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Autres objectifs du discours de souveraineté du gouvernement du Canada par rapport à

Pour plusieurs dont Michael Byers, le premier ministre Harper doit démontrer que le discours de souveraineté arctique est plus que simple rhétorique et que les actions promises seront faites : ―He is gradually becoming open to the criticism that this is just political rhetoric and he doesn‘t mean what he says [...] And only time will tell on that front.‖ (Kennedy, 2010) Ce commentaire paru durant la tournée annuelle du PM dans le Nord du Canada en 2010 reflète en effet ce que plusieurs pensent; que les annonces éclatantes à propos du Nord serviraient à l‘accumulation de capital politique pour le gouvernement conservateur, ce à quoi le PM lui-même répond en affirmant que sa visite dans « l'Arctique canadien cette semaine ne visait pas à engranger du capital politique, mais bien à resserrer les liens d'unité nationale ». (Wattie, 2010) Ces propos nous portent à croire que le discours de souveraineté serve probablement différents objectifs. Bien que ce ne soit officiellement pas l‘objectif principal du PM, ses discours sur l‘Arctique attirent sans doute vers lui un brin de sympathie de la part de l‘électorat, tout comme cela contribue peut-être au renforcement de l‘unité nationale.

Selon Whitney P. Lackenbauer, l‘alarmisme avec lequel Ottawa a joué la carte de l‘Arctique dans les dernières années démontre bien à quel point il est facile de gagner du capital politique. Il en aurait été autrement si le gouvernement Harper avait décidé de miser sur une approche à long terme basée sur la coopération transnationale et le regime-

building. (Lackenbauer, 2008a: 5-6) Prenant l‘exemple de la formule ―use it or lose it‖, il

ne s‘agit de rien d‘autre que d‘un slogan politique. À en croire Kristin Bartenstein, de tels slogans traduisent les intérêts des politiciens et pourraient mener à une interprétation juridique qui affecterait négativement les revendications du Canada sur les eaux de l‘Arctique. (Bartenstein, 2010: 69)

La « rhétorique de la peur » qu‘entretient Ottawa à propos de l‘Arctique pourrait donc servir certains de ses intérêts politiques. (Plouffe & Borlase, 2010) Il pourrait s‘agir du désir de créer une unité nationale plus forte comme le mentionne le PM, ou de renforcer le sentiment d‘appartenance canadien à l‘égard de l‘Arctique, de s‘attirer la faveur des électeurs, et même, de légitimer des projets encore plus concrets comme l‘acquisition d‘équipements militaires. C‘est sur ce dernier point que nous allons nous concentrer dans cette dernière section du mémoire. Afin de nous aider, nous nous inspirerons ce qui est paru dans l‘actualité au moment de la conduite de l‘exercice de souveraineté arctique du Canada en août 2010 puisque ce sujet a été amplement traité par des experts tels que Frédéric Lasserre (2010a), Joël Plouffe (Plouffe & Borlase, 2010), Stéphane Roussel (Castonguay, 2010a), Michael Byers39 (Kennedy, 2010), Whitney P.

39 Notons toutefois que Michael Byers a tenté sans succès de se faire élire au Nouveau Parti démocratique

(NPD) lors des élections de 2008, un parti politique dont les idées sont diamétralement opposées à celle de celui du PM Harper. Bien que nous considérons ses commentaires et son ouvrage Who Owns the Arctic? comme des propos universitaires à part entière ici et tout au long de ce mémoire, nous avons cru nécessaire d‘en faire mention.

118 Lackenbauer (2010) et Rob Huebert (2010).40 La section qui suit, bien qu‘elle ne nous aide pas à démontrer notre hypothèse, nous aide à comprendre les différents rôles possibles du discours politique du gouvernement du Canada par rapport à l‘Arctique. Il ne s‘agit en définitive que d‘une ouverture sur ce qu‘une autre recherche pourrait se concentrer.

3.1. ―Thanks to the rapid response of the Canadian Forces, at no time

did the Russian aircraft enter Canadian sovereign airspace.‖

Cette phrase du premier ministre Harper sous-entend que sans la rapide intervention des FC, les Forces aériennes russes auraient violé l‘espace aérien canadien. (Ibbitson, 2010) C‘est du moins les conclusions que le gouvernement Harper souhaiterait que la population en tire. Pourtant, quiconque désirant vérifier l‘hypothèse du PM Harper s‘apercevra rapidement que les avions russes ne sont que très peu souvent interceptés par les FC. En 2007, les Russes ont repris ces vols arctiques et se sont approchés durant cette année à quatre reprises de l‘espace aérien canadien. En 2008, ce nombre est passé à cinq, puis à trois en 2009. Pour l‘année 2010, en date du 3 septembre, chacun des trois vols faits jusqu‘à maintenant a été intercepté par les CF-18 canadiens. (Pugliese, 2010) Qui plus est, des représentants de NORAD ont eux-mêmes diminué l‘importance donnée par le gouvernement à ces vols en affirmant que « ces exercices sont importants à la fois pour le NORAD et la Russie et ne sont pas une source d‘inquiétude ». [Td. a] (Byers, 2010) Le même type d‘incident s‘était produit en février 2009 alors qu‘à la veille de la première

40 Lasserre, F. (2010). « Le fantasme de la guerre froide », Montréal: Le Devoir, 28 août 2010, [En ligne]:

http://www.ledevoir.com/politique/canada/295161/le-fantasme-de-la-guerre-froide (Page consultée le 29

août 2010); Plouffe, J. & H. Borlase (2010). « L'Arctique de Stephen Harper », Montréal: Le Devoir, 28 août 2010, [En ligne]: http://www.ledevoir.com/politique/canada/295162/l-arctique-de-stephen-harper

(Page consultée le 29 août 2010); Castonguay, A. (2010). « La ruée vers le Nord », Montréal: Le Devoir, 21 août 2010, [En ligne]: http://wwww.ledevoir.com/politique/canada/294786/la-ruee-vers-le-nord (Page consultée le 29 août 2010); Kennedy, M. (2010). ―Harper Must Deliver More than Rhetoric on Arctic Visit: Expert‖, Vancouver: The Vancouver Sun, 23 août 2010, [En ligne]:

http://www.vancouversun.com/news/Harper+must+deliver+more+than+rhetoric+Arctic+visit+expert/3429

648/story.html (Page consultée le 28 août 2010); Lackenbauer, P. W. (2010). ―High Arctic Theatre for All

Audiences‖, Toronto: The Globe and Mail, 24 août 2010, [En ligne]:

http://www.theglobeandmail.com/news/opinions/high-arctic-theatre-for-all-audiences/article1674912/

(Page consultée le 29 août 2010); & Huebert, R. (2010). ―Welcome to a New Era of Arctic Security‖, Toronto: The Globe and Mail, 24 août 2010, [En ligne]:

http://www.theglobeandmail.com/news/opinions/welcome-to-a-new-era-of-arctic-security/article1682704/

visite officielle du président américain Barack Obama, deux bombardiers TU-95 s‘étaient approchés à 192 kilomètres des côtes arctiques canadiennes. À ce moment aussi, le MDN Mackay et ses fabulations alarmistes avaient rapidement été remis à l‘ordre par l‘ancien commandant de NORAD, Gene Renuart41, affirmant que « les Russes s‘étaient conduits de manière professionnelle; qu‘ils avaient respecté les règles internationales de souveraineté de l‘espace aérien et qu‘ils n‘étaient pas entrés dans ni un ni l‘autre des espaces aériens nationaux ». (Byers, 2010)

À la lumière de ces informations et compte tenu du fait que les relations internationales arctiques de la Russie et des autres États n‘ont jamais été aussi bonnes, un courriel de Dimitri Soudas à propos des bombardiers russes et de l‘acquisition par le Canada de 65 nouveaux avions furtifs F-35 nous explique peut-être les objectifs cachés de certains discours de souveraineté arctique (Byers, 2010) :

[N]ew, highly capable and technologically advanced [are] the best plane our government could provide our forces, and when you are a pilot staring down Russian long-range bombers, that‘s an important fact to remember.

C‘est entre autres ce que les partis d‘opposition au parlement canadien croient; que le gouvernement Harper tente de faire avaler aux Canadiens la facture salée de neuf milliards de dollars42 visant à remplacer les CF-18, deux fois plus jeunes que les TU-85 russes, en tentant de les effrayer avec une menace en Arctique. (Byers, 2010; Greenaway & Kennedy, 2010)

Pour Joël Plouffe, spécialiste de l'Arctique à la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'Université du Québec à Montréal (UQAM), on « devrait laisser tomber notre rhétorique musclée et arrêter de jouer les gros bras avec nos voisins arctiques comme le fait le gouvernement Harper, c'est inutile ». Même son de cloche chez Stéphane Roussel, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique étrangère et de défense canadienne à l'UQAM : « C'est bien que le gouvernement se préoccupe de l'Arctique, mais notre choix de mots fait que les autres pays sont un peu

41 Le général quatre étoiles Renuart des Forces aériennes américaines a servi à la tête du NORAD du 23

mars 2007 au 19 mai 2010.

120 inquiets. Nous, on parle de l'agressivité des Russes, mais en Europe, on juge que c'est le Canada qui est agressif! » (Castonguay, 2010a) À la lumière de ces réflexions, le discours de souveraineté du Canada en Arctique et la rhétorique de la peur qui y est utilisée nous portent donc à croire qu‘ils pourraient servir à justifier des investissements militaires, notamment les nouveaux F-35, mais également les nouveaux navires de patrouille. L‘objectif de notre recherche étant plutôt orienté sur les fonctions de construction sociale du discours que sur celle de fournir du capital politique ou de justifier des investissements importants, nous laisserons cette idée au stade de réflexion. Une autre recherche pourrait sans doute s‘y pencher plus en profondeur.