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DEUXIÈME PARTIE DE L’ENTRETIEN

Cette deuxième partie concerne ce qui n’a pas été dit spontanément et qu’il nous faut savoir cependant, sans toutefois soumettre le patient «à la question»

par une technique plus ou moins inspirée du classique «interrogatoire»

toujours ressenti comme accusateur et policier, ce qui ne peut aider même un masochiste.

Nous tenons à bien préciser que «l’entretien», objet de cet article, concerne en réalité l’ensemble de l’investigation psychologique par un dialogue direct au sens très large du terme, et non pas obligatoirement une seule séance de face à face (si possible sans intermédiaire ni personne, ni table, ni encore moins de «bureau»). Il est parfois souhaitable et même indispensable (surtout en ce qui concerne cette deuxième partie) de multiplier les séances de dialogue, sans que cela prenne non plus une allure de psychothérapie (en centrant à cette fin les zones d’intérêt sur des points précis et non sur un hasar-deux «racontez-moi votre vie»).

Il y a lieu parfois de relancer certains sujets puis de laisser le patient parler seul si possible. Des grognements ou une mimique d’interrogation font souvent fort bien l’affaire.

Il s’agit de combler les principales lacunes du discours (autant que faire se peut — sans zèle ni désir de perfection, ce qui s’avérerait inquiétant et rapide-ment inutile) en essayant de remarquer d’abord sur quoi portent les «trous»

de la première partie.

Au premier entretien ou au cours de ceux qui suivront, cela n’a pas d’impor-tance, il nous faut connaître un certain nombre de points:

Antécédents personnels du sujet

Où il est né? De parents originaires de quelle région? Où il a vécu successive-ment? Comment s’est déroulée son enfance? Puis son adolescence? Ses études? Leurs difficultés? Son éventuel service militaire ou civil? Bien entendu, comme allant de soi, il doit nous exposer son âge, sa profession, ses difficultés ou ses désirs.

Parents

Il nous faut recueillir de la façon la plus spontanée des renseignements sur le père et la mère: vivants ou non? Présents ou absents au foyer? Leur profes-sion? Leur âge? Leur santé? Leur caractère? Comment ils s’entendaient? Qui imposait sa volonté à l’autre? Le mode de relations anciennes et actuelles du sujet avec les deux parents? À qui il pense davantage ressembler?

Fratrie

Combien de frères et sœurs? Vivants? Décédés? (de quoi? à quel âge?) la place du sujet dans cette fratrie? Leur sexe, âge, profession, santé? Mariés ou non? À qui? Leur mariage est-il heureux? Ont-ils des enfants? Les relations anciennes et actuelles du sujet avec ses frères et sœurs?

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Conjoint éventuel

Âge? Profession? Santé? Caractère? Date de mariage? Durée et conditions des fiançailles? (les «agis» qui y furent liés: «coup de foudre», mariages précipités, drames familiaux ou incidents insolites, etc.). Comment ils se sont connus? Comment était l’entente au début du mariage? Par la suite? Qui a décidé le mariage? L’un des conjoints seul? Les parents? Une autre personne?

L’enfant à venir? Comment a été fait ce choix? Répète-t-il une relation avec un parent? Est-ce réellement pour s’aimer ou plus subtilement pour s’opposer, dominer l’autre? (conjoint faible, malade, sans avenir…).

Quels furent les avatars de la situation du couple? Physiques, sociaux ou sentimentaux? Les éventuelles liaisons extraconjugales de l’un ou de l’autre côté? Comment furent-elles vécues par chacun des conjoints?

Enfants

Leur nombre? Leur âge? Leur sexe? Leur santé? Leurs études ou professions?

S’ils ont été désirés ou non? Les problèmes relationnels avec eux et entre eux? Comment s’en occupe-t-on? (Les laisser faire? Tout leur imposer? Ne rien leur imposer?).

Santé actuelle du patient

Son poids par rapport à sa taille? Son allure générale. Nos remarques morpho-logiques doivent être prises en considération, de même que nos réactions de sympathie ou de mise à distance de l’interlocuteur. Il nous faut connaître également les maladies antérieures, les éventuels accidents ou les interven-tions chirurgicales pratiquées. Puis on doit nous exposer l’état actuel, les éventuels troubles «digestifs», du «sommeil», des «règles», de «l’appétit», le comportement devant le tabac, l’alcool, le café, etc., tout cela de la façon la plus banale et la plus spontanée qui soit. Cette partie de l’entretien ne doit trancher en rien sur le reste du dialogue:

Prégénitalité

Oralité (appétit alimentaire et affectif, besoins, avidité, résistance aux frustra-tions) et analité (digestion physique et «morale», propreté, méticulosité, ténacité, argent, mode de transit digestif et d’expression affective).

Génitalité

C’est d’une façon toute naturelle, comme allant de soi, que doivent être abordés les problèmes de la masturbation (obsédante, absente, banale, avec quels fantasmes?) des attirances sexuelles successives (masculines, féminines ou inversement selon le cas), des relations sexuelles (à quel âge la première?

quel en fut le vécu? et depuis comment les choses se passent-elles?), des éventuelles liaisons (pour quelles raisons précises? à la place d’un manque pour fuir la solitude ou pour fuir au contraire le contact à deux seulement).

La difficulté pour le psychologue réside souvent dans le choix, devant un excès de «discrétion» du patient entre la question à poser tout de suite ou

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l’attente d’un entretien ultérieur. S’il n’est nullement conseillé d’inquiéter en posant des questions précises, il serait encore plus fâcheux de pouvoir être ressenti comme inquiet et gêné de poser ces mêmes questions. L’important semble résider dans la simplicité et la «santé» du style employé dans l’écoute du sujet. Ni excès de pudeur, ni excès de «naturisme». Il existe autant de façons maladroites d’être trop discret que trop curieux…

Onirisme

Il doit être rapidement abordé. Sans vouloir (ni pouvoir) interpréter les rêves, il nous faut cependant savoir où en est le patient sur le plan du sommeil et de l’élaboration onirique. Se souvient-il de rêves? Quel type de rêve, surtout, revient-il le plus souvent au cours des nuits? Autrefois? Actuellement?

Rapports sociaux

Ils doivent ensuite être examinés avec soin et précision: problème de la profession (Avenir? Satisfait? Aurait voulu? Souhaiterait?) Rapports avec les supérieurs? Les collègues? Les subalternes? Le patient a-t-il des amis? (des

«vrais» ou de simples «camarades»? Peu ou beaucoup? Autrefois? Actuelle-ment?). Quels sont ses loisirs? (Dimanches? Vacances?) Ses violons d’Ingres? (Sports? Arts?) Et une question importante, à poser adroitement et à enregistrer avec tact et précision: préfère-t-il vivre seul ou en groupe?

Il y a lieu de toujours terminer l’entretien en demandant au sujet trois choses:

ce qu’il aimerait dire de plus? Ce qu’il attend de cet entretien? Ce qui, à son avis à lui, ne va pas en lui?

RÉFLEXIONS

Ce qui s’est déroulé au cours de l’entretien n’est ni un «accident» ni une

«épreuve» ni une «mise en cause», C’est une tranche de vie. C’est une expé-rience relationnelle typique et répétitive du patient quant à ses conflits, ses échecs, ses désirs et ses manques, ses adaptations ou ses défenses moins heureuses.

Peu à peu, pendant que se déroule cet entretien (ou ces quelques entretiens successifs) le sujet ne va plus pouvoir jouer avec la situation de manière à masquer son personnage profond. Si toutes les précautions requises sont respectées par le psychologue, le sujet va se trouver progressivement et auto-matiquement amené à vivre ici son mode de relation avec ses angoisses et ses frustrations, ses colères et ses revendications. La structure profonde ne peut faire autrement que de se mettre lentement en évidence devant celui qui sait attendre, écouter, ne rien imposer, tout accepter sans réaction sélective.

Le psychologue ne devra manifester ni angoisse ni agacement, il devra réin-venter, spontanément et avec chacun, un style naturel et détendu, reflet non pas d’un jeu superficiel, aussi astucieux soit-il, mais d’une sérénité affective réelle et profonde en lui, ce que détecte parfaitement et très vite tout interlocuteur.

Mais ne soyons pas trop ambitieux ni surtout trop pressés ou trop «pres-sants»; même en voulant éviter soigneusement la trop fréquente

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«tauromachie» des entretiens menés par des enquêteurs trop zélés, même en acceptant de ne pas arriver trop vite à un «but» (comme s’il s’agissait d’une

«mise à mort»), l’écoute demeure forcément incomplète, fragmentaire, à poursuivre et à compléter avec le temps. Il convient de savoir s’arrêter après trente à cinquante minutes (le plus souvent) selon les sujets, avant que le patient n’ait eu l’impression fâcheuse d’être vidé, «vampirisé» par un inquisi-teur sadique.

Le problème des silences est rarement évoqué par les auteurs; pourtant il faut savoir les supporter sans impatience mais sans excès de complaisance non plus. Le patient a parfaitement le droit de se taire mais la réalité de l’entretien implique qu’il est là pour parler. «L’écoute du silence» ne doit déclencher chez le psychologue ni colère ni complicité.

À ce propos nous ne saurions trop insister sur les dangers d’afficher une quel-conque «bonté» à l’égard du patient. Cette forme souvent raffinée de mépris est tout aussi douloureusement ressentie par le sujet qu’un raptus hostile et la réaction de protestation du patient se trouve le plus souvent fort justifiée.

Il y a lieu d’éviter rigoureusement de répondre aux provocations soit sadiques soit masochiques du sujet, d’écarter la tentation de le dominer (ne serait-ce qu’en voulant «tout savoir» sur lui).

Il faut connaître un autre piège bien classique en se rendant compte que toutes les fois qu’un patient met en avant des éléments génitaux et œdipiens trop spectaculaires, c’est pour masquer l’importance primordiale de ses conflits prégénitaux bien cachés et que toutes les fois qu’un patient met en avant des éléments prégénitaux (oraux et anaux) trop manifestes, c’est pour masquer l’importance de ses conflits œdipiens et génitaux sous-jacents. Ce subterfuge est tout à fait courant mais des analystes chevronnés eux-mêmes ne manquent pas d’y tomber, surtout ceux qui s’occupent d’enfants ou de grands immatures.

Il est obligatoire pour tout «psychiste» de prendre garde (et malgré tout de succomber parfois) aux provocations du sujet sur le plan des émois agressifs, amoureux ou homosexuels de la part du patient. Bien sûr les cas «d’agis» à ce niveau demeurent tout aussi exceptionnels que célèbres, mais des vécus fâcheux peuvent s’établir sans aucun agi et la bonne conscience ne doit pas être sauve pour autant. Un vécu agressif ou amoureux inconscient de la part du psychiste peut bloquer ou conflictualiser de façon durable ou même défini-tive une situation.

«La fin de l’entretien» constitue une expression fort mal adaptée au mode de séparation entre les deux interlocuteurs: un entretien psychologique ne peut en vérité avoir de «fin»; même si le psychologue ne doit jamais revoir le sujet par la suite, l’entretien ne peut que rester ouvert. Son but est de poser au patient des problèmes plus authentiques et plus profonds que ceux pour lesquels il était venu à nous. Le patient doit comprendre qu’il n’y a aucun intérêt à faire semblant de résoudre sur-le-champ et à sa place les difficultés, réelles mais superficielles, qu’il ressent et qu’il met en avant.

L’entretien psychologique ne peut constituer une psychothérapie en profon-deur. S’il revêt parfois l’aspect d’une psychothérapie d’urgence et de soutien

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narcissique, ce n’est là qu’un effet secondaire et sans suites durables. L’entre-tien psychologique se situe le plus souvent comme prélude, autant chez le patient que dans l’équipe thérapeutique, à une réflexion et à des décisions touchant au choix des solutions de traitement et, bien sûr, d’une éventuelle psychothérapie comme aux modifications à apporter, le cas échéant, aux habi-tudes du patient (changement de profession, de mode de vie ou même hospitalisation).

*

* *

Quant à la question des notes résumant et matérialisant (tant bien que mal) l’entretien, leur volume et leur mode de rédaction dépend essentiellement et de la personnalité du psychologue et du genre de cas présenté par le sujet. Il est toutefois utile de savoir que prendre le minimum de notes devant le patient et le maximum après son départ constitue la pratique la plus sage autant pour éviter trop d’angoisse au malade que pour assurer une meilleure synthèse de son problème du côté du psychologue.

6 HOMOSEXUALITÉ

OU HOMOÉROTISME?

J. BERGERET, M. HOUSER

Le psychologue n’est ni un biologiste, ni un sociologue, ni un juriste et surtout pas un moralisateur.

Il n’appartient pas au psychologue de juger de l’opportunité ou non du choix de partenariat affectif que l’opinion publique dénomme «homosexualité», appellation à laquelle les intéressés, eux, tiennent à demeurer fixés.

Le psychologue n’a pas à se montrer soit tolérant, soit réprobateur à l’égard de tel ou tel choix relationnel humain. Sa problématique et son abord épistémolo-gique lui imposent une rigueur dans l’observation des divers fonctionnements mentaux en jeu, cela sans aucun préjugé psychopathologique. Sa méthodologie doit d’abord rester fondée sur la clinique, c’est-à-dire sur ce qu’il observe, et qu’il doit tenter de comprendre et d’expliquer selon les règles de sa discipline.

L’existence de ce que l’on dénomme «homosexualité» a été prise en compte, depuis des siècles, par différentes catégories d’auteurs. Or, les problèmes posés par cette sorte de choix d’objet n’ont sans doute pas été étudiés avec toute la rigueur scientifique nécessaire.

D’abord parce qu’il n’existe pas une seule catégorie de sujets dits «homo-sexuels», et ensuite parce que le terme même d’«homosexualité» a été et demeure jugé comme relativement contestable.

LA CLINIQUE

Les exigences de l’approche psychologique (en dehors de toute coloration patho-logique) obligent le clinicien à dénoncer la facilité langagière courante regroupant en une catégorie unique (et conduisant à une «pensée unique») l’ensemble de ceux qui sont désignés, ou qui se désignent, comme «homosexuels».

L’observation psychologique nous montre qu’il existe trois catégories de sujets relevant d’un choix affectif prenant cette apparence.

1) Tout d’abord, un très grand nombre de sujets qui, tout en fonctionnant comme «hétérosexuels», paraissent conserver parallèlement et partiellement des attraits pour des partenaires du même sexe.

Aucune structure mentale de la personnalité ne se rencontre comme purement monolithique. Le sujet conserve toujours son originalité et ses diversités dans la relativité de l’importance accordée par lui, à telle ou telle forme de

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tionnement affectif et du choix de l’objet préférentiel. En cela, il n’y a rien de pathologique.

2) Ceux qui sont considérés plus habituellement (et se considèrent eux-mêmes) comme «homosexuels» correspondent à des sujets qui recherchent à la fois une sécurité et une satisfaction dans la relation qu’ils entretiennent avec des semblables à eux-mêmes.

Dès la fin du XIXe siècle, toute la théorie freudienne a été fondée sur la distinc-tion entre autoérotisme, homoérotisme et hétéroérotisme. Il n’était pas alors question de privilégier le seul aspect somatique et génital de certaines zones érogènes. Ce qui était mis en avant était le mode de relation à l’autre et l’objet choisi, à savoir: ou bien soi-même, ou bien un être semblable, ou bien un autre à la fois différent dans sa nature, égal dans sa valeur absolue et complé-mentaire dans ses fonctions. C’est ce dernier choix d’objet qui correspond à l’hétéroérotisme. Alors que l’homoérotisme répond au contraire à un choix d’objet pour un être semblable et non différent.

Notons que cette deuxième forme d’homoérotisme déconcerte souvent l’opinion publique ainsi que les diverses institutions chargées de maintenir la cohésion et la sécurité d’une société. Même si rien n’entre dans le patholo-gique, il apparaît une divergence officielle nouvelle à l’égard des attitudes sociales anciennes.

3) Bien que cela ne constitue pas ici notre propos principal, il faut signaler que le psychologue rencontre parfois des sujets qui impressionnent et inquiè-tent le public en se réclamant trop bruyamment (voire agressivement parfois) le droit de provoquer une société assez craintive par des exhibitions «gays»

ou «lesbiennes» qui reposent sur une sorte de négation d’une partie de la réalité objective (ici le rôle du sexe) et attirent ainsi l’attention de certains psychopathologues. Bien sûr, ce ne sont pas des situations courantes.