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NOTION DE NÉVROSE

La névrose est apparue relativement tard dans les descriptions cliniques et seulement à la fin du siècle dernier. Cette entité clinique a eu beaucoup de mal à se dégager:

– Des maladies nerveuses proprement dites (épilepsie, maladie de Parkinson).

– De la folie elle-même, qu’en terme scientifique nous appelons psychose.

La névrose a en définitive acquis ses lettres de noblesse avec la psychanalyse.

Actuellement, cette entité a encore beaucoup de mal à récupérer une défini-tion tant du point de vue théorique que clinique, d’autant plus qu’on peut penser qu’en dehors des psychoses et des états limites, elle concerne la plupart des structures courantes de la personnalité. De plus, si l’on a accordé une grande importance à la classification américaine (DSM), on peut dire mainte-nant qu’elle correspond à une autre culture psychologique et psychiatrique.

Il est vrai que toute définition de la névrose est hypothéquée par une ambi-guïté essentielle: Parle-t-on d’une névrose individuelle ou d’une névrose familiale? Notre option se situe dans une vision unitaire de la névrose. Les chemins qui nous permettront d’y parvenir demandent dans un premier temps du moins de les distinguer car il va de soi qu’une névrose individuelle prend une connotation particulière dans le cadre d’une névrose familiale.

Névrose individuelle

Acception classique de la névrose ou névrose selon la première topique freudienne

Elle est toute entière fondée sur le principe du refoulement hystérique. Ainsi Freud, dans le cas Elizabeth Von Ritter, raconte l’histoire d’une femme qui se surprend à penser que son beau-frère sera «libre» après le décès de sa sœur.

Cette pensée insupportable est refoulée et ne laissera apparaître des rejetons symptomatiques qu’après la mort de sa sœur. Freud les décryptera et permettra à Elizabeth de remonter jusqu’à la motion refoulée.

D’où cette idée simple, référence implicite majeure de la névrose: puisque la prise de conscience permet de guérir les symptômes, la névrose est le produit du refoulement, un refoulement qui concerne essentiellement la sexualité.

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En réalité la situation n’est déjà pas aussi simple car cette conception hysté-rique utilise sans y prendre garde et sans en tirer de conséquences l’arrière fond œdipien et le désir incestueux.

Elizabeth ne perçoit pas seulement un désir sexuel inavouable, elle rejoue un scénario œdipien triangulé qui comporte un désir incestueux tout à fait essen-tiel et qui risque de passer inaperçu. «L’incestueux» représente un au-delà du sexuel que seule la deuxième topique freudienne peut appréhender dans toute sa dimension d’où les illusions théoriques et thérapeutiques de la conception hystérique simplifiée de la première topique.

Conception contemporaine de la névrose ou névrose selon la deuxième topique freudienne

Sa symptomatologie est beaucoup plus floue d’où une très grande difficulté diagnostique. On est en général en face d’un malaise où se confondent avidité et frustration au point que dans un premier temps du moins on pourrait consi-dérer que la névrose se caractérise par une volonté de récupérer à tout prix les jalons manquants d’une évolution libidinale bien conduite.

Les avatars pathologiques ne seraient, dans cette perspective, que les aléas inhérents à la constitution des destins vitaux.

Un premier point de repère se dessine cependant d’une manière plus ou moins évidente mais toujours perceptible: le caractère insatiable de la demande d’une avidité telle qu’aucune «revanche» n’est jamais capable d’y faire face.

Cette quête insatiable peut prendre des formes extrêmement variées aussi bien hystériques que caractérielles, voire paranoïaques a minima. À l’inverse la dépression névrotique peut être au premier plan cachant mal une quérulence rageuse, enfermée dans «le tout ou rien» ou bien encore tapie dans une omni-potence passive plus ou moins obsessionnelle et difficile à débusquer. Ce repérage fondamental ne doit pas faire oublier l’étendue de la légitimité revendicative. Le renoncement par le «désêtre» n’est pas un programme acceptable dans le destin névrotique. Par contre la prise en compte de cette double polarité permet d’envisager les carences, voire les traumatismes infan-tiles, d’une manière plus ouverte et de réenvisager d’un autre œil les causes infantiles censées pouvoir tout expliquer. Ainsi les conséquences des frustra-tions infantiles apparaissent davantage comme des manques à élaborer, des difficultés à mettre en route un travail de deuil que comme des ressorts impé-nitents et refoulés.

Inconscient de la névrose

Un inconscient double. L’inconscient secondaire de la première topique, produit du refoulement. L’inconscient primaire dont l’émergence essentielle est le Ça.

Le Moi devient partiellement inconscient, l’érotisation d’un Surmoi sadique en fait un comparse encombrant et les forces névrotiques ne sont plus seule-ment le produit secondaire du refouleseule-ment mais bel et bien en prise directe avec le Ça dans sa toute puissance désordonnée. C’est l’énergie libre.

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© MASSON. La photocopie non autorisée est un délit.

Le repérage de l’omnipotence pulsionnelle pourra être décrit sous forme de violence fondamentale (J. Bergeret). Donc, avant l’émergence de la sexualité infantile.

Le repérage de la dépendance, à la fois refusée et forcenée, une sorte d’attitude régressive que d’aucuns décriront telle une libido en quête d’objet (Fairbairn).

Ces deux points de vue qui nous ont paru repérer les mouvements essentiels de l’avidité apparente prennent une forme particulière dans l’inconscient.

Ils constituent d’abord deux types de relation d’objet bien différents qui, comme Freud semble l’anticiper dans son article de 1914 «Pour introduire le Narcissisme», préfigurent une sorte d’empreinte préalable à la constitution triangulaire de l’Œdipe. Plus encore leur condensation concourt naturellement au désir incestueux: comment en effet l’enfant, privé d’arguments biologiques convaincants aurait-il l’outrecuidance de s’immiscer dans la problématique des désirs parentaux?

Il lui faut de solides raisons telles la conjugaison d’une omnipotence pulsion-nelle sans borne et d’une volonté forcenée de retour à une dépendance de type fœtal1.

Ainsi le désir incestueux fondateur de l’Œdipe est le prototype de la névrose typique.

Formations incestueuses symboliques

Déjà fort complexe la situation se complique souvent dans la mesure où les rejetons incestueux ne sont plus seulement des éléments plus ou moins régres-sifs d’un conflit œdipien mal engagé, peu conflictualisé, à peine ou pas du tout élaboré mais des phénomènes actifs issus de l’inconscient des parents et qui produisent ce que nous pourrons appeler des «formations incestueuses symboliques» qui figent les processus d’identification dans des systèmes de répétition plus ou moins inextricables.

1. Plusieurs remarques peuvent être faites à ce sujet: a. On sait qu’il existe un débat entre les tenants d’un Œdipe génétique et ceux qui considèrent au contraire que l’Œdipe se reconstitue à chaque génération, position, pour le moins, plus vivante. L’hypothèse formulée d’une sorte d’empreinte préalable de l’Œdipe pourrait constituer une voie d’exploration. b. Devant l’absence de détermination instinctuelle chez le petit de l’homme, il semble n’y avoir que deux voies possi-bles: – celle de l’investissement pulsionnel: une sorte de «tout pulsionnel omnipotent»; – celle du retour à la dépendance absolue. c. C’est bien ce qui est noté chez l’enfant qui passe du caprice omnipotent à la soumission la plus totale. Comme s’il était livré aux extrêmes tant qu’il n’a pu introjecter des identifications plus stables. On peut même se demander si ces allers et retours de la toute puissance à la dépendance la plus absolue ne caractérisent pas le temps de l’enfance à la fois si dramatique et si long. d. Enfin, dans le débat qui oppose les tenants du «tout objectal» dès la naissance (kleiniens) et les autres, plus freudiens, qui tiennent au narcissisme anobjectal («Mais s’il existait, comment serait-il possible de s’en sortir un jour…?» émettent avec raison Laplanche et Pontalis dans le Vocabulaire de la psychanalyse), la solution de deux positions anobjectales avec oscillation de l’une à l’autre, pourrait apparaître comme une issue d’autant plus envisageable qu’elle contient à la fois une dynamique interne et leur propre garde-fou. Ainsi l’omnipotence devient la limite de la dépendance et inversement.

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On le voit on est là, déjà, de plein pied dans une situation de névrose familiale qui n’est, en définitive, qu’un cas particulier de névrose mais un cas particu-lier qui conduit le plus souvent aux états névrotiques les plus pathologiques voire au-delà vers les états limites et même la psychose.

Névrose familiale

On pourrait dire que par définition il y a névrose familiale lorsque le désir incestueux de l’enfant est repris en miroir par les parents qui deviennent partie prenante dans ce désir.

Dans la mesure où tous les parents du monde ont à voir avec ce désir et qu’il n’existe probablement pas de situations «pures» dans lesquelles le désir incestueux de l’enfant ne se trouve pas d’une manière ou d’une autre en état de complicité avec l’adulte, ne serions-nous pas obligés de conclure que toute névrose est d’emblée une névrose familiale?

N’est-ce pas d’ailleurs dans ce climat de séduction réciproque (J. Laplanche) que peut se constituer un système pulsionnel du type amour-haine? La marge entre une complicité adaptée à l’enfant et la charge d’un investissement parental dépressif abandonnique ou dévorant, les deux le plus souvent, n’est sans doute pas toujours évidente.

Il existe cependant des situations où le lien incestueux symbolique prend toute la place et devient l’élément majeur de l’histoire d’une destinée (par exemple l’histoire que Romain Gary rapporte à propos de son enfance dans La promesse de l’aube).

Aussi est-il possible de dire que s’il existe un noyau névrotique typique, il existe aussi des situations incestueuses symboliques typiques liées le plus souvent aux dépressions parentales.

– La partie visible et symptomatique n’est souvent pas très révélatrice car elle se caractérise par des relations d’objet où dominent la maîtrise systématique et d’une manière plus cachée encore la dépendance réciproque. Ces deux éléments conditionnent des fonctionnements mentaux rigides avec parfois des révélations explosives, caractérielles, clastiques, voire plus graves encore.

– La partie invisible n’est souvent révélée que dans l’après coup ou au cours d’une psychanalyse. Il s’agit essentiellement d’interdits implicites majeurs dont la première conséquence est la stérilisation des échanges verbaux. Autant les enfants s’en donnent à cœur joie face aux interdits explicites autant les interdits implicites sont moins contournables. Non seulement il est implicite-ment interdit de parler de tout ce qui est sexuel mais égaleimplicite-ment de tout ce qui a trait à une quelconque vie imaginaire. Quelquefois ces interdits touchent des tabous familiaux liés à des secrets de famille anciens ou récents (adoption, fratrie batarde, inceste, maladie, séropositivité au virus du sida) ou tout simplement tout événement extérieur qui risquerait de perturber le mode adaptatif familial et le cérémonial habituel qui en découle. Ainsi beaucoup d’enfants ne peuvent parler à leurs parents des événements qui font l’ordinaire des échanges familiaux (tracas scolaires ou relationnels, bobos et douleurs diverses, péripéties de l’entourage, voire apparition des règles).

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© MASSON. La photocopie non autorisée est un délit.

Les formes les plus serrées de ces névroses familiales conduisent à une systé-matisation que nous emprunterons à la description faite par l’école de Palo Alto à propos du «double bind» qui de notre point de vue concerne essentiel-lement les névroses pathologiques. Nous retiendrons de ce «double lien» non pas l’aspect paradoxal qui nous paraît relever du jeu des apparences, plutôt l’opposition entre les injonctions explicites et implicites dont le rôle nous paraît radicalement différent. Cette contradiction apparente ne fait pas problème car les injonctions explicites («grand garçon qu’attends-tu pour courir les filles») sont faites pour montrer en permanence que le langage ne sert à rien.

Seules les injonctions implicites («tu sais bien que tu n’es bien qu’avec ta mère») sont entendues et constituent la trame des interdits implicites où se jouent les liens incestueux symboliques essentiels. S. Palazolli en est ainsi arrivée à décrire des fonctionnements familiaux de «disconfirmation» dans la mesure où l’entreprise névrotique familiale conduit à réduire au maximum toute représentation personnelle des affects et du monde.

Pour constituer une psychose il faut une rupture plus profonde des liens affec-tifs qui laisse libre court à des excitations terrorisantes1. Ainsi, la majorité de ces comportements appartiennent à la névrose.

On le voit également, par cette description symbiotique de liens mère-enfant nous sommes près du concept lacanien de forclusion portant sur le nom du père. Cette exclusivité maternelle comprend effectivement une exclusion

— et pas seulement du nom — mais de l’image du père de l’enfant dans sa propre tête au profit de son père à elle, donc de son propre narcissisme.

En ce sens la valeur du père symbolique de l’enfant nous paraît effectivement primordiale mais caractérise par son absence essentiellement les névroses les plus pathologiques et non les psychoses. Pendant des années le mythe de la forclusion du nom du père comme étiologie essentielle des psychoses ne souf-frait pas de contestation. Il apparaît aujourd’hui qu’il faille rendre à la névrose ce qui lui appartient.

Ainsi la réalisation incestueuse systématisée, fut-elle symbolique, qu’elle soit initiale ou réparatrice, constitue la base essentielle des névroses pathologiques comme Serge Leclaire l’a illustré lui-même à partir d’une observation de névrose obsessionnelle sous le vocable de «prison bien aimée».

Reste à envisager la nature du lien qui relie ces formations incestueuses symboliques (voire incestueuse tout court) avec la dépression parentale. Il ne fait pas de doute que leur signification profonde est de l’ordre d’une addiction nécessaire, sorte de réparation pathologique de même type que le délire dans la psychose. Tout se passe en somme comme si dans ces cas «incestueux»

l’emprise sur autrui n’avait pas pu s’exercer autrement c’est-à-dire d’une manière plus œdipienne. En ce sens on peut considérer le conflit œdipien comme l’expression d’un inceste «ouvert» qui se déplace essentiellement par

1. Voir «L’univers psychotique» (chapitre 11) concernant l’hypothèse de l’étiologique des psychoses (cf. p. 192).

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des identifications complexes par opposition à l’inceste «fermé» des forma-tions que nous venons de décrire dont le système d’identification apparaît beaucoup plus figé, passant des identifications les plus idéalisées aux plus mortifères sans beaucoup d’intermédiaires.