement.