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Qu‘y a-t-il donc à retirer de notre recherche et de notre étude de cas? Le discours politique d‘Ottawa édifie-t-il l‘idée de souveraineté territoriale du Canada en Arctique? Il est assurément difficile de juger si des discours ou des actions prises par le gouvernement canadien, les uns ont été plus importants que les autres. Le poids d‘un discours par rapport à une annonce d‘investissement, ou à la construction d‘un brise-glace est difficile à évaluer. Il est toutefois certain que la construction de la souveraineté s‘est effectuée grâce à l‘ensemble des initiatives d‘Ottawa, quelles soit discursives ou matérielles. Une manière rendant possible une telle évaluation est la comparaison entre ce qui domine les discours et ce qui domine les actions concrètes prises par le gouvernement. En évaluant ce qui parait être le plus important dans les discours, puis dans le comportement d‘Ottawa, nous pouvons faire une comparaison pour les différents facteurs qui composent la construction de la souveraineté arctique. Nous le faisons tour à tour pour les quatre bases argumentaires étudiées.

Ce qui domine les discours comme nous l‘avons vu, c‘est la facette identitaire. La carte identitaire est presque à chaque fois présente en trame de fond afin d‘introduire les arguments de souveraineté du Canada en Arctique des autres bases argumentaires. La carte identitaire justifie également la souveraineté en faisant référence à la présence de Canadiens dans la région, au rôle imaginaire, symbolique et de représentation, spatial ou

géographique du Nord. Les actions et comportements d‘Ottawa du point de vue identitaire sont toutefois plus difficiles à cerner que ce qui est contenu dans le discours.

Il est possible que les mesures concrètes pouvant servir la construction de la souveraineté d‘un point de vue identitaire puissent se traduire par certaines décisions politiques par contre. Il pourrait s‘agir du quatrième pilier de la Stratégie pour le Nord qui vise le transfert de responsabilité et une meilleure gouvernance dans le Nord. Ces initiatives ont toutefois été très timides sous la gouverne du premier ministre Harper, d‘autant plus qu‘il semble que plusieurs mesures dans ce domaine aient été prises avant son arrivée au pouvoir, comme la création du Nunavut ou l‘accord de 2003 au Yukon sur la gestion des terres et des ressources naturelles, laquelle était une compétence fédérale auparavant. D‘autre part, nous pourrions aussi mentionner les différentes mesures socio- économiques visant à hausser la qualité de vie des populations du Nord, mais encore une fois, la relation avec l‘identité n‘est pas évidente. Le discours serait alors à notre avis clairement plus important que le comportement du gouvernement du Canada quant à la facette identitaire de la construction de la souveraineté.

Le deuxième aspect le plus important des discours de souveraineté concerne les questions de sécurité & défense. Ici, et comme dans les deux dernières bases argumentaires, il est plus aisé de comparer les discours aux actions d‘Ottawa. Qui plus est, les questions de sécurité & défense sont ici très présentes à la fois dans le discours et le comportement. Les discours ont porté en général sur deux thèmes, les activités des Forces canadiennes, de la Garde côtière et de la GRC, puis sur leurs capacités. Dans un premier temps, chacun des exercices ou des opérations de souveraineté qui se sont déroulés en Arctique ont servi de base aux discours. Nous pouvons croire ici que ces actions, et ces discours, ont joué un rôle d‘égale importance dans la construction de la souveraineté, puisque sans les discours, les activités en question n‘auraient pas attiré l‘attention, et sans ces dernières, les discours n‘auraient tout simplement pas été possibles. C‘est alors sur le second aspect, soit les capacités du Canada à conduire les exercices et opérations de sécurité & défense, que nous nous tournons pour déterminer qui des discours ou des comportements ont été les plus sujets à l‘édification de l‘idée de

122 la souveraineté. En effet, bien que les annonces et les chiffres les accompagnant soient très impressionnants, se calculant en plusieurs milliards de dollars, presque aucune desdites annonces ne s‘est matérialisée à ce jour. De surcroît, ce sont les plus importantes d‘entre elles comme les acquisitions militaires qui ne sont toujours qu‘au stade de projet ou de contrat et plusieurs années s‘écouleront encore avant que les navires et aéronefs ne patrouillent dans la région septentrionale canadienne. Dans ce sens, nous déterminons qu‘à l‘instar de la facette identitaire, celle de sécurité & défense a en définitive été davantage constructrice de l‘idée de souveraineté à travers le discours, plutôt qu‘à travers le comportement du Canada.

Le troisième élément le plus présent dans les discours de souveraineté est d‘ordre économique. Dans ces derniers, il s‘agit essentiellement de soutenir l‘un des piliers de la

Stratégie pour le Nord portant sur l‘amélioration des conditions socio-économiques des

résidants du Nord. Cela se traduit par de nombreuses références aux investissements, à la création d‘emploi et de débouchés, des différents projets de construction et d‘infrastructures essentielles, lesquelles annonces sont similairement reflétées dans les actions concrètes prises par Ottawa dans le Nord au cours de la même période. Il y a cependant un aspect de la catégorie économique qui semble ne pas se retrouver de manière équivalente entre les discours et les comportements. Il s‘agit de l‘aspect touchant l‘exploration et l‘exploitation des ressources naturelles. En effet, les discours étudiés font régulièrement référence aux ressources ou aux richesses naturelles de l‘Arctique, mais peu d‘entre eux font part de l‘exploration ou de l‘exploitation même de ces dernières, et encore moins de ce qu‘il y a à exploiter, soit les minéraux et les hydrocarbures. D‘un autre côté, les mesures prises par rapport à l‘éventuelle exploitation des ressources du Nord sont bien réelles. Pour le gouvernement du Canada, principalement Ressources naturelles Canada, les initiatives et les préparations pour un éventuel boom de l‘exploration, puis de l‘exploitation des ressources minérales et énergétiques sont tangibles. Les différents programmes de géocartographie, les prises de levés pour le plancher océanique de l‘Arctique, l‘acquisition de véhicules sous-marins autonomes ou la délivrance de 1,8 milliard de dollars en permis d‘exploration pétrolière et gazière dans la mer de Beaufort en sont de bons exemples. Il n‘est pas clair pourquoi les réalisations

concrètes en matière de ressources naturelles dans le Nord semblent être plus abondantes en réalité que dans les discours étudiés, témoignant peut-être d‘un manque de transparence du gouvernement. À la limite, nous pourrions croire qu‘elles sont égales des deux côtés. Néanmoins, il est envisageable que la population canadienne en générale, ou celle du Nord en particulier, n‘envisage pas l‘exploitation de certaines ressources d‘un bon œil, notamment en raison des impacts écologiques ou humains de celle-ci. Par conséquent, le gouvernement du Canada pourrait être motivé à faciliter le développement de ces ressources, sans toutefois en faire de grandes annonces au même titre que l‘achat de brise-glaces ou du renforcement de lois à caractère environnementales par exemple. En somme, pour la facette économique de la construction de la souveraineté arctique, nous croyons que cette fois-ci, les actions auraient davantage eu de poids que les discours, possiblement en raison du désir d‘Ottawa de ne pas attiser certaines inquiétudes de la part de la population, et de son électorat.

La dernière des quatre bases argumentaires est environnementale et tout comme la base argumentaire économique, il n‘est pas évident de dire si ce sont les discours ou les comportements qui sont les plus importants. D‘un côté, il est clair que dans le corpus de discours les références environnementales sont clairement marginales, sinon absentes. De plus, ces références sont souvent très vagues ou générales, parlant de l‘importance de protéger l‘environnement arctique, alors qu‘en réalité, certaines des initiatives sont très concrètes. En effet, de nombreuses mesures ont été prises, principalement en matière de création ou agrandissement de zones protégées, mais celles-ci sont très peu reflétées dans les discours. Notre échantillon de termes et de discours du point de vue environnemental est plus limité que les trois autres, mais il semble évident que plusieurs mesures à caractère environnemental ont été plus significatives en réalité que dans les discours. Un autre exemple est l‘élargissement de la juridiction de la Loi sur la prévention de la

pollution des eaux arctiques qui est une mesure tangible et très révélatrice, mais qui

demeure très peu présente dans les discours. Comme mentionné précédemment, il est réaliste de croire qu‘au contraire des arguments identitaires, économiques ou de sécurité & défense, l‘environnement ne soit après tout pas tant là pour prouver ou établir la souveraineté du Canada en Arctique, mais plutôt pour justifier qu‘elle devrait être

124 reconnue au Canada afin que le pays puisse mieux protéger la région. Dans ce sens, nous pouvons envisager que dans un discours constructeur de souveraineté, l‘argument environnemental ne soit pas aussi important que les trois autres types. En d‘autres mots, pour la facette environnementale, les actions et comportements du gouvernement canadien auraient eu un plus grand impact que ses discours dans l‘édification de l‘idée de souveraineté.

Si l‘on additionne nos conclusions pour les quatre bases argumentaires, nous observons que dans la construction de l‘idée de souveraineté du Canada en Arctique, pour les bases argumentaires identitaire et de sécurité & défense, les discours auraient été plus important que les comportements du gouvernement Harper de 2006 à 2009 alors que pour les bases argumentaires économique et environnementale, c‘est plutôt le contraire qui ce serait produit :

Base argumentaire Discours Comportement

Identité

Sécurité & défense

Économie

Environnement

Tableau 18 - Élément le plus constructeur de l'idée de souveraineté arctique entre 2006 et 2009 pour le gouvernement du Canada

En conclusion, cela demeure très difficile d‘évaluer qui des discours ou des comportements ont été les plus importants dans la construction sociale de la souveraineté arctique du Canada. Ayant tenté cette expérience en prenant les bases argumentaires une à une, nous avons atteint certaines conclusions, mais prenant l‘ensemble des discours en comparaison avec l‘ensemble des comportements, c‘est une autre paire de manches. Néanmoins, considérant que les deux plus importantes bases argumentaires de notre corpus de discours le composent à 65 %, et que toutes deux dominent les comportements, nous pouvons croire que les discours ont aidé davantage la construction de l‘idée de souveraineté que les actions du gouvernement au cours de la période étudiée et pour notre corpus de discours. Ainsi, estimant que les discours politiques d‘Ottawa contribuent à la construction sociale de la souveraineté du Canada en Arctique, et prenant en compte notre évaluation selon laquelle les discours ont été plus importants que les

comportements dans la poursuite de ce même objectif, la réponse à notre question de recherche est encore plus claire : Le discours politique du gouvernement du Canada

joue un rôle essentiel dans la construction de l’idée de sa souveraineté territoriale sur l’Arctique, et ce, en se basant en importante partie sur une base argumentaire identitaire.

CONCLUSION

Les discours du gouvernement du Canada peuvent-ils jouer un rôle dans la construction de l‘idée de souveraineté du Canada en Arctique? Bien sûr. Ces discours d‘affirmation et d‘appropriation des frontières physiques et identitaires de la région nordique du Canada servent en grande partie la solidification de l‘identité nationale canadienne et la représentation que les Canadiens ont de leur territoire national. Le renforcement du sentiment d'appartenance canadien à l'égard de l'Arctique entrepris depuis 2006 par le gouvernement du premier ministre Harper s‘accompagne en outre d‘une série de retombées politiques, sociales, culturelles et économiques qui complémentent la construction discursive de l‘Arctique. (Plouffe & Borlase, 2010) La construction de la souveraineté du Canada en Arctique se fait sur différents plans et certains sont plus propices que d‘autres à être facilité par la rhétorique d‘Ottawa. Du point de vue juridique, le discours tel qu‘étudié ne permet pas d‘aider la construction de la souveraineté. Au contraire, celui-ci pourrait même nuire aux revendications du Canada. (Bartenstein, 2010: 69) Il est également difficile de se positionner sur le point de vue de la sécurité et de la défense étant donné la nature très réaliste et physique de cette dimension. Néanmoins, d‘un point de vue identitaire, social ou politique, les discours d‘Ottawa contribuent à la définition de la nordicité, à l‘« Arctique sublime », au ―True North strong and free‖, et dans l‘élan, à la vision canadienne de sa souveraineté.

En introduction, nous mentionnions qu‘un flou sur la souveraineté que détient un État sur une région géographique donnée pouvait exister si l‘État en question n‘avait pas réussi au fil du temps à faire accepter ou respecter cette souveraineté aux autres États. Selon nous, la quantité importante de discours et le message répétitif et revendicateur de ces derniers démontrent qu‘un tel flou existe quelque part en rapport à la souveraineté du Canada en Arctique, que ce soit dans l‘esprit de la population canadienne, au sein de la communauté internationale ou même à Ottawa. Toutefois, cette incertitude, quelle qu‘elle soit, devient petit à petit chose du passé. Les litiges en place sont maintenant plus clairs que jamais pour chacun des États arctiques et il devient de plus en plus évident que toute confrontation, voire résolution, se fera sur les terrains diplomatique et juridique, et non

pas sur les mers arctiques. Dans ce sens, les efforts du Canada au cours des dernières années aurons permis de nous rapprocher plus que jamais de nos alliés nordiques, autant nationaux qu‘internationaux, et ce, peu importe ce qu‘en pense certains médias avares de sensationnalisme.

Notre intention première était d‘étudier les questions de souveraineté du Canada en Arctique à travers les discours du gouvernement canadien. Nous nous sommes rapidement rendu compte dans notre revue de littérature générale au Chapitre I que le sujet de recherche souhaité était souvent absent ou mal représenté dans les recherches de sécurité et de défense, juridique, politique ou géopolitique. Dès lors, nous avons pris la décision de réunir dans une dernière catégorie ce qui avait été écrit sur les questions de représentations, de discours et d‘identité à propos du Grand Nord canadien. Nous espérons que ce mémoire aura contribué à l‘amélioration de la connaissance dans cette dernière catégorie, ou du moins fait un survol de cette vision discursive que possède l‘Arctique.

Le Chapitre II nous a par la suite servi à faire notre revue de littérature spécifique sur les multiples définitions de la souveraineté, de sa relation avec le territoire, ainsi que sur la manière de comprendre le discours dans l‘approche constructiviste des relations internationales. C‘est de ces concepts clés et de notre intérêt de recherche pour les questions de souveraineté du Canada en Arctique qu‘est née notre question de recherche :

Comment le discours politique du gouvernement du Canada construit-il l’idée de sa souveraineté territoriale sur l’Arctique? En nous servant de la littérature existante sur

la construction sociale du territoire, le concept de territorialité et les différents rôles du discours politique, nous nous sommes donné la mission de les appliquer à la réalité discursive arctique du Canada.

Cette réalité possédant plusieurs fondements, l‘hypothèse suivante nous a permis d‘initier notre étude de cas au Chapitre III : Le discours politique du Canada entre

2006 et 2009 construit l’idée de souveraineté du Canada en Arctique en se basant davantage sur une thématique identitaire plutôt qu’économique, environnementale ou de sécurité & défense. Supposant que le discours d‘Ottawa sur l‘Arctique pouvait

128 jouer plusieurs rôles, notamment la construction sociale de sa souveraineté, nous avons pu étudier de plus près chacun des 79 discours de la période retenue pour en comprendre les fondements. Il s‘est avéré que pour l‘ensemble des discours des principaux représentants du Canada dans l‘arène arctique, soit le premier ministre, le ministre de la Défense nationale, le ministre des Affaires indiennes et du Nord, puis le ministre des Affaires étrangères, l‘argument identitaire a été le plus important d‘entre tous. Néanmoins, cet argument n‘a pas été assez important dans l‘ensemble pour confirmer notre hypothèse.

Ensuite, tel que vu au Chapitre IV, il apparait que des discours faits par Ottawa de 2006 à 2009, les bases argumentaires du gouvernement canadien par rapport à l‘Arctique ont délaissé une rhétorique militaire pour trouver une sorte d‘équilibre entre les questions d‘ordres socio-économique, juridique et politique. Ainsi, bien que la base argumentaire identitaire soit importante pour chacun des thèmes, elle servirait souvent de trame de fond pour la justification de nos revendications territoriales septentrionales. Les discours à saveur identitaires occuperaient alors d‘autres fonctions comme le renforcement de l‘unité nationale, du sentiment d‘appartenance au Canada et à sa région nordique, au gain de capital politique, et même, à la justification d‘acquisitions militaires.

Malgré les quelques dérapages, notamment en 2010, sur une éventuelle menace russe, le discours de souveraineté arctique du gouvernement canadien a gagné en maturité au cours des ans, notamment grâce à la mise en place de la Stratégie pour le Nord et de l‘Agence canadienne de développement économique du Nord. En s‘appuyant sur l‘importance que représente les nations nordiques canadiennes pour le reste du pays, en démontrant son sérieux quant à la protection du fragile environnement Arctique, en contribuant activement au développement économique du Nord, ou en étant de plus en plus présent dans la région, que ce soit avec les Forces canadiennes ou la Garde côtière, Ottawa poursuit sans équivoque plusieurs objectifs de ses discours. Par conséquent, le discursif et la rhétorique travaillent de pair avec les actions politiques, militaires, économiques, sociales et juridiques prises dans le Nord. Qui plus est, cette combinaison nous renvoie aux deux rôles du discours tels que présentés au Chapitre II. Les discours de

souveraineté arctiques du Canada auront certainement servi, parfois avec l‘aide des médias, à mieux faire comprendre l‘Arctique et ses enjeux aux Canadiens. Ils auraient donc joué un rôle descriptif. Plus important encore, ces discours auront joué un rôle performatif par la construction sociale de la souveraineté.

Ce mémoire aurait certainement pu être fait de diverses autres façons, en choisissant un autre corpus de discours par exemple. Il aurait en effet été envisageable d‘un choisir un corpus plus restreint et s‘étalant sur une plus grande période. Nous aurions également pu axer l‘étude de cas sur la comparaison entre les discours d‘un gouvernement avec un autre, même avec ceux d‘un autre État arctique. Il aurait également été possible de procéder de manière différente pour la comptabilisation et l‘analyse des résultats. Nous aurions pu nous en remettre entièrement à un logiciel, ou bien favoriser une autre approche que celle thématique et lexicale. Il aura également été possible de se concentrer davantage sur la manière dont les discours ont été faits, c'est-à- dire sur la forme plutôt que sur le fond. Toutefois, avec un peu de recul, nous croyons tout de même avoir fait les bons choix dans le déroulement de notre étude de cas étant