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NOYAU ŒDIPIEN TYPIQUE

Le conflit sexuel de la névrose se situe donc au niveau génital de l’Œdipe même si les aptitudes défensives conduisent à emprunter les voies de régres-sions prégénitales (anales voire orales). Le conflit chez le garçon découle de la rivalité œdipienne avec le père dans le projet de conquête de la mère. Ce projet est abandonné en fonction à la fois des sentiments tendres existants vis-à-vis du père et de la crainte de mesure de rétorsion de ce dernier (castration).

Joue enfin et surtout la place du père dans la tête de la mère.

L’interdiction du père est intériorisée, aussi on dit que le Surmoi est «l’héri-tier du complexe d’Œdipe». En même temps l’identification à ce dernier projette sur l’avenir la possession de la femme. La masturbation infantile, sorte de participation hallucinatoire à la scène primitive, montre déjà l’impli-cation d’une omnipotence sans faille du désir qui semble donner raison au Surmoi. Sa reviviscence à l’adolescence se trouve ainsi sous le coup d’une culpabilité considérable; la crainte de destruction ou de maladie des organes génitaux, en relation avec la masturbation, est l’expression la plus évidente de l’angoisse de castration. Chez la fille la position n’est pas exactement symé-trique en raison du changement d’objet (des soins maternels à l’amour du père) et de la castration anatomique.

Identifications œdipiennes

L’identification du petit garçon au père et de la petite fille à la mère sont les héritiers les plus évidents du complexe d’Œdipe. En réalité, ce ne sont pas les seules issues et la mise en place de cet héritage reste hautement problématique.

Tout d’abord ce mode de résolution du complexe d’Œdipe reste partiel, le désir incestueux subsiste quoique déplacé (cf. «Le blé en herbe» ou «Le dernier tango à Paris») et c’est lui qui tombe sur le coup du Surmoi. Vu sous cet angle, les identifications aux parents du même sexe ne constituent qu’un destin particulier de l’investissement libidinal, insuffisant par rapport au retour inlassable de la pulsion dans son destin incestueux. Une des raisons en est que ces identifications «homosexuelles» ne vont pas de soi et sont même radicalement remises en cause, dans les deux sexes, et pour des raisons différentes.

Chez le garçon d’abord, l’identification au père met en question l’Œdipe inversé, c’est-à-dire la position féminine du petit garçon vis-à-vis du père. Or cette position est difficilement tolérée dans la mesure où elle stipule la castration.

Chez la fille, l’identification à la mère œdipienne n’est pas simple non plus car dans son ombre se profile l’image de la mère phallique préœdipienne. En

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particulier l’identification homosexuelle a beaucoup de mal à faire sa place au travers des arcanes de la maîtrise et de la dépendance qui caractérisent cet imago.

Mais il existe une troisième issue, sorte de voie de traverse qui prend une place considérable, c’est l’identification au parent du sexe opposé.

Qu’elle soit l’héritière naturelle de l’Œdipe inversé ne suffit pas à en rendre compte. Sa place est telle dans l’issue de l’Œdipe qu’on doit même à son propos parler d’identification œdipienne directe quoique hétérosexuelle. En effet, s’il y a renoncement à la réalisation incestueuse, l’identification hétéro-sexuelle n’en permet pas moins de conserver des liens privilégiés avec le parent œdipien ou du moins avec son image.

Il n’est pas question de considérer ce type d’identification comme patholo-gique. Il est en réalité très nécessaire à l’accomplissement de la vie libidinale hétérosexuelle: le coït dans les deux sexes nécessite en fait les deux types d’identification féminine et masculine. Il ne préjuge pas non plus de l’identifi-cation homosexuelle qui l’accompagne.

Ainsi certaines femmes, viriles dans leur vie sociale, n’en conservent pas moins dans le même temps une position féminine dans leur vie privée. À l’inverse, lorsque l’identification homosexuelle n’est qu’ébauchée, la féminité est revendiquée sur le plan social pour éponger l’échec, la virilité sur le plan privé pour l’assurer.

Si certains hommes craignent de perdre leur virilité en mettant un tablier de cuisine, d’autres revendiquent et réalisent «leur maternité» auprès de leurs enfants. Ces attitudes dans un sens comme dans l’autre ne préjugent en rien de celles qu’ils peuvent avoir en position virile.

Mais là encore, il faut faire une distinction entre les hommes et les femmes.

En effet, l’identification virile de la femme est essentiellement œdipienne, c’est-à-dire proche de son issue génitale, d’où la prépondérance des phéno-mènes hystériques chez la femme. Chez l’homme, l’identification maternelle comporte de tels relents de la phase préœdipienne que l’identification hétéro-sexuelle est saturée en imagos beaucoup plus archaïques. L’analité défensive et en même temps identificatoire à la maîtrise de la mère phallique prend une place prépondérante, d’où l’issue préférentielle vers la névrose obsessionnelle et son lâchage que représentent les perversions.

La bisexualité, enfin, explique qu’on peut inverser toutes les situations décrites et que l’hystérie et la névrose obsessionnelles, s’ils sont statistique-ment prépondérants, la première chez la femme et la seconde chez l’homme, n’en coexistent pas moins dans un sexe comme dans l’autre.

Le pulsionnel œdipien

Mais il faut aller bien au-delà encore et décrire deux destins très différents de l’omnipotence pulsionnelle.

D’une part, le Moi-pulsion ne cessera jamais de revendiquer son inextinguible soif d’exister à travers la réalisation de ses désirs pulsionnels et narcissiques.

Cet attelage possède en lui-même une contradiction qui ne manquera pas de

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faire problème même si les premières acquisitions de l’enfant semblent pouvoir rallier les deux points de vue. Le pulsionnel devient inévitablement trop encombrant pour un Moi qui ne peut pourtant exister sans lui. Cette catastrophe latente, qui alimente la partie dépressive chère aux Kleiniens, utilise toutes les issues pour s’en sortir: projection, refoulement et organisa-tion du noyau hystérique.

En somme, après une période de connivence du pulsionnel et du narcissique, leur cohabitation devient problématique et provoque la mise en place de systèmes de défenses très diversifiés face aux angoisses et à la dépression latente qui en résulte.

Mais, d’autre part, ces aménagements seraient encore insuffisants si le Moi-pulsion n’avait dû abandonner une partie de son emprise à une fonction narcissique autonome. Il trouvera preneur dans la démarche quasiment cons-ciente du «bébé explorateur» qui utilise dès la naissance ses autres orifices (nez, yeux, oreilles) pour explorer le monde. La toute puissance envahira progressivement cette investigation au nom d’un soi créatif qui veut exister par lui-même et arrive à se décaler de la pure satisfaction au profit de la seule omnipotence. Le pur plaisir de s’opposer au monde par le «non» (18 mois) devient une satisfaction suffisante qui, au-delà de la réalisation du désir, intro-duit dans ce décalage la toute puissance de la pensée. Vécue d’abord dans l’agir (et l’inconscient) elle pourra, éventuellement, être récupérée par la pensée dans un après coup plus significatif ouvert sur toutes les élaborations possibles.

Le monde obsessionnel, caractérisé par la folie du doute, est l’expression de cette folie omnipotente de la pensée qui peut faire du rationnel un rejeton beaucoup plus fou qu’on pourrait le croire (Edgar Morin) et arrime du même coup le contrôle omnipotent à un développement naturel de l’insatiable pulsionnel.

On peut ainsi décrire deux lignées (Platon n’a-t-il pas parlé de l’hybris du haut et de l’hybris du bas?):

– Celle de la toute puissance de la pensée qui plonge ses racines dans l’inconscient beaucoup plus qu’on pourrait le croire (la pulsion épistémophi-lique de Bion) et donne lieu à toutes les formations de caractère, et au caractère lui-même qui constituera un des éléments essentiels de la personna-lité, allant des organisations obsessionnelles au fanatisme ordinaire. Cette partie peut subir des aménagements mais constituera un socle dont la plasti-cité restera aléatoire tant le narcissisme a besoin de s’y accrocher pour assurer la continuité de lui-même. Freud parlera des pulsions de Moi. On comprendra que cette position «narcissique» devienne un refuge en soi dès lors que le conflit œdipien a de la difficulté à être abordé (traumatisme psychique lié à un émoi pulsionnel précoce et excessif).

– Celle du noyau hystérique qui, à l’abri de l’inconscient secondaire (celui de la première topique), continuera de se développer:

• D’une part, avec le théâtre inconscient du conflit œdipien mais aussi des éléments préœdipiens préalables qui ne font parler d’eux d’une manière évidente qu’à travers les séquelles de traumatismes ou de carences graves

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subies peut-être même déjà in utero (J. Bergeret et M. Houser). Freud, n’a-t-il pas découvert l’inconscient grâce au préalable du Préconscient traumatique?

• D’autre part, avec l’émergence de l’autoérotisme qui est à la charnière à la fois du Moi et de l’extérieur, du corps et de la pensée, de l’inconscient et du conscient. C’est dire son importance capitale dans le développement du Préconscient.

On comprendra aussi que le noyau hystérique, moins inconscient qu’on ne pourrait le croire, et la toute puissance de la pensée, beaucoup plus incons-ciente qu’on ne pourrait le croire, développent des relations plus ou moins inextricables dans lesquelles l’un peut habiter dans l’autre (n’est-ce pas cette confrontation qui peut produire aussi bien un symptôme, une œuvre, ou un caractère?). Même si la plupart du temps, on peut repérer en soi les moments de notre hystérie dont la créativité peut du moins se régaler d’un exhibition-nisme profitable, et les moments où notre rumination «fanatique» plus ou moins obsédante ou obsessionnelle nous ronge de l’intérieur.

Il est également possible d’envisager l’hypothèse de dissociations extrêmes entre ces deux lignées lorque, pris dans un naufrage, le psychisme ne sait plus à quel saint se vouer, le corps voulant sa vie de son côté et la pensée de l’autre, cela dans un brouillard intense pouvant aller du dédoublement des imagos au dédoublement du Moi. Toute une gamme de dissociations moins traumatiques peuvent se produire jusqu’à la dissociation créative qui fait de l’inspiration une sorte d’émergence productrice du noyau hystérique dont il est possible de garder le contrôle, tout en se laissant porter par une force qui vient de nous sans être tout à fait nous-mêmes.

Castration œdipienne

La castration œdipienne s’incruste bien évidemment dans le destin biologique de la différence des sexes et le Surmoi masculin en conservera une rigueur que n’atteint pas son homologue féminin. En réalité la crainte concernant l’intégrité corporelle de son appareil génital existe aussi chez la femme et elle est décuplée vis-à-vis de sa progéniture.

Cette crainte de la mesure de rétorsion ne doit pas faire oublier le contexte de la maturation œdipienne ni les résonances qu’entraîne la castration dans l’organisation psychique et l’univers qui en découle. On peut reconstituer cette maturation, au travers des arcanes du refoulement, comme un renonce-ment à la toute puissance infantile de possession incestueuse, au moins pour partie, au profit de l’acquisition d’un Surmoi plus ou moins rigide et d’identi-fications plus ou moins problématiques. Ceci avec pour corollaire chez l’homme: je n’ai pas «le» phallus, et chez la femme: je ne suis pas «le»

phallus (cf. l’économie hystérique). En réalité, il s’agit là d’une première approximation car ce serait ne pas tenir compte du formidable renversement que comporte cet échange de «bon procédé».

D’une part, le psychisme ne se résout jamais à se déposséder complètement d’un de ses moyens d’action — et encore le fait-il douloureusement. Ainsi la mégalomanie est un personnage, qui pour rester dans l’ombre, n’a de cesse de s’aménager un nouvel emploi (par exemple au niveau de l’Idéal du Moi).

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D’autre part, l’entrée dans l’Œdipe — soit dit en passant une fois rentré dans l’Œdipe, on n’en sort plus, la névrose s’aménage, l’Œdipe ne se résout pas — est le début d’une histoire singulière dans la mesure où les personnes qui y sont impliquées sont elles-mêmes individualisées. Les schémas d’organisa-tions psychiques ne sont que des bornes autour desquelles s’entremêlent les destinées humaines et c’est en ce sens que la névrose constitue un destin spécifique et une porte d’entrée dans la finitude. L’acceptation de l’apparte-nance à un seul sexe et de l’irréductible issue mortelle en sont de surcroît les jalons principaux.

Mais la finitude est aussi le témoin de la démarche à rebours du psychisme humain qui ne peut communiquer avec le monde qu’après s’être préalable-ment enraciné dans un univers qui lui est propre, donnant lieu, fût-ce à travers des vestiges épars, à une véritable mythologie individuelle.

C’est en ce sens que, malgré les apparences, la psychanalyse n’est pas une aventure autour du nombril, en ce sens que, seule, la singularité authentique d’une œuvre d’art débouche sur l’universel.

Ainsi, le conflit entre le Surmoi et les pulsions sexuelles n’est que la trame la plus évidente sur laquelle se construit la névrose. Le refoulement qui en est la première conséquence, souvent dépassé par les événements, laisse place au symptôme qui n’est pas seulement une formation de compromis entre la pulsion et la défense mais une nécessité absolue de sauvegarde du narcissisme (insurrection plus ou moins hystérique).

Le théâtre inconscient est ainsi en crise perpétuelle dont la plasticité est la qualité essentielle. Les symptômes correspondent à une créativité prise de court qui recourt à des procédés d’urgence et par conséquent simplistes et inévitablement castrateurs. Ces trop pleins, exemplaires par leur banalité, sont des créations paradoxales qui, pour lutter contre l’impossible reddition de l’insatiable, s’automutilent par une sauvegarde rudimentaire et sont en défini-tive essentiellement des abcès de fixation. Les nécessités de cette contradiction vécue dans l’alternance de plaisir et de douleur (la belle indiffé-rence de l’hystérie n’y échappe pas non plus), permet de comprendre à quel point le psychisme use des symptômes jusqu’à la corde et combien par consé-quent ils ont la vie dure.