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Ethnie, ethnicité : une approche des concepts fondamentaux à l’image de la situation guinéenne

3.7. La notion de lieux communs

Les lieux communs sont considérés comme des raccourcis sociaux qui ont une fonction d’étayage du discours. Il s’agit d’obtenir l’adhésion de l’interlocuteur, sa complicité en usant de notions partagées culturellement (stéréotypes, phrases toutes faites, allusions littéraires ou historiques, maximes et proverbes). Ils peuvent aussi avoir comme visée le détournement de l’attention et être une forme de refus de répondre à une question55.

54 Patrick Charaudeau et D. Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002. P. 544, 546.

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Les auteurs qui ont étudié le concept d’évidences partagées lui prêtent plusieurs noms : lieu, lieu commun, topos, stéréotype, idée reçue, cliché, poncif, représentation collective, formule figée, savoir commun, entre autres. Nous retiendrons ici les termes qui nous paraissent les plus utilisés en argumentation même si notre travail n’a pas une orientation argumentative. Toutefois, il convient de préciser que, dans les travaux de Ruth Amossy (2000), les lieux communs ont pour synonymes stéréotype et idée reçue.

S’agissant de Anscombre et Ducrot, les deux auteurs utilisent la notion de topos dans leur théorie de l’argumentation, qui relève plus de la sémantique que de l’Analyse du discours. Anscombre (1989) définit ainsi la signification d’une phrase de la manière suivante : c’est « l’ensemble des topoï dont elle autorise l’application dès lors qu’elle est énoncée ». L’objectif de la théorie de l’argumentation dans la langue vise principalement l’identification des topoï liés aux éléments du lexique, c’est pour cette raison que nous n’allons pas nous attarder ici sur les travaux de ces auteurs.

Cette liste, non exhaustive, s’inspire de l’ouvrage d’Amossy (1997 : Introduction). Le lieu commun correspond en fait au lieu particulier chez Aristote mué en lieu commun, dans le sens moderne et devenu péjoratif du terme. On peut s’aligner sur l’usage courant en le prenant dans son sens plus tardif : thème consacré, idée figée confinée dans un répertoire. L’idée reçue recoupe celle de lieu commun en insistant sur le caractère tout fait et contraignant des opinions partagées.

Partant, Flaubert (1857) met en évidence leur rapport à l’autorité et leur valeur d’injonction - ils signalent ce qu’il faut faire et penser. Lieu commun, opinion partagée et idée peut être considéré comme un thème rabattu ou une opinion partagée, qui insiste seulement sur le caractère collectif d’une idée, d’une prise de position, sur leur mise en commun et leur circulation au sein d’une communauté (Amossy, 2000 : 102). Ce qui distinguerait l’idée reçue du lieu commun, selon Amossy, serait la valeur coercitive de la première.

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Selon Amossy, les idées reçues « inscrivent des jugements, des croyances,

des manières de faire et de dire, dans une formulation qui se présente comme un constat d’évidence et une affirmation catégorique » et sont « le prêt- à-dire,

prêt-à-penser, prêt-à-faire, prescrit par le discours social » (Amossy et Herschberg Pierrot, 1997 : 24). Cette description de l’idée reçue rejette, par son « affirmation

catégorique », une des qualités des opinions partagées, c’est-à-dire leur caractère

implicite. En effet, la loi de passage est d’autant plus efficace lorsqu’elle demeure implicite (Amossy, 2000, en 4.1.2.1). Par ailleurs, le stéréotype semble se distinguer du lieu commun et de l’idée reçue par l’objet qu’il concerne.

En effet, Amossy (2000) décrit le stéréotype comme une « représentation ou

une image collective simplifiée et figée des êtres et des choses que nous héritons de notre culture et qui détermine nos attitudes et nos comportements » (Amossy, 2000

: 110). L’extension aux choses, présente dans cette définition, est plutôt rare. Les nombreux travaux en psychologie sociale ont contribué à restreindre la définition du stéréotype à ce qu’on connaît aujourd’hui, restriction qui s’est étendue aux autres disciplines utilisant cette notion. Amossy soutient que le déchiffrement des stéréotypes consiste à retrouver les attributs du groupe incriminé à partir de formulations variées.

Le stéréotype désignait au départ un « imprimé avec des planches dont les caractères ne sont pas mobiles, et que l’on conserve pour de nouveaux tirages ». Progressivement, ce sens s’est d’abord étendu, au figuré, aux choses : « sottises stéréotypées ». De la même manière, Beaudet (2005) attribue les stéréotypes à des personnes : « Les stéréotypes font de l’individu ou d’une collectivité je souligne

l’incarnation d’un modèle préconstruit. Ils permettent de transformer des traits spécifiques (propres à certains mais non communs à tous) en traits génériques »

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Sur la base des considérations précédentes, il apparaît que les notions de lieu commun, d’idée reçue et de stéréotype ont donc comme caractéristique commune d’être reconnues comme allant de soi au sein d’une communauté, Amossy réserve en revanche une valeur coercitive à l’idée reçue. Le lieu commun, parce qu’il incarne la voix de la communauté d’une part et celle des hommes politiques, acquiert un poids argumentatif élevé, en faisant figure d’autorité.

« À la suite de Toulmin, les théories classiques de l’argumentation s’accordent pour considérer que c’est dans la mesure où ils fournissent des « lois de passage » que les lieux communs intéressent l’étude de l’argumentation » (Plantin, 1993 : 481). D’où l’attention que nous accordons à cette notion dans le cadre de l’analyse de notre corpus. C’est pour cette valeur que le locuteur devra justifier une position contraire au lieu commun : dans de tels cas, comme on l’a vu, l’argumentation vise principalement à justifier l’attitude du locuteur par rapport à une norme générale inférable à partir de l’énoncé. Le plus souvent implicite, cette norme générale repose sur des lieux communs ; correspondant à des règles de comportement considérées comme acceptables au regard des membres de la communauté où elles ont cours.

Lorsque des locuteurs expriment des propositions personnelles qui vont à l’encontre de ces stéréotypes socialement admis, ils déclenchent une argumentation destinée à contrer l’image négative qui pourrait en résulter. (G. Martel, 2000b : 27). Dans le cadre de l’analyse de notre corpus, nous utiliserons le générique lieu commun pour désigner les opinions partagées servant de loi de passage, justifiant à elle seule le point de vue du locuteur ou l’obligeant à justifier une position contraire.