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Nécessite d'une politique économique et culturelle

Dans le document Québec en mutation (Page 56-60)

les jeunes d'aujourd'hui ?

17. Nécessite d'une politique économique et culturelle

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Une dernière condition s'impose pour atteindre les objectifs fixés précé- demment : il faut un effort collectif de rationalisation et de planification de l'entité québécoise. Il est nécessaire de savoir avec plus d'exactitude où l'on va, ou peut-être mieux encore où l'on veut aller, comment on compte y parvenir, par quels moyens et à quel rythme. Une société aussi menacée que le

Québec, dont la réalité est encore plus un projet qu'une réalisation visible, doit plus que toute autre faire un effort à la fois d'imagination et de rationalité pour se projeter dans l'avenir, établir des stratégies de développement, explorer les éléments mobilisables et les ressources disponibles en vue d'une action collective intelligente et efficace.

Ainsi s'affirme la nécessité d'un État québécois prêt à jouer un rôle proprement politique, c'est-à-dire à être l'agent et le catalyseur d'une planifica- tion du développement global du Québec. l'État ne doit cependant pas être le planificateur ; il doit plutôt jouer le rôle de l'animateur et du chef d'orchestre d'un effort collectif de planification de toute la société québécoise. Cela suppose que l'État doive aider à mettre en place, à différents niveaux de la société, des organismes de réflexion, de recherche, d'animation et d'applica- tion d'une politique de développement. Celle-ci ne devrait être ni conçue ni appliquée d'une manière autoritaire ou centralisatrice, mais plutôt d'une ma- nière collégiale et collective.

Il y a deux secteurs-clé où le besoin d'une planification est impérieux : la vie économique et les activités culturelles. Au point de vue économique, l'État du Québec a devant lui une tâche énorme. La vie économique québécoise connaît depuis quelque temps un dangereux ralentissement. L'écart entre le développement économique de l'Ontario et celui du Québec va grandissant d'une manière alarmante. Un déséquilibre grave est en train de se produire, qu'il sera peut-être bien difficile de corriger dans les années à venir. l'État du Québec devra donc activer la vie économique d'une manière énergique.

Cela va supposer que l'on recoure explicitement et d'une façon ordonnée à plusieurs moyens à la fois. Il faudra d'abord utiliser d'une manière rationnelle et plus efficace les capitaux proprement québécois, suivant une politique claire et explicite d'investissements à long terme. Ceci implique, d'une part, une politique d'investissement des fonds publics consacrés au développement industriel et, d'autre part, une planification indicative des investissements du secteur prive en complémentarité de la première.

Le Québec ne peut sûrement pas plus se passer de l'apport des investisse- ments extérieurs que tant d'autres pays, mais a l'instar de quelques-uns il peut faire en sorte ne pas laisser toute initiative aux investisseurs étrangers. La contribution que ceux-ci peuvent apporter doit s'intégrer à la structure économique québécoise, tenir compte des dimensions présentes de celle-ci et de ses plans de développement. Les capitaux étrangers doivent aussi être investis de manière à favoriser le développement et la multiplication d'entre- prises parallèles ou complémentaires ; ils doivent être, en d'autres termes, des multiplicateurs d'industries et d'emplois, des agents de développement écono- mique. Cela suppose que ces capitaux ne servent pas seulement à l'exploita-

tion de ressources naturelles, mais qu'ils servent aussi à l'implantation d'entreprises de transformation au Québec même.

Il est également important que les entreprises états-uniennes ne soient pas entièrement et exclusivement à la remorque des recherches faites dans leurs laboratoires américains. Elles devraient être tenues de consacrer une part de leurs revenus à des laboratoires proprement québécois de recherche, autant dans les sciences de l'homme que dans les sciences physiques ou naturelles. Des entreprises étrangères provoquent en effet des changements sociaux et culturels : il serait normal qu'elles consacrent des fonds à l'étude des transfor- mations qu'elles entraînent dans le tissu de la vie économique, politique, culturelle et sociale du Québec.

Le Québec, comme toute l'Amérique du Nord en ce moment, souffre d'un déséquilibre entre sa main-d’œuvre et la structure de l'emploi. La scolarisation accrue de la population a mis sur le marché du travail une main-d’œuvre plus instruite, provoquant l'apparition d'un phénomène nouveau : le chômage de jeunes cols-blancs et même de diplômés universitaires, dans une société qui croyait pourtant avoir un besoin presque infini de techniciens, spécialistes, chercheurs et diplômés, universitaires. Dans l'état actuel des choses, il ne suffit donc pas d'activer la vie économique; encore faut-il que celle-ci se développe de manière à corriger la structure de l'emploi pour être en mesure d'accueillir la nouvelle classe de cols-blancs et les nouveaux diplômés. Cela signifie en pratique qu'on devra favoriser les investissements dans les secteurs industriels de pointe, qui requièrent une plus forte proportion de personnel technique et professionnel hautement qualifié. Il faut pour cela un effort de planification rationnel et ne plus compter seulement sur l'intérêt ou la clair- voyance des investisseurs capitalistes. Ces derniers poursuivent d'autres objectifs que ceux que doit avoir à l'esprit un État responsable d'un dévelop- pement équilibré de l'ensemble de la structure économique du pays.

Tenant compte à la fois des traditions du Québec, de sa culture et du travail déjà accompli, la planification économique devrait également dévelop- per et renforcer les réseaux de coopératives de production, d'épargne et de consommation qui existent déjà. Ces institutions sont le fruit d'un travail con- sidérable, elles répondent à une certaine mentalité du Québécois francophone, elles peuvent jouer un important rôle éducatif au point de vue économique et être en même temps l'appui solidement enraciné d'un socialisme proprement québécois. C'est d'ailleurs dans le mouvement coopératif que le socialisme trouve le meilleur antidote à l'étatisme stérilisant dans lequel il est trop aisément tombé partout où il s'est installé. Le mouvement coopératif crée des structures de base, des unités locales d'activité aussi bien que d'éducation économique qui sont essentielles pour contrebalancer les tendances au gigantisme, à la centralisation et à la bureaucratisation de la société moderne, socialiste aussi bien que capitaliste.

La planification du développement ne doit cependant pas être qu'écono- mique. Elle doit aussi et peut-être plus encore se préoccuper du développe- ment culturel. Le monde de la culture est devenu, comme je l'ai dit précédem- ment, un environnement de plus en plus riche d'idées, de représentations, de symboles, de messages, de valeurs et d'idéologies. C'est aussi un monde effervescent, mouvant, conflictuel, dans lequel l'homme contemporain ne vit pas dans un état de repos et de quiétude mais plutôt d'incertitude et de recherche.

Sans diriger la culture, sans s'en faire le porte-parole ni l'unique définis- seur, l'État doit animer un travail collectif de réflexion sur la culture et de prise en charge de son développement par l'ensemble de la société. Tout comme pour la politique économique, l'État doit devenir animateur et catalyseur de cette entreprise à laquelle il doit convier le plus de participants possibles, de tous les milieux et de toutes les régions.

Pour remplir efficacement cette fonction, l'État du Québec devra renforcer son Ministère des affaires culturelles, lui accorder un budget plus important et surtout en faire le ministère-clé de toute sa politique. Le Québec est en effet une entité culturelle avant d'être une entité politique ou économique. C'est du moins sur ce plan de la culture qu'il s'affirme d'abord et que son originalité est la plus marquée. C'est donc le Ministère des affaires culturelles qui devrait être chargé de définir et spécifier les grandes lignes de la politique d'un Québec qui voudra affirmer son autonomie et réaliser son désir d'auto- détermination. À partir des grandes lignes d'une politique culturelle élaborée dans le cadre du Ministère des affaires culturelles, d'autres ministères, tels ceux de l'éducation, de l'industrie et du commerce, du tourisme, de l'immi- gration, des communications, pourraient par la suite préciser leur propre politique. Le Ministère des affaires culturelles a été jusqu'ici trop négligé par tous les gouvernements québécois, ce qui symbolise bien le peu de soin que l'on a porté à dresser les lignes maîtresses d'une politique de développement intégral du Québec.

Un dernier point demande à être précisé, qui concerne tout autant la politique économique que la politique culturelle. Toute planification devrait être à trois dimensions : régionale, sectorielle, globale Je veux dire par là qu'une politique économique ou culturelle ne doit pas être conçue seulement sur le plan global du Québec, car elle risque alors de n'être applicable qu'à certains milieux, générale ment les milieux urbains et les classes moyennes qui sont déjà plus favorisés au point de Vue culturel. Une véritable planification globale doit s'appuyer sur des travaux de planification à l'échelle régionale et à l'échelle sectorielle. Par exemple, il faudrait mettre en marche des conseils régionaux de développement économique et culturel ; on aura besoin d'études particulières à certaines régions, soit à cause de leur sous-

développement, soit à cause d'un développement trop rapide ou parfois déséquilibré ; on fera appel aux groupements et aux associations représen- tatives des différents milieux de cette région.

On a souvent parlé de planification régionale, même si on en a fait effectivement bien peu. On a moins parlé de planification sectorielle. Celle-ci n'est pourtant pas moins nécessaire, tant au point de vue économique que culturel. Un développement économique, à la fois régional et global, qui se veut harmonieux, rationnel et ordonné doit être d'abord conçu par secteur de production et d'emploi, car chacun est un monde en lui-même qui a ses exigences, parfois ses lois et son dynamisme particulier. Il en va de même dans le domaine de la culture qui se répartit suivant différents types d'activi- tés, de biens et de produits culturels, de modes de consommation. Le monde des arts plastiques n'est pas le même que celui de la musique, celui de la littérature est différent de celui du théâtre. Il est donc important que les spécialistes de chacun de ces domaines soient invités à préciser les grandes lignes du développement de leur secteur et à proposer les moyens de le faire.

Une politique vraiment globale du développement consistera à agencer les plans régionaux et sectoriels de développement, à les équilibrer, à les coordonner et, le cas échéant, à proposer des normes communes, des objectifs, des modes d'action et des rythmes de développement qui soient applicables aux régions et aux secteurs sans devenir des contraintes trop étroites et trop rigides, tout en servant plutôt de guides et de points de repère.

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