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Ethnie, ethnicité : une approche des concepts fondamentaux à l’image de la situation guinéenne

3.8. La notion de sens commun

3.9.2. Caractéristiques du Parti Unique en Guinée

A propos du Parti Unique Sylla (1977 : 241) soutient que : « Lorsqu’on parle

de parti unique en Afrique noire, on doit se garder de toute définition préétablie ou de toute comparaison avec les partis uniques européens (ceux des pays de l’Est, le

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PC de l’Union Soviétique) [par exemple ». Les spécificités dont fait référence

l’auteur reposent sur le fait que, dans la période postcoloniale, toute la vie politique en Guinée s’est animée du souffle d’une unanimité superficielle qui trouve son sens dans une sorte de soif d’une harmonie universelle.

En dépit de la légalité que s’estdonné le PDG pour justifier la concentration du pouvoir dans les mains des dirigeants du parti, l’unité de façade mise en scène sous le label d’une démocratie populaire en Guinée s’écarte de toute liberté du citoyen. C’est au regard de cette situation que Sylla (1977) affirme que :

« Pour nous, il y a parti unique dès qu’il y a concentration du pouvoir au profit d’un seul groupe politique ; peu importent [fait remarquer l’auteur] les voies par lesquelles ce groupe est passé pour parvenir à l’exercice total du pouvoir. Le parti unique africain est un parti politique ayant seul de fait ou de droit, la liberté d’action politique ; ce qui implique une concentration absolue du pouvoir au profit de ce seul parti ».

Les caractéristiques politiques du parti unique, ainsi définies par Sylla (1977), correspondent, nous semble-t-il à celles du Parti Démocratique de Guinée. En effet, la mobilisation de toutes les forces vives de la Nation est continuellement entretenue sous la direction de ce parti dominant dont l’activisme est à la base de la perturbation de l’équilibre interne des autres partis. Cette rupture de leur équilibre interne leur impose :

➢ D’une part de s’insérer dans le programme politique du Parti dominant et le soutenir sans conditions, ce qui présupposait renier leur autonomie et se résoudre à accepter l’absorption pure et simple,

➢ D’autre part d’emprunter la voie de la contestation en s’opposant ouvertement, or l’existence de toute autre formation politique est interdite.

C’est dans ces conditions que l’évolution politique de la Guinée entraîne l’instauration d’un régime de type totalitaire car le PDG, parti au pouvoir renforce ses assises dans la fusion du Parti, du Peuple et de l’État. C’est dans ce sillage que le Parti-État s’impose au grand dam des autres formations politiques, pour donner

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naissance à un système de type communiste que Gigon (1959)57 appelle démocratie pendulaire.

En effet, la spécificité du système politique qui s’impose en Guinée à parti de l’année 1958, date de l’indépendance et les conditions particulières dans lesquelles s’est propulsé son leader sur la scène politique nationale et internationale, d’une manière fulgurante, furent des aspects singuliers qui ont attiré l’attention de plusieurs analystes sur la situation guinéenne.

Il est sans doute important de préciser qu’aussitôt après l’indépendance, le Parti Démocratique de Guinée (PDG), qui s’est fait passer très tôt comme le porte-flambeau dans les années de lutte pour l’indépendance en vue d’assurer la promotion de la dignité du peuple guinéen, a fini par prendre une toute autre orientation le détournant ainsi de l’idéal qu’il s’était fixé au départ : incarner concrètement les besoins du peuple. Dans cette perspective, au-delà de son rôle de mobilisation et d’endoctrinement du peuple, le parti s’est aussi fixé la mission qui a consisté aussi à surveiller et à punir tous ceux qui s’écartent de sa ligne politique. En confisquant la liberté d’expression, il crée une milice dont la fonction consistait à exercer un contrôle permanent sur le peuple.

La transformation progressive du Parti en un service de renseignements est l’indice d’une emprise totalitaire exercé sur le peuple vivant constamment dans la contrainte de l’obéissance et de la discipline révolutionnaire. C’est dans cette ambiance de confiscation de toutes les libertés que le parti unique qui, au nom du peuple, se transforme en groupe d’intérêts partisan. Les hauts fonctionnaires de l’administration étaient choisis dans l’ethnie du président, voire même directement dans sa famille. Cette tribalisation du pouvoir consécutive aux luttes communautaristes pour le contrôle et l’exercice du pouvoir s’est consolidé tout au long de l’histoire politique de la Guinée, des années 1952, 53, 54 à nos jours.

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En effet, il s’avère important de préciser que l’exercice du pouvoir dans bon nombre de pays africains présente quelques survivances de l’autorité traditionnelle et d’une forme de légitimité s'appuyant sur cet « éternel hier », dont parle Georges Balandier58. On peut donc donner raison à cet auteur qui souligne l’idée de « persistance et de dissolution des structures traditionnelles », pour ce qui est du pouvoir en Afrique de la période des indépendances. Autrement dit, l’Etat dans les pays africains, est structuré sur la base de l’organisation des Etats européens, mais dans son fonctionnement, le pouvoir s’exerce conformément à l’habitus des Etats traditionnels. Ces deux visages du pouvoir postcolonial, que l’on retrouve dans la majeure partie des pays africains, combinent deux des trois types de légitimité définis par Weber dans ses travaux. Le pouvoir est tout à la fois traditionnel et moderne.

Conformément à cette situation, la conception traditionnelle du pouvoir sert d’idéologie pour renforcer l’unicité des forces vives de la Nation. Ainsi des vocables comme émancipation que les hommes politiques répètent inlassablement dans leurs discours se doublaient d’expressions tels que : « retour aux sources », « revalorisation de la culture africaine ». Mais quand on s’éloigne des tribunes et qu’on revient à la réalité quotidienne, tout se passe comme si toutes les représentations politiques visaient à mobiliser le Peuple autour du d’un chef incontestable et à nourrir mentalités et habitudes qui confèrent au pouvoir toute sa sacralité.

Selon Sylla (1977 : 257), dans le but de légitimer le Parti Unique, les dirigeants africains avancèrent trois séries d’arguments servant de fondements politiques ou idéologiques pour mobiliser le peuple :

1. le Parti Unique seul peut conduire à une véritable intégration nationale,

2. il est le seul qui soit capable de promouvoir la modernisation en accélérant le processus de la croissance économique,

58 Georges Balandier, Sociologie actuelle de l’Afrique noire, Paris, Presses Universitaires de France 1963.

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3. il est compatible avec une société sans classes. Ainsi, le parti unique tente parfois, selon toujours Sylla, de se construire une idéologie pseudo-marxiste, dont la Guinée a donné l’exemple pour justifier un pouvoir sans partage.

Pour appuyer les arguments ainsi avancés, en Guinée, tout comme dans bon nombre de pays africains, le Parti Unique a été présenté comme l’unique solution pour éviter une crise nationale. C’est en mettant en avant cet argument visant à assurer l’équilibre et la stabilité que les citoyens de chaque pays nouvellement indépendant ont soutenu l’idée avancée par les dirigeants du Parti Unique. Car tout se passait comme si chaque parti majoritaire dans les pays nouvellement indépendants apportait ainsi la solution en vue d’une véritable intégration nationale de tous les groupes ethniques.

Selon Sylla, les fondements historiques de cette situation nouvelle ont reposé sur l’héritage d’un patrimoine culturel datant de plusieurs siècles qui « a façonné les mentalités, créé des habitudes et conditionné les représentations collectives et les attitudes politiques vis-à-vis de la concentration du pouvoir caractéristique de la période actuelle » (1977 : 265). A l’horizon des fondements historiques soutenus par cet auteur, se profile « la légitimité traditionnelle » dans les catégories proposées par Max Weber. De l’avis de Sylla (1977 : 265), les types de pouvoir, qu’avait connus l’Afrique dans la période précoloniale, étaient fondés sur la solidarité tribale, la sacralisation de l’autorité politique et la participation mythique des ancêtres à la communauté politique.

Conformément à cet habitus, le fond culturel « a constitué un système social

total qui demeure jusqu’à nos jours le fondement culturel de la politique négro-africaine, et ne manque pas d’avoir par conséquent des relations de causalité avec la prédisposition des masses à accepter et soutenir les chefs charismatiques et leurs partis uniques d’aujourd’hui ».

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En rapprochant cette théorie de celle qui faisait référence à l’éternel hier (Balandier), Sylla (1977) soutient que le culte de la personnalité et le respect religieux du chef du Parti Unique ont entretenu la survivance du culte des ancêtres et du paternalisme traditionnel. C’est la réitération de ces germes d’autoritarisme qui a nourri chez les dirigeants africains, l’inimité envers l’opposition. Sylla (1977) souligne également des fondements sociologiques et psychologiques qui soutiennent l’établissement du Parti Unique.

Parmi les arguments avancés, figure celui du dualisme entre la fixité d’un legs traditionnel et l’avènement d’un état moderne calqué sur la culture occidentale.

« Entre le tribalisme, en tant que fondement de la traditionnalité, et le parti unique (comme institution politique moderne), [disait Sylla], se joue une dialectique d’implication mutuelle qui fait du tribalisme un facteur important d’instauration du parti politique ».

En abordant cette situation paradoxale, notre travail retrouve son objet, en d’autres termes, nous tentons d’élucider un double paradoxe :

➢ D’une part, comment le tribalisme, tout en résistant au PDG, parti unique qui a constamment affiché dans son discours l’unité nationale, a-t-il renforcé les bases de cette formation politique en Guinée ?

➢ D’autre part, comment Sékou Touré, tout en condamnant officiellement le racisme tout au long de ses discours et de son pouvoir, a-t-il entretenu dans l’exercice du pouvoir un clivage entre les groupes ethniques en Guinée ?

On peut donc se demander, comment un parti national qui s’est constitué sur la base du syndicalisme politique, a-t-il utilisé l’arme ethnique, qu’il combattait, pour asseoir sa stabilité. Autrement dit, comment en prononçant constamment un discours sur les archétypes ethniques, Sékou Touré a-t-il entretenu la représentation d’une hostilité contre les habitants d’une seule région de la Guinée composée essentiellement de Peuls, alors qu’en même temps l’exercice de son pouvoir repose sur des considérations familiales, voire ethniques ou amicales ?

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Plusieurs auteurs, comme Duverger (1964)59 Coleman et Rosberg60 ont formulé des théories pour comprendre et expliquer l’évolution du paysage politique en Afrique dans la période postcoloniale. L’un de ces auteurs, W.A Lewis a proposé des idées contenues dans les expressions suivantes : amour du pouvoir, avantages matériels, conviction de courir beaucoup de dangers en ouvrant la scène politique au multipartisme, qui pourraient être nuisibles au pouvoir en place, enfin, la conviction qu’un parti d’élites est l’instrument suprême de la société.

Au regard de toutes ces théories, Mahiou (1969 : 158) propose de les regrouper autour de trois idées principales :

➢ L’idée d’intégration nationale,

➢ L’idée de construction et de mise en fonctionnement de l’État et de ses services,

➢ L’idée de promotion et d’assurance d’un développement économique durable.

Or plus d’un demi-siècle après l’indépendance nationale de la Guinée, aucun de ces objectifs ne semble avoir été atteint ; ce qui apporte la preuve de la faillite du Parti Unique dans sa tentative de construction en Guinée d’une conscience nationale aussitôt après l’indépendance.

L’emprise du PDG, puis du PUP sous le pouvoir de Lansana Conté et enfin du RPG, parti au pouvoir depuis 2010, a participé à une modification en profondeur de l’équilibre socioculturel du pays, dont les conséquences sont, entre autres, le travestissement des conduites, habitudes et représentations collectives. Le tribalisme dont la rémanence couvre toutes les étapes de l’histoire politique du pays s’est amplifié avec l’arrivée d’Alpha Condé au sommet de l’Etat. Comme nous allons le montrer tout au long de notre analyse, c’est certainement une de ses armes favorites de conquête et d’exercice pouvoir par le pouvoir en exercice.

59 Méthodes des sciences sociales, 3è Édition, Paris, PUF

Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1951, 1973 / 1981 Éditions du Seuil, Paris.

60 Political parties and national integration in tropical, Berkeley University of California press, 1970, 1964.

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Conclusion partielle

Dans ce chapitre trois (3) de notre thèse, qui s’achève ici, nous avons présenté la synthèse du cadre conceptuel sur l’ethnie et les notions associées. Cette synthèse théorique sera consolidée par celle du chapitre suivant, qui sera consacrée au cadre méthodologique en vue d’une gestion efficiente de nos objets d’analyse et à quelques notions de base en Analyse du discours avec un prolongement sur l’argumentation rhétorique. Elle va s’enraciner dans les concepts issus principalement des Sciences du langage. Ces concepts réfléchissent sur les questions des images des orateurs, de l’auditoire aux adversaires politique et administratif.

D’une part, ces concepts sont aussi relatifs aux procédés logico-formels, aux schématisations et constructions thématiques qui fondent l’argumentativité des discours que nous analysons. Ces concepts concernent enfin les questions d’émotions qui sous-tendent ce discours qui se veut pourtant rationnel.

D’autre part, nous avons orienté notre recherche dans le cadre général de l’Analyse du discours initié par Maingueneau. S’agissant de notre approche méthodologique en particulier, elle a été organisée en deux grandes phases que décrit Bardin (2007) que nous avons reprises ici et qui a été précisé dans le texte : la préanalyse et l’analyse ou l’exploitation du matériel.

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Chapitre 4