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La spécificité du Mezzogiorno : d’espace de transit en espace-ressource

II. MODÈLES D’INTERPRÉTATION DE CES DÉSÉQUILIBRES 1 Le Mezzogiorno comme porte d’entrée de l’Europe

2. Le dualisme territorial de l’Italie

Sous l’angle socio-économique en effet, l’Italie est le pays d’Europe dans lequel les différences régionales sont les plus accusées. Le clivage est très net entre un Nord, dont certaines régions atteignent des taux de chômage quasiment nuls, et un Sud, dans lequel les taux de chômage sont élevés (en province de Naples, le taux de chômage atteint les 27,9%). Ces différentiels ont par ailleurs tendance à s’accentuer (Reyneri, 1997, 2002).

Tableau 1.6 Taux de chômage par aire territoriale (données 1999)

Région Nord Centre Sud Total

Taux de chômage

5,4% 9,2% 22% 11,4%

Istat, 2001 L’économie souterraine6

, entendue comme une activité productive effectuée avec l’intention délibérée de contourner le fisc ou de ne pas respecter les lois, représente, selon les estimations de l’Eurispes7, 28, 5 % du produit intérieur brut italien, ce qui place l’Italie au deuxième rang des pays européens, juste après la Grèce et avant l’Espagne (Eurispes, 2001). Un des aspects de cette économie souterraine est le travail irrégulier, dont l’ISTAT propose périodiquement une évaluation8

: en 1999, le taux d’irrégularité, soit la part des emplois irréguliers sur le total des emplois, était de 15 % en Italie, mais atteignait 22,6 % dans le Mezzogiorno, contre 15,2 % dans le Centre, 11,1 % dans le Nord-Ouest et 10,9 % dans le Nord-Est. Les secteurs les plus touchés sont l’agriculture, puis la construction, et les services (Istat, 2001). Dans le Mezzogiorno, les taux d’irrégularité de l’emploi sont également élevés dans le secteur manufacturier.

Ainsi, dans les régions méridionales, des taux de chômage élevés co-existent avec l’existence de formes diffuses d’emploi irrégulier : le marché du travail est segmenté, entre une couche primaire, où l’offre excède la demande, et une couche secondaire, où la demande de travail est présente mais exclue du système des garanties. En outre, les données ISTAT sous-estiment probablement l’importance du travail irrégulier dans le

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En Italie, cette expression, ou encore celle d’économie immergée (sommersa) est plus fréquente que celle d’économie informelle.

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L’Eurispes est un institut de recherche sur les dynamiques économiques et sociales de l’Italie qui procède périodiquement à des évaluations de l’économie souterraine.

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Certaines estimations sont encore plus élevées. Selon une étude de F. Schneider (cité par Palidda, 2002, 93 et consultable à l’adresse suivante : www.jk.uni-linz.ac.at), en 2001, presque 30% du PNB italien relèverait de l’économie dite souterraine et presque 25% de la main d’œuvre serait au noir : ce taux d’économie souterraine ne serait égalé que par la Grèce. Cependant, comme le souligne S. Palidda, il faut remarquer que

depuis dix ans ce taux ne cesse de croître dans tous les pays de l’Union Européenne : en 2000, il atteint 23% au Portugal et en Belgique, plus de 19% en Suède et en Norvège, plus de 16 % en Irlande et en France, plus de 15% (Palidda, 2002)

Mezzogiorno9

: elles se basent sur le principe que les individus déclareront spontanément leur activité irrégulière, ce qui n’est pas toujours le cas, comme le souligne Luca Meldolesi qui évalue, en se fondant sur une série d’enquêtes, à 50% le taux d’irrégularité de l’emploi dans le Mezzogiorno (1998).

Les dynamiques migratoires reflètent ces déséquilibres régionaux. C’est pourquoi, selon Enrico Pugliese, une interprétation des flux migratoires en termes de concurrence ou de complémentarité sur le marché du travail est nécessairement insuffisante : sur le territoire italien, les deux formes d’insertion des immigrants co-existent, et ont un poids différent, selon que les migrants se trouvent au Sud ou bien au Nord (1990, 2000, voir aussi Ambrosini, 2001 ; Calvanese, 1992 ; Vitiello, 2003).

Dans les régions du Nord, c’est la complémentarité entre main-d’œuvre locale et étrangère qui prime. En effet, ces régions proposent des emplois manufacturiers, stables et souvent basés sur les contrats de travail en règle, en particulier dans les petites et moyennes entreprises de la troisième Italie (Vitiello, 2003 ; Pugliese, 2002). Les migrants y occupent des postes difficiles, pour lesquels l’offre d’emploi italienne du Sud, en général plus qualifiée, avec des aspirations majeures en termes de revenu et de statut, n’est pas prête à effectuer une migration interne10 (Reyneri, 1998). Dans les régions du Sud en revanche, l’économie souterraine constitue pour les migrants un puissant facteur d’attraction, en particulier dans les premières phases de la migration (Sciortino, 1997 ; Reyneri, 1998). L’emploi se concentre dans les secteurs de l’agriculture, des services et du bâtiment. Il s’agit d’emplois non déclarés, sous-payés, qui s’apparentent parfois, selon Enrico Pugliese, à des formes d’esclavage contemporain : les salaires proposés aux travailleurs agricoles sont souvent inférieurs à la moitié des salaires contractuels, et les conditions de travail sont presque toujours caractérisées par la violation des normes de sécurité et de garantie, ce qui explique l’indisponibilité des chômeurs locaux, en particulier les jeunes d’extraction urbaine, à se tourner vers ce type de travaux. Il semble évident que la majorité des immigrés se trouvent dans la couche secondaire du marché du travail, dans l’aire du travail précaire non garanti. Les grands débouchés sont le travail domestique, le bâtiment et l’agriculture, concentrée en premier lieu dans les régions méridionales (2002, 98). Ainsi, la segmentation du marché du travail, en particulier dans le Sud, entre, d’un côté une couche primaire, et de l’autre une couche secondaire, exclue du système des garanties, permet de comprendre la demande italienne de main-d’œuvre extra-communautaire. Elle explique, en Italie, la coexistence d’un taux de chômage élevé et d’un flux d’immigration (Pugliese, 2002).

Par ailleurs, la diffusion des économies souterraines dans le Mezzogiorno s’est souvent assortie d’une tolérance relative de la part des autorités administratives. Cette tolérance

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Ces données sont construites sur la base de la convergence/divergence des déclarations des familles et des entreprises.

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Récemment, les flux migratoires internes du Sud vers le Nord ont cependant connu une légère reprise (de 7% par an en moyenne, 1995 à 1999) ce qui, comme le souligne Dominique Rivière, souligne la persistance de la question méridionale (Svimez, 2002, 28-29 ; Rivière, 2000)

vis-à-vis de l’économie souterraine confère au Mezzogiorno une certaine porosité dans l’accueil des nouveaux venus. Selon Pasquale Coppola, l’importance structurelle de l’informel, alliée au poids mineur des formes de réglementation officielles permet d’abaisser les barrières à l’accueil des migrants, en générant une certaine ouverture du marché du travail (Coppola, 1999).

Dans ce cadre, le Mezzogiorno fait figure de tremplin, de sas de transition vers les régions du Nord, dans lesquelles la stabilisation s’explique par une demande de travail souvent déclaré : des recherches conduites dans les dernières décennies ont mis en lumière le phénomène de migration dans l’immigration, selon lequel de nombreux travailleurs immigrés dans le Mezzogiorno, au fur et à mesure qu’ils régularisent leur position, finissent par se transférer dans les régions du Nord, comme de Caserte vers la Vénétie et la Lombardie (Calvanese et Pugliese, 1991). En réalité, dans sa recherche de stabilité et de conditions d’intégration plus favorables, une partie de l’immigration plus ancienne a pensé à se transférer dans les aires ou les possibilités de travail étaient moins précaires. Les migrations internes vers les régions septentrionales qui auparavant concernaient les travailleurs du sud aujourd’hui touchent aussi les immigrés : en effet, l’immigration est, en de nombreux aspects, le miroir de l’économie et de la société italienne (Pugliese, 2002,103).

Ce modèle dual fait en général peu de cas de la pratique d’activités commerciales de la part des migrants : cette pratique, quand elle est signalée, est lue comme un expédient, un pis- aller. Le commerce, sous couvert d’activité autonome, masquerait des formes extrêmement précaires de travail dépendant (Calvanese, 1991 ; Vicarelli 1991). La figure exemplaire de ce type d’activité est alors le vu’cumpra11, le commerçant ambulant, souvent africain, que l’on retrouve sur les plages, marchés, et trottoirs des centre-ville d’Italie dès le début des années 80.

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