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Les difficiles indépendances

Dans le document Québec en mutation (Page 39-41)

Un incertain avenir

11. Les difficiles indépendances

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Le Québec a devant lui Comme tâche prioritaire d'assurer son indépen- dance sur trois fronts simultanément: politique, économique, culturel. Depuis quelque temps, c'est surtout la destinée politique du Québec qui est devenue sujet d'interrogation : deviendra-t-il ou non une nation indépendante ? C'est le genre d'interrogation à laquelle on ne peut apporter de réponse qu'en invo- quant ses options personnelles.

J'ai dit, dans un article publié dans ce volume-ci, mon désaccord avec la solution d'un Québec intégré à un Canada bilingue et multiculturel Je consi- dère que dans un tel ensemble l'avenir de la francophonie québécoise et canadienne serait gravement compromis. J'ai dit, dans le même article, ma préférence pour une redéfinition du Canada qui en ferait un pays formé de deux nations, l'une majoritairement anglophone, l'autre majoritairement francophone, ayant chacune une large mesure d'autonomie et se liant dans une fédération qui leur assurerait certains services communs de base Je ne reprends pas ici le débat Je répète seulement que s'il est possible de réviser la présente Constitution canadienne selon cette perspective dans les années prochaines, cette option m'apparaît préférable à celle d'un Québec politique- ment indépendant du reste du Canada mais qui risquerait d'être plus inféodé que jamais à l'économie étatsunienne. Si une telle entente s'avère cependant impossible, l'indépendance québécoise deviendra la seule solution, pour éviter l'asphyxie de la francophonie dans un Canada multiculturel et prétendument bilingue.

Il est heureux que la question de l'avenir politique du Québec ait été posée en termes clairs, grâce à la thèse souverainiste. Il faut cependant regretter que cette question ait absorbé une si grande part de notre attention et nous ait fait négliger d'autres aspects de notre avenir qui ne sont pas moins cruciaux. L'espoir de l'indépendance politique polarise beaucoup d'énergie. Il en résulte, en particulier, que les mouvements de gauche sont engagés trop exclusive- ment dans cette entreprise, dont il n'est pas du tout certain qu'ils bénéficieront. Advenant l'indépendance prochaine du Québec, l'absence d'une pensée politique de gauche et d'un mouvement socialiste organisé se feront cruelle- ment sentir. On risque de voir alors le Québec se remettre pieds et poings liés aux mains des capitalistes domestiques et surtout étrangers.

L'autodétermination politique, dont on a beaucoup parlé ces dernières années, n'est en effet qu'un aspect de l'indépendance des nations. C'est la moins difficile à obtenir, et comme elle Peut être illusoire et vaine ! Pour ce qui est du Québec, autant et peut-être plus encore que pour les autres petites nations du monde, c'est d'abord et avant tout son indépendance économique et son autonomie culturelle qui sont menacées. Sans doute me rappellera-t-on que l'indépendance politique est une condition de l'obtention des autres, mais ce n'en est qu'une parmi d'autres et je ne crois pas que ce soit ni la plus importante ni la plus certaine.

Situé à l'ombre de l'empire américain, le Québec risque de ne connaître toujours qu'une indépendance économique très relative. De bien des manières, l'économie québécoise est rattachée à l'économie américaine avec laquelle elle est en dangereuse continuité et à l'endroit de laquelle elle ne Peut prendre qu'une distance mesurée. Ce qui peut être plus compromettant encore pour l'avenir, c'est que le Québécois jouit d'un niveau de vie nord-américain élevé et que, bien sûr, il s'y est très vite habitué. Il est difficile de croire qu'il accep- terait une baisse substantielle de son niveau de consommation pour couper une partie des liens économiques qui le retiennent à l'économie américaine et acquérir une indépendance dont il n'est pas certain qu'elle compensera, dans son esprit, pour la perte subie.

Bien que je souhaiterais le contraire, je ne prévois pas que le Québec gagne une indépendance économique marquée dans un avenir prochain. La pénurie de capitaux, l'absence d'une politique ferme et poursuivie avec vi- gueur, le peu de motivation dans la population, le fort sentiment d'insécurité économique du Québécois, l'attachement à un niveau de vie relativement élevé, la poursuite d'aspirations nouvelles à la bonne vie et au bonheur me paraissent autant d'obstacles à la recherche efficace d'une indépendance économique désirable mais non désirée. Il est donc bien à craindre qu'on voit se perpétuer ce que Kari Levitt a appelé « la capitulation tranquille » aux mains des capitalistes américains et des grandes sociétés multinationales. A long terme, c'est ce qui compromettra le plus l'avenir du Québec.

Un espoir existe d'échapper à cette puissante emprise: la survivance de l'empire économique américain tel qu'on le connaît présentement n'est pas nécessairement assurée. Sans doute ne peut-on pas aujourd'hui s'imaginer la fin de ce colosse. Mais il est plus menacé qu'il n'apparaît à première vue. Il pourrait connaître une régression rapide et inattendue, tant à cause de l'affaiblissement de la motivation économique dans la nouvelle génération d'Américains que par la montée d'autres empires économiques (soviétique, chinois, japonais, peut-être européen) susceptibles de le concurrencer efficacement. À mon avis, ce n'est que par suite d'une limitation de l'empire économique américain - que je souhaite personnellement, pour une plus grande liberté des peuples, notamment des petites nations - que le Québec

peut espérer gagner une certaine marge d'indépendance économique à l'endroit de son voisin trop grand et trop puissant et de qui il reçoit à la fois trop et trop peu.

Quant à l'indépendance culturelle, elle va de pair avec l'indépendance politique, mais plus encore avec l'indépendance économique. Dans un article reproduit dans ce volume, je me suis suffisamment expliqué sur les chances et les conditions d'une certaine indépendance culturelle de la francophonie nord- américaine pour n'avoir pas à y revenir longuement Je ne peux que répéter que je crois en l'avenir d'une francophonie nord-américaine originale dans la mesure où, paradoxalement, l'élite francophone québécoise assimilera davan- tage la culture américaine à la fois pour s'en inspirer et pour s'en dégager. Les critiques les plus pénétrantes de la civilisation américaine contemporaine proviennent d'intellectuels américains et non pas européens ou asiatiques. Il m'apparaît donc important que les intellectuels québécois sachent se mettre à l'écoute des principaux interprètes de la contre-culture américaine, dans l'espoir que ceux-ci nous communiquent une partie de leur vitalité et de leur lucidité, et aussi l'esprit de recherche et d'aventure avec lequel ils poursuivent une révolution culturelle qui n'a peut-être d'égale que celle qui s'accomplit en Chine, à cette différence qu'elle n'est ni bénie ni encadrée par les autorités politiques qu'elle conteste.

12. Le nécessaire socialisme

Dans le document Québec en mutation (Page 39-41)