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De nouvelles formes socio-spatiales, à l’échelle des réseaux économiques

L’entreprise ethnique à la lumière des nouvelles mobilités

FORMES MIGRATOIRES

2. De nouvelles formes socio-spatiales, à l’échelle des réseaux économiques

Dans le chapitre précédent, nous avons voulu montrer comment les mobilités contemporaines devaient modifier notre appréhension des espaces et de la façon dont les individus et les groupes les territorialisent. Partant des évolutions de la figure du migrant entrepreneur, quelle lecture spatiale des phénomènes d’entrepreneuriat est-il possible d’adopter ?

Les espaces marqués par les pratiques entrepreneuriales se caractérisent avant tout par la circulation. C’est donc la double appréhension des territoires de la mobilité proposée plus haut, qui conjuguait territoires-réseaux et territoires-croisement, la territorialisation comme mise en réseau d’espaces complémentaires et la territorialisation comme rencontre et négociation, qu’il convient de reprendre. Cette approche permet d’opérer un double décloisonnement des problématiques de l’entrepreneuriat ethnique vis-à-vis des écueils localiste et communautariste. Sous cet angle, les espaces des pratiques entrepreneuriales sont à la fois des carrefours de réseaux et des centralités spécifiques.

Des carrefours de réseaux

À l’échelle locale, les espaces de l’entrepreneuriat doivent avant tout être considérés comme des croisements de réseaux et des lieux de co-présence entre différentes populations. Plusieurs acteurs, définis par des appartenances diverses et entretenant des relations différentes avec ces espaces, y interviennent, sans nécessairement y résider. Il est donc essentiel d’adopter une approche relationnelle, qui mette en évidence le jeu des différents acteurs dans la transformation du territoire, ce qui nous éloigne d’une perspective écologique, basée sur la simple succession résidentielle ou professionnelle de groupes (Aldrich, 1975).

Il s’agit dès lors d’envisager les différents acteurs de ces processus d’appropriation spatiale ainsi que la manière dont ils co-habitent au sens large du terme. L’attention doit s’attacher à l’organisation sociale et spatiale des hiérarchies, des distances et des proximités qui s’établissent, en insistant aussi bien sur les relations inter-groupes qu’intra-groupes, sur les modalités de la superposition entre différents mondes sociaux (Péraldi, 2001 a).

Pour comprendre la superposition, la concurrence ou la complémentarité de différents collectifs en un même espace, il semble pertinent d’interroger les deux registres suivants, dont le croisement peut nous aider à comprendre les logiques de ces espaces :

- Les types d’activités. Un même espace peut en effet articuler plusieurs territoires d’activité (Joseph, 1998, 9). Ce sont alors les différents usages de l’espace, les cohabitations entre les différentes activités et entre leurs différents acteurs qui doivent être éclairées. Dans notre cas, cela revient à s’interroger sur la place du commerce et son articulation avec d’autres activités, mais aussi sur les différentes situations existant à l’intérieur de l’activité commerciale.

- Les régimes de mobilité des acteurs. Alain Tarrius montre, à partir de l’étude de différents régimes de mobilité dans le cas du quartier Belsunce à Marseille, comment se superposent, se rencontrent et parfois s’évitent des logiques socio-spatiales, complémentaires mais différentes, du sédentaire et du nomade, et ce dans un même espace.

Quels sont les liens sociaux développés en ces espaces ? Quelles sont les catégories pertinentes du regroupement et des associations ? Sur quelle base s’organisent les coexistences et les territorialités ? Une seule et unique focalisation sur la question du lien ethnique n’est-elle pas réductrice ? Selon quelles modalités s’organise la rencontre entre nomades et sédentaires ? Ces espaces peuvent-ils constituer des observatoires des nouveaux cosmopolitismes ?

Des centralités spécifiques

Par ailleurs, il convient d’observer ces territoires à l’échelle des réseaux économiques et sociaux des entrepreneurs migrants. C’est la deuxième dimension des espaces de l’entrepreneuriat qu’il convient d’éclairer. On passe ainsi de l’enclave à l’espace connecté, et ce sont des polarités commerciales qui émergent. La notion de situation, notion classique en géographie, est alors utile pour restituer à un lieu sa position géographique et son insertion dans des réseaux, en connexion avec d’autres lieux. Ainsi, au sujet de la place commerciale marseillaise, Michel Péraldi montre à quel point la ville, à la fois port et frontière, bénéficie d’un emplacement stratégique au carrefour de l’Europe et de l’Afrique du Nord (Péraldi, 2001 a, b).

À l’échelle des réseaux économiques des migrants, ce sont des centralités autres, spécifiques, mineures, qui ne coïncident pas avec les centralités urbaines locales, ainsi qu’une autre géographie des lieux stratégiques, qui se profile60: les espaces qui jalonnent les parcours individuels ne prennent tout leur sens que si on les rapporte aux réseaux dans lesquels s’imbriquent ces itinéraires, et aux grands couloirs migratoires qui se déploient sur de larges espaces nationaux et transnationaux. Dès lors, ce qui apparaît au premier abord comme minorité, interstice ou enclave, se révèle souvent porteur de centralités spécifiques ; ces nouvelles centralités se surimposent à l’organisation sociale et spatiale

de la ville d’accueil ; elles ne sont intelligibles que par rapport à des logiques qui lui sont extérieures, mais pourtant elles infléchissent sa dynamique interne et parviennent souvent à la transformer61. Ces centralités sont d’une autre nature que la centralité

historique et locale avec laquelle elles coïncident parfois (Tarrius, 2000, 263).

En résumé, les espaces de l’entrepreneuriat migrant sont à la fois des carrefours de réseaux et centralités spécifiques, des places et des pôles (Battegay, 2003).

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Dans le même ordre d’idées, Anne Raulin propose de parler de centralités minoritaires, dans la mesure où

elles offrent une spécificité culturelle en relation avec des groupes particuliers (Raulin, 2000, 19).

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