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Les espaces d’errance et de déshérence, aux marges de la ville : du transit qui se prolonge

La spécificité du Mezzogiorno : d’espace de transit en espace-ressource

CIRCULATION MIGRATOIRE

2. Les espaces d’errance et de déshérence, aux marges de la ville : du transit qui se prolonge

Le deuxième groupe correspond aux quartiers de déshérence, aux marges de la ville. Il comprend des populations albanaises, des Roms de Yougoslavie ou de Macédoine, ainsi que des populations africaines de Somalie, de Côte d’Ivoire et du Burkina Faso1. Les quartiers périphériques dans lesquels vivent ces populations2 se caractérisent par leur état avancé de dégradation ou d’abandon. À la différence du groupe précédent, l’établissement de populations étrangères dans les quartiers Barra, Ponticelli, Secondigliano et Scampia, ainsi que dans le casale de Pianura, intervient plus tardivement, au début des années 90. Les débats concernant ces micro-espaces de concentration de la population étrangère ne parlent jamais de rénovation, mais bien d’évacuation et de démolition. Les migrants qui les occupent sont souvent clandestins ou irréguliers. La présence d’Italiens y est rare.

Pour ceux qui vivent dans ces lieux souvent stigmatisés par leurs habitants sous les termes de ghetto3 ou encore de bidonville, le passage à Naples est vécu comme une étape intermédiaire dans le cadre de parcours migratoires visant le nord de l’Italie ou encore l’Europe nord-occidentale, le Canada et les Etats-Unis. Cependant, dans la réalité, l’acquisition des papiers n’entraîne pas automatiquement la mobilité et la prétendue phase de transit se transforme bien souvent en permanence non désirée qui peut durer plusieurs années. La présence relativement importante d’enfants dans ces quartiers renvoie d’ailleurs à des formes d’installation durable (carte 1.7).

L’insertion professionnelle de ces migrants se caractérise par l’alternance d’emplois déqualifiés, souvent journaliers, dans l’agriculture et le tertiaire (bâtiment, commerce très précaire). Les chances de mobilité sociale sont extrêmement faibles. Dans le cas des Roms, la discrimination et les préjugés dont ils sont l’objet contribuent à rendre encore plus inextricable leur situation de marginalité (Centro di cittadinanza sociale, 2004a).

Ces quartiers périphériques, dont la vocation initiale était provisoire, sont devenu des lieux d’installation durable pour ces populations. Ils sont transformés par leur présence : les espaces habités sont aménagés, parfois avec soin, des commerces et restaurants communautaires informels sont créés, des associations sont fondées et des fêtes sont régulièrement organisées (Centro di cittadinanza sociale, 2004a).

1

Les Roms de Macédoine, ainsi que les Burkinabés et les Ivoiriens n’ont pas été cartographiés car il s’agit de populations très majoritairement irrégulières. Par conséquent, elles sont presque totalement absentes des registres de résidence.

2

Les périphéries de Naples font partie du territoire communal. Il s’agit en général des casali, anciens bourgs ruraux qui ont été intégrés à la ville avec les lois du 15/11/1925 et du 3/6/1926 (Vallat, 1998).

3

Hervé Vieillard-Baron souligne que le ghetto, au sens littéral, est fondé sur cinq principes : le resserrement

géographique, la contrainte, l’homogénéité ethnique et culturelle, la hiérarchie socio-économique interne et le discrédit des habitants. Les quartiers étudiés, malgré les représentations communes dont ils font l’objet,

s’éloignent de certains de ces principes. Ces migrants se situent plutôt dans ce que H. Vieillard-Baron nomme des territoires d’assignation (2001, 124, voir aussi 1996).

Il est possible de distinguer, à l’intérieur de ce groupe, trois situations :

- Les quartiers nord accueillent essentiellement des résidents roms, qui s’installent à Naples à partir de 1992 à la suite de la crise yougoslave. Cette localisation est liée à l’existence de deux camps gérés par la commune de Naples à Scampia (700 places) et à Secondigliano (800 places).

- Les quartiers de Barra et Ponticelli, situés dans la zone orientale, accueillent des populations albanaise, ivoirienne et rom. Ces populations logent généralement dans les bipiani, préfabriqués à deux étages, érigés à la suite du tremblement de terre de 1980 devant la nécessité de reloger les habitants sinistrés du casale de Ponticelli (Loi 219/1981). Les 30 bipiani se répartissent entre la circonscription de Barra (18 bipiani) et celle de Ponticelli (12 bipiani), et forment un total de 158 logements (Centro di cittadinanza sociale, 2004a). Ces logements sont occupés à partir de 1992 par les étrangers, après le départ des populations autochtones, relogées dans des habitats définitifs. Selon les données du Bureau Immigration de la mairie, recueillies par Fabio Amato, il y aurait, à la fin des années 90, environ 350 habitants dans ces bipiani : 200 Albanais, 20 familles roms et une soixantaine d’Africains, surtout Burkinabés et Ivoiriens (Amato, 1998). La majorité d’entre eux serait sans papiers. Le Centre de Citoyenneté Sociale de la commune de Naples propose une estimation plus récente de 800 personnes. Les conditions de vie dans ces bipiani sont d’autant plus difficiles qu’ils ne disposent pas d’égouts et de ramassage des ordures. Ces conditions favorisent les maladies infectieuses et respiratoires, les plus touchés étant les enfants. Par ailleurs, l’existence d’une voie rapide qui encercle et isole physiquement les bipiani de leur environnement, rend la traversée vers l’extérieur particulièrement dangereuse. Malgré la difficulté et la dégradation d’une telle situation, qui pourrait laisser penser que les migrants sont totalement privés de ressources, les indices d’une circulation importante sont lisibles. Sur les parkings par exemple, la présence de camions immatriculés en Albanie témoigne d’un commerce de va-et-vient de fripes entre Naples et l’Albanie, comme le montrent les photographies 1.1 et 1.2.

- Pianura, quartier que nous avions inclus dans le premier groupe, se distingue également par l’occupation de l’ancien casale par des populations africaines. Situation tout à fait singulière au regard du reste du quartier, elle mérite un développement à part.

Le casale est l’ancien bourg rural du quartier de Pianura, qui a été intégré au périmètre de Naples durant l’époque fasciste. Abandonné presque totalement par les Italiens, il est occupé depuis le début des années 90 par des populations africaines de nationalités somalienne, ivoirienne et, plus récemment, burkinabé. On y compte, au moment des enquêtes, trois foyers italiens, contre une trentaine de logements occupés par les Africains, pour une population totale d’environs 110 personnes. La situation y est fort dégradée : coupures d’eau systématiques, alimentation électrique illégale et fréquemment interrompue, risque d’écroulement des habitations, routes non viabilisées, absence d’égouts. Les maladies endémiques, liées à l’humidité et au manque d’hygiène, tout comme les maladies épidémiques (comme certaines maladies sexuellement transmissibles)

y sont particulièrement répandues. Par ailleurs, certains habitants de Pianura souffrent de sérieux troubles mentaux, qu’il faut probablement mettre en relation avec l’état de dégradation sociale et sanitaire de leur situation.

Les activités, exercées le plus souvent au jour le jour, sont précaires, et les chances de mobilité sociale extrêmement faibles. Aussi, ces populations se caractérisent par une grande instabilité spatiale et professionnelle. L’été, elles se déplacent en zone agricole. La précarité est alors délocalisée : tous les occupants du lieu émigrent vers des maisons rurales délabrées ou des baraquements à même les champs installés pour la saison sur des terres agricoles, en Campanie, dans les Pouilles et en Calabre. L’hiver, petits travaux et vente ambulante de cigarettes ou de kleenex aux feux rouges sont alternés.

Ce type d’insertion se voudrait provisoire : force est de constater qu’il perdure. Les occupants de Pianura y demeurent longtemps, et l’acquisition de papiers n’a pas toujours l’effet de déclencheur de mobilité sociale espéré. Ainsi, le quartier demeure, malgré tout, le point de repère principal de ces populations : les habitations y sont aménagées tant bien que mal, et des lieux de sociabilité s’organisent, tel qu’un maquis4 tenu par deux jeunes femmes ivoiriennes. De fréquentes visites sont échangées avec des compatriotes de Ponticelli, où encore avec ceux des régions septentrionales, qui parfois se délocalisent à Naples pour travailler dans les zones agricoles voisines durant l’été.

Ainsi, la situation des habitants de Pianura se prolonge dans des parcours qui se caractérisent par le flou du projet migratoire, la précarité toujours, la misère souvent, un rapport éloigné au pays d’origine (les allers-retours sont rares et très espacés) mais aussi une grande distance au pays d’accueil. Elle semble correspondre à la définition de l’errance proposée par Alain Tarrius (1992) : pas d’attaches avec le lieu d’origine, une multitude de lieux de centralité lors du parcours (tout lieu où l’on s’arrête), une distance avec la société d’accueil. La situation des étrangers dans ce casale, quartier de transit qui n’en est plus vraiment un, représente une des pires facettes de la situation d’exclusion dans laquelle se trouvent actuellement les populations étrangères marginalisées en Europe. Elle permet de montrer comment mobilité et marginalité peuvent s’associer dans les parcours.

4

Photographies 1.5 et 1.6 –Le casale de Pianura

0 3 km

1.18 Albanais résidents à Naples

Albanais par quartier

224

17 4 1

Source : Commune de Naples, registres de résidence au 31-12-2001

Conception C.Schmoll, réalisation

A.M Ba

rthélémy

0 3 km

1.19 Yougoslaves résidents à Naples

Yougoslaves par quartier 90

1 48 15

Conception C.Schmoll, réalisation

A.M Barthélé

my

Source : Commune de Naples, registres de résidence au 31-12-2001

N

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