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Nouveaux défis à l'éducation dans

Dans le document Québec en mutation (Page 111-116)

la révolution

culturelle

Deuxième partie :

Nouveaux défis à l’éducation dans la révolution culturelle

Présentation

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Les trois textes qui composent cette deuxième partie touchent chacun à l'éducation, sous un angle ou sous l'autre. Écrits à des moments différents et pour des publics divers, ils souffriront peut-être d'être mis côte à côte par suite des répétitions que le lecteur ne manquera pas de noter. Puisse-t-il n’en être pas trop ennuyé, mais y voir plutôt l'insistance que j’ai voulu mettre sur cer- tains thèmes qui m'apparaissent depuis plusieurs années fondamentaux.

Trois idées principales forment la trame centrale qui relie ces trois articles. la première est celle des inégalités devant le système scolaire: inégalité des individus, inégalité des groupes, telles les classes sociales, inégalité des régions, inégalité de certaines catégories de sujets, tels les enfants exception- nels. Étant donné le rôle social, idéologique, économique et politique que le système scolaire en est venu à jouer dans la société moderne, les inégalités qu'il reproduit et les nouvelles qu'il crée sont de nature à préoccuper tous ceux qui s'intéressent à la réforme scolaire actuelle et à l'avenir du système d'enseignement. Depuis une douzaine d'années en particulier, surtout depuis ma participation aux travaux de la Commission royale d'enquête sur l'ensei- gnement et, par la suite, dans des conférences, des articles et des livres, rai eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet. On trouvera dans les textes qui suivent des analyses de divers facteurs d'inégalités individuelles et sociales devant le système scolaire et mes réflexion, personnelles sur les réformes proposées pour atténuer ces inégalités et sur celles qu'il faudrait entreprendre.

À la limite, les transformations que subit et que doit encore subir le système d'enseignement actuel vont finalement si loin qu'on peut parler d'une véritable révolution institutionnelle et surtout mentale qu'il faut opérer pour renouveler dune manière radicale l'esprit et les méthodes de l'enseignement actuel. C'est le deuxième thème que l'on peut retrouver dans la plupart des articles qui suivent : l'enseignement d'hier et d'aujourd'hui ne correspond plus d'aucune façon aux exigences de la société de demain. Il faudra avoir beau- coup d'imagination et de courage pour inventer un nouveau système d'ensei- gnement, explorer une nouvelle pédagogie, expérimenter d'autres conceptions de l'école, du rôle des enseignants, de l'auto-éducation de l'enseigné, de la fonction éducative de nouveaux agents plus ou moins concurrentiels ou complémentaires de l'école.

Mais la révolution scolaire ne pourra s'accomplir sans une révolution culturelle à la dimension de toute la société : tel est le troisième thème. Le système d'enseignement appartient à une société et à une culture, il est marqué par elles et il est solidaire de leur nature et de leur évolution. C'est en défi- nitive dans l'esprit et les habitudes de la société globale que je situe les obstacles majeurs à la révolution scolaire. Cette dernière, dans la mesure où elle se met en marche, pourra sans doute contribuer à la révolution culturelle globale. Mais le cercle vicieux existe toujours. il n'y aura pas de profonde réforme du système scolaire sans une révolution culturelle.

Et par cette dernière, ce sont les fondements de la société capitaliste et industrielle qui sont mis en cause et aussi, dans une certaine mesure, les bases des sociétés socialistes telles qu'elles existent présentement. Une société où règnent des inégalités fondamentales entre travail manuel et travail non ma- nuel, la compétition, la concurrence, la domination de l'idéologie d'une classe au pouvoir, ne peut finalement engendrer une réforme scolaire humaniste, personnaliste et communautaire dont le principe est celui du respect de la personne, le développement de la spontanéité, la créativité. Voilà comment les objectifs d'une réforme en profondeur du système d'enseignement entrent nécessairement en conflit avec les traits principaux de la société moderne.

On le voit, les textes qui suivent sont ceux d'un sociologue engagé, que préoccupe la lenteur des réformes scolaires et sociales auxquelles il croit parce qu'il voit en elles une condition essentielle à la libération pleine et entière de l'homme et de toutes les ressources qui font sa richesse et sa puissance potentielle. Le sociologue cherche à comprendre et à analyser. Mais on verra qu'il n'est pas indifférent aux souffrances humaines, aux injustices de la société actuelle et aux incertitudes de celle de demain.

Deuxième partie :

Nouveaux défis à l’éducation dans la révolution culturelle

Chapitre V

“Le droit à l'éducation” *

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Il est certain qu'à moins d'une catastrophe mondiale - qui pourrait d'ailleurs être provoquée par l'homme lui-même - l'humanité ne sera plus jamais ce qu'elle a été dans le passé. Et cela, parce qu'elle est récemment entrée, par suite de l'éducation généralisée, dans un nouveau type de civilisa- tion, dont il est encore bien difficile de dire avec exactitude ce qu'elle sera et quels en seront les caractères principaux.

Il y a bien peu de temps encore - à peine plus d'un siècle -l'éducation était l'apanage d'un groupe restreint et favorisé auquel on donnait le nom d'élite. Que cette élite ait été composée d'une classe sociale privilégiée, l'aristocratie, ou que ses membres aient été élus ou appelés individuellement, comme les

literati de l'ancienne Chine classique, il n'en reste pas moins qu'elle ne formait

* Communication présentée à la Conférence canadienne du Bien-être social, Ottawa, le 19

juin 1968. Une version anglaise en a paru dans McGill Journal of Education, vol. III, no 2, automne 1968.

qu'une très faible minorité de la population -souvent moins de 5% - à avoir accès au monde de la connaissance et du savoir. Le reste des humains sont longtemps demeurés dans l'ignorance et l'analphabétisme, avant d'avoir finalement droit depuis à peine un siècle aux rudiments du savoir: lire, écrire et compter (ce qu'on appelle en anglais « the three R's »).

Il n'est pas étonnant que dans ces conditions le « savant », celui qui con- naît des choses que ses contemporains ignorent, ait eu pendant très longtemps un certain caractère sacré. Erre instruit, sous quelque forme que ce soit, c'était avoir accès à une sorte de sanctuaire ou de tabernacle entouré de mystère, c'était entrer en possession d'un pouvoir quasi-magique sur les choses et les hommes. Cela explique que, tout en respectant les personnes instruites, on se soit toujours méfié d'elles, car leur savoir leur conférait, selon les termes de la Bible, « la science du bien et du mal », c'est-à-dire une puissance considérable qui pouvait s'exercer pour le bonheur ou le malheur des hommes. Dans les sociétés archaïques, dites « primitives », le sorcier était respecté en même temps qu'il était craint ; c'était un homme ambigu, dont on savait qu'il pouvait recourir à une science secrète aussi bien pour semer le mal que pour faire le bien. Dans l'ancienne chrétienté, on brûlait pour sorcellerie non pas des ignorants mais des hommes et des femmes qui étaient allés à l'école de Satan et qui étaient trop avancés dans la science du mal. Dans le folklore populaire et dans les contes d'enfants, la méchante sorcière jouit d'un pouvoir maléfique parce qu'elle connaît la vertu de toutes les plantes et qu'elle sait préparer des potions qui tuent, endorment ou transforment les humains en animaux. Cette idée d'une science ambiguë et dangereuse est toujours vivante ; dans les romans modernes de science-fiction, ceux qu'on lit, qu'on voit en films ou dans les programmes de télévision, le savant ou le « professeur » est très souvent présenté sous les traits d'un homme pervers ou fou dont le dessein satanique est soit d'instaurer une horrible tyrannie sur l'humanité entière, soit de détruire tous les hommes.

Mais voilà qu'aujourd'hui le voile du temple de la connaissance se déchire, le sanctuaire du savoir s'ouvre à la masse de la population, tels les palais des anciennes familles royales transformés en musées et en parcs d'amusement. La comparaison n'est d'ailleurs pas sans fondement : la connaissance se démo- cratise tout comme les structures politiques ; on assiste à la désacralisation du savoir en même temps qu'à celle du pouvoir royal ou impérial. L'accès à l'univers de la science n'est plus un privilège de caste, ce n'est plus un honneur conféré à quelques élus : la Déclaration des droits de l'homme adoptée par les Nations-Unies en 1948 précise à l'article 26 que « toute personne a droit à l'éducation ». Et il faut reconnaître que depuis un siècle, et plus encore depuis deux ou trois décennies, des pas de géant ont été accomplis dans cette direction - prise en charge de l'éducation par les gouvernements, lutte contre l'analphabétisme dans les pays moins développés, fréquentation scolaire rendue obligatoire jusqu'à l'âge de 15 ou 16 ans, gratuité des études,

réorganisation des programmes de l'enseignement primaire et secondaire, progrès de l'enseignement professionnel et technique, développement de l'enseignement aux adultes, élaboration d'une conception révolutionnaire de l'éducation permanente, etc. Dans bon nombre de pays, parmi lesquels comp- tent le Canada et le Québec, la très grande majorité des jeunes font maintenant au moins une partie de leurs études secondaires. Il a fallu attendre le 20e siècle pour voir se produire un tel phénomène et ce sera sûrement là un des plus puissants facteurs de la transformation de la société de demain, du passage de la civilisation industrielle à ce qu'on appelle la société post- industrielle ou société de masse.

Cependant, en dépit de ces progrès considérables et rapides, on peut affirmer qu'on n'en est qu'au début des changements profonds qu'il faudra accomplir. Nous sortons à peine de la préhistoire de l'enseignement, nous n'en sommes encore qu'à la période primitive de la démocratisation de l'éducation. Cette affirmation n'est pas gratuite : elle s'appuie sur le fait qu'en pratique le droit généralisé à l'éducation est encore bien loin d'être devenu réalité. De ce point de vue, la Déclaration des droits de l'homme - comme en bien d'autres de ses parties d'ailleurs - prend plutôt figure d'un souhait ou d'une prophétie que d'une description de la situation présente.

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Dans le document Québec en mutation (Page 111-116)