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9 NOTION DE STRUCTURE

J. BERGERET

On ne peut raisonnablement définir un tableau clinique particulier sans se référer à une conception claire et précise de l’organisation économique profonde du patient sur le plan psychique et sans se référer aussi à des repères structuraux connus pour leur stabilité. C’est ainsi seulement qu’il devient possible de se faire une idée de la façon selon laquelle le psychisme du malade est organisé et doit, en conséquence, se trouver à la fois compris et traité.

Une certaine confusion n’a cessé de régner au cours des dernières décennies sur les sens donnés aux qualificatifs de «névrotique» ou de «psychotique»:

On parle trop souvent de symptôme «psychotique» en pensant au délire ou à l’hallucination, ou de symptôme «névrotique» en pensant à la conversion hystérique, au rituel obsessionnel ou au comportement phobique. Il y a là d’abord un risque d’erreur de diagnostic: un épisode délirant peut se rencon-trer en dehors de toute structure psychotique; une phobie n’est pas toujours (et même assez rarement) d’étiologie névrotique, etc. Ensuite, et surtout, le symptôme présenté ne doit être considéré que selon sa valeur relative, rela-tionnelle et économique, dans le jeu des défenses par exemple. Il paraît prudent pour toutes ces raisons, tant qu’on ne se trouve pas certain d’un diagnostic structurel profond, de se contenter, dans un premier temps, d’employer des formules d’attente assez souples comme, par exemple, symp-tôme «d’allure névrotique» ou symptôme «d’allure psychotique» de manière à bien manifester notre réserve et notre souci de recherche, avec davantage d’exigences, du mode d’organisation économique profonde envi-sagé. Ceci n’a rien à voir avec un stérile besoin de classification rassurante mais commande au contraire une meilleure compréhension des processus psychiques déterminant l’attitude réelle du malade à son propre égard et à l’égard des autres, et du même coup sa relation au thérapeute telle que nous devrons la concevoir, la subir et l’utiliser.

La même confusion semble jouer au niveau des défenses. Il n’est pas rare en effet de rencontrer des défenses de type dit «névrotique» (y compris des symptômes) dans le système de protection des structures psychotiques vraies contre la menace d’éclatement; ou inversement de reconnaître des défenses de type «psychotique» (y compris des symptômes) dans le camouflage de l’origine œdipienne des conflits au sein d’une véritable structure névrotique, ou tout simplement à l’occasion de la «déstructuration» aiguë et passagère (traumatique ou même thérapeutique) de n’importe quelle organisation. Il semble préférable de parler dans tous ces cas de défenses «de mode

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tique» ou «de mode psychotique» de manière à ne pas anticiper fâcheusement et faussement sur le diagnostic structurel authentique.

Une autre confusion touche à la chronologie, à l’étiologie, au moment de l’histoire du patient où nous allons employer les termes de «névrotique» ou de «psychotique», en fonction de la signification historique et économique de l’épisode présenté.

Ce qu’on connaît du contexte habituel à certains mécanismes de défense, ou bien ce qu’on sait du sens courant donné à un certain niveau régressif du Moi ou de la libido nous conduit parfois à parler trop vite de «structure névro-tique» ou de «structure psychonévro-tique», ou plus simplement de «névrose» ou

«psychose», dès qu’on rencontre un épisode au cours duquel émergent de tels mécanismes ou de telles régressions.

On anticipe de la sorte dangereusement sur la notion de structure en qualifiant déjà de «névrotique» ou de «psychotique» un état momentané de l’évolution (ou de la révolution) d’une personnalité, état encore bien inconsistant et bien incertain, au cours duquel le Moi n’a pas encore entièrement achevé sa matu-ration, établi solidement sa complétude et ses limites, ni fait un choix non plus de façon définitive parmi les mécanismes de défense auxquels on aura recours par prédilection pour commander sa relation d’objet intérieure.

À l’extrême, l’erreur et surtout la précipitation que nous dénonçons conduit à désigner en terme de «structures» une indifférenciation somato-psychique plus ou moins partielle et encore mal dépassée.

Un tel emploi de termes se référant à un mode d’organisation ultérieur et non atteint, plus élaboré et beaucoup plus fixé, constitue pour le moins une antici-pation (et souvent une erreur de pronostic) susceptible de créer un certain nombre de confusions relationnelles, sociales et thérapeutiques. Quand une étiquette, parfois redoutable, a été placée à la tête de tel lit, il est par la suite difficile au patient d’échapper au rôle que tout le système médical, social ou éducatif lui a proposé. S’il s’y oppose, par son comportement ou une évolu-tion non conforme aux prévisions, on risque de prendre sa légitime protestation pour une agressivité qu’on supporte mal narcissiquement et qu’on se sent conduit à réprimer.

Ce cas est courant chez les enfants ou les adolescents présentant des signes extérieurs pouvant évoquer la lignée psychotique. C’est aussi le cas, chez l’adulte, de certains états passagers avec des identifications mouvantes, ou même un relatif flottement du sens de l’identité, par exemple dans la période qui suit un accouchement, un traumatisme, une intervention chirurgicale (à cœur ouvert en particulier). Tout ceci peut amener quelques modifications du schéma corporel et mobiliser aussi des décharges pulsionnelles importantes sans qu’il soit possible de parler de fond structurel psychotique. Il ne s’agit que d’un simple épisode, souvent sans suite, n’engageant pas la structure.

Même les termes de «prépsychose» ou de Moi organisé de façon «prépsy-chotique» ou «prénévrotique» ne peuvent convenir. Ces appellations doivent être rigoureusement réservées déjà à des lignées structurelles dont on est déjà certain qu’elles ont toutes les chances de demeurer définitivement fixées à

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l’un ou l’autre mode d’organisation et d’évolution tels que nous les définirons plus loin.

Les deux termes de «névrotique» ou «psychotique» (ou plus simplement névrose ou psychose) s’emploient également de façon habituelle pour dési-gner une maladie, c’est-à-dire l’état de décompensation visible auquel est arrivée une structure par la suite d’une inadaptation de l’organisation profonde et fixe du sujet à des circonstances nouvelles, intérieures ou exté-rieures, devenues plus puissantes que les moyens de défense dont il dispose.

Si le diagnostic est posé correctement quant aux données économiques profondes, et non seulement sur des signes extérieurs de surface, l’emploi des termes «névrotique» ou «psychotique» se trouve ici légitime dans la mesure où il se réfère justement à la structure authentique du patient.

Mais en dehors du problème des malades en évolution ou en traitement, il existe de nombreuses façons d’utiliser à bon escient les qualificatifs de

«névrotique» ou de «psychotique», en se référant justement à la notion de structure dont la maladie n’est qu’un des aléas évolutifs, mais non le seul.

S. Freud, dans ses «Nouvelles Conférences», nous dit que si nous laissons tomber à terre un bloc de minéral sous forme cristallisée, il se brise, mais pas d’une façon quelconque; les cassures s’opéreront selon des lignes de clivage dont les limites et les directions, bien qu’invisibles extérieurement jusque-là, se trouvaient déjà déterminées de façon originale et immuable par le mode de structure préalable dudit cristal.

Il en serait de même pour la structure psychique. Peu à peu, à partir de la nais-sance (et sans doute avant), en fonction de l’hérédité pour certains facteurs, mais surtout du mode de relation aux parents dès les tout premiers moments de la vie, des frustrations, des traumatismes et des conflits rencontrés, en fonction aussi des défenses organisées par le Moi pour résister aux poussées internes et externes et des pulsions du Ça et de la réalité, peu à peu le psychisme individuel s’organise, se «cristallise» tout comme un corps chimique complexe, tout comme un cristal minéral, avec des lignes de clivage originales et ne pouvant plus varier par la suite.

On aboutirait ainsi à une véritable structure stable dont les deux modèles spécifiques sont représentés par la structure névrotique et la structure psychotique.

Tant qu’un sujet répondant à l’une ou l’autre structure n’est pas soumis à de trop fortes épreuves intérieures ou extérieures, à des traumatismes affectifs, à des frustrations ou à des conflits trop intenses, il ne sera pas «malade» pour autant. Le «cristal» tiendra bon. Mais si, à la suite d’un événement quel-conque, le «cristal» vient à se briser, cela ne pourra s’effectuer, que selon les lignes de force (et de rupture) préétablies dans le jeune âge. Le sujet de struc-ture névrotique ne pourra développer qu’une névrose et le sujet de strucstruc-ture psychotique qu’une psychose. De la même façon, inversement, pris en traite-ment à temps et correctetraite-ment soignés, le premier sujet ne pourra se retrouver en bonne santé qu’en tant que structure névrotique à nouveau bien compensée, et le second qu’en tant que structure psychotique à nouveau bien compensée. Cette façon de voir les choses ne doit conduire à aucun jugement

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pessimiste; il s’agit d’une simple prise de conscience des réalités psychologi-ques universelles et quotidiennes.

La stabilité des structures vraies implique également du même coup une impossibilité foncière de passer de la structure névrotique à la structure psychotique (ou inversement) à partir du moment où un Moi spécifique est organisé dans un sens ou dans l’autre. La plus «névrotique» des psychoses et la plus «psychotique» des névroses n’arriveront jamais à se rencontrer sur une lignée commune d’organisation du Moi. Dans la structure névrotique, l’élément immuable demeure l’organisation du Moi autour du génital et de l’Œdipe; le conflit se situe entre le Moi et les pulsions, le refoulement des représentations pulsionnelles domine les autres défenses; la libido objectale se trouve en cause et le processus secondaire conserve un rôle efficace respec-tant la notion de réalité. Dans la structure psychotique au contraire, un déni (et non un refoulement) porte sur toute une partie de la réalité, c’est la libido narcissique qui domine, le processus primaire qui l’emporte avec son carac-tère impérieux, immédiat, automatique; l’objet est fortement désinvesti et il apparaît, selon les formes cliniques, tout un éventail de défenses archaïques coûteuses pour le Moi.

Bien sûr, en psychopathologie, il n’existe pas que les deux seules lignées psychotiques et névrotiques. D’autres organisations seront décrites plus loin comme occupant une position intermédiaire entre la structure névrotique stable et la structure psychotique stable: il s’agit de toute la vaste catégorie des états limites avec leurs aspects dépressifs ou phobiques et leurs aménage-ments dérivés sous forme de perversions ou de maladies du caractère.

Mais «position intermédiaire» veut dire ici situation nosologique proche de l’une ou de l’autre des deux grandes structures tout en demeurant entité spéci-fique et en ne pouvant nullement constituer un terme de passage de l’une à l’autre des structures étudiées plus haut.

Par contre, cette lignée intermédiaire se présente comme une organisation plus fragile que les deux autres structures et non comme une «structure»

authentique, fixe et irréversible. Si l’expérience clinique confirme que ni la structure psychotique ni la structure névrotique ne peuvent évoluer vers d’autres lignées structurelles, cette même expérience clinique montre (v.

ch. 7) que la lignée intermédiaire, organisation plus ou moins confortable et non réellement structurée au sens figé du terme peut par contre, à tout moment, se cristalliser définitivement dans l’un des cadres voisins et plus solides constitués par la lignée névrotique ou la lignée psychotique.

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BIBLIOGRAPHIE

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GREEN (A.) — Pour une nosographie psychanalytique freudienne. Conf. lnst.

Psychanal., Paris, 1962.

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